le double voyage | à pied dans les yeux

Ces lieux dont vous faites un visage

De l’île pacifique, mangrove et palétuviers. Enchevêtrement de racines, elles supportent le sel. Bougainvilliers géants. L’argile rouge. Plus loin, les mines de nickel qui nous séparent. C’est notre pays qui est venu.

De la ville ici son opéra au toit blanc en triple bec. La moto puis partir traverser le désert en Harley Davidson, toi et ton copain.

De la forêt, vos vies en elle. Les points de rêves-images peints sur écorces. Tasmanie, bout du monde.

De cette place immense, où vos costumes et attachés caisses me semblaient une ligne architecturale traversant le parvis au pied des gratte-ciels. Singapour.

D’îles en archipel vous m’avez écrit au dos d’un atoll entouré de sable clair et d’eau transparente.

D’elles, les sculptures rapportées, leurs visages gravés dans l’épaisseur d’une branche ou d’un tronc, ont trôné de part et d’autre du salon. Les sages de la maison.

De cette île-là, de Cuba, la figure du Che, mi fantasme, mi fantôme, déclinée sur les produits dérivés rapportés. Un magnet, un mug, un drapeau, un dessin.

D’argentine, la traversée de la pampa en bus. L’altitude des plus de 3000 m dans la Cordillère. La migraine. Vous, les femmes d’ici, qui tricotez dans les transports. Dans la mer de sel : le mirage d’une nappe d’eau.

De Buenos Aires un voyage imprévu. Vous rejoindre, rompre avec ici.

De New-York, vos cartes. Carnets. Votre voilier dans la baie. « Poèmes bleus », un voilier qui porte le nom du recueil de Georges Perros, « touche » dans la baie d’Hudson. Il n’est jamais rentré à Douarnenez.

De l’île-pays, des falaises de glace. La carte des icebergs. Traversée depuis le golfe du Saint-Laurent. Nuuk. Taasiliquaq. Trois années où je suivais le voyage sur la carte.

Ces lieux dont j’invente le voyage

De la grue jaune, la cale de lancement, les ferrailles rouillées, de la friche au cœur de la ville mêmer des textes où bouger les lignes qui nous entourent. Lire à haute voix à 20 ans sur l’île de Nantes.

De Nantes partir, sur un tandem. Longer la Loire autant que possible puis se diriger plus au sud, jusqu’à Avignon. Ralentir.

De Nantes, longer la Loire à nouveau. Suivre les petites routes et chemins de halage à vélo. Ponctuer nos étapes de lecture, jusqu’à Azay-le-Rideau. Ralentir encore.

De la côte bretonne, dont j’ajoute d’année en année un bout de sentier côtier pour en faire un jour le tour complet à pied. Racines vagabondes.

De Germignac, un petit village de Charentes, ce n’est pas un voyage. Sauf celui d’une lettre à l’enfant que j’y étais l’été, en vacances chez mes grands-parents.

De Marseille, cap Croisette, les Goudes. Nos baignades sans plage, plonger depuis la roche. C’était avant la fêlure.

Notes de pensée avec l’écrire

Voyages réels, voyages rêvés. Voyages désirés, voyages obligés. Grands voyages et voyages minuscules.Ecrivains voyageurs. Voyages autour de nous. Nos proches, nos amis, nos collègues, nos connaissances. Récits de retour de vacances à l’étranger et récits de voyage. 910.4 dans la classification Dewey. Récit de de ceux qui n’ont pas voyagé mais transité, se sont déplacés pour habiter ailleurs, retournent chez eux.

Voyager, c’est déconstruire. Certaines représentations. Accpeter une désillusion. (Voir citation de Bouvier à retrouver). J’aime bien cette idée que l’on voyage dans le bougé des formes qui nous habitent, internes ou externes. Dépayser la pensée (François Jullien).

J’ai voyagé dans les grands voyages de mon entourage. J’ai voyagé dans ce voyage sans récit – raconter est déjà dénaturer. il s’agit de revenir en évitant le vu, le voyage fait. Contre-voyager sans rien chercher d’autre qu’un en-dehors mobile, contre-sédentaire. Un micro-détour de voyageur/euse émancipé.e, de voyageur/euse en pays en dominé. J’ai des images de filets de morues qui sèchent sur un voilier comme on étend le linge.

Quand j’ai cherché à vivre autrement j’ai lu et écrit. J’ai beaucoup marché. Avec Stevenson dans les Cevennes, en landes et forêts bretonnes. Les muscles des trajets low-cost m’auraient permis de sauter d’un pays à l’autre sur la carte du monde. J’ai rejoint deux fois ma mère en Nouvelle-Calédonie et une fois en Argentine. C’est comme ça, c’est ma vie. Alors, on verra où le voyage me mène.

A propos de Nolwenn Euzen

J'écris dans les ateliers du Tiers Livre depuis 2022. Cycles: "techniques et élargissements" , "le grand carnet", "photofictions" ou 40 jours d'écriture au quotidien" (juin-juillet 2022). Mon blog le carnet des ateliers concerne quelques séjours d'écriture et ateliers que je propose, associés notamment à la marche à pied. J'ai publié deux livres papiers et un au format numérique quand j'étais plus jeune. Je me fâche régulièrement avec l'écriture et me réconcilie. Je suis d'abord une infatigable lectrice. "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue Ces revues m'ont accueillie dans le passé: La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune... Et, grâce à l'anthologie "La poésie française pour les nuls" (éditions First) je sais que dans un des livres de la bibliothèque de la ville où j'habite, c'est moi. Et ça compte d'être tatouée comme ça. J'ai participé plusieurs années aux échanges de blog à blog des "vases communicants" - mon site a disparu depuis. En 2007, j'ai bénéficié d'une bourse de découverte du CNL. Le texte a été abouti. J'ai bifurqué vers d'autres urgences. Enfin voilà quand même, je suis contente d'être arrivé là bien qu'aujourd'hui le temps a passé et que j'ai toujours un casque de chantier sur la tête. J'aime ça.

15 commentaires à propos de “le double voyage | à pied dans les yeux”

  1. Oh qu’il est beau ce texte. A vérifier quand même que la Loire va jusqu’à Avignon, sinon on se laisse glisser, ça descend !

  2. Oh merci pour Germignac, à deux pas de chez moi ! La prochaine fois que je retourne sur Cognac, je fais un crochet pour une photo et je l’envoie, comme une invitation à revenir en vacances (même si ce n’est ni New York, ni Taasiliquaq, on est d’accord).

    • Ah oui, ce n’est pas banal ! Je devais écrire sur Cognac pour l’ARN (Atlas des régions naturelles) et j’ai manqué de temps. Mais je me le garde peut-être même pour un voyage dans ce cycle.
      Sympa de penser à cette photo. Mes grands-parents habitaient la maison devant l’ancienne école, à l’entrée du village en arrivant par Cierzac. La maison est vendue depuis quelques mois à un militaire de Cognac. (Sinon, tout le monde est à l’entrée du cimetierre première tombe sur la gauche, mon père les a rejoints)
      De quelle commune es-tu ? Bonne étape #1. Merci d’être passé lire.

  3. Poésie du voyage de ceux qui en font partis de ce qui en donne envie et Nantes souvenirs qui parlent de mon enfance. Merci Nolwenn

  4. J’ai été très sensible à la présence des visages humais en filigrane, convoqués par le vous ou suggérés par la troisième personne. Et la réflexion sur la recherche de non sédentarité est précieuse pour notre atelier, cela balaye toute idée d’exotisme je crois.