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Beaubourg pour y dormir

Ce samedi soir, 2 heures de battement à Paris, et les rues très froides, je rentre à Beaubourg, qui ferme à 21h. Dans la mezzanine, peu de monde finalement. Un capuccino et une traduction en cours sur l’ordinateur, c’est presque un luxe que ce battement de silence dans la ville en son hiver. À ma droite, un type qui dort quand j’arrive, se réveillera une fois et me demandera l’heure, puis s’en ira, comme droit devant lui, sans bagage ni manteau. J’ai regardé ses mains : normales. Au bord, quoi. Mais là, devant moi, à la place que j’aurais voulu prendre, contre la balustrade qui domine le grand hall, lui aussi, il dort. Il a devant lui un plateau de plastique avec un goblet de café vide, mais ça ne prouve pas qu’il l’ait payé ni bu : il suffit d’arriver et prendre le plateau de quelqu’un qui vient de partir, on n’est pas dressé ici à les ramener au dépositoire comme au Québec ou aux US. Une silhouette posée sur une table, avec des grands cheveux. Je verrai sa tête plu tard, une belle tête, et barbe à l’ancienne. Les mains : gonflées, rougies et dures, crispées. Il reprend son sac, un sac à dos déformé, avec un mince duvet qui dépasse. Il s’en va lentement, fera les poubelles de la mezzanine au passage. Quand il s’en va, qu’il voit que je le regarde, il me dit bonsoir et j’en fais autant. Même le mot bonsoir semble un luxe de civilisation (qui ne sont pas égales les unes aux autres, venais-je de lire sur l’écran de l’iPhone). Failli lui demander si ça allait, s’il lui fallait un quelque chose pour la nuit et je vois que lui aussi hésite, mais probablement qu’il ne voulait pas prendre le risque : à Beaubourg, donc, on vous accepte sur la mezzanine pour dormir un moment au chaud, mais la mendicité voudrait dire exclusion immédiate. Dans les rues, des centaines et centaines de sans-abri. Quand je marche jusque vers Odéon, à 21h, les voir s’installer dans les recoins des vitrines. Beaucoup dorment dans le métro : seront virés à 1h, marcheront sans discontinuer jusqu’à 5h avant de redescendre y dormir. Peut-être que mes 2 dormeurs de Beaubourg étaient de ces marcheurs, qui n’ont pas le droit de s’arrêter, de 1h à 5h. Quand je suis sorti sur l’esplanade j’ai regardé, plus vu mon barbu. Reste la question : de quel deuil de culture êtes-vous porteur, quand vous en êtes réduit à la condition de sans-abri, pour préférer venir dormir à Beaubourg que nulle part ailleurs ? Qu’y aurait-il là à conquérir et rétablir, que nous ne savons plus entreprendre ?


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 février 2012
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