C’est un des points les plus énigmatiques des ateliers d’écriture : que le rendez-vous intérieur, la distance avec la séance précédente, l’attente de celle qui vient, permettent ce saut d’intensité qu’est la prise d’écriture. Quand on se débat soi-même dans le long terme, on sait bien que ça ne se passe pas sur commande, ni d’un jour sur l’autre. On sait aussi que discipline et régularité aident, même sans suffire. Là c’est d’arriver dans le gîte, dans le même hameau mais pas celui où on avait nos habitudes – mais le rythme des jours, la densité de l’air, le vieux réchaud à butane et la toile cirée sur la table de cuisine, est-ce qu’on sait ce qui compte vraiment ? De n’avoir plus de connexion, sinon un bref signal résiduel qui permet, tôt le matin ou tard le soir, de relever twitter ou mails, évidemment ça aide aussi – difficile de penser que pour aucun de nous, pour lesquels le web est l’outil principal d’écriture, il soit possible de se passer d’expérience inverse, la déconnexion pour reprendre ses marques mentales, se bétonner contre l’éventuelle addiction, savoir toujours tenir dans les mains l’association des flux faibles et flux denses. Pourtant c’est ça qui est bizarre : comme la mémoire de 25 ou 30 ans d’écriture dans ces mêmes conditions, l’isolement du gîte, les marches à réapprendre dans la journée, le temps compact de lecture du soir. Bien sûr, apporté bien trop de boulot par rapport à ce que je ferai (les projets de trads), bien sûr, difficile aussi de s’imposer la contrainte de répondre aux mails boulot (il en parvient malgré la saison). Mais cette part de l’aube soudain à nouveau disponible, comme si tout le reste était très loin : qu’un rendez-vous d’écriture peut se créer en soi, en dehors de tout vouloir.