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journal | la table des matières est une fiction

La journée commençait bien, j’avais rendez-vous avec mon livre. C’est toujours un moment assez paradoxal, parce que le livre on ne l’a jamais vu, et que lorsqu’on le découvre il est déjà rangé en pile, près des étiquettes par quoi on va le disperser certes vers des critiques et écrivains qu’on respecte et apprécie, mais chaque année confirme une sorte de dérive, la moindre émission de télé il en faut 4 ou 5, les grands magazines aussi, et ce sont ceux-là que souvent on retrouve à tiers de prix chez Gibert dès avant la parution. On n’a même pas eu donc le temps d’ouvrir son livre qu’on attaque le rituel de signatures, en commençant quand même par les plus en affinité. Il y a aussi des étiquettes pour les jurys de prix littéraire, celles-là je les évacue discrétos (à quoi bon gâcher tant de papier pour le prix Femina ou celui de l’Académie Française au grand complet, ça permet de mettre à la place quelques copains, seulement ceux du métier, sinon ce sera sur les exemplaires perso). Trois heures de l’exercice, dans la petite salle en entresol sans wifi ni 3G (ça aide à la concentration, faut croire). Et c’est ensuite, le moment privilégié : dans le train du retour, lorsqu’on lit son propre livre, parce que c’est probablement le seul et unique moment où on le lira. Après, on le connaît, on le connaît même d’avant, de tous ces mois et ces mois, et ces étapes de relecture, reprises, corrections. Et puis soudain l’effondrement. Dans ce défi des 100 incises sur Proust, chaque chapitre, dès le billet de blog embryon, avait pour titre une citation de la Recherche et un sous-titre qui explicitait le thème, avion, photographie, genèse, invention et fiction. J’avais demandé très officiellement – mais sachant qu’on ne me l’accorderait pas (j’avais fait même demande pour Après le livre et Autobiographie des objets) – que cette table des matières soit mise en avant du livre, à l’américaine, ou selon cette habitude qu’on prend sans cesse en numérique de naviguer en étoile. Et quand je jette un oeil à la table des matières à la fin, plus le sempiternel du même auteur que pas moyen de faire supprimer (la mention du site Internet suffirait amplement, personne ne s’occupe plus de ces trucs-là quand on peut cliquer sur le nom de l’auteur depuis son ordi), las... les titres et sous-titres sont là, mais aucun numéro de page. Dans les épreuves, on ne s’occupe jamais de la table des matières : il suffit après le BAT de cliquer sur le bouton mettre à jour la TdM d’InDesign et elle se génère d’un clic, pour ça qu’on attend le tout dernier moment des corrections. Un clic vous manque et tout est dépeuplé : pas de numéro de page pour retrouver un des 100 chapitres parmi les 300 pages du livre, le livre est parti infirme aux journalistes et amis, et moi là dans mes mains je tiens un livre avec un trou dedans. C’est dingue, je n’ai pas réussi à aller plus loin. La magie du livre bloc, le livre avec ses 6 faces et 8 angles, était un caillou mort. À demain savoir comment ils vont arranger ça, au Seuil. En 30 ans, je n’ai jamais vu une maison d’édition sortir un livre avec table des matières sans numéro de page. Quelque chose qui ne va plus au royaume de Danemark. La mise en place libraire n’est pas encore faite, aucune idée d’à combien s’élève ce premier tirage. Peut-être qu’il deviendra collector, enfin c’est les rêves qu’on se fait pour soi. Ce qui m’a surpris finalement, c’est surtout ça : un défaut, et pof, plus moyen d’y croire. Même sans le fait que cette table des matières était pour moi une espèce de plaque pivot, une centrale d’orientation, un donne envie de lire. Bien cassé ce soir.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 21 août 2013
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