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2013.11.11 | les emmurés de la RATP

Combien de fois je traverse ainsi Paris en 40 minutes sans remonter à l’air libre ? Je sais que de quai à quai, Montparnasse à gare de Lyon, il me fallait 34 minutes (je dis bien : fallait). D’où marge de sécurité à 50 minutes, c’est ce dont je disposais aujourd’hui. Alors on fait le saumon dans les tunnels à arrivée moins 8 minutes pour rejoindre les voitures de tête, on fonce sur les tapis roulants, puis on se positionne en milieu de quai de la 4 jusqu’à Châtelet, pour être pile en face du petit escalier de ciment qui descend droit sur la 14. Des années que. Et jamais eu un pépin, même si quelquefois on se met un peu de profil pour croiser ceux qui montent. Et je suis sur le quai, et je cherche mon escalier, et puis rien. Un vague rectangle de ciment au sol, mais si crasseux que rien ne le distingue du reste. Je crois m’être trompé : c’est pourtant bien Châtelet, marche devant, c’est pour la ligne 1, reviens sur tes pas, c’est pour la 8, et plus de 14. Et moi j’ai mon train pour Fos, billet non remboursable. Je finis par apercevoir un petit autocollant 14 rajouté dans le couloir de la 1. La RATP a supprimé l’escalier, mais a oublié de rajouter de la signalisation. Et allez, couloir, un, deux, trois, une fille paniquée et pressée pour même raison que moi glisse dans l’escalier et tombe. Celui-ci descend, un autre monte, un deuxième à la perpendiculaire, et toujours le petit autocollant 14 et on n’arrive pas. Puis si, mais il faut redescendre 3 étages, j’ai mis 8 minutes galop au lieu de la minute tranquille. J’ai eu mon train tout juste. Des années on prend le petit escalier, et puis tout d’un coup on a sous les pieds un carré de ciment, sans explication, et le mépris d’être traité comme bête à viande dans la crasse et le labyrinthe. Pourtant, j’ai encore pris ce changement la dernière fois que je suis venu à Fos, soit début juin. Je devrai le reprendre dans moins d’un mois pour la conf Neuchâtel. Mais depuis, dans le train et puis là, ce soir à l’hôtel, ça me mine : pourquoi ils ont fait ça, les grands penseurs sur table à dessin qui ne prennent pas le métro ? Mais surtout, c’est cette idée du passage muré, passage secret. Le trouble de l’imaginaire, c’est ça : une porte murée ne m’aurait pas dérangé. Mais qu’on ait bouché le sol là où j’avais l’habitude de m’enfoncer, si. Si j’avais eu un petit marteau et que j’avais creusé, sur le quai, j’aurais trouvé quoi ? Ça fait comme un mystère d’enfance. Et puis, si c’est muré de ce côté, ça doit être muré de l’autre -– j’irai vérifier. Alors, à se souvenir de combien de gens on croisait, dans le petit escalier de ciment qui faisait communiquer directement les deux lignes, s’ils en ont enfermé un ? Ou plusieurs ? Qu’ils soient toujours là, et qu’on entende pas leurs appels, comme ces mineurs au Chili il y a 2 ans ? Ou bien que plus tard on les retrouve, dans le petit escalier muré... Et même si c’est vide, qu’est-ce qu’on peut imaginer, du petit passage en escalier muré aux deux extrémités, là, en plein coeur du coeur de la vieille capitale, son endroit le plus peuplé (après la gare du Nord) ? Et s’ils n’en font rien, pourquoi ne pas l’acheter, y faire mon petit camping, pour les fois où ça me rendrait tellement service de dormir à Paris ?


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 11 novembre 2013
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