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Reçu cet après-midi e-mail de LeMonde.fr, dont j’ai été un des premiers abonnés il y a plus de 10 ans maintenant, prévenant que l’abonnement annuel passerait à 179,90 €, du coup, et vu les conditions de vie tous ces temps, se demander ce que je perdrais vraiment à ne pas me réabonner. Comment je gère globalement mon information, ou plutôt : comment je la construis, à quelles sources, et voir par exemple le sommaire des numéros de week-end du Monde ce que c’est devenu etc. On rémunère une certaine garantie de liberté démocratique, mais elle aussi s’est transférée principalement sur des médias web alternatifs, comme Mediapart. D’autre part, cette pauvre tambouille côté État français, l’immobilisme, les gabegies (pour le livre numérique, on le voit bien), ça donne peu envie d’entendre rabâcher ça tous les jours, ma liberté à moi c’est plutôt de prendre distance et de lire autre chose. Air du temps, machines molles, écrans dans tous les bistrots avec leur imbécillité de BFM TV. L’impression que le jeu est faussé : l’État abonde à coup de centaines de millions d’euros la presse traditionnelle sous prétexte qu’elle perd de l’argent, mais des journaux comme Le Monde et Libé sont précisément la propriété de grandes banques ou de millionnaires qui ont besoin de pertes pour défiscaliser leurs gains. On bouffe des nouilles et on porte des chaussettes trouées parce qu’impôts et ponctions ont doublé, et ce qu’on donne à l’État va subventionner les journaux en déconfiture et tous ces hebdos remplis de vent, et monsieur Niel en retour augmente son abonnement, c’est la confiance qui n’y est plus. Quant à ce qui nous importe réellement, chacun dans son champ – la littérature qui se bouge, par exemple – ce n’est pas chez eux que ça se passe. Du coup je repensais à ce buste en bronze, devant l’immeuble du Herald Tribune, sur le parvis le plus prestigieux de Chicago : on a beau faire, le buste d’un homme de média, ça aura toujours du mal question prestance. On a même sculpté son micro de bronze et son câble XLR. Longtemps que c’est comme ça chez nous, et chouette de se préparer au centenaire de Léon Zitrone comme grande célébration nationale 2014. Mais bon : mon temps de lecture web croît tous les mois. Il inclut un temps de lecture livre (textes anciennement dévolus au livre), un temps d’échange et partage, un temps de veille et d’information (mes listes thématiques Twitter, mon réseau resserré sur Facebook). Je crois vraiment que 180 € je peux en faire autre chose, vu l’acuité de l’information qu’on me propose dans une presse qui n’est plus focalisée que dans la marchandise à plaire. Reste cette question d’une liberté de pensée et d’action : on la trouve parce qu’on installe soi-même sur le web les contenus qu’on estime de résistance ou d’ouverture ou de création, et le web nous autorise qu’ils existent sans le filtre technique qui a conduit à la condensation industrielle de ces journaux (ah, ces bistrots en face les rotatives, au petit matin, dans le triangle entre l’Humanité, l’Aurore et Le Monde : voilà ce qui a fini) – les ombres au-dessus sont de plus grimaçantes et voraces, monsieur Niel des Minitel Rose commande au Monde comme au prix du téléphone. On n’est pas rassuré. On voit le temps que c’est bientôt eux, qui auront leur buste en bronze comme le Léon Zitrone de Chicago.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 20 décembre 2013
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