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journal | Internet, l’imprimé, Cognée, Rosetta et des éléphants dans les rues de Cergy (ou pas)

Je n’en reviens pas de la difficulté que j’ai à écrire ces temps-ci. Bien sûr il y a le contexte, l’énergie captée par le boulot Cergy, même si centrée sur un bloc précis de la semaine, il y a un amont et un aval et c’est encore nouveau pour moi. Il y a aussi ce contexte très sombre et pesant, sans autre perspective que le recommencement des difficultés quotidiennes : ça vaut pour tellement de monde que ça vient en retour aussi sur la nature des relations qu’on entretient entre nous tous. Si je m’écoutais, je n’écrirais que pour mon blog : c’est ce qui est en train progressivement de se passer, et pas de lassitude aux chantiers ouverts, c’est une sorte de magma global qui prend forme à la fois dans toutes ses composantes, ça a beaucoup changé en six mois, probablement ça va changer d’autant les six prochains mois, c’est cette échelle lente qui est belle, autrefois on ne la trouvait que dans le livre (changer, comme ce matin, l’organisation de page d’accueil du site, est-ce que ce n’est pas aussi écrire ?). Il y a le problème des commandes papier : ce n’est pas pour l’intendance qu’on les accepte, ce ne serait pas à une échelle suffisante en ce cas. Plutôt l’éloignement pour la forme que ça prend à son terme, objet qui ne me concerne plus. Discussion à l’instant pour les Cahiers de l’Herne sur Maurice Blanchot, et découvrir que cette demande, reçue avec plaisir et honneur, entre temps je l’avais complètement oubliée. Si j’ai à dire sur Blanchot, je le fais dans mon blog et point barre. Au moins ce sera disponible et ouvert, en bataille. Ça n’empêche pas le plaisir physique à s’expliquer avec des textes d’un format suffisant, quand ils s’insèrent dans un dispositif collectif : l’hommage que Jean-Christophe Bailly et Gilberte Tsaï veulent organiser pour les 30 ans des Passagers du Roissy Express de Maspero, je suis content d’en être, et mon texte depuis la gare RER de Massy-Palaiseau est presque prêt. Pareil avec le texte sur Philippe Cognée, le visage qu’il a pris est inattendu, il y a des heures de boulot dedans mais il me faut des heures encore. Et ça tient à la nature même du boulot de Philippe qu’avec ce truc dans la tête difficile de faire autre chose en parallèle, mais je vais quand même pas le lui reprocher (et puis, quand l’expo Chambord sera finie, je reprendrai discrétos sur mon site, c’est juste du blog différé). Sur Twitter il y a ces refrains sempiternels, de la presse qui meurt (mais j’ai de moins en moins besoin de la presse, et quand elle parle de ce qui me fatigue elle me fatigue), ou l’érosion de l’industrie du livre (mais hier en faisant ma compta Hachette et que je voyais les 20 titres en tête des ventes en ce moment dans le groupe, vraiment pas l’impression que ça me concernait ou que c’était le même métier), et en revoyant cette image de Cergy quand j’y dors une fois par semaine, l’impression de piger au moins ça : il n’y a pas d’éléphants dans les rues de Cergy, on pourra répondre qu’heureusement, et on pourra aussi répondre qu’il en est probablement passé au moins une fois, même si ce n’étaient pas ceux d’Hannibal. Le monde, dans ses embarras et son sol fangeux (il y a le contraire : le réveil hier à 19h de la sonde Rosetta, merveille...), ressemble en gros aux rues de Cergy à 21 heures, quand je rentre à l’hôtel et que je lis Mauss si j’ai la force (l’avantage c’est que la connexion y est proportionnelle au prix de la chambre, donc ça me protège, et puis on en fait assez dans les 2 jours à l’école). Internet nous propose constamment tigres et éléphants. Comme justement le réveil en direct de Rosetta, ou tout ce qui transite sur nos YouTube ou nos listes de veille... Est-ce que ce n’est pas, précisément, au plus loin de ses origines, la fondation du texte et sa sédimentation, puis sa reproduction, que cette curiosité ? Est-ce que ce que nous nommons littérature n’est pas précisément l’action de mettre cette curiosité (et les objets qu’elle nous présente) en réflexion ? La mutation qu’on vit au présent n’est sauvage et bizarre que dans sa difficulté à s’accorder avec la détresse du présent. On est déjà résolument du côté des tigres et des éléphants dans notre proximité immédiate, ce qu’on nomme le web.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 21 janvier 2014
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