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journal | littérature paysanne mobile

Chaque vendredi en fin d’après-midi ils s’installent dans un Algeco sur la place d’un quartier en train d’être massacré par M. le maire qui lui vit dans un beau château en surplomb de l’agglomération dont il a enfin les commandes, 400ème fortune de France à titre personnel, et plombe tout ce qu’il peut démolir (ici, un garage, une boulangerie, un bistrot qui restaient encore lien social) pour mettre partout les mêmes bâtiments, même architecte, même promoteur, mêmes formes identiques et si vous n’êtes pas content partez vous-même. Donc dix agriculteurs, l’appellation P’tit Gibus qui convient à leur intrusion urbaine. Pas des tonnes de produits mais goûteux, qualité rien à voir de l’hypermarché et prix évidemment moindres, plus miel, fromages frais, pain et quelques autres bricoles selon ciel et saison. Et on entre ça dans notre rythme hebdomadaire : quelque chose de l’ordre de la communauté serait encore possible ? J’apporte un sac de courses (paradoxalement, à l’enseigne de l’hypermarché) et j’échange devant la balance quelques euros dûment mesurables (ce n’est plus le cas à la boulangerie, rien qu’une borne parcmètre automatique). Depuis 30 ans, mon activité d’écriture, qui se décline dans une part sociale, ateliers, lectures, articles ou textes de commandes, émissions de radio, et ce que vendaient mes éditeurs successifs voilà ce qui a permis le gîte et le couvert, l’école et la voiture. Il y a beau temps que cet équilibre est rompu, comme j’imagine pour la plupart de mes collègues auteurs, comme il l’est pour les musiciens. Avoir tenté ces 5 ans l’idée que, de même qu’eux, les 10 producteurs rassemblés dans P’tit Gibus, viennent à la ville, nous pourrions en tant qu’auteurs nous rendre dans la grande ville web et proposer de même nos produits, moyennant rétribution symbolique bien moindre que les livres industriels des présentoirs d’hyper qui font pourtant plus de 60% du chiffre d’affaire de l’édition, le double de la librairie indépendante et Internet n’a rien à voir là-dedans. Las, l’économie du web fonctionne sur autre principe, titanesques fortunes de noeuds concentrés à l’extrême, la FAGA Corp (Facebook, Apple, Google, Amazon), et nique de nique les autres, même les tout petits producteurs de bribes de textes. J’ai la chance d’un soutien de mes lecteurs & visiteurs mais est-ce que c’est selon ce même critère d’un échange devant balance et produits frais ? La mutation en cours touche la nature même de ce qu’on produit – on s’y fait : je mets en ligne ce soir la contribution (non rémunérée, et dans la charrette où ils étaient, les commanditaires n’ont même pas pensé qu’un petit mail accusant réception de mon texte ou un exemplaire justificatif du numéro ça aurait été sympa) aux Cahiers du cinéma 700, et je l’ouvre aux contributions (comme ce journal-ci, salut Piero de Belleville !) et on partage aussi de façon forte et impliquée sur Facebook et Twitter mais, à ranger les pommes rapportées de P’tit Gibus, dans l’Algeco du vendredi soir, question quand même sur les 30 ans passées, et ceux qui restent à venir. On a fait tout ce qu’il faut : pour ce qu’on affirme ici des textes, comme pour le mode mobile, comme pour l’Algeco péri-urbain qu’est chacun de nos sites ou blogs. Est-ce que ça peut tenir ?


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 9 mai 2014
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