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journal | comment pour de vrai j’ai augmenté la réalité Rimbaud

Drôle de truc, et moi pas à l’aise – peut-être les habitués du site se souviendront de cet abécédaire sous forme d’unique page hypertexte mise en ligne l’été dernier, et jusqu’à ce printemps. À certain moment je n’étais plus en mesure de l’entretenir dans sa complexité, et l’ai retirée. L’idée du livre exigeait aussi une sorte d’arrachement intérieur. En tout cas ça sortira chez Grasset en octobre (collection « 26 », projet Jeanne Garcin) et aujourd’hui c’était les épreuves. Mais quand donc et comment ça m’est venu ? Dans ses Grands faits divers (télécharger le fichier texte des Divagations dans la zone téléchargement du site), Mallarmé y va d’un génial et implacable Silence au Raisonneur ! À quel moment j’ai fourché ? Dans des articles ou interventions autour des ateliers d’écriture, dès 1994 ou par là, j’ai attribué une fois la phrase à Rimbaud. Mais depuis combien de fois ai-je rouvert Mallarmé, ai eu Saison et Illuminations ouverts page à page sous mes yeux ? De livre en livre, article en article, conférence sur conférence, l’imbécile buté que je suis a continué de proférer en un seul mot le fameux « Silence au Raisonneur » de Rimbaud – comme si, une fois l’erreur faite, elle avait sa propre inertie. Et Marie Tillol, la correctrice de Grasset (impeccablement pro, mais avec cette attention de ceux qui veulent aller plus loin sous le texte, cherchent les harmoniques, enfin tout bien) me fait cette très discrète remarque : – J’ai trouvé la phrase chez Mallarmé, mais ne la trouve pas chez Rimbaud ? Sûr de moi, j’ouvre Saison puis Pomme-F, ouvre Illuminations puis Pomme-F... Et elles défilent, toutes les phrases incandescentes et tranchantes de Rimbaud (c’est Gaspar Claus, grand violoncelliste, qui parlait aujourd’hui sur Facebook de son besoin d’une littérature tranchante – allez l’écouter lien ci-dessus si vous ne connaissez pas), mais pas mon Silence au Raisonneur. De plus en plus buté, je mets la phrase entre guillemets et je lance une recherche Google. J’avais raison ! sur la première page des occurrences de recherche, la phrase est attribuée autant de fois à Rimbaud qu’elle l’est à Mallarmé. On la trouve même dans un livre... sur Led Zeppelin. Mon erreur imbécile, propulsée par le page rank de mon site, a fait que Google l’a entérinée, et qu’elle est presque même attribuée plus de fois à Rimbaud qu’à Mallarmé, plagiat par anticipation dirait le cher Pierre Bayard. Alors évidemment dans mon Fragments du dedans (ce sera le titre du livre, en octobre, avec les 154 mots prétextant dérive libre, à coups de trains, d’hôtels, crois pas avoir écrit une ligne de ce bouquin ici à ma table, ça pouvait pas) je réattribue la phrase à Mallarmé, alors que la cohérence fait que Littré, Baudelaire et Rimbaud, Michaux y ont leur place alors que Mallarmé ce ne sera qu’un hapax – fausse note constructive dont moi seul et la correctrice aurons la clé. Mais le crime contre Internet, hein, le crime contre Internet je le rattrape comment ? Et pourtant ce n’est pas rien, d’avoir augmenté Rimbaud, même d’une phrase – c’est pas tout le monde, ça ? Photo : vol United Airlines Baltimore - San Francisco, 22 octobre 2013, parce que je me souviens avoir travaillé sur le futur Grasset à ce moment-là – mais ça n’excuse rien. Ça pose quand même, sur le fond et ce n’est pas accessoire, l’irréductible nécessité, dans le parcours du livre vers son autonomie, de cette étape collective qu’on appelle édition.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 24 juin 2014
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