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2014.07.12 | des mots et de la réalité

une autre date au hasard :
2023.03.01 | Cézallier, roche creusée

Cela fait plusieurs semaines que, lorsqu’on descend du TGV pour s’engouffrer soit dans la 4 soit dans la 6, un panneau nous prévient à l’entrée du quai : du 1er au 31 juillet, travaux sur la ligne 6, fermeture entre Montparnasse et Trocadéro. Mais la RATP fait tout le temps des travaux, en général plutôt le soir, et puis de toute façon on n’était pas encore le 1er juillet. Ce mardi, je m’engouffre comme d’habitude pour rejoindre la 6 puis le RER direction Cergy, les panneaux sont répétés dans l’entrée du métro, et en plus il y a une annonce en boucle : « du 1er au 31 juillet, travaux sur la ligne 6, fermeture entre Montparnasse et Trocadéro ». Il y a toujours des annonces, on fonce toujours, les autres comme moi. Juste au-dessus de l’escalier qui descend sur le quai de la 6 direction Étoile, ce mardi 1er juillet, vers 8h10, il y a une armada de jeunes femmes en blouson bleu marine à bande jaune RATP, ce n’est pas un contrôle, j’imagine que c’est une sorte de sondage, l’une veut m’arrêter gentiment : « Monsieur, s’il vous plaît » mais dans ces heures-là je suis pas causant et je fonce toujours. Sur le quai de la 6, toujours l’annonce en boucle, que je n’ai toujours pas écoutée, et encore des gens de la RATP, un monsieur un peu chauve, grand et souriant, qui vient vers moi... Bon, là j’ai compris instantanément. C’était vraiment fermé. « Je me préparais juste à écouter l’annonce », je lui ai dit. Il a voulu me tendre un papier avec un plan, m’a demandé s’il pouvait m’aider, « Non, je vais prendre la 4 et je choperai mon RER aux Halles », j’ai dit, et puis voilà. Mais même là, en remontant, plein d’autres gens qui débarquaient sur le quai et comprenaient éberlués. Qu’est-ce qu’on aurait pu reprocher à la RATP : le vieux zinzin aérien de la 6, avec ses vues sur les façades et la tour Eiffel, probablement qu’il lui faut une bonne couche d’antirouille pour passer à Cambronne. C’est dans mon boulot des mots que ça m’a fait gamberger au moins les 12 minutes suivantes : tous les mots pouvaient prévenir que la réalité avait changé, on fonçait quand même. Notre réalité -– pas moi tout seul même si un peu plus borné que les autres – était censée rester plus forte que la nouvelle, dont nous prévenaient les panneaux, l’annonce, les équipes du métro, mais complètement étanches qu’on était. Ça explique peut-être des choses pour d’autres domaines de la vie, aussi, notamment numérique, j’ai pensé (mais tard).


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 2 juillet 2014
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