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2014.09.14 | de la vérité des artistes

J’ai pris cette image hier soir tard : la SNCF ne cessant de brader le service autrefois public, on ne devrait voyager que selon le sens des foules. Pour aller de Tours (ou Saint-Pierre des Corps) à Rennes, il faut 2 grosses heures en voiture par l’autoroute, mais c’est long, 2 heures à conduire quand on peut travailler à son ordi dans le train. Un TER vous emmène au Mans, et là on prend un TGV en correspondance seulement voilà : ça ne marche pas le samedi. Alors j’ai fait 2 heures pour Nantes, à Nantes un café vite fait au buffet, puis 1h 30 de Nantes à Rennes, avec demi-tour à Redon, et la suite des gares, Messac-Guipry, Bourg-les-Comptes, Bruz et Saint-Jacques de la Lande – personne ne devrait plus avoir l’audace de voyager la France en transversal. Ça ne fait rien, je voyage avec ma carte Senior + c’est pas trop cher, et je n’ai pas cessé de bosser à l’ordi sur une drôle d’idée surgie la veille au soir, et à cause de laquelle je n’avais pas trop dormi. À Chevaigné c’était dense, donc retour fatigué. Nouvelle pause à Nantes, mais sans trop de goût, et puis suivre la Loire, en restant dans sa tête. À Angers je plaque le téléphone contre la vitre et voilà, ça fait ça – même pas la qualité téléphone, juste la compression Instagram. Est-ce que j’aurais dû sortir le Canon, juste là dans mon sac ? J’étais conscient de cet enfoncement dans les lignes parallèles, qu’il fallait s’en saisir. Ce soir j’importe l’image téléphone dans Lightroom et je reprends les réglages, applique 2 filtres, met les grains et diminue la saturation. Je comprends mieux l’image, en quoi elle échappait à la suite des autres. Après, la difficulté, ce serait de savoir ce que je voyais, et qui m’a induit à faire la captation Instagram. Est-ce que c’était ce que je vois là, maintenant ? Probablement pas. Probablement mieux : la réalité telle qu’elle se donne sans savoir à qui elle se donne. Mais je ne vois pas grand-chose, dans le réel qui se donne, je n’ai pas les yeux pour ça, alors que là l’image sur l’ordi je la vois bien. Trafiquée par Lightroom, est-ce que c’est s’approcher de la réalité ou juste l’occulter ? Je ne sais pas répondre. Par contre, pour la phrase, je sais que c’est le même processus exactement. Et pourtant, pour la phrase aussi, compte le premier paramètre : avoir été dans la nuit et dans le train, avoir traversé l’extrémité de soi, jusqu’où on n’essaye plus de contrôler mais qu’on reste prêt à capter, griffes et ongles, ou bouche à mots. Après on a tout le temps. Mais c’est encore plus à l’aveugle, que devant cette réalité que sans l’image on est incapable de voir. Et si la difficulté, et de la phrase et de nous-mêmes, était qu’il faudrait même se dispenser d’y croire et de la chercher, cette éventuelle vérité ? (Il y a l’équivalent en peinture, c’est juste qu’ils ont 200 ans d’avance.)


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 14 septembre 2014
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