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journal | construire l’entaille (rêve & atelier d’écriture)

une autre date au hasard :
2006.10.01 | cartes postales de la semaine

J’ai toujours eu des rêves d’ateliers d’écriture qui se passaient mal, lieu introuvable, amphis en ruine, photocopies ou livres qu’on a oubliés (maintenant j’ai tout en ligne, c’est plus facile). Rien de singulier, les acteurs ont des rêves de plateau qui déraille, et tous les animateurs d’ateliers d’écriture se sont retrouvés dans de mêmes situations. Parfois des comportements aberrants du même type qui coupent la vie réelle : tout est prêt dans ton sac, mais dans le train tu décides de faire tout autre chose et en 3/4 heures tu galopes pour trouver le livre qu’il faut, et tant pis si après tu as 2 Quarto Artaud ou Cortazar ou autre (tu les offres). Pourtant pas de quoi se plaindre : au lieu de papillonner comme toutes ces années avec chaque année tout à refaire, le point fixe de l’amphi Cergy. Démarrer ce n’est pas difficile, après il faut marcher. Je sais depuis mercredi dernier que ce prochain mercredi je poursuis 2 buts : qu’écrire puisse être ample et continu, et déconstruire la syntaxe toute faite, repartir du charroi de la matière. Je sais que c’est l’étape, et que c’est aussi une veine qui est à elle-même sa finalité, chez Novarina ou Tarkos notamment. Pour ça que je passe pas mal de temps chez eux deux depuis 2 ou 3 jours. Pourtant, je sais bien que c’est au moment de faire le sac que je me déciderai. Ce matin en me réveillant, après tous ces rêves où rien ne marchait, j’avais cette expression bizarre qui surnageait : construire l’entaille. J’aime bien le moment où j’improvise, avant de lancer l’écriture. C’est à la fois construit et pas construit. Construis parce que tu marches au point précis où ils seront face au texte et à la consigne que tu as préparés. Pas construit parce que mettre du brouillard sur le temps et la réalité fait partie de la stratégie pour qu’écrire à heure fixe soit possible. La semaine dernière me suis trouvé à parler du Rétable des merveilles de Cervantès et de la question de savoir si l’invention du langage plastique des aborigènes d’Australie avait pu éventuellement précéder le passage à la parole, question qui ne hante pas que moi seul (n’est-ce pas Arnaud), avant de les lancer sur l’oeillet de Ponge et c’était la première fois que j’utilisais ce texte comme base d’atelier, c’est puissant et il faut que je l’insère dans les propositions du site. Tout ça pour dire que voilà, mon journal sert à ça, là je crois que je sais comment je vais construire l’entaille et que je vais probablement partir plutôt de Claude Simon, j’aurai moins de mauvais rêves la nuit prochaine – mais je devrai à ces méchants rêves de cette nuit l’élan de ce matin qui m’amène à l’idée de ce que je vais proposer mercredi, là tout de suite, par le fait même de l’écrire. Je ne vis pas cela négativement, professeur deuxième classe échelon 1, puisque telle est la considération que mon employeur a pour ses écoles nationales supérieures d’art et 30 ans de boulot pour y prétendre, ça fait à peine la moitié de ce qu’il me faut pour boucler mes fins de mois, et pourtant je n’ai guère d’excès au programme. Le reste de la semaine on doit donc bien aller au charbon, même si le lien avec les étudiants est constant avec le numérique (c’est même à ça qu’on sait qu’ils sont dans une démarche pro-active, pour reprendre ce mot que j’ai entendu dans 3 occurrences différentes la semaine dernière). Et c’est d’autant moins encombrant qu’ils savent les exigences de retrait ou de charrette qu’est le boulot d’un plasticien comme celui d’un plumitif. Je pense aussi que tout cela modifie à rebours la façon dont va ce site : lu pas mal des bouquins des copains et pas eu la pulsion de rendre compte de ces lectures. Par contre, des chantiers très lents comme la réorganisation permanente, mais qui se structure peu à peu, des pages ateliers ça se déplace comme le dessin d’une côte (c’était grande marée coeff 111 sur le pays natal samedi), et je perçois plus le site comme labo et espace de création sur le long terme, à rythme lent, comme les ronds points, après on ne sait pas trop pourquoi c’est comme ça. C’est peut-être ça le rééquilibrage : le numérique, l’écriture, l’atelier ce sont trois nappes qui évoluent ensemble, chacune dans la nécessité réciproque des deux autres. Ça concerne aussi leur état social : pas possible de parler création littéraire sans poser la question du numérique (c’est pas encore gagné), pas question de parler enseignement de la littérature sans parler pratique de l’écriture (c’est pas encore gagné), pas question de parler de l’écriture même, ses formes, ses enjeux, sans parler de ses supports, de sa diffusion, de sa pratique (c’est encore moins gagné). Donc oui, construire l’entaille.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 13 octobre 2014
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