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journal | au final (de l’expression...)

Pas le droit de parler, quel dommage, de ces 3 jours où à nouveau participer au jury de concours d’entrée de l’école, plus de 500 candidats pour 45 places (mais la plupart se présentent à plusieurs écoles, grand jeu de chaises musicales selon affinités), garder traitement égal pour chacun, la disponibilité et l’ouverture ou l’accueil. Tellement soif d’être pris. On est à 3 collègues, ça tourne chaque jour, l’occasion de les découvrir aussi sous un autre jour, mais fondamentalement, à faire le même job, les écarts d’évaluation se résolvent facilement, quitte à faire confiance (quand j’entends un texte fort par exemple, ou le contraire, si une colère me prend à une approximation trop grosse) : les copains ont plus d’expérience. Mais pour en rester à la langue, et non à l’émotion, non à l’éclosion, non aux trajets qu’ils ont fait pour nous rejoindre (il n’y a que les Parisiens à ne jamais nommer la ville où ils ont passé le bac, si on ne le demande pas), reste les façons de langage, les lectures (ou dessins d’ailleurs) qui reviennent cycliquement et ne sont pas les mêmes que l’an passé. Alors ce sont les modes de langage qu’on observe aussi, par devers soi, et même s’il ne s’agit pas d’un élément de premier plan, qui n’intervient pas dans le jugement, parfois non plus d’ailleurs la qualité ou l’achèvement du travail présenté, mais plutôt le chemin mental ou graphique pris dans la petite dissert rapide et l’exercice à thème (« Je meurs trop »), la curiosité et les carnets dans l’investigation préalable. Avoir en tête comme d’hier les recrutés de l’an dernier, ça se surperpose aux chemins pris, et l’imprévisible que cela comporte. En audition, se demander comment sera cet étudiant dans l’amphi où on écrit, et c’est une question que je devrai rouvrir avec E.M, qui disait précisément, lui, souhaiter éviter cette pensée pour se concentrer sur le travail comme absolu – mais on est 3, c’est parfait. On est là pour un risque ou un pari, par pour un tamis : alors dansent dans la tête à chaque regard accueilli les itinéraires de celles et ceux avec qui on travaille, comment cette fragilité peut être une chance jusqu’au diplôme 5 ans plus tard. Donc, l’émergence langagière de cette année c’était « au final ». Je n’avais pas prêté attention jusqu’ici à l’arrivée de cette expression. Nul pour être indemne de tics : depuis quelques mois, j’ai tendance à utiliser via, c’est probablement lié à ces pensées Internet où tout se lie, mais je sais parfaitement que je dois me guérir de mes via. Pourtant, « au final » c’est autre chose. C’est positif : à la fin du processus vient une surprise qui est plus forte et que le processus même, et que celui qui l’a entrepris. Mais c’est cette idée d’une terminaison qui me gêne : que sera mon site « au final », même si le final du bonhomme, quelles qu’en soient la cause et la façon, ne présentent pas d’intérêt en soi. Au final ? Je n’imagine pas des livres comme Don Quichotte ou Balzac ou Proust avec un final. L’auteur se débrouille pour cesser avant. Et c’est l’incertitude aussi : est-ce qu’un choix accompli, est-ce qu’une décision prise (chaque soir, prendre les 4 premiers des auditions du jour, fabriquer une liste prescriptive, qui viendra s’assembler avec celle des autres jurys), induisent qu’il y ait, pour ce choix ou pour cette décision, un état final ? La surprise étant que celle qui était le plus affectée par la récurrence de l’expression était de loin la plus jeune des candidats et avait fait sur le thème « Marges », en 30’ chrono, un fabuleux exercice de langue et de raisonnement, bien au-delà tous les autres.

Nota : toujours l’oreille tendue, à peine ce billet mis en ligne Benoît Melançon me signale cet article du Monde, sur l’envahissement de la même expression.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 16 avril 2015
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