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2016.09.20 | suicide en direct promis sur YouTube

une autre date au hasard :
2020.04.27 | 1 km 1 h #2, rue secrète

Dans le grand bruit confus du monde, les petites choses absurdes n’ont guère de signification et pourraient ne provoquer qu’un haussement d’épaule. Ou le compléter de ces moues de mépris auxquelles on est tellement habituées, quant à l’abrutissement dû à Internet.

Qu’est-ce que c’est, dans le grand flux des morts, des famines, des exils et migrations, parmi la route noire des noyés (l’expression désignait traditionnellement le fond de l’océan, de l’Afrique aux Antilles), sinon précisément l’absurde rictus d’un monde sans repères, qui joue avec ses outils neufs sans les comprendre ?

C’est une sorte de pari récurrent sur YouTube, qui a remplacé pour beaucoup la télévision, et qui a dû son développement quantitatif aux commentateurs de jeux vidéo et aux farceurs : je ne sais pas le mot, pour fabricant de farces et attrapes, en anglais ils disent prank pour la farce et pranker pour celui qui l’invente mais moi ça m’a jamais fait trop rire.

Donc le gamin de 11 ans a voulu faire la même chose, il a mis en route son appareil pour filmer la réaction de sa mère, qui allait revenir dans 3 minutes et le trouver pendu, et il fallait que le simulacre soit parfait. Il l’a été tellement qu’il est mort en se filmant. Les vidéos qui circulent ce sont bien celles de la mère, mais après.

Pourtant, c’est ces trucs-là qui restent. Les autres drames, ils sont déjà tellement à saturation dans l’espace public qu’il y a légitimité à dire qu’une part de la résistance c’est de ne s’occuper ici que de littérature, et s’occuper radicalement de la littérature. Le reste concerne le citoyen.

Ce qui rejoint pourtant aussi cette pratique, c’est comment la fabrique de l’écriture, même à distance du monde (on doit parler de ça en binôme avec Mathias Enard ce jeudi 22 à Niort dans le cadre du colloque d’Aubigné) implique avant même d’écrire, et quel que soit le geste d’écriture, ce même simulacre qui nous expose, et dont l’écriture est la trace. La comparaison s’arrête là bien sûr. Mais, quand je fais une vidéo, c’est bien cette exposition et ce simulacre sur quoi on met l’abîme et l’intensité, pour que la parole en impro soit pour de vrai exercice de parole, et constitution de littérature. En tout cas c’est ce qui m’y attache, et fait que j’y place ces derniers temps autant d’efforts, un peu comme le invisus invisum divisit de Racine, mon grand chanteur Racine : choses qui vous aspirent sans qu’on en décide, parce qu’il s’agit quand même ou malgré soi d’écriture et de rien d’autre.

La mise en scène de soi précède le surgissement même du dire, et ce sont des processus qu’Artaud avait déjà intégré et décrit – c’est juste qu’ils ne concernent plus seulement le théâtre (enfin, celui qui reste digne du nom, c’est un peu comme les romans de rentrée) mais conditionnent la mise en mouvement corps-parole, qui devient pour nous expérience ou épreuve, et par là écriture.

J’aurais pu parler de plein d’autres choses importantes, le fauteuil à roulettes IKEA bousillé en 3 ans et finalement décider de son éviction, poser 4 briques sous les pieds du bureau et travailler debout (je le faisais sur mon petit pupitre, mais sans la grande dalle qui est le vrai atelier web, il n’y a que pour les premiers jets que je travaille comme j’ai toujours fait, allongé dans un coin noir).

Mais cette histoire de gosse qui veut faire semblant de se pendre et qui se pend réellement, le trouble venait de cela : l’installation volontaire de la caméra (Arnaud de la Cotte le dit aussi : quand je filme, le monde m’échappe) pour qu’il se passe quelque chose au-delà de soi-même, depuis l’intérieur même de la confrontation au réel, qui le révèle précisément parce qu’arbitraire et fixé en son instant.

Au fait, la saison des suicides sous TGV a repris : des farces qui tournent mal, sans doute, aussi ? Ci-dessus photo de Bruxelles, j’y serai demain (intervention à La Cambre, à 17 h) W- histoire de donner du courage à toutes celles et ceux qui préparent leur texte pour entrer dans des maisons inconnues.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 20 septembre 2016
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