On passe tellement de fois en voiture devant lui, au visage noirci, surplombant le rond-point de cette pauvre fac décrépite qui a porté son nom mais depuis 2017 ne le porte plus, ça la fiche mal, la littérature. Alors il continue de noircir et regarde d’en haut la circulation, le soir il s’évanouit dans la nuit et ça va un peu mieux, sauf là en été avec une guinguette à ses pieds pour la bière et la promiscuité mais il la surplombe d’encore plus haut, et noirci ça se voit moins dans la nuit. De toute façon il ne ressemble pas à Rabelais mais pas du tout, on ne sait pas à quoi ressemblait Rabelais, peut-être le plus ressemblant est-il le buste de cuivre qui s’oxyde dans la cour de la mairie de Seuilly au-dessus du distributeur de baguettes molles, c’est peut-être aussi bien qu’il ne ressemble pas à Rabelais, tout le monde s’en fout de Rabelais — et certainement pas, le petit râblé au gros cou, à cet échalas en toge romaine défraîchie se tenant le bide pour contrecarrer envie pressante depuis 150 ans qu’il est là : marbre de M. Henry Dumaige, 2m74 de haut et posée d’abord ailleurs puis poussée là —, et je ne sais même pas s’il m’a vu qui le photographiait, moi j’ai d’autres motifs de penser à Rabelais et la solitude où on est pour penser à Rabelais et que c’est peut-être ça désormais la vraie porte pour entrer dans son livre et y grandir. Des fois on se dit qu’un coup de bulldozer serait plus digne, au moins ce ne serait plus son nom qui vieillirait ici, entre la grande roue à trois balles et le débouché du parking souterrain, la pauvre fac décrépite en permanents travaux (même la queue au resto U, de l’autre côté de la rue, lui tournera le dos quand reprendra le flux de masse pour les recalés de Parcours Sup qui se retrouvent là à ne pas le lire dans l’université de Tours débaptisée). « Ce monde ne faict que resver, il approche de sa fin », ce sera encore demain.