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le collier perdu de Badr

une autre date au hasard :
2023.02.20 | plasticité de la ferraille

À Paris le midi, je retrouve Fabrice Cazeneuve. Dans la discussion : des 4 films de 52 minutes qu’on a fait en 10 ans avec Arte, 3 concernent les ateliers d’écriture. Arte aujourd’hui ne produirait plus ce genre de travail, et Thierry Garrel est parti. S’ils les plaçaient dans leur banque VOD, enseignants ou autres pourraient les télécharger. Mais s’ils ne le font pas, pourquoi ne pas les proposer directement au visionnage sur publie.net ? Donc on va le faire. Puis Bagnolet, les deux classes de seconde du lycée Hénaff et l’équipe, les deux enseignantes, les deux documentalistes. Essais micro, mise en place, ils ont bossé au lycée, et en fond on projette les photos et portraits pris pendant les séances d’écriture. Dans les textes que je lis, celui de Badr : « Il a toujours été là, à mon cou. Il m’a accompagné à maintes reprises. Il a toujours été là. Cela est différent maintenant. Je ne l’ ai plus. Je l’ai perdu à la campagne au Maroc. Il est tombé dans la paille sur le sol. Lorsque j’ai fumé ma première cigarette, je l’avais à mon cou. La première fois que j’ai conduit en cachette la voiture de ma mère, je l’avais. Le premier baiser échangé avec une fille, je l’avais. Ce collier m’est si précieux. Il correspond à une époque rebelle de ma vie. En quelque sorte, il est une partie de moi-même, la partie imprudente mais innocente de moi-même, car à présent je suis prudent mais plus innocent. Mes bêtises ont changé de style et de gravité. Petit je volais des bonbons, maintenant je me fais courser par les chtars. Ce collier est bien loin à présent. Quelqu’un doit l’avoir ramassé, un campagnard. Cela me fait rire de penser qu’un petit paysan au bled porte mon collier, sûrement un pauvre, le pantalon et le tee-shirt déchiré, les pieds sales. Cette personne ne se doute pas de la valeur qu’il a à mes yeux. En fait, ce collier représente toute mes première fois. Chaque chose que je faisais pour la première foi, j’avais mon collier. Au bout de ce collier, il y avait une étoile noire très belle. » Ce qui renvoie à la discussion concernant les résidences : je me suis engagé par contrat à ne plus avoir rapport avec la Région Île-de-France, qui a permis cette résidence, pendant les trois ans à venir. Ce que nous avons capitalisé, appris avec ces deux classes, pas question de prolonger le partage : on rouvrira les fichiers dans quatre ans au plus tôt. Ils seront où, ceux qu’on a rencontrés, comme celle dont le petit frère autiste « et aveugle » de 8 ans n’accepte de manger que si c’est elle qui le nourrit, et ne dort que si c’est avec elle, la responsabilité que c’est à 17 ans... Et cela renvoyant à son tour à l’échange avec Fabrice : la chance qu’on a eue de pouvoir accumuler ces traces via nos films.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 19 juin 2009
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