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icitte

C’était un drôle de gars, dans le bus 801, un gars un peu agité, un inquiet comme on ne s’étonne guère d’en croiser en France, mais ici catégorie plus rare (en surface), très maigre, émacié même, et odeur de tabac froid à un mètre, évidemment c’est à côté de moi qu’il s’est mis. Il avait déjà parlé à deux ou trois personnes avant que ce soit mon tour : il faisait trop chaud, j’ai dit que je ne trouvais pas, que ça s’était même bien rafraîchi. – Si, fait trop chaud, faut ouvrir la fenêtre. Mais elle était déjà ouverte, ça ne s’ouvre pas beaucoup, les vitres du 801. – Je suis des Sept-Îles, il a complété, fait frette là-haut. Je lui ai dit que je comptais bien aller aux Sept-Îles, que je ne connaissais la 138 que jusqu’aux Escoumins. – Oh, après, c’est juste 4h30... C’est beau là-haut, y a de l’air. Je connais tout le pays : Toronto, Vancouver. J’ai voulu connaître mon pays. Sept ans à Vancouver. Je lui ai demandé ce qu’il faisait à Québec : – Trouver un emploi. Y a pas d’emploi, là-haut. Et ce qu’il pensait de Québec : – Y a trop de maisons, icitte. C’est du ciment, ça respire pas. C’est pas comme Toronto, là-bas les arbres poussent dans le béton. Chez nous y a de l’air. Il a trois enfants : – Chez une ex, je préfère m’occuper de moi. Maintenant je m’occupe de moi. Je lui ai dit merde comme on dit en France, puisque je lui avais dit que j’étais français. C’était la fac, je suis descendu : – Je me doutais que tu descendais là, il m’a dit.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 30 septembre 2009
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