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opinions politiques et porte-clés

une autre date au hasard :
2020.05.17 | Balzac tout nu

Bon, les vrais amis on les connaît à ce qu’ils vous disent en face ce qu’aucun des autres n’a osé vous dire. Donc, mon porte-clés manifeste, ici, une position politique et il est bon que j’en sois prévenu, si je dois en assumer les conséquences. Je l’ai appris assez vertement, en début d’année, directement par les étudiants : j’osais dire Depuis que je suis au Canada..., ou bien En venant au Canada... Et le pire, c’est que je le croyais naïvement, être venu au Canada. Je ne suis pas quelqu’un de spécialement désinformé : les proses de Gaston Miron, reçues en fraternité, c’est déjà un viatique dont je disposais. Mais voilà, ici, en tant que professeur invité, j’ai accès à un bureau plus une boîte aux lettres, 2 clés pour Québec, 2 clés pour Montréal. Ici, à Source, on vend des clés USB en porte-clés, mais je n’avais pas besoin de promener une clé USB pour retrouver mes clés. Je suis allé à Dollarama – d’ailleurs beaucoup de Québécois ordinaires vont au Dollarama : on trouve vraiment beaucoup et beaucoup de choses, au Dollarama, et ce n’est pas cher. Ils avaient un porte-clés qui m’a paru solide et coûtait exactement 1 dollar (voire même, si je me souviens, 95 cts). En plus je le trouvais beau : une petite plaque de laiton lourde et volumineuse, il me faut ça pour le retrouver dans le fond du sac d’ordi ou dans le pantalon de la veille – excusez-moi de vous encombrer de détails. Je n’imaginais pas que mon porte-clés puisse poser problème politique. Il y en avait avec Madonna ou Michael Jackson ou écrit Love à l’émail bleu, j’ai préféré celui-ci : une feuille d’érable rouge sur fond blanc. Le symbole du Canada, où les érables sont si beaux, j’y aurais vu à mal ? Donc l’ami m’en prévient : – Ton porte-clés, tu sais, ça pourrait être mal vu, ici... Bon, je comprends, on est au Québec, on n’est pas au Canada, et ça s’étend jusqu’aux porte-clés. Je crois qu’il m’aurait dit ça en octobre, F.D. (et merci des 2 heures en partage !), je crois que j’aurais peut-être fait attention à ne pas le laisser trop sur ma table. Mais là, au bout de sept mois, plus mes voyages de l’an passé, et à mesure que je connais d’un peu plus près les écrits et écrivains du Québec, je le dis radicalement : oui, c’est au Canada que je suis, en Amérique. Et j’aime Moncton, et j’aime les rues d’Ottawa, et la géante Toronto de la même façon que j’irai bientôt découvrir Vancouver, et que j’ai été reçu d’incroyable façon chez Jean Wilson à Pointe-de-l’Église, sous Halifax – ou bien que je lis Marta Baillie, auteur canadienne anglophone qui sera traduite probablement en France avant d’être lue au Québec (Québec). Je n’ai pas vu ces frontières en lisant Vers l’Ouest du copain Mahigan, et Benoît Mélançon me fait bien sourire quand il lève la jupe des deux langues à la fois – et que fascinantes les histoires de Jean Désy dont le plaisir chaque hiver est de traverser seul à pied le lac Saint-Jean pour au soir y poser sa tente, en plein milieu des glaces, à une journée de toutes rives : et les traces alors des voyages sont bien plus anciennes. Je crois bien qu’au prochain Dollarama, j’en achète un deuxième, de porte-clé à la feuille rouge, et que je l’accroche à mon sac. Et si Gaston rouspète : qu’il vienne me le dire en face, le frère, on ira trinquer.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 28 janvier 2010
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