Juliette Cortese | Le temps a goût de tragédie

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proposition n° 1

On arrive par une matinée d’été, avec au ventre un peu d’excitation. De crainte. Là, déjà, le parvis de la gare est décevant. Il faut prendre un souterrain pour rejoindre le parc des glacis. S’est-on demandé à l’époque pourquoi c’était « parc des glacis » ? Aujourd’hui la question se pose. Ou peut être pas. Qu’importe, les pelouses, elles, sont fidèles. Par là-bas, en contrebas, il doit y avoir une petite aire de jeux où longtemps on s’était embrassé dans le froid, debout sur un tourniquet. L’autre avait des mains chaudes, on fabriquait une haleine de langues mélangées, une douceur de muqueuses où s’engouffrer à deux, les yeux fermés. Le baiser avait duré le temps de toute la chanson Stairway to Heaven, de Led Zeppelin, et on se demande s’il faut s’en étonner aujourd’hui. Un slow sur un tourniquet. Les paupières fermées, si proches, les cils en gros plan, à chaque fois qu’on ose un regard. Et d’autres choses, plus secrètes si l’on est pudique.

De la gare, le parc est en descente. On n’y croise personne. Les allées sont lisses, comme avant, et on finit par rejoindre la rue Battant. Passer devant ce bar -– une sorte de PMU à l’époque, plein de vieux qui doivent être morts depuis -– où, chose étonnante entre toutes, on passait des mercredi après-midi entiers à jouer au tarot. Oui, au tarot. Bande d’adolescents jouant au tarot dans un PMU, buvant des blancs-pomme ou éventuellement quelques bières. C’est aussi de là qu’on vient, ne pas oublier ce fragment de l’histoire. Ni la taille des cartes, rectangulaires et allongées, ni les images sur les atouts, ni le dos lisse et rayé – blanc sur rouge, ni l’usure aux coins.
En bas de la rue Battant, l’esplanade surprend, ou pas, elle n’a pas changé. La rivière est là, grosse des pluies du printemps, marronnasse, et un Jouffroy d’Abbans de bronze la regarde passer. Bon. Le tram tout neuf. Le pont Battant. L’église de la Madeleine. Comme ces mots semblent loin, ils sonnent étrangers, à les écrire maintenant !
Une incertitude de la perception ne cesse de tarauder.

Passer le pont. Au milieu, la vue sur les quais. La sensation d’avant revient et à la fois elle n’est plus là. C’est précisément cela : sentir que la sensation qui a existé, n’est plus. Mais quand on sent que quelque chose n’est plus, on sent aussi ce quelque chose, non ? C’est comme une connaissance qui naît de l’absence.

Après le pont, tourner à gauche. Ne pas emprunter la grande rue et ses boutiques (elles doivent être fermées – ces zones commerciales au loin, comme partout). Ne pas chercher du regard, parmi les jeunes gens, des amis (ils n’ont plus seize ans, peine perdue). Ne pas croiser, non plus, le vieil homme un peu fou qui tendait une main tellement tremblante que si l’on avait voulu on aurait peiné à y mettre une pièce. On le croisait si souvent. Ou est-il aujourd’hui, vraiment ? Pensée pour des gens qui vieillissent maltraités au fond de lieux sordides. Pensée qui n’existait pas, à l’époque du long baiser du tourniquet.

On débouche alors sur la place. Ce n’est pas une claque, non, on sait qu’il y a eu des travaux. C’est d’abord une très légère fissure intérieure, pas une franche douleur, juste une lame amère qui vient du fond de soi, monte et se charge de tristesse. La fontaine de pierre calcaire n’est plus là. On ne peut même pas la décrire, on ne s’en souvient pas assez. On ne se souvient plus de l’aménagement de la place du marché. On sait seulement qu’il y avait là des halles, un marché où l’on avait acheté, une fois, des fraises. A la place c’est une grande étendue vide, et il ne reste presque rien dans la mémoire pour reconstruire. Le bar où l’on ne venait jamais -– et où pourtant on avait fêté le bac, vomissant force tequila dans les toilettes -– est toujours là, avec l’écran géant, le gazon, les types en short. Et puis le conservatoire. Mais ses marches en pierre on disparu. Le passé est parti avec le calcaire. Il a raviné, le temps, tout sur son passage. Et on est toujours là, debout, en train de songer, de laisser venir ces remontées de la mémoire qui disent une chose : l’écart, l’étrangeté de l’écart, l’insaisissable différence et similitude entre le soi de ce jour-là et le soi de ce jour-ci. Du présent on ne sait pas quel passé on habite. La ville est en écho. Le sol tangue un peu.

proposition n° 2

Les lignes de fuite, dans le sens du courant. La rivière grosse. Le quai en pierre, colossale façade jusqu’à la rue, parapet pour ne pas laisser tomber le piéton à l’eau. Les pavés du quai, avec les herbes qui poussent entre. Au loin la cité universitaire, l’autre pont. Tout ce gris, et le ciel qui menace. A gauche les terrasses, dix mètres au dessus de l’eau ; café, restaurant, les tables et les chaises au dehors l’été. Des gens attablés boivent des bières ou d’autres boissons à bulles, sous des parasols publicitaires. Les arcades, en pierre encore. Puis les toits, rouges. Les petites tuiles sur les grands pans des toits. Les chiens assis, leurs petites toitures qui s’avancent. Le long de la rivière, les bâtiments longs, perspectives et rectitude. Façades, fenêtres, toujours ce gris clair et doux, lumineux. L’orage va commencer.

Derrière, dans le dos, il y a le passé, et la rivière qui descend. Si on se tourne sur le côté, on est dans l’entre deux.

proposition n° 3

Le pont, exactement au milieu de la boucle du Doubs, mène à un carrefour, entre le quai Veil Picard et celui de Strasbourg. Séparé de l’église par la rue d’Arènes, un bel immeuble : quatre étages, un balcon qui fait tout l’angle, au quatrième -– la vue sans doute grandiose. A bien y regarder, l’angle de l’immeuble est coupé, en biais, avec une fenêtre de plus, à chaque étage, dans l’angle. La pierre, presque blanche, étonne. La façade de l’immeuble doit être simplement princière, au rez-de-chaussée cinq portes en arcades, cinq fenêtres à chaque étage, au deuxième un balcon de pierre soutenu par deux statues de femmes, rien que ça. Devant l’immeuble, sur l’esplanade, une terrasse de café, et une de ces colonnes peintes en vert foncé avec des affiches de cinéma. Des tas de vélos, garés là, attendent que des gens les promènent dans cette ville qu’on voit soudain si blanche. Après la terrasse, l’église lance ses deux clochers vers le ciel bleu, son toit fait le gros dos, couvert de motifs zébrés vert et jaune. Colonnes, fronton, la totale. A ses pieds, le début de la rue de la Madeleine, qui devient ensuite la rue de frères Mercier, où l’on a habité, deux belles années. Un bus et un camion de livraison. Au bas de la rue Battant, l’immeuble d’angle, d’un gris un peu plus foncé, arcades en rez-de-chaussée, toit fier, bien pentu pour la neige, avec d’élégants chiens-assis. Sur le pont, là, à quelques mètres, le poteau portant le drapeau français nous barre la vue, les panneaux de signalisation coupés en demi-cercles. Nombreux chasses-roues les longs des trottoirs de bitume rouge, et une soudain une étrangeté. A côté de la pharmacie, au dessus de la boutique de vêtements « Sophie Boutic », l’immeuble se termine par une largeur de mur sans fenêtre. Jusqu’à la pharmacie, il suit sagement, l’immeuble, l’alternance rythmique des espaces et des fenêtres… Quoique. Non... Il y a déjà, au dessus de la première vitrine de la pharmacie, et au dessus du Disque bleu (le tabac qui ouvrait tard la nuit), un premier hoquet : deux arrêts, deux pauses, deux espaces de mur sans fenêtre, comme un lai de papier peint qui n’aurait pas de motif et ce jusqu’au dessus du bâtiment puisque même le chien-assis sur le toit gris est absent. Un longue descente de gouttière avec un angle justifie le premier manque, sans doute de la tuyauterie à l’intérieur aussi. Autant de fenêtres, ce n’est pas si simple, si l’on y pense. Mais au bout, là où l’immeuble se termine, juste avant l’angle droit, on dirait seulement qu’il manquait quelques dizaines de centimètres pour mettre une fenêtre dans la largeur, à chaque étage, ou qu’il fallait absolument prolonger l’immeuble jusque là, question de courtoisie géométrique. Alors quelqu’un a choisi, parce que c’était la mode, de masquer cet inconfort visuel avec des colonnes en surimpression sur la façade et un fronton de style néoclassique, au dernier étage. Un siècle plus tard, on contemple avec perplexité cette incongruité qu’on est seul à voir.

Derrière, dans le dos, il y a le passé, et la rivière qui descend. Si on se tourne sur le côté, on est dans l’entre deux.

Et si on regarde, derrière, le passé nous dit reflets dans l’eau changeante, moire du soleil sur les surfaces, nous dit vert feuillage dont la lumière s’ébroue, nous dit quais, pelouses, pavés, colossale façade jusqu’à la rue, parapet pour ne pas laisser tomber le piéton à l’eau, encore les toits, le passé nous dit les petites tuiles sur les grands pans des toits, rectitudes, perspectives et similitudes, et toujours ce gris clair et doux, lumineux. Le passé nous dit l’avenir ; l’arrière, le devant. Le temps est passé sous le pont. Hop.

proposition n° 4

Soudain on décolle. Les yeux quittent le pan de mur sans fenêtre, décontenancé d’être ainsi abandonné par le marcheur sur le pont. Bascule et virevolte, le vertige. Et puis la rivière prend forme, se courbe, dans un arc de cercle d’abord, puis, à mesure qu’on s’élève, l’arc se replie, se referme, jusqu’à embrasser dans son intérieur toute la vieille ville, cette meute de chiens-assis aboyant sur leur toits rouges et pentus, qui regardent passer le voleur avec leurs grandes dents baveuses tendues vers le ciel, cette accumulation de rues presque parallèles mais pas vraiment, de rues perpendiculaires mais pas tout à fait, et ces boutiques de toc, ces places à terrasses, places à cafés, places à églises en pierre à perte de vue, ses fontaines où tremper les pieds quand il fait trop chaud, pour faire comme des italiens, ses cours d’immeubles anciens où se tenir serré contre quelqu’un d’autre, en cachette, et regarder ces escaliers incroyables, en bois, rampes belles sans besoin d’être enjolivées, juste la symétrie des marches et la palpitation des hauteurs, le bois, le bois sombre des forêts du haut, anciens grands arbres descendus là par d’ardents ouvriers d’un siècle derrière au moins. La montée continue, quittons les cheminées, seul demeure le plan, le gravure des rues et ruelles dans la chair tendre du calcaire, et puis le rouge des toits, tuiles d’une autre chair. On est assis sur la Citadelle.

proposition n° 5

En bas, à l’angle de la ruelle, avant que commencent les pavés, à cet exact endroit d’où l’on peut observer le point de fuite des murs – le blanc contre le gris – refermant la ruelle qui fait un petit écart sur la gauche puis sur la droite, comme si elle avait trop bu, le passant qui s’ennuie peut s’arrêter pour lire la descente de gouttière, archive à ciel ouvert, libertaire, alternative, radicale, extrême et tout le reste. Collées à la va-vite sur le tuyau en zinc, elles signent le passage de ces cohortes d’anonymes porteurs d’autocollants, les affiches et les autres choses à dire. STOP PUB perdu petit chat noir non aux OGM Marée populaire rachète votre véhicule d’occasion EN L’ÉTAT. Comment le temps passe-t-il sur la gouttière ? Où sont les affichettes de 1994, le meeting d’Arlette Laguiller salle Battant ? Qui a fait disparaître les yeux de Charles Pasqua, dessinés par Charlie Hebdo, qui un beau matin étaient partout sur les murs de la ville ?
Qui s’adonne aujourd’hui au collage sur gouttière ? Et surtout qui décolle ? Plus haut, fatigués, dans un mélange d’eau de pluie et de plusieurs sortes de colles, poings dressés SOS méd...rr..ée remettre la Fra..e en ordre je suis charlie ...férence P..re Rab.. salle Battant ..rdi 12 m.rs, pendant que hiéroglyphes urbains à l’état de traces font œuvre collective absurde et terriblement contemporaine, derrière eux, au loin dans la pensée du passant qui n’y pense pas, la silhouette rouge sur fond blanc jetant pavé, la beauté est dans la rue, plane l’ombre d’autres révoltes. Le langage du monde coule des gouttières.

proposition n° 6

La place du marché, celle qui portait la fontaine aujourd’hui disparue, a été forcée de s’appeler par son nom d’épouse, place de la révolution, lorsqu’elle est devenue esplanade. Ça sent le sens commun contrarié, cette appellation, personne n’y arrivera, jamais, avait dit quelqu’un, un jour de retour, au fond d’un café. Et on s’était tu, songeant à l’ironie du langage. A la surface resurgit soudain un collège oublié du Val-de-Marne, un matin « Guy Moquet nique tout ! » avait été écrit à la bombe de peinture bleue sur le fond beige du portail d’entrée du parking. Les toponymes ont l’air de s’être engouffrés comme les eaux trop abondantes d’une pluie de fin d’été, dans une bouche avide, sous un trottoir de la mémoire. Le pianiste aurait-il fréquenté la population de la rue Chopin ? L’écart toujours l’écart entre le monde intérieur et celui du signifié dans les autres mondes.

proposition n° 7

Le prof de piano, son père était mort pendu dans le grenier. Il vivait dans une mansarde, une mansarde avec piano. Des cours d’impro jazz, à seize ans, c’était peut-être ambitieux. A l’époque du tourniquet, on s’embrassait longtemps sur le pas de la porte, à l’heure du cours, on arrivait avec sur les lèvres une odeur de bouches, et au moins dix minutes de retard. Il y avait cette porte vitrée, en bas, à l’entrée d’un couloir en pierre. C’était près d’une boutique. Laquelle. Pas très loin du marché, de la fontaine disparue, de l’angle de la rue où on achetait des jeans. C’était vraiment près de ce Bar de la Poste où on passait des heures sur des banquettes en skaï, à se couper la parole et à briller des yeux. Ça brûle, on a envie de dire. Mais on passe devant sans doute et les yeux sont aveugles. Impossible de retrouver la porte vitrée. C’est comme si on l’avait rêvée, vue en rêve ; on peut passer cent fois et à chaque fois le cœur part un peu dans tous les sens et dit celle-là ? non, là ! non… et puis ça refroidit, la désillusion, l’espoir, la désillusion, et une sorte de rage bête. Un peu comme s’il fallait foncer, droit dans la façade, traverser la pierre, pour faire apparaître une porte vitrée, une porte étouffée par le temps, vieille porte recouverte, pauvre petite porte prise dans la poussée des grands murs, alors que rien n’a l’air de changer, jamais.

proposition n° 8

Il pleut. Écrire la pluie en marchant dans la rue. Dans la flaque qui s’étale au milieu de la rue. Dans le bruit plus sonore de la ville mouillée. Dans l’épouvantable procession des bottes. Dans les reflets des vitrines sur chaque pierre, chaque bitume, chaque bordure de trottoir même. Dans la ville kaleïdoscopée par l’eau tombée du ciel. Dans la pluie d’été, dans la pluie d’hiver, dans toutes les pluies de nos mémoires, et dans ces odeurs d’eau qui brument et font chatoyer les autres odeurs. Juste après la pluie, dans la ruelle aux pavés luisants, on entend la voix de celui qui dit, marchant derrière, que le parfum est tellement bon. Et devant elle rit, dans une vieille veste en cuir. A Granvelle, sous les arbres, on reçoit une grosse goutte échappée d’une feuille, grosse goutte coulée longtemps sur les autres feuilles, chue de l’une à l’autre dans un périple de goutte, se nourrissant de ses sœurs rencontrées en route, dialoguant avec l’écorce de l’arbre tout au long du chemin, jusqu’à se jeter avec délectation dans le cou du passant pressé, impatient d’un abri et remontant son col. Cette fraîcheur simple qui monte avec la pluie. Ces échos de voitures qu’on entend dans le petit matin, quand on sait sans ouvrir les yeux qu’il pleut. Et les dalles de la place Saint Pierre qui deviennent tant glissantes que de vieilles dames grommellent des insultes pour le maire, à chaque averse. Et puis dans la rue des Granges, devant le Bar de la Poste, on s’arrête au risque d’être repéré, on se fixe là sous la pluie, dans une immobilité de cheval. A travers la vitre, soudain écarquillé dans tout son intérieur, on regarde ces images sur l’écran, d’un orang-outang qui se bat avec une machine à couper des arbres. Le grand singe roux revient à la charge, n’abandonnera pas devant la machine. La scène dure quelques minutes. Les vieux attablés somnolent. La gouttière achève de décoller ses affiches, et fait sa toilette. Les pavés coupés, plats et glissants, quoique plus petits dans cette rue, continuent de luire. La ville s’essuie doucement. On repart songeur, rêvant d’être soi-même un Don Quichotte animal.

proposition n° 9

Il a plu toute la nuit. L’eau est montée, on l’entend au souffle de la rivière. Derrière une fenêtre entrouverte , une chorale répète une vieille chanson, en canon. Le bus démarre au feu verdissant, on s’attend à ce bruit de tonnerre, très agressif, le moteur ou on ne sait quoi au dedans. Mais le bus passe et il fait à peine un chuintement -– gaz, électricité –- le mastodonte est moins effrayant sans son barrissement, il en perd presque sa qualité de mastodonte. Évidence du tapis sonore de ce coin de rue, dans le petit matin humide, les voitures qui croisent les ding ding du tram, un moteur qui accélère dans un grognement long et sec, tellement courant qu’on ne sait même pas l’écrire, et le bourdonnement d’une vespa. Plus haut, dans la rue de la Madeleine, l’épicier et le propriétaire du couscous parlent en arabe, hèlent un ami, rient. C’est tellement mêlé, la ville, et tellement calme à la fois, ça fait bruit blanc, constance auditive. Toile nue. On pourrait s’asseoir, fermer les yeux et la contempler infiniment. Soudain, un raffut. Gros son sucré, une vieille boîte à musique qui n’a plus de pile et par dessus une voix faussement enjouée qui grésille. Une voiture bariolée débouche de la rue d’Arènes, traverse le carrefour, son haut-parleur postillonne pour tous les enfants du samedi matin qu’il y a un cirque à voir là-haut sur le grand parking du côté du Fort Griffon, écorche les tympans présents, s’éloigne. En descendant, les oreilles qui sifflent ne notent pas l’absence des mouettes, une absence ça ne se remarque pas, et puis des mouettes à Besançon franchement. Au croisement, un tout petit garçon aux yeux d’un bleu très clair, on ira voir papi le cirque s’il y a des lions. Alors on voudrait pouvoir écouter la gouttière, le ventre de la gouttière, la digestion liquide de la gouttière. Elle a tant à dire la gouttière en zinc, aussi sa sœur avec son crépi abîmé, mais elles restent silencieuses, oubliées dans le grand maelstrom sonore de la ville, comme les poteaux à mi-hauteur, qui eux aussi n’ont que leurs autocollants pour se faire entendre. Écouter aussi dans le ventre des murs, les chuchotements des portes vitrées et les cris silencieux des orangs-outangs. Plus bas, sur la terrasse devant l’immeuble, la brasserie où l’on passait les soirs d’été avec de grandes bières belges à la pression, retrouver les conversations qui s’entrechoquent, le mec tu vois quoi le marché c’est jusqu’à quelle heure tu travailles lundi toi une bière ce soir non mais n’importe quoi Macron c’est dur quand ils partent on n’a plus le temps de se voir quelle expo bof non je sais pas hé mate le cul de la serveuse non mais putain arrêtez vous êtes relou vient on va fumer chez toi. Les gens passent, le présent parle avec le passé, on s’accroche au bruit rassurant des cuillères contre les tasses à café. Le séisme n’est plus très loin.

proposition n° 10

Comme si le manteau de la mémoire avait commencé à craquer, les souvenirs jaillissent en flux continu, bande-annonce intérieure des nostalgies à venir. A-t-on envie de voir le film ? Chaque morceau est une histoire entière ; et une occasion de rencontrer qui on est.

Comme les après-midi passées sur les quais, un peu après l’époque du tarot. Près de la cité universitaire, de l’autre côté du Doubs, il y a cette bande d’herbe -– cinq mètres à partager entre les oisifs du jour -– qui va des pavés au mur du quai. Ici, au bord de l’eau, là où quelques années plus tard la morsure d’un chien serait un grand étonnement, on pouvait passer l’après-midi, ces mercredi de juin où enfin la pluie nous laissait tranquilles. On s’allongeait dans l’herbe, c’était bon et inconfortable la fois, la caresse des brins d’herbe dans la nuque, leurs ombres en gros plan qui découpent le champ visuel, les insectes et la lente humidité du sol qui montent dans le dos, grattent. Il avait fallu changer de tee-shirt. Petit à petit, la sensation du vide dans l’aluminium léger d’une cannette de bière, que les doigts devinent à une sorte d’écho creux qui donne envie de plier la mince paroi métallique, enfin faire usage de la force.

L’odeur de l’autre, ce parfum de cade et de pin mêlé, une odeur bleue plus ou moins intense selon les instants, bleu plutôt clair lorsqu’il s’agissait d’enfouir le nez sous l’angle du maxillaire, de glisser le nez sur la peau comme on lèche, jusqu’à la racine des cheveux, bleu plus foncé dès que l’étreinte se resserrait jusqu’à mordre l’épaule, jusqu’à simplement jouir. Ce parfum associé au franchissement d’un cap, Cap Horn ou de Bonne Espérance, peu importe l’espérance d’ailleurs, aujourd’hui toujours on serait prêt à se perdre dans la ville pour quelques bouffées, l’odeur cet obscur hameçon qui plonge aux entrailles de la mémoire et rapporte des flots d’adolescence qui tournent comme derviches dans nos ventres. Le souvenir de ces vertiges remue au fond comme si l’on avait bu plus que de raison, le parfum bleu.

Plus tard la bière belge de la terrasse en bas, Maredsous Blonde elle s’appelait, la mousse et les bulles, la fraîcheur un peu piquante dans les joues, qui s’accompagne d’un soulagement de toutes les craintes, son humeur chaude et grillée, le liquide riche et beau jaune, nourrissant d’abord la bouche comme épaississant son intérieur, délice poussé un instant jusqu’à l’écœurement ou presque, puis la sensation progressive de l’alcool qui rétrécit le regard et fait un peu tomber les paupières, la langue heureuse enfin sous la caresse répétée.

Et puis le chocolat -– 90 % -– mangé un dimanche, alors qu’on avait fumé trop d’herbe et que la bouche n’avait plus de réserve de salive. On avait cru que ce serait bon, revigorant pour nos silhouettes étales mais nos langues râpeuses en pleuraient sèchement et nous de rire devant ce chocolat qui n’en finissait pas, de ne pas disparaître. On était comme des ânes avalant un sachet de cette poudre Van Houtten sans sucre aucun, hi-han, que c’était mauvais.

proposition n° 11

C’est assez sombre et odorant, avec des éclairages qui font mal aux yeux. On peut dire qu’on y respire un air vicié, réchauffé par les échappements trop nombreux des voitures. On y entend le chuchotement des pneus qui lèchent sournoisement ce revêtement peint en gris clair, en beige, avec par endroit des passages piétons et des allées pour marcher dessinées de pavés blancs et des images pictogrammées de piétons étendus par terre -– pas très rassurant si on pense aux silhouettes détourées au sol des scènes de crime. On a son nez dans cette chaleur là, l’envie de sortir assez vite, et puis l’inquiétude souvent de ne pas s’y retrouver – plusieurs fois déjà on a égaré le véhicule, au bout d’un moment on n’en savait même plus la couleur -– c’est une impression d’être en mauvaise posture, de devoir échapper, à qui à quoi, au parfum de déclinisme qui règne ici. C’est un lieu où on oublie qu’il existe des rivières et des vignes avec leur feuilles vert clair au printemps. Un type passe au volant d’un 4x4 blanc, chemise ouverte sur les poils trogne méditerranéenne de vieux beau catogan poivre et sel rides de trop de bronzage et musculature pour faire le malin sur la plage, Je te promets, toutes vitres baissées et très fort pour faire profiter au monde. Une fois photographié le numéro de la place de parking, une fois envoyée la photo sur Instagram avec un commentaire -– Petit caillou blanc de Petit Poucet des parkings, époque contemporaine -– une fois laissé passé avec prudence le 4x4, il est temps de s’engouffrer dans les escaliers peints de la même couleur beige ou grise, où coulent de drôles de gouttières, où montent de drôles d’odeurs d’urines concentrées et où on croise un drôle de type en chemise à moitié débraillée qui se renfroque d’une main et tient dans l’autre un journal trempé de pluie. Il pleut encore tout est mouillé et malgré l’essoufflement on est heureux de retrouver l’air du dessus, on a sans doute envie de croiser quelqu’un qu’on connaît pour s’assurer que le monde ne se réduit pas à ce souterrain empli de tôles.

proposition n° 12

En face du lycée Pasteur, celui où on a été élève de classe préparatoire une seule année après le bac, ce lycée dont le nom prononcé en seconde évoquait des adolescents artistes et cultivés, chevelus mais vêtus avec recherche, évoquait des heures passées dans des bars où il n’y avait pas les vieux du PMU de la rue Battant -– le Tarot -– ni l’ambiance du baby-foot du troquet de Palente –- le troquet où on buvait des blancs-pomme à neuf heures du matin quand le prof était malade (à force un copain avait vomi dans sa manche en cours de latin, c’était gênant comme il était blanc et l’odeur en sus) –- pas cette ambiance donc, ni cette faune de périphérie vieillotte mais une autre, vieux babas cool au fumet retentissant, punks et alcooliques vaguement plus bourgeois qu’ailleurs, une ambiance de centre-ville en somme — Yam’s, sombre Black Hawks et Ptit Vat’ avec ses fresques bande-dessinées aux murs, devenu magasin de chaussures depuis. Pendant les tirets des phrases précédentes on a du aller faire un tour dans le quartier de Palente pour retrouver le nom du bistrot où on jouait au baby, ça n’a pas été possible même en errant dans les rues aux noms de fleurs, entre les petites barres d’immeubles peintes en beige avec un toit rouge clair, et les pavillons des années soixante, balcons en fer forgés escaliers en ciment, on n’a pas retrouvé la trace du bar et du baby-foot ; ce n’est pas non plus le moment d’en parler, pourtant un jour seize ans par amour on avait remonté toute la ville depuis le centre sous la pluie battante, les bords de rue transformés en petits torrents, au lieu de marcher sur le trottoir on avait, pour une raison qui échappe aujourd’hui, préféré marcher là dans quinze ou seize centimètres d’eau, quitte à faire. Le tout pour parvenir à ce bistrot, retrouver ceux et celle qui jouaient au baby-foot, monter l’escalier de ciment, traverser la terrasse , et le cœur battant ouvrir la porte en dégoulinant, soutenir le regard à peine curieux des vieux qui doivent être morts depuis, et le regard bleu, le baiser au tourniquet, l’importance de ce retour sous la pluie, dans le cou mouillé les lèvres chaudes, on ne sait plus pourquoi, tout est parti avec d’autres pluies, torrentielles, depuis. En face donc du lycée Pasteur en 1996 démarre un passage fait d’une suite de plusieurs porches alternant avec cours intérieures, lieux alternatifs qu’on dirait bobos sans aucun doute aujourd’hui –- mais lycée et passage ramènent immanquablement vers l’autre lycée, celui des trois années précédentes, devant lequel aussi on trouve un passage, souterrain celui-ci pour traverser le Boulevard, on l’appelait toujours simplement le Boulevard, le seul à faire à l’époque la moitié du tour de la ville, et dans ce souterrain du lycée Pergaud de seize à dix-huit ans on se prenait la main et le sol qui chavire, jusqu’à passer d’un lycée à l’autre, quitter Pergaud, sa guerre des boutons, et les villages environnants pour Pasteur, ses vaccins et la bourgeoisie de centre-ville, laisser derrière soi le boulevard et son souterrain, les doigts entrelacés, le bistrot au baby-foot et les blancs pomme de neuf heures. L’autre passage, celui auquel on rêve encore avec ses deux grosses vieilles portes en bois couvertes d’affiches de concerts décollées par le vent engouffré là ; le premier porche abritait une boutique de vêtements vintage que du haut des dix-huit ans il était impossible de fréquenter tant tout, là-bas, sentait la mère. Les vêtements d’occasion accrochés sur la façade, les treillis vert kakis pour femme, les blousons avec des patchs de groupes de rock, les tee-shirts délavés, tie-die écœurants de la génération précédente. Aujourd’hui au fond on fuit toujours ces mêmes boutiques pour les mêmes obscures raisons que les brocantes, la mère toujours la mère. La suite du passage était faite de ces cours intérieures dans lesquelles les uns et les autres, habitants des appartements au dessus, entreposaient leurs affaires d’extérieur, vélos, cartons, parfois un fil à linge en travers du carré de ciel, et puis des pavés au sol, luisants et pris de mousse. Ce n’était pas les grands et beaux escaliers en bois, juste des cours grises assez banales, simples et habitées, des murs humides et deux, trois boutiques artisanales. On pouvait traverser par là tout le pâté de maisons -– et même si aujourd’hui après New-York on dirait bloc -– à l’époque on passait le midi pour aller chercher un sandwich dans la Grand-Rue de l’autre côté, place Pasteur il y avait un Quick, on ne peut pas visiter la ville sans entrevoir une flopée d’anecdotes qui s’envolent telles une petite peuplade de papillons noirs. Cette traversée prenait quelques minutes en 1996. De retour on y entre une veille de Noël, c’est une féerie de lumières, la foule ardente des commerces, une constellations de boutiques, on était prévenu mais le cœur se serre bien obligé de se rappeler cela et ceci, la petite librairie dont le propriétaire collectionnait des éditions indépendantes à la place un institut de beauté – Le bazar de Juliette, gommage corps en promotion -– et puis des guirlandes partout des guirlandes et d’énormes boules de papier gris clair décorées naïvement et suspendues à des fils lumineux qui traversent les désormais grands rectangles de ciel découpés par cette architecture du nouveau. Les enseignes rythmiquement nous sautent à la gorge, Jules Orange Yves Rocher Camäieu France Loisirs Nature et Découvertes Monoprix, au milieu, des fauteuils moulés dans du plastique coloré et des gens qui vapotent, on est vite essoufflé de ce monde trop neuf, de la lumière et de ce séisme qui a eu lieu pendant les vingt années où l’on tournait le dos à la ville. La traversée est bien plus longue qu’on ne pensait. Quelque chose s’est passé dans l’absence, un tremblement lent et puissant dans les pierres des murs, l’âme des façades et celle des gens qui marchent, c’est en dedans et en dehors, le passage, le temps, on n’a rien pensé.

proposition n° 13

Rien pensé et pourtant la ville continue à dériver. Place Pasteur, l’ancienne, avait de grandes dalles glissantes, et un amas d’énormes pavés empilés au milieu. On pouvait grimper et s’y asseoir. De là, les fesses un peu talées par l’arrête de la pierre à travers la toile du pantalon, on voyait la place qui n’était plus rien que le croisement ouvert de trois rues : la Grand Rue traversant la place de part en part, la Grand Rue étant la place, en partie ; la rue Luc Breton, avec son léger pas de côté avant de rejoindre la rue des Granges ; et la rue Pasteur, longue et qui en croisait d’autres, avant d’aller aux bistrots. Une sorte d’entonnoir à double embouchure formée par les plus fines rues, la grande s’écartant souplement pour laisser, faire, place. Un peu comme un boa qui aurait avalé un gros lièvre tout rond.

Les fesses sur les faces supérieures des parallélépipèdes rectangles, parois lisses, lustrées, brillantes, certaines d’un beige tirant vers le rose de la peau humaine, d’autres jaunes, plus ou moins foncées, ou grises, d’un beau gris profond et clair, tranquille. Enfant, on était fasciné par l’alternance des dalles au sol, les couleurs, et la taille des blocs scellés au milieu de la place, comme une montagne de géométrie minérale. Dans la rue, il fallait évidemment sautiller, avancer le pied plus loin pour marcher sur le gris.
Moins larges que les autres, les bandes grises, régulièrement interrompues, dans la largeur de la rue, et les joints entre ces dalles, rubans plus clairs dans cet espèce de carrelage urbain, faisaient comme un plan de ville imaginaire sur le sol de la Grand Rue, les rues plus claires entre des blocs immenses... Pourquoi les images éloignées de l’enfance ont-elle cet angle de vue resserré ? Les bâtiments s’écartent et la rue devient la place, soudain on a six ans et la ville est intimidante. Ce n’est pas le lieu de souvent, on a quitté le village, ça ressemble à une occasion, la séance de Rox et Rouky, on avait manqué l’école pour venir jusque là et comme c’était un jour scolaire il n’y avait personne bien sûr le cinéma annulait la projection et pourtant, la mère -– toujours la mère -– avait obtenu qu’on voie le film : deux dans la salle, et des sanglots de désespoir devant tout ce malheur animal, qui reviennent à l’identique aujourd’hui si l’on s’y risque. Si l’on s’y risque.

proposition n° 14

Il fait frais. Marcher rapidement de la place Pasteur à la place Saint-Pierre, travelling rythmé par le hachis des pas. Les silhouettes qu’on croise, quand on marche vite, sont des ombres qui passent, juste le temps de se faire une idée brève, une idée de soi jugeant l’autre avec célérité, dans cette première appréhension sensible dont on sait d’expérience qu’elle ne durerait pas, si l’on se rencontrait vraiment. Cette femme -– cinquante-cinq ans ? -– bien droite immobile le regard baissé vers la vitrine d’une boutique de chaussures chères et bleu-marine comme les branches de ses lunettes. L’homme en costume grisonnant qui déambule en déséquilibre, titubant sous une défaillance neurologique. Le trentenaire chauve et barbu, son garçonnet en trottinette, glissent aussi vite en sens inverse, les croiser ça fait courant d’air. L’odeur des burgers échappée du fast-food à l’angle de la rue d’Anvers, avec l’ombre amicale du patron qui cuit des steaks dans l’avancée vitrée de son échoppe, son ventre avançant lui aussi, redondance de la véranda, redoublement de ce qui déborde, sur la rue ou par dessus le pantalon. La petite vendeuse qui sort en courant de la boutique Etam, robette noir et sac en bandoulière sur l’épaule, cuir retourné couleur de jeune chevreuil, la lanière tressée qui traverse le temps. Et tous ceux et celles qu’on s’attend à croiser et qui ne sont plus là, avec leurs mines tristes, leurs barbes de trois jours, des aigreurs dans le regard, des éclats de rire, des cheveux rasés et des boucles d’oreilles en toc, des rides nouvelles et des souvenirs différents des nôtres, vieux puzzle des adolescences éparpillées dans l’âge adulte.

proposition n° 15

J’en vois passer du monde au fil du temps : il y a cette personne incertaine qui se hâte entre la place Pasteur et la place Saint Pierre qui se hâte en toisant ses prochains avec l’air de se demander s’il faut leur reprocher quelque chose ou se reprocher cela même -– qui se hâte et qui traîne depuis un bon moment dans nos rues à la recherche d’une porte vitrée d’un orang-outang sur l’écran d’un bar ou de je ne sais quelle trace mémorielle inscrite dans le sol dallé de la rue et cette manière de voir à travers le paysage urbain ses souvenirs morcelés de penser à la ville avec une mélancolie qui fait resurgir des anecdotes un peu alcoolisées me donne envie de suivre du regard ses errances ; je reste tranquille espionne silencieuse adossée à mon coin de mur chanceuse de l’immobilité de mon espèce je regarde déambuler cette nébuleuse et note qu’une fois de plus le personnage un peu flou passe et repassera tout à l’heure quitte à s’émouvoir des trois autocollants qui m’habillent le ventre quitte à produire même une série de photos des membres de ma famille -– alors qu’on ne sait même pas si il ou elle est vraiment parmi nous ou carrément ailleurs bien plus au Sud -– et je m’aperçois alors que je désire ardemment lui parler il y a tant de choses à dire sur le temps qui passe sur la ville.

proposition n° 16

Sais-tu que tu as perdu la mémoire de la fontaine de la place Pasteur ? Mais oui près du Quick l’éventail de bassins arrondis suspendus à la verticale d’un poteau métallique t’en souviens-tu ? L’eau coulait débordait d’un bassin dans l’autre et les marches n’étaient pas si hautes mais non seuls les blocs de pierre sont gravés dans ton petit souvenir – souvenirs à œillères de l’enfance souvenirs à miroirs déformants à verres grossissants bien plus près du sol qu’aujourd’hui – la fontaine s’est envolée ici alors que l’autre place de la Révolution m’a t-on dit est restée seulement déplacée de quelques mètres à ce qu’il semble si je ne la vois mes cousines m’en racontent quelque chose nous nous parlons encore et encore à voix basse de la ville de la lente dérive de la ville tuyaux gouttières chiens-assis petit peuple des murs des toits et des impasses -– chuchotants témoins de ce lent séisme qui te remue depuis tout à l’heure… Sais-tu qu’aujourd’hui ce sont des bancs très sombres bancs de pierre lisse et brillante bancs comme des gros hommes allongés sur le dos avec une panse énorme et rebondie qui peuplent cette place ? Quoiqu’il en soit de ton voyage c’est le présent qui habite cette place et tu n’oublies pas non loin de la fontaine Pasteur le couple chantant remontons la rue si tu veux – la housse de la guitare ouverte posée au sol comme un immense chapeau affamé des pièces des passants – la Complainte du phoque en Alaska Beau Dommage sans l’accent deux hippies de nos campagnes et toi dans un coin à écouter la chanson inlassable tu vois je m’en souviens tous les passés sont charriés par la ville si je te racontais tu n’y croirais pas.

proposition n° 17

Parce que c’était la première fois qu’on allait au devant de la ville sans les adultes, on était quatre, on avait quinze ans, pris le train ou peut-être l’un plus âgé venait d’avoir le permis, alors on avait pris la route dans la vallée verte, du bourg à la ville, les trente kilomètres à peu près, et puis la promenade en ville, voilà. Une terrasse de café, celle juste à droite de l’église, vous savez, aujourd’hui le café porte le nom d’un saurien, mais à l’époque, c’était un nom chic, un nom qui connotait chic, mais on n’avait pas encore décodé ce sens caché, on le saurait bientôt, comme on saurait que ces cocktails composés d’un alcool fort au parfum de noix de coco et de jus d’ananas, c’était cher, tellement cher qu’on n’aurait pas à nous tous les moyens de payer une fois le serveur ayant apporté les verres et nous les ayant bus. L’instant de la découverte de la note, le pauvre petit papier légèrement froissé qui grimace, les sourires incrédules des trois amis, le faire semblant de ne pas comprendre ou de garder la face ou les deux ensemble tiens, faire comme si on savait alors que c’est si étonnant, la gêne et le cœur qui bat, l’incompréhension, c’est une erreur non, non non, c’est bien ça, tu crois, le ventre un peu noué -– encore enfants faisant bêtises – être renvoyé à cela, l’enfance toute petite et toute méconnaissance du monde, l’ina-ttendu qui se refuse à l’intelligible, ce moment de la perte de soi et du monde autour, presque comme quand on rêve que le pied perd appui et que sursaute le corps entier… Là, la ville nous avait farcé, échappé, pas méchantement mais quand même, il avait fallu aller au distributeur, la somme était invraisemblable et le demeure dans un coin des souvenirs – jamais on ne boit de cocktail dans les bars jamais, et puis d’abord c’est mauvais. Pourquoi buvait-on des Malibus-Ananas à quinze ans dans l’après-midi de la ville, ça, c’est une autre histoire qui tourne un peu la tête, à droite, à gauche.

Une autre fois on s’est trompé sur le réel. On courait, dix-neuf ou vingt heures, sur le quai pavé, le printemps, faire attention aux chevilles. La meute des chiens aboyait les canards sur la rivière, les canards s’effrayaient, ou pas, ça plus personne ne le sait. Et quand les chiens ont couru derrière et sont arrivés là, tous aboyant toujours, comme si l’on était un canard impavide, ce n’était pas prévu de sentir la dent dans l’arrière du mollet, en haut. Pas du tout prévu, et surprenant en plus d’être douloureux. Il y a avait là une traîtrise indicible, une arnaque, toute la supercherie du monde dans ce trou laissé par une dent pointue, on n’avait pas peur l’instant d’avant la confiance était totale ; le chien petit et noir, sa dent, le maître qui disait de loin n’aie pas peur, pas méchant, faisaient à eux tous pencher le monde comme un grand plat vide et glissant d’où l’on tombe sans pouvoir se raccrocher à rien. Évidemment c’était au crépuscule. Entre chien et loup.

Et puis un jour on a tourné en rond, non plus autour de la boucle de la rivière, mais en rond, comme faisant des ronds dans l’eau ou faisant du sur place dans cette ville trop connue, c’est ça l’épine coincée entre les orteils, attention, faire gaffe en marchant, la méfiance devenue, le chien, le trop connu, les gens toujours les mêmes, et sortir et croiser le même monde, et sentir qu’au lieu d’être aimable ce même monde sans le vouloir devenait hostile, il y a cette hostilité dans le trop proche, le trop familier devient menace. Alors il avait fallu faire le ménage, de l’appartement et partir avec un balai et une serpillière dans le coffre de la voiture.

proposition n° 18

Il a raviné, le temps, tout sur son passage. Il a raviné les pluies de l’enfance. Raviné les étés dans la paille. Les champs de maïs. Le temps qui ne passait pas. Il a raviné, le temps, sur son passage les folies, les désespoirs aussi, les nuits blanches et les retours en taxi. Il a raviné même l’après, le temps durci des premières années de travail, tout ce qui est parti, l’innocence cruelle d’une ville après l’autre, les joies et les rames de métro, Jorge Semprun et même Mano Solo, sous la même coulée de boue et sous des soleils qui passent. Il a raviné, le temps, tout sur son passage. Nos sueurs envolées au vent du Nord, les aubes sans sommeil et les enfants qui pleurent. Il a raviné, le temps, même les jeunes parents, les couches trop pleines et les biberons de quatre heures, les varicelles et les matins d’école. Il a raviné, le temps, tout sur son passage. Ces temps qu’on croyait figés, ces heures arrêtées, ces années pleines comme un œuf. Il a raviné le temps, le temps, sur son passage. Aussi l’autre temps, celui d’avant, et celui d’après, même le maintenant est raviné d’avance. Il n’a pas quatorze jambes, le temps, pour raviner, il en a mille, pour courir après le temps, pour le rattraper, le prendre à la gorge, lui faire dire, au temps, tout ce qu’il a caché, ce n’est pas difficile, pendant si longtemps.

Il a raviné, le temps, il a emporté. Derrière lui il reste tout, en vrac : les morceaux dégringolés du séisme, planches et poutres et plaques de ciments, poussières qui retombent –- en nuage –- les détails infimes, bribes pâles fragments miettes intimes atomes du goût d’un moment parcelles d’un univers à réparer en rêve, vieux calendriers mouillés avec des images qui parlent encore, les chansons du temps refermé qui laissent ouvertes toutes les mémoires. Il a raviné, le temps, tout sur son passage. Mais la ville ses gens, sont là toujours. Avec le temps, rien n’est vraiment parti.

proposition n° 19

Il y a la terrasse, là. Au petit matin, le serveur installe les tables à l’extérieur. Une par une. Jusqu’à découvrir, à l’extrémité sud de l’espace dédié aux tables, un flamant rose étendu par terre. Mort. L’une des ailes s’étire jusqu’au trottoir, dépasse largement de la terrasse : les gens partant travailler contournent prudemment les plumes roses. Le serveur sort de sa poche un téléphone, appelle son patron, savoir quoi faire. Par une étrange coïncidence, il a un accent sétois. A couper au couteau. Téléphone à l’oreille, il rentre dans le bar en parlant fort, oui oui, un flamant, bien sûr que je sais ce que c’est. Ressort avec un grand sac poubelle, une pelle en plastique. Emballe le flamant mort, qui n’est pas encore très raide, visiblement. Porte le sac, qui pèse, sur quelques mètres. Et le jette dans le container en plastique gris de l’autre côté de la ruelle, côté ville. Et il continue à installer les tables, dans le soleil du matin qui lui jette des nuées de lumières piquantes. En contrebas de la terrasse, l’eau sombre fait penser à celle d’un port, avec les nappes grasses à la surface et les dizaines de poissons minuscules, juste en dessous.

Peu après la disparition du flamant rose s’installent à la terrasse deux femmes, dont l’une âgée, en fauteuil, semble ne plus très bien savoir où elle habite. L’autre, la soixantaine, cheveux au carré et le dessous rasé, regarde sa mère en se demandant combien de temps ça va durer cette mascarade, les balades sur les quais, les cafés en terrasse tôt le matin, avec une vieille qui ne comprend plus.

Elle se demande ce que c’est que d’être ici, alors qu’on pourrait bien être ailleurs. Elle se demande ce que ce serait d’être ailleurs. Si ce serait pareil, au bout d’un certain temps. Qu’est-ce que ça veut dire être là, être ici, être ailleurs ? Il y a de l’incompréhensible dans changer d’endroit. L’endroit que l’on quitte continue d’exister, comme ayant sa vie propre, loin la pensée de celui qui part, dans la pensée de celui qui ne meurt pas. Les villes ne meurent pas. Les villes ne voyagent pas. Elles possèdent les gens qui passent, dans leur intérieur.

proposition n° 20

Intérieur ville. Nuit. Le manège dort. Personne ne pleut, ne passe. Il fait rosée. Chevaux ne montent ni ne descendent, seulement somnolent sous des lampes suspendues, longs fils électriques, abats-jours de cuisine. Juste derrière le grand magasin, la place vide. Les escaliers morts. Les lumières éteintes du carrousel. Le silence des cris d’enfants. Ciel qui bleuit de loin, au dessus des toits. Les grands carreaux de pierre de chaque couleur, peu à peu éclairés, s’éveillent. Brillent, faible lueur. Le sol s’ébroue, macadam prêt à craquer, l’enveloppe terrestre. Le pointu du carrousel tendu aux étoiles. Rien ne tourne plus. L’air froid ne sait où s’engouffrer lorsqu’il n’y a personne. Bus au repos. Pays de belle au bois dormant. De l’autre côté de la rue, sous une table de café terrasse, un flamant rose agonise lentement. Personne pour les derniers battements. Animaux figés des manèges, trop de travail, devraient faire grève, manque de reconnaissance. Leur lent rassemblement sur la place, autour du flamant qui expire. L’éléphant du carrousel, syndical, ardent, responsable, obèse, lui va s’effondrer aussi. Si l’on n’y prend garde. Pas de garde. Pas de zoo. Animaux relâchés du cimetière des villes refroidies. Vaste frigo du monde. Chauffe et tremblotte dans le rien.

proposition n° 21

Sans le tube, les gros ciseaux oranges leur ombre sur le mur la tétine posée sur le replat entre les jambes d’un drôle de bonhomme en terre le noir de la housse de l’ordinateur les tapis de souris est une planche à découper couleur de nappe rouge à carreaux avec des fleurs en broderie blanche cœur rouge ou bleu photo collée la bouche en noir et blanc avec ombre noire dans l’entrebâillement poils blonds au dessous et le reflet à travers le verre épais plein d’eau le bleu écrit lᴂg mærke et nombreuses photos d’hommes inconnus en noir et blanc SANEX natur protect et une chaussette noire le bois sale un peu poussiéreux avec traces de taches un peu un trombonne et cahier vert Tanger 2018 deux ours en bois appuyés sur le plastique rouge la poussière dans la charnière de l’ordinateur l’écran avec les lettres qui s’écrivent c’est presque mauve le fond le vent qui arrive par la fenêtre la lumière déjà rasante et pour longtemps encore, aujourd’hui tamisée par les nuages gris clair un tour dans le mur la souris verte et noire et des clés suspendues au tableau rouge.

Dans le tube, six photos carrées d’hommes en noir et blanc et deux de plus coupées par le dessus de l’ordi sur celle de droite seulement le chapeau noir avec inscrit LSD et la bordure turquoise de l’autre côté le mur blanc et le coin blanc d’une photo accrochée au mur son ombre sur le mur le bois de la table avec les taches l’extrémité noire d’une chaussette et un angle de la planche à découper nappe à carreaux rouges les bordures brodées rouges et bleus et les fleurs en broderies blanche deux avec cœur bleu et une au centre cœur rouge le bas du verre et la charnière poussiéreuse de l’ordinateur un morceaux de la souris verte et noire les ciseaux oranges et les pinceaux dressés leur ombre sur le mur blanc la lumière qui zigzague deux animaux en bois appuyés sur du plastique rouge et les bras dressés qui dépassent l’inscription Tak. Thank you. juste sous le plastique vert fluo la pointe d’une clé et trois ventres de plastique rouge brillant avec divers objets dedans les fils tressés jaune vert rouge bracelet seulement la table les lignes du bois parallèles plus ou moins resserrées avec des taches de peinture blanche et des marques noires l’odeur du vieux bois pas très agréable la rainure et le coin d’un carnet vert la touche noire avec un avion la charnière de l’ordinateur le plastique reflétant la lumière la petite fenêtre blanche sur fond noir page 13 de 13 et une croix un pavé blanc une inscription gris clair rechercher 8383 mots 48569 caractères nombre qui change sans cesse tout rechercher respecter la casse style par défaut petite loupe avec un crayon en travers la table les lignes des marques noires touche noire avec un av... fenêtre blanche sur fond rechercher 8383 mots 48 casse style par défaut petite touche noire avec un av… fenêtre petite touche noire avec un av… fenêtre ça pourrait ne finir jamais comme ça écrire regarder dans le trou écrire il y en aurait toujours de nouveau jamais comme ça écrire regarder vous voyez bien que ça ne finit pas comme ça écrire regarder vous comment s’en sortir maintenant tant qu’il y a du blanc on ne que le comble sans espoir de finir comment s’en sortir maintenant ça va devenir répétitif et pourtant il reste du blanc le texte est monté même casse style touche noire avec petite touche noire jamais comme ça écrire comme ça écrire regarder comment s’en sortir maintenant comment s’en sortir maintenant ça même casse style touche noire avec regarder comment s’en sortir maintenant et en dessous le blanc de la page le fond mauve de la page et la barre sous la barre les petits dessins une page avec une image rapide une boule orange et bleu et le cercle google la barre noire d’un noir profond où est la flèche ?

proposition n° 22

Blanc toucher granuleux un angle blanc brillant dur froid traces mauves en surimpression découpe en pétale de fleur dans le métal du trou le bois peint en blanc ou marron faux bois naturel en diable le linoléum couleur rose violet orangé non je ne jugerai pas couleur de vomi trou disparition lumière vive bois blanc moquette grise pédalier bois clavier touche poussiéreuse et odeur de cigarette cheveux morts et poussières vives.

proposition n° 23

Vitre derrière la vitre. Rouge des viandes. Le coin de la pancarte, Kebab, le jaune sale. L’odeur du poulet grillé de l’autre côté. Pierre. Grise. Reflet. Odeur de charogne. Trois plumes roses écrasées au sol, traces de pas en surimpression.

L’œil de Jouffroy. L’eau qui coule dans l’œil de Jouffroy. Le métal peint blanc les rayures verticales le gris poudreux les joints clairs la dureté de loin touffe d’herbe au bas mousse verte ombre sur le bosselé.

Du haut de la rue parcelle du volume le regard qui embrasse l’ouverture l’air libre bleu et lumière soleil un abat-jour suspendu et trois plumes roses qui dépassent du gris de la descente de gouttière verticalité touchante compagne.

Couché sur le trottoir on ne voit que bribes de pont montants peinture ocre rouge et parapet bleu gris dessous l’angle et au loin la perspective ligne de suite de fenêtres dans l’angle haut du regard et ombres verticales sur main ridée.

Au ras de la pierre alignement des troncs ne pas tomber c’est inconfortable la sensation du vide invisible derrière et le tellement plein des façades feuilles miroitantes verts de toutes les couleurs ombres qui louvoient avec le cœur.

proposition n° 24

Du haut de la rue l’ombre des pieds le matin le trottoir où un minibus blanc un jour. Parcelle du volume carrosserie rayée contre l’autre véhicule cause hauteur approchante de trop approchante de près approchante de trop près, flou artistique fondu au noir. Le regard qui embrasse l’ouverture jusqu’au moment où les cloches de l’église ont sonné, le jour où l’on sortait du couscous tellement bon couscous de la Madeleine, non pas le cuisinier, le nom de la rue ! Madeleine comme chez Proust mais sans couscous alors. L’air libre bleu était monté de la rivière et nous prenions nos quartiers ici même, en haut de la rue grimpante grimpette pavée, la maison de ville nous étions grands soudain adultes même bientôt rémunérés travailleurs. Et lumière soleil un abat-jour suspendu la fête pendant ces années-là joie sauf le jour où se garer créneau à droite dans un virage de la rue en pente et pavée c’était vraiment… Préférable la place parking du fort militaire juste au dessus mais tout le monde avait pris place misère ! Et trois plumes roses qui dépassent apparues en rêve comme prémonitoire de cet été à venir longtemps après longtemps après, mais avant il faut bien dire qu’il a fallu partir il avait fallu faire le ménage de l’appartement et partir avec un balai partir avec une serpillière partir dans le coffre de la voiture. Du gris de la descente de gouttière revenir revenir et retrouver quoi ? Verticalité touchante compagne et les aujourd’hui de la mémoire vive, les sensations bières et chocolats trop secs le tram d’apparition récente – événement intercurrent dit-on –- et Jouffroy qui n’a presque pas disparu l’espace d’un instant seulement il a bougé deux cents ans c’est quoi ?

proposition n° 25

Le temps a-t-il un goût de tragédie. De quelle substance est la mémoire des choses absentes. Qu’est-ce qu’on ne saisit pas dans le passage du temps et ses géographies. Est-on seul ou nombreux à trouver que le mystère s’épaissit avec les années. Les années épaisses forment-elles brouillard empêchant vision des géographies temporelles. Est-ce seulement insaisissable dès le début et pour toujours. Que se passe-t-il quand on se déplace et que le temps passe sur ce mouvement. Est-ce qu’on garde un morceau intérieur de là où on est allé comme dans ces histoires où à la fin il reste quelque chose de tangible d’un monde pourtant enfui à jamais enfoui à jamais. Est-ce que quelqu’un peut dire ce que c’est d’avoir été là et de ne plus y être. Est-ce que quelqu’un sait remplir ce vide toujours déjà plein d’autre chose. D’un endroit à l’autre sommes-nous les mêmes ou bien autres. Comment le déplacement dans l’espace s’impose-t-il à nous par quelle abstraction stratégique ou brutale comment y survivre. Pourquoi le passé est passé comme un mur. Pourquoi les regrets remplissent-ils les nuits de trop. Où vivent les marqueurs du temps dans le monde s’il existe ou en dedans de soi. Quelle est la matière du présent instable inflammable. Comment échapper à la tristesse comment être. Faut-il seulement accepter la tuerie trouble du temps. Pourquoi ne pas revenir en arrière pourquoi c’est si douloureux. Respirer l’abstraction du temps à grandes bouffées est-ce la réponse. Écrire la carte de nos géographies temporelles est-ce que ça sauve et quid de la carte et du territoire alors. Qui dresse et frise la fresque de nos chronologies spatiales. Puissent-elles être autre chose que nostalgie juste incompréhension et l’envie de savoir c’est grave. Est-ce qu’il y a une ellipse quelque part entre Tanger New-York et Copenhague. Bermudes. Est-ce qu’écrire fait sentir mieux éprouver mieux toucher mieux la substance du présent et celle du passé fugace. Est-ce qu’on pourra sortir un jour de l’abstraction par le langage et l’appui du réel. Comment s’ouvre la brèche comment. Comment elle sévit intérieurement pour chacun pour chacune. Qu’est-ce qu’on partage de ça qu’est-ce qu’on peut en dire qui soit intelligible à l’autre que faire d’autre que produire parole singulière ancrée parole singulière encrée dans la matière du souvenir pour essayer d’éclairer le mystère épais comme soupe de pois soupe à l’encre de sèche à l’ancre sèche – en cale sèche. Est-ce que le passé existe vraiment est-ce qu’écrire c’est autre chose que tenter de répondre à la question est-ce que la mer y peut quelque chose. Est-ce que vivre avec le temps qui passe ce serait comme faire la planche se laisser porter par la vague et le sel sans rien savoir accepter les nappes d’eau chaude et plus froide aimer le sable et pour sa tendresse et pour son craquant rêche sous les dents.

proposition n° 26

D’un coup la ville était. Réelle et grande de trop. Le père parti là-bas depuis quelques, revenant parfois en autobus. Attendre à l’arrêt même dans le froid. Imaginer la ville et ses grands trottoirs. Et puis un jour y être. Pas la première fois, mais y être pour y dormir, presque comme y vivre. Marcher sur les grands trottoirs, huit ans peut-être, avec cette sensation bizarre de comme si c’était fou et c’était normal, comme être amoureux enfant, à grands battements perdus. La ville larges trottoirs mais petit le quartier, tout est près de là où on est, les descentes de gouttières on peut les touches. Le lisse des trottoirs et le rugueux des murs. Fou. Les parcmètres de la rue Renan, quel numéro le porche, les pavés du sol et puis l’appartement. Il y a quelque chose qui commence ici.

« C’est un secret : aujourd’hui toujours quand je pense Besançon c’est Paris qui se dit dans ma tête, ne le dites à personne. »

Une autre fois la ville l’immensité, ce qui avait commencé plus tôt redevenu : être là dans le petit endroit proche qu’on voit de bien près qui est en contact avec le corps à soi donc presque soi presque appartenant connu en tout cas et sentir qu’on est dans l’immense et l’inconnaissable vibrant. A Istanbul palper l’immense entendre la profusion et représenter dans la tête les collines recouvertes de ville, de la ville étendue partout au loin loin, mosquées, muezzins, hauts-parleurs, marchés, rues, ruelles, motocyclettes, hommes, femmes boutiques, étals, sachets d’épices, petits et grands bazars, enfants, crachats par terre, vêtements usés ou neufs, papiers jetés, pigeons, jeunes hommes aux dents blanches, herbes vertes, eau coulante ou flaques, cintres, poivrons, aubergines, volets, murs gris et gravats, barrières, foulards, bottes, jupes, vieux cailloux, bateaux grands ou petits, éventails, vitrines d’alimentation, cahiers, bijoux, cars de touristes, taxis, cartes bancaires, verres de Raki, canettes, tables basses, thés, cafés turcs, sacs en plastique, chaussures, éternité. Comment sont les toits au fait ?

proposition n° 27

Et voilà. Il a passé, le temps, dans les virages de l’existence, ceux qu’on déplie là sur le blanc.

Dans le train d’alors, on était aux aguets des signaux de l’arrivée de la ville dans le paysage, tant de tunnels que jamais on n’a su les compter, mais savoir qu’il y en a un qui débouche directement dans la gare, la sensation -– vite –- du freinage et la peur, comme une araignée qui mord à l’intérieur du ventre, de rater la descente, la porte refermée, voir la ville repartir derrière le train, derrière l’immobilité refusée, c’était comme tendre le bras vers les rails qui s’en vont derrière un train, adieu la colline ! C’est arrivé quelques fois, de ne pas arriver, ou d’arriver ailleurs, dans une ville sans flamants roses, une ville sans passé, sans gens, que des inconnus, un accent d’autre part et nul endroit où dormir, treize ans c’était jeune, même avec les cabines téléphoniques et des cahiers dans les poches. Personne ne crie « Gare ! » aux adolescents. Et ça continue. Parfois il y a une connaissance, une voiture, un moyen, parfois c’est s’asseoir trois heures sur le sac, repartir, ne plus rater la brève porte temporelle qui conduit à une immobilité immobile et avec ça bientôt la fin du week-end, n’arriver vraiment jamais.

Dans la voiture on a des rides, on traîne moins dans les gares depuis le temps. Ici l’arrivée sans risque, à part peut-être celui de s’égarer -– gare ! –- dans la campagne métamorphosée en abri pour des surfaces de toutes ventes, boîtes en métal ou simili, avec dedans des halos lumineux qui piquent, une odeur de cartons mal rangés et de vêtements venus de trop loin pour être honnêtes. Le risque serait de se faire attraper par un petit rond-point tout rond tout mignon fourbe et véreux qui vous passe le bras sur l’épaule – le temps de regarder ces fleurs rouges vibrantes qu’on dirait iris exotiques – et vous embarque en chuchotant des choses salaces dans des odeurs de plastiques et de sauces, des fausses rues sans trottoirs où les piétons vagabondent, des terre-pleins vidés de toute terre nue, seulement le bitume le macadam le béton l’asphalte le goudron le métal des poteaux les sourires imbéciles sur les panneaux pour tout vendre, même des vélos pour la liberté ! Passé ce risque on pourrait quand même s’apitoyer sur ce que les champs devenus, sur la largeur de la route et la vitesse, le nombre, la fourmilière, la grosseur de ce côté de la ville est-ce que c’est bénin. L’araignée qui mordait le ventre s’est déplacée, elle court le monde. La peur a pris d’autres portes. Le temps a passé.

proposition n° 28

Du bus les vitres et le point de vue découpé par les sièges les barres les voyageurs. On était là, à l’intérieur de l’animalité du bus, comme dans une baleine. On écoutait Yann Tiersen dans un appareil récent qui passait les premiers MP3, juste à l’époque des premiers téléphones portables, c’était peu après le walkman avec radio sur lequel on avait passé des kilomètres de bande magnétique, dont au moins l’équivalent de la Grande muraille de Chine rien que de Mano Solo. Ensuite les appareils à musique ont rétréci rétréci rétréci comme des Alice jusqu’à rentrer dans les téléphones et puis Mano Solo est mort, mort un jour où on était dans une jardinerie, l’annonce d’une mort lointaine et la tristesse qui douche dans une solitude de pot de fleurs, toutes les orchidées fanées d’un coup. De ces voyages en bus-baleine il reste des reflets, des morceaux de lumière qui éclatent sur des murs de ville et surtout la sensation intérieure du bus qui tourne dans une petite rue, d’ailleurs si la rue est grande la sensation est peut-être bien la même. A l’intérieur ça tourne et bouge étrangement, ce n’est pas agréable, un peu comme être une pâte à gâteau remuée au fouet sans choix sans option autre que le remuement liquide, à la fin envie de vomir. Les images de murs fenêtres portes vitrines affiches défilent vite et très près ce qui fait encore plus vite et les yeux s’attirent vers des images trop brèves stroboscopiques pour être interprétées la tête se remplit intersidérale de questions vives informulées et le fouet des virages continue de battre la nausée comme cadence c’est très fatiguant le bus pas du tout comme la mer. Le temps passe mais le mauvais du voyage reste et l’on a cinq ans à chaque bus.

proposition n° 29

Brigitte doit bien être quelque part. D’ici c’est seulement une image floue, une main dans ta main d’enfant, une robe tablier à fleurs pour aller à l’école, passer devant un lavoir en pierre et l’admiration de l’enfant petit pour l’enfant grand. Elle a quoi Brigitte aujourd’hui, quarante-cinq ans, cinquante ?

La voilà qui sort d’une boutique de vêtements, marche dans la rue piétonne, dans la main droite un sac plastique coloré avec du papier léger à l’intérieur pour on ne sait quelle raison, pas abîmer le tissu ? Et puis elle s’arrête cinq mètres plus loin pour acheter un pain au chocolat à la Brioche Dorée, change le sac plastique de main, ouvre de la droite le sac en bandoulière, le vendeur est jeune, vingt ans ou un peu plus, lui sourit et Brigitte cherche des pièces dans son porte-monnaie. Elle porte toujours des vêtements fleuris, une sorte de tunique à fleurs roses et vertes par dessus un collant noir épais, chaussures plates et montantes, de loin c’est étrange on dirait des Docs Martens. Elle est grande et un peu carrée Brigitte, des épaules. Un corps droit, rassurant, fait pour marcher des heures en ville ou pour vivre une vie de femme de village, l’enfance à passer devant le lavoir en pierre, ensuite aimer, se marier peut-être, sans doute – c’est mieux – et puis porter des enfants, dans le ventre et puis les bras et puis la tête pour tous les autres jours. On la suit en se demandant ce qu’elle fait, est-elle en vacances, en balade ici dans la ville gris clair ou venue travailler mais alors à quelle heure. Elle traverse la place en avalant le pain au chocolat, contourne le carrousel de la place Saint-Pierre ; Syndical, l’éléphant, a repris sa place bien sage sur le plateau qui tourne, entre trompe et pattes avant il embrasse une petite famille de jeunes gens avec jeunes enfants, elle s’arrête et les regarde un peu en coin. Des gens qu’elle connaît ou seulement parce que c’est loin derrière le temps. Et puis elle contourne le manège, passe devant les portes vitrées des Galeries, qui s’ouvrent toutes seules à son passage comme un appel muet ou une tentative d’avaler. Avance sur les dalles lisses dans le renfoncement à droite de l’église, marque un temps d’arrêt, hésitation, cherche du regard et se dirige vers une table en terrasse de l’Iguane Café. Elle embrasse sur les lèvres la jeune femme assise là. Elles ne boiront pas de Malibu-Ananas, partiront sous peu voir un film.

Ou alors elle débouche d’un porche, un matin, pas loin de chez le prof de piano. Grande, élancée presque, bien moins baraquée que dans le souvenir près du lavoir, elle marche vite, Brigitte. Une veste en cuir, jean, bottes (il pleut, à cet endroit) elle prend l’avenue de la République, à grandes enjambées, bouscule un jeune type avec une poussette, paraît vraiment pressée, sort un paquet de cigarettes, soupire du nez, cherche (un briquet) au fond de sa poche ; une fois le Bic bleu au creux de sa main (et toujours avancer vite) ouvre le paquet plein – défaire le plastique avec les dents, sans trop s’énerver pour ne pas perdre l’agilité du geste – et puis cet agacement à ne pas sortir facilement la première cigarette, qui toujours se conjugue avec la satisfaction de la plénitude exacte du paquet, elle glisse son nez dans l’odeur neuve du tabac, ignore les images de gisants en quadrichromie. Brigitte continue toujours tout droit à grande vitesse de pas à travers l’avenue jusqu’à franchir le pont, croiser, venant de la rivière le courant d’air sur le pont, le Bison Teint en contrebas, les passages piétons toujours plus longs qu’elle les imagine et enfin elle arrive au théâtre, Centre Dramatique National, juste à côté de l’hôtel Mercure, face au parc Micaud, là où la ville se croit bourgeoise.

Ou alors elle sort en vrac de la maison de retraite sur les quais, vêtue d’une robe grise un peu affaissée par la journée, traîne les pieds dans l’épuisement des mules en plastique coloré, tout le jour elle a marché marché d’un vieillard ramolli à un autre, chacun plus triste chaque geste plus dur à effectuer, chaque tache comme une exécution stérile. Son grand corps est devenu bas, presque invisible et rampant malgré l’ossature grande. Il y a dans son regard bleu l’effarant désespoir des derniers de cordées, l’humanité qui pleure sans une larme sur l’épaule de l’autre, sur le sort de l’autre. Alors Brigitte descend marcher sur les pavés au bord de l’eau, la pierre calcaire se reflète dans ses incertitudes et peu à peu la vue de l’eau lui lave l’esprit. Elle marche là au rythme paisible des canards, loin des aboiements des chiens errants, loin des oisifs buveurs de bière qui squattent de l’autre côté du pont. Seulement regarder le grand Bison Teint fier et triomphant dressé au milieu de la rivière, avancer pas à pas pour laisser derrière elle les misères du jour. Elle marche et remarche jusqu’au tunnel, l’endroit où il faut choisir entre suivre le canal entrant dans la montagne par une sorte de chemin sombre et humide bordé d’une barrière métallique froide, et monter jusqu’à la Citadelle tout en haut pour redescendre de l’autre côté retrouver la rivière à la Gare d’eau. Bien sûr elle prendra le tunnel Brigitte, et hésitera encore un peu à se jeter dans l’eau glacée du canal abrité des regards.

proposition n° 30

Dix-huit heures. Chacun sortait de cours, on arrivait en jetant son sac à dos aussi nonchalamment que possible le long du mur et on cherchait du regard ceux qu’on voulait retrouver. C’était l’heure des baisers d’adieu du soir, des baisers de retrouvailles du soir, des garçons appuyés entre les jambes des filles, quelle que soit la température les filles leurs fesses posées sur les rebords de fenêtres, d’un bâtiment si long qu’il laissait place pour cela aux jeunes générations dans leur entier, l’architecte avait bien pensé ces rebords de fenêtres en ciment, dénivelé idéal pour laisser pendre des cheveux de filles autour des têtes de garçons, ceux-ci ayant ainsi facilement leur nez dans des poitrines menues ou replètes, c’était agréable pour chacun, et mettre les mains autour des fesses. Le bâtiment était bien consentant pour ces baisers alignés sur lui ; moins les adultes qui le peuplaient, mais on le faisait quand même : la masse aidant, les adultes de dix-huit heures se terraient dans des renoncement de bureaux, attendant que l’heure des caresses passe. C’était des minutes qui s’égrenaient vite, celles d’une cigarette de célibataire ou d’un long baiser de langues, jamais dans les vies futures ne seraient aussi longs les baisers répétés de dix-huit heures, on faisait bien de profiter. On ne s’était presque pas approché de toute la journée ou alors on savait qu’on n’allait pas se revoir avant l’éternité du lendemain matin, toutes bonnes raisons de s’étaler dans ces sensualités d’embrasures, de combien de séductions peuvent-elles témoigner ces fenêtres depuis la construction, cinquante-quatre ans de baisers multipliés par une profusion de lycéens, quelle proportion de ceux qui fument et de ceux qui minoritaires lisent des livres, avant de devenir couple, avant d’être recrachés de nouveau dans la cohorte des célibataires et pour combien de temps jusqu’à la prochaine histoire brève ?

Dix-huit-heures cinq, il fallait être raisonnable, abandonner les fenêtres et leurs douceurs d’étreintes. Une lente transhumance adolescente commençait, comme un ruisseau remontant le flanc de la colline et se séparant en deux selon le sexe, à droite les filles à gauche les garçons, on remontait par des allées cimentées, des enchaînements d’escaliers et de replats, bordés de poteaux métalliques soutenant des toits pour abriter les troupeaux, et de basses haies pour les contenir. La remontée faisait un brouhaha, et on aimait à dire « brou-ha-ha-brou-ha-ha-brou-ha-ha-brou-ha-ha-brou-ha-ha-brou-ha-ha » à plusieurs jusqu’à l’entendre vraiment, le bruit du brouhaha délibéré et rire ensemble. Peu à peu la remontée unisexe ramenait chacun à une intimité de son genre. Fille, on dévisageait celle qui désormais sortait avec un tel, on témoignait brièvement d’avoir vu l’autre, délaissée, pleurer discrètement ; une commentait l’épilation d’une telle qu’on trouvait jolie pourtant, les sourcils épais – ses grands yeux de loup-garou ; on riait gras en n’évoquant qu’à moitié sous cape les pets du matin ou les ronflements de la cothurne, la manière de manger d’untel, l’odeur de la chambre, la pionne qui fronçait le nez en ouvrant la porte au réveil. Garçon on usait de sa grosse voix neuve pour faire résonner les toits les poteaux, on parlait un peu des fesses des filles, on lâchait bruyamment des préoccupations vaguement contenues la journée, on montrait aux autres qu’on savait parler de bites et de couilles pleines pour l’arrivée du week-end. Il fallait sûrement que chacun montre les forces de son âge et celles de son appartenance au genre ; peu osaient faire exception. Mais tous on avait les jambes lourdes d’être restés assis, lourde la tête de cet enfermement dans le ciment du lycée, lourd le cœur de devoir être captif pour la nuit, pesante la joie d’être avec tous tout le temps, étouffant ce quotidien d’horaires et de répétitions, le rythme compact, et bien épaisses les amitiés en chantier, leur poids en cacahuètes pour toute la vie à venir, en train de cimenter sédimenter à notre insu.

De part et d’autre, on s’agglutinait devant les portes des deux bâtiments identiques, quatre portes avec chacune un gros cylindre de métal de haut en bas pour poignée. Le métal usé dessinait des mappemondes vertes et dorées sur la rotondité du tube. Lourdes portes claquaient en faisant peur aux doigts, leurs vitres abîmées, grattées, même plus transparentes – des graveurs versatiles écrivaient ici comme partout où c’était possible des messages de jeunesse des prénoms des déclarations d’amour des bribes de nos passions éphémères des dessins obscènes – on éteignait même des mégots sur la vitre parfois pour voir – sur ces lourdes et pauvres portes que la pionne ou le pion du soir finissait par venir déverrouiller d’un gros trousseau bruissant de clés, et ouvrir en grand les battants jusqu’aux poteaux plantés là pour butée. Dix-huit heures dix, on entrait.

Ensuite c’était le hall carrelé et ses échos de chapelle, le long couloirs aux tout petits carreaux, longer les salles d’études et bruire d’une résonance collective dans la rumeur des escaliers. Au troisième étage le « dortoir » des terminales – une suite de chambres de quatre ou six lits de part et d’autre d’un couloir sombre à peine éclairé par des lampes « issue de secours » – commençait par une pièce donnant sur l’extérieur, habitée d’un évier et sans doute d’une vieille table, et nommée cordonnerie pour ses alignements de barres métalliques vouées au rangement des chaussures d’extérieur la nuit, des chaussons le jour, et ainsi de suite dans un balancement quotidien de pendule. La cordonnerie vivait au rythme de nos intimités rendues publiques par le matin, intimités plurielles qui s’effaçaient un peu devant l’arrivée des demi-pensionnaires aux cours de huit heures, tout le monde avait oublié les chaussons, ceux de l’internat comme ceux de la maison, et l’on était, tout le jour, chaussures ensemble, avant de redevenir nos différences nocturnes. Sur la vieille table de dix-huit heure douze – ou peut-être était-ce un bureau – la pionne – le pion jetaient leur cahier de pointage, comme un signal de dresseur de bêtes qui sait ce qui l’attend, et là commençait le moment intense où chacun grimpait sur l’autre et criait son nom pour être coché dans le registre, on devenait bestialité pure on régressait dans des sauvageries d’enfance quitte à avoir été bien sage et modèle toute la sainte journée, le pointage était un exutoire dont on n’aurait pu se passer, dont le lycée lui-même n’aurait pu se passer, il fallait bien décharger l’agressivité du jour, avant de pouvoir vite repartir, apaisés et apaisées, redescendre et rejoindre ceux de l’autre sexe, se rasseoir sur les appuis de fenêtre ou s’y tenir debout devant, fumer crânement et puis aller dîner en se tenant la main sous les réverbères, dans un réfectoire éclairé de néons blafards. Il était dix-huit heures quinze ou vingt, l’appel avait fait passage du jour à la nuit, du temps des cours à celui de la vie tout le monde avait traversé le Rubicon quotidien. On passait son plateau sur trois barres luisantes, on saluait les gens des cuisines dans un tintement d’assiettes. C’était l’heure de la bande, du repas, des rires, du ketchup-mayonnaise mélangé à tout, des répliques de films cent fois répétées, des moqueries parfois trop méchantes et qui faisaient mal. C’était l’heure de l’insouciance des premiers bonheurs, de ceux dont on ne sait pas encore qu’on va les perdre.

proposition n° 31

Les morts on ne les a pas connus dans la ville. On les a connu dans les vieux villages. La grand-mère qui était morte elle était couchée sur un lit, sur le dos, et comme elle voulait toujours rouvrir sa bouche dans sa mort, on lui avait mis des livres sous le menton, pour qu’elle tienne sa bouche fermée, et avec de la colle forte, non mais. Les livres en petite pile colorée sous le menton de la grand-mère, c’était le Petit Nicolas, le Petit Nicolas et les copains, les récrés du Petit Nicolas, les vacances du Petit Nicolas. Comme ça ça réjouissait tout le monde, peut-être que la grand-mère allait lire en cachette dans sa mort, la nuit pendant qu’on serait endormi, et peut-être que les vivants ils étaient plus contents, ou moins tristes, que la grand-mère elle ferme sa bouche avec le soutien du Petit Nicolas. Ensuite on pourrait enlever les livres et la colle forte garderait fermée la bouche de la grand-mère pour toujours. Et cette mort-là, on avait beaucoup prié, au village, dans la maison trois jours tout le monde défilait dans la salle à manger voûtée en pierre, c’est là que le lit avait été installé, avant ou après la mort de la grand-mère on ne sait plus, on a gardé l’image racontée de la grand-mère qui était morte en disant « le ciel est beau, bleu » en tournant la tête et ses yeux bleus aussi vers le ciel et c’était beau aussi comme phrase, dans ce lit, près de cette fenêtre. Les gens entraient dans la maison en parlant bas, on se tenait tous debout au bout du lit, en face de la grand-mère sérieuse – le Petit Nicolas avait été rangé, la colle forte suffisait maintenant – et on priait, priait, priait, et le tas de gens debout se transformait au fil de toute la journée mais on priait toujours, jamais on avait connu et dit autant de prières. Ensuite ça s’était corsé quand à l’église le grand-père avait dénoncé au curé, qu’on n’avait pas le droit de communier quand on n’était pas baptisé, mais toi tu la voulais l’hostie fondre dans ta bouche, et puis la mère s’était fâchée après le grand-père, c’est ça la mort prier prier pendant des jours mais n’être pas pour autant comme un invité dans les églises.

Plus tard au XXIe siècle on avait encore une fois gardé le mort dans la même maison, on n’avait pas prié parce qu’on avait vieilli, on priait plus, la mort de la grand-mère avait été la seule occasion de religion, dans des prières lancinantes qui essayaient de dire avec des je vous salue et des qui êtes aux cieux combien on avait aimé la grand-mère, comme une drôle de poésie qu’on récite parce que tout le monde le fait ensemble et ça fait un beau bourdonnement pour anesthésier les tristesses. Donc adulte on était venu vite faire les adieux au grand-père dans la grande cuisine, le TGV du matin, le cercueil par terre sur le lino, le pleurs et le beau tissu rose brillant au moment de fermer, il avait fallu dire au revoir à la maison et à toute une enfance qui s’échappait là, à la famille disloquée, à cette maison qu’on ne pourrait plus toucher du doigt, les larmes tombaient comme une pluie triste qui nettoie les souvenirs sur un pare-brise sans essuie-glace, et puis le TGV du soir pour revenir en ville.

En ville les morts se cachent, pour les trouver on prend un ascendeur qui devrait s’appeler un descenseur parce qu’il va au fond des chambres mortuaires des hôpitaux. On va dans des funérariums qui sont un peu comme des magasins de morts dans des zones commerciales. Il paraît qu’on n’a plus le droit de garder ses morts chez soi pour les prier pendant des jours, pour leur parler tous les jours jusqu’à ce qu’ils sentent trop mauvais. En anthropologie à la fac on avait parlé, un jour, d’une société qui garde ses morts très longtemps autour de la table pour que tout le monde soit bien, les morts et les vivants ensemble. Une fois on avait vu un oncle mort bien propre dans un funérarium, c’était vraiment étrange cette petite pièce comme dans un musée pour morts, on vous les présentait, presque une installation d’art contemporain, rien à voir avec l’intimité des morts du vieux village. Tu n’aimerais pas du tout qu’on te prenne tes morts pour les mettre dans cette boîte avant l’autre. Les morts sur présentoirs n’ont pas de livres à lire, c’est pire que toutes les obscénités que fait la mort matérielle et triviale, c’est faire croire qu’on pourrait y comprendre quelque chose, ouvrir une porte neuve, mettre un costume et un bouquet de fleur et puis refermer, arriver sur un parking et se dire il est mort.

On pourrait plutôt marcher sans fin dans ce cimetière dans Queens à New-York, parmi les tombes en pierre, c’est très beau la pierre lorsqu’elle pousse spontanément dans l’herbe, marcher là où les morts sont lointains et portent des noms d’auteurs à succès. Autour du cimetière Machpelah à Ridgewood il y a des grandes avenues avec des bus qui roulent vite. Mais au dedans les morts sont tranquilles, on pourrait encore une fois enfiler des baskets et courir parmi les morts en écoutant de la musique, New York’s my home de Ray Charles par exemple, ce serait vraiment bien avec du soleil et l’air du matin. Mais comme la mort le temps a raviné, tout sur son passage, on n’est plus à New-York ni là-bas dans ces villes du passé, ni dans le vieux village à prier ou à jouer à la fontaine de la maison qu’on ne verra plus, ni à rouler à grand vélo sur les chemins. On est là et c’est aujourd’hui qui est toujours plus transparent qu’hier.

proposition n° 32

Ciels de nuit, cimetière train, faire l’amour sur une tombe sous ciel nuit avec des étoiles filant sans aucune gare où s’arrêter où crier.

Dans nos rêves de ville il y avait le bruit d’un train énorme passant dans le ciel la nuit. En dessous dans la ville c’était une odeur d’effroi, une tension qui montait et qui donnait envie de faire l’amour. Alors les gens se sont couchés à même les tombes parce que les morts étaient calmes et pudiques, ils s‘en fichaient bien, suffisait de tourner la tête ou de lire un livre, penser à autre chose. Le ballast était tout près de nos oreilles, morceaux du ciel gris d’orage avec des échos bleutés des roues sur les rails. La maquette de la ville faisait comme une répétition de petits entonnoirs à nuit, ça coulait de la nuit partout sur la ville, comme si le ciel noir fondait dans une chaleur de four, comme un chocolat au fond d’un sac. On essayait d’empêcher toute cette noirceur qui dégoulinait, mais rien à faire, même les chiens-assis aboyant et montrant leurs dents n’y pouvaient mais, la nuit coulante n’avait pas peur, elle descendait comme un fromage épais sur le bord d’une assiette. Seules nos gouttières amies tentaient de glisser la nuit directement dans les caniveaux, dans les égouts de la ville, mais là les rats noirs repoussaient la nuit qui prudente remontait directement dans les rues, les cafés, les terrasses étaient pleines de cette nuit pâteuse et de ce ciel avec son ventre descendu, son ventre pendant sur le nez de la ville comme un balcon fissuré ou un fil électrique qui se décroche et peu à peu descend. Cette nuit dégoulinante faisait peur à beaucoup mais toi elle te faisait sentir libre, libre de partir loin de quitter la planète en grimpant sur une gouttière la barrière d’une loggia ouverte et d’être aspirée par le ciel plafond noir ouvert aux infinis. Le ciel plafond clair était fermé pour tous les jours, tandis que le ciel plafond noir libérait nos regards au moins jusqu’aux étoiles, peut-être plus en regardant bien et longtemps.

Dans nos cauchemars de ville le ciel était plein de nos morts, ils étaient montés direct par ascenseur, même Syndical l’éléphant avait quitté le carrousel de la place Saint-Pierre, ce toponyme ne peut d’ailleurs être hasardeux. Les morts proches retrouvaient les flamants roses agonisés, c’était triste à mourir. La peur de la mort des autres est-elle arrivée avec la nuit ou bien plutôt avec le temps qui passe sous chaque ciel comme un time lapse de nuages, elle est arrivée après la ville, elle est arrivée avec le grand ravage, les caries dans la mémoire et cette mélancolie périmée qu’on appelle la nostalgie. L’angoisse grossie du ciel, ou le ciel grossi de toutes les angoisses, son ventre près d’exploser, à se griffer sur les cheminées et les toits rouges pointus de la ville, un désespoir liquide coulerait là partout dans les rues, crue centenale qui remplirait tout des eaux troubles du chagrin. Seuls quelques lapins allumeurs de réverbères sauraient nager sur cette vague grossie des larmes de chacun, jusqu’à chercher la bonde et plonger pour défaire le bouchon, attendre l’évacuation.

Au sec peu à peu le ciel reluirait à nouveau, à nouveau les reflets dans l’eau changeante, la moire du soleil sur les surfaces, le passé qui dit vert feuillage dont la lumière s’ébroue, qui dit quais, pelouses, pavés, colossale façade jusqu’à la rue, parapet pour ne pas laisser tomber le piéton à l’eau, encore les toits, les petites tuiles sur les grands pans des toits, rectitudes, perspectives et similitudes, et toujours ce ciel gris clair et doux. Le passé dit l’avenir, les lignes de fuite, dans le sens du courant. La rivière grosse. Le quai en pierre, colossale façade jusqu’à la rue, parapet pour ne pas laisser tomber le piéton à l’eau. Les pavés du quai, avec les herbes qui poussent entre. Au loin la cité universitaire, l’autre pont. Tout ce gris, et le ciel qui sèche sur un fil tendu. A gauche les terrasses, dix mètres au dessus de l’eau ; café, restaurant, les tables et les chaises au dehors l’été. Des gens attablés boivent des bières ou d’autres boissons à bulles, sous des parasols publicitaires. Les arcades, en pierre encore. Puis les toits, rouges. Les petites tuiles sur les grands pans des toits. Les chiens assis, leurs petites toitures qui s’avancent, gentilles. Le long de la rivière, les bâtiments longs, perspectives et rectitude. Façades, fenêtres, toujours ce gris clair et doux, lumineux. L’orage est terminé, le ciel sourit aux arbres, il a déchargé ses angoisses. Le temps est passé sous le pont.

proposition n° 33

Et puis on a retrouvé la ville. On a soufflé sur les cendres, les strates du temps soulevées par l’air libre et nu de nos vingt ans, et d’un coup on a vu dans les intérieurs. On a vu ceux qui montent les escaliers du musée et qui se coulent des sinueux regards entre les toiles, ceux qui prennent là des images à mettre en stock dans l’imaginaire pour voir le monde autrement plus beau. On a vu l’arrière boutique du cordonnier, l’odeur du cuir et celle des années de marche, les poinçons, tous les outils et au sol le ciment piqué qui rappelait l’enfance toute petite, l’homme qui entre avec une bottine et un air préoccupé, le cordonnier qui regarde attentivement la bottine en faisant la moue. On a vu ceux qui transpirent en cuisine pour sortir des viandes rôties mêlées de jus et de légumes, des soupes et des assiettes brillantes, ceux qui courent pour les porter à ceux qui assis attendent et boivent. On a vu les stocks des magasins de vêtements, des piles et des piles de pulls de pantalons emprisonnés dans du plastique ou du carton, une mer de cintres qui vont et viennent sous des néons agressifs, et des femmes d’âges divers qui s’agitent autour de cartons profonds comme des lacs. On a vu derrière certaines fenêtres la silhouette découpée de celle, jamais celui, qui s’occupe, qui prend soin d’un vieux, d’une vieille, qui meurt en soupirant, qui meurt en attendant, patiemment, de mourir. On a vu derrière les hauts murs les beaux appartements, le parquet, les affaires des gens partis en Italie et jamais rentrés. On a vu les arrières boutiques des bijouteries avec les lumières sombres qui abritent milles boîtes mystérieuses, l’œil des chalands attiré, apprivoisé, comme retenu par la vitrine. On a vu l’atelier de l’accordeur de piano, le vieux Pleyel ouvert et ses cordes anciennes, un Gaveau, sa plaque de fonte flambante et tout ce bois, promesses de longues heures à répéter des phrases qui chantent des histoires inimaginables autrement. On a vu le jeune serveur qui balaie le fond du bar sombre, le parquet collant des beuveries de la veille en chantant une vieille chanson paillarde. On a vu l’arrière-salle de la rôtisserie, avec les volailles livrées le matin même, d’anciens animaux vivants avec une vie sommaire et brève. On a vu les cartons ouverts d’une main agile, derrière le comptoir du magasin de kebab, et dedans les bouteilles de sauce alignées comme des sœurs. On a vu la femme du buraliste qui crie sur son enfant de bon matin, qu’il se lève et aille à l’école ! On a entendu le clinquant des verres à la brasserie de l’hôtel de ville et le bruit assourdi, au plus profond de l’immeuble, du réveil du chauffeur de bus qui n’arrive pas à émerger et qui va être en retard. On a vu la vendeuse des Galeries Lafayette qui ouvre le rideau métallique du magasin et remet sa caisse en ordre. On a vu enfin le vieil homme, assis sur un fauteuil, qui tient dans ses bras un flamant rose près à s’éteindre. Debout à côté de lui une petite fille, cinq ans, blonde et bouclée, regarde de ses yeux ronds la photo encadrée d’un éléphant.

Et dans la rue le crissement des pneus du bus trop pressé qui évite de justesse le fils de la buraliste qui traverse en courant pour aller à l’école !

proposition n° 34

Ouest. A l’ouest on reviendrait dans vingt ans de plus et il y aurait quoi, des immeubles effilés, de l’herbe verte et grasse comme tous les Ouest, on monterait sur la colline et on verrait de loin le ciel, la lune douce comme en plein jour et des vols de canards sauvages. Il y aurait une grande roue perchée là pour tenir le ciel entre nos mains, des manèges à caresser les nuages sous le ventre, de là on verrait tous les toits de la ville vieille, toujours bien rouges et pimpants pointus rieurs, le gris des murs, on verrait de loin les grandes familles de gouttières et leurs descentes verticales, plus ou moins tordues, plus ou moins rafistolées avec du scotch, des agrafes et des morceaux de ficelle, elles continuent éternellement à chuchoter dans la ville pour la faire vivre d’une intimité, raconter l’histoire de ceux et celles qui y ont vécu, raconter tendrement la ville et ses insanités, la ville et ses avanies, la ville et ses perplexités, la ville ses nouveautés ses joies simples. La ville à l’ouest dit les futurs enthousiasmants, les beaux immeubles construits par des architectes un peu sophistes, une ville de pistes cyclables et des prairies urbaines, une ville avec des ruches et des potagers au cœur, des enfants qui courent plus vite et des vieux qui survivent bien. A l’ouest dans vingt ans l’air est moins vicié qu’ailleurs, il y a des arbres et des fontaines. Aujourd’hui à l’ouest il y a arriver de la gare et trouver une esplanade bordée de tôles rouillées dressées debout pour faire un goulot vers lequel descendent les passants, il y a un monument sur lequel il est interdit de marcher, il y a ce parc des Glacis qui descend en pente douce depuis les remparts et donne à voir la tendresse et la tranquillité d’une ville de toits rouges, c’est tellement tranquille une ville quand on la regarde du haut de ses remparts en commençant par ses toits, quand on descend il y a un grand chien peint sur une façade et qui tient entre ses dents un oiseau mort, au bas du mur les pattes du chien ont été un peu dégradées alors quelqu’un lui a repeint des pattes propres, le chien a un air tendre et doux pour un chien qui vient de tuer un oiseau, il a des grands yeux de gentil toutou mais l’oiseau n’en est pas davantage vivant. La ville est à l’image de ce chien et le chien est à l’image de cette ville, qui est l’oiseau ?

Sud. Au sud il y a une porte taillée dans la pierre pour entrer dans la ville. Lorsqu’on sort par là on débouche très vite sur la nature pleine, la route conduit à un plateau fait de prés, de combes et d’affleurements calcaires. Et des sapins. Lorsqu’on entre par ce côté la ville est belle, belle comme une ville vieille avec ses pavés, ses bâtiments désaffectés de ville industrielle. En passant par là tu ne sais plus si tes yeux savent voir, tu ne sais plus ce que tes yeux ont vu. L’impression visuelle de la ville au présent n’a pas l’air de demeurer sur ta rétine. Comment marche une ville qui n’a pas d’empreinte ? Le jour se lève sur le souvenir de la ruelle qui se déhanche. Quelqu’un a tricoté des pulls pour les gouttières, pour les tuyaux des murs, même pour les barreaux aux fenêtres ; tous sont habillés de tricot, et aucun ne semble y trouver rien à redire. Ils se regardent dans les vitres des fenêtres en penchant la tête d’un côté puis de l’autre pour mieux voir, ou pour prendre une pose avantageuse. Ce quartier est plein d’herbes folles, de plantes sauvages et d’urbains tricots. Les pavés ressemblent à des champs, les fontaines sont comme des vaches en chaleur en plein été. Le bus qui passe fait le bruit du camion de lait venant chercher la production journalière pour la coopérative, la fruitière. Le macadam est fait de ces belles herbes grasses qui donnent leur goût au fromage. Les chats sont des chats de ferme.

Non, la ville n’a rien de champêtre à cet endroit. Et puis si ; c’est la campagne à la ville. Et non, c’est l’endroit le plus urbain. Personne ne sait. Qui peut dire ce qui se dégage de ce quartier au juste ? L’image intérieure est précise, mais l’impression d’ensemble ne peut être attrapée, elle vole parmi nos nuages, nos rites ancestraux, parmi ce qui s’est passé avant et ce qui se passera après. C’est tellement là que tout se passe, dans le nulle part. Nulle place ne peut nous dire qui nous sommes. Et pourtant nous ne cessons de demander à la fontaine, comme si elle était la pythie à Delphes. Les murs nous regardent. Les gouttières chaudement habillées même en plein été cherchent à nous donner la clé du mystère, mais leurs mains sont coupées et ne peuvent plus rien tendre. Peut-on être ici et ailleurs à la fois. Tendre avec l’un et l’autre les cordes du soleil. Qui a pu vivre, vivra. La ville est un sombrero qui coiffe nos têtes d’étrangeté.

Nord. Vers le Nord rien n’est beau. Il y a le lycée et puis la rue Chopin, c’est le quartier du souterrain où l’on se tenait la main, du bistrot avec les blanc-pommes de neuf heures. Le lycée, lorsqu’on passe devant vingt-cinq ans plus tard, est une barre grise et inhospitalière, inhospitalière au point que quelqu’un a empli les appuis de fenêtres de barrières pour que personne, jamais plus personne ne puisse y poser ses fesses, s’y affaisser, s’y endormir, s’y embrasser ou simplement jeter son sac là. Que devient un monde où l’on chasse les adolescents comme des pigeons ? Est-ce que la ville traite la jeunesse comme nuisible ? Que font-ils dans cette cour immense, renvoyés à leur condition d’êtres debout – s’asseoir au sol doit être interdit bien sûr. Bien sûr nous vivions des récrés entières en cercle discutant, nous regardant nous respirant nous jaugeant, mais les fenêtres nous tendaient leurs appuis en cas de lassitude ou si la stagnation forcée dans ce devant la barre grise devenait trop inconfortable.

Et si l’on quitte la ville par ce chemin – ce n’est pas un chemin, c’est une route, mais est-ce que route suffit pour dire le large ruban gris à pointillés blancs des villes, c’était par là qu’il fallait découper la ville pour en faire une construction géométrique en trois dimensions, une maquette de ville et plier coller recoller les bords pour que ça tienne tant bien que mal sans toucher partout avec les doigts plein de colle sinon le résultat était bien moins probant – ce boulevard donc peu à peu transformé en route nationale qui conduit dans la vallée, une vallée aux courbes tendres habillée de maisons laides, si l’on s’aventure ici le regard doit d’abord endurer une foule de ces hangars boîtes métalliques panneaux pile de parpaings planches matériaux de construction de toutes familles zone artisanale et commerciale d’une beauté aride qui finit par faire pleurer les yeux fissure le cœur et modifie la texture de l’air, de tant d’urbain désespoir. Le pisciniste piscinier piscineur est toujours là où commence la plaine, juste en face de la piscine justement qui elle n’est plus ouverte, l’ancienne grande piscine au milieu de l’herbe comme un coquillage fermé sur une plage déserte, de sable gris.

Est. L’est est encombré de maisonnettes sombres avec des lucarnes assises sur leurs toits. Les rues ont voyagé un peu partout depuis le Moyen-Age, si bien qu’elles n’ont pas eu le temps d’installer le tout-à-l’égout. Les oreilles de la ville à l’Est sont des épluchures de pomme de terre. Le nez de la ville à l’Est est une crotte de chien. Les yeux de la ville à l’Est sont deux flaques d’eau grasse. Des rats aimables dansent dans les impasses. La ville à l’Est ne laisse pas d’espérance. Ses habitants ont depuis longtemps lâché la cordée. Ils vivent entre eux, avec leurs souvenirs de pays lointains, et accueillent parfois de nouveaux venus. Ensemble ils forment un peuple périphérique, contraint dans son quotidien, soumis à des lois invisibles d’une dureté sans appel, des lois auxquelles se soumettre est incontournable et ressemble à s’aimer mal soi-même. Personne n’a écrit cette histoire et pourtant tout le monde.
Dans cette ville de l’est il y a une petite fille qui grandit avec les rats et les souris. Son compagnon de jeu est un enfant nain qui ne voit que d’un œil – l’autre est blanc mais rien n’effraie la petite fille. Cet enfant nain disparaîtra dans à peine quelques années. L’histoire raconte que la petite fille qui grandit un jour découvrira ce qu’il se passe à l’Ouest, se fâchera toute rouge et décidera de transformer le monde et les choses de la ville. A force de ne pas y arriver elle quittera l’Est pour aller voir ailleurs s’il y a des rats, trouvera d’autres Est pleins de fumée et de poussière noire, dans lesquels des enfants nains borgnes disparaissent au jour le jour.

La petite fille qui grandit se souvient d’avoir couru dans une ruelle pavée sous le grondement d’un avion de chasse. C’est la seule chose véritablement effrayante pour la petite fille qui grandit, le bruit des avions de chasse. Elle avait couru très très vite dans une robe rouge, avec des pieds se posant là où c’était possible, là où il y avait de la place, là où tombaient les pieds avec l’espoir bien serré de ne pas glisser cette fois ni cette fois encore. Le cœur et le ventre se bousculent dans les intérieurs quand passe un avion de chasse. Avion de chasse avion de chasse avion de chasse, ça crie dans la tête, le grondement arrive de loin mais vite, devient un énorme barrissement, la grossissement d’un son c’est bien le pire cauchemar, l’avion traîne son bruit atroce, à l’intérieur de la petite fille tout le monde pense qu’il va mourir, et puis le bruit repart comme un orage qui a envie de d’arrêter sur nos têtes mais que le vent empêche de. Parfois il y a même une détonation d’avion qui passe le mur du son, pire que pire. La petite fille est blonde avec des boucles.

proposition n° 35

Ouest. A l’ouest on reviendrait dans vingt-cinq ans de plus et il y aurait quoi, des immeubles effilés avec des traces de ruissellement le long des murs, de l’herbe verte et grasse comme tous les Ouest, on monterait sur la colline et on verrait de loin le ciel, la lune douce comme en plein jour et des vols de canards sauvages. Il y aurait une grande roue un peu rouillée perchée là pour tenir le ciel entre nos mains, des manèges à caresser les nuages sous le ventre, de là on verrait tous les toits de la ville toujours vieille, les toits rouges comme des gencives de vieillards et pointus, le gris des murs, on verrait de loin les grandes familles de gouttières et leurs descentes verticales, de plus en plus tordues, plus ou moins rafistolées avec du scotch, des agrafes et des morceaux de ficelle, elles continuent éternellement à chuchoter dans la ville pour la faire vivre d’une intimité, raconter l’histoire de ceux et celles qui y ont vécu, raconter tendrement la ville et ses insanités, la ville et ses avanies, la ville et ses perplexités, la ville ses nouveautés déjà fanées, ses joies simples. La ville à l’ouest dit d’autres futurs enthousiasmants, les beaux immeubles construits par des architectes un peu sophistes, une ville de pistes cyclables et des prairies urbaines, une ville avec des ruches et des potagers au cœur, des enfants qui courent plus vite et des vieux qui survivent bien. A l’ouest dans vingt ans l’air est moins vicié qu’ailleurs, il y a des arbres et des fontaines. A l’ouest demain arriver de la gare et trouver la même esplanade bordée de tôles rouillées dressées debout pour faire un goulot vers lequel continuent de descendre les passants, un monument sur lequel il est toujours interdit de marcher, ce parc des Glacis qui descend encore et encore en pente douce depuis les remparts et donne à voir la tendresse et la tranquillité d’une ville de toits rouges. Est-ce tellement tranquille une ville quand on la regarde du haut de ses remparts en commençant par ses toits ? Quand on descend il y a ce grand chien délavé sur une façade et qui tient entre ses dents un oiseau mort, au bas du mur les pattes du chien ont été dégradées plus personne pour lui a repeindre des pattes propres, le chien a un air tendre et fatigué pour un chien qui vient de tuer un oiseau, il a des grands yeux gentils mais l’oiseau n’est pas ressuscité. La ville est le chien, nous sommes l’oiseau.

Sud. Au sud il y a une porte taillée dans la pierre pour entrer dans la ville, la pierre se recouvre de mousse. Lorsqu’on sort par là on débouche très vite sur la nature pleine, la route conduit à un plateau fait de prés, de lotissements, de combes et d’affleurements calcaires. Et des sapins. Et des routes à quatre voies. Lorsqu’on entre par ce côté la ville est belle, belle comme une ville vieille avec ses pavés, ses bâtiments désaffectés réaffectés en structures culturelles artistiques polyvalentes. En passant par là tu ne sais plus voir, tu regardes où tu peux, à des endroits de détails. C’est cette empreinte là qu’il va rester, et la ville n’est pas autre chose. Le jour se lève sur le souvenir de la ruelle qui se déhanche. Quelqu’un a brûlé les pulls pour les gouttières, pour les tuyaux des murs, même pour les barreaux aux fenêtres ; tous sont habillés de tricot grillé, il y a des fils de laine roussie qui dépasse un peu partout, et aucun ne semble y trouver rien à redire. Ce quartier est plein d’herbes folles, de plantes sauvages et d’urbains tricots. Les pavés ressemblent à des champs, les fontaines sont comme des vaches en chaleur en plein été. Le bus qui passe fait le bruit du camion de lait venant chercher la production journalière pour la coopérative, la fruitière. Le macadam est fait de ces belles herbes grasses qui donnent leur goût au fromage. Les chats sont des chats de ferme. La ville champêtre reste au moins le cœur.

La ville ne sait plus qui elle est, champêtre friche urbaine, tout cela à la fois. Qui peut dire à la ville ? L’image intérieure est précise, détaillée, mais l’impression d’ensemble ne peut être attrapée, elle vole parmi les gros nuages gris, elle gît au fond de nos rites, parmi ce qui s’est passé avant et ce qui se passera après. Tout se passe, dans le nulle part. Nulle place ne peut nous dire qui nous sommes. Les hommes ne cessent de demander à la fontaine, comme si elle était la pythie à Delphes. Les murs les regardent. Les gouttières amères cherchent à nous donner la clé du mystère, mais leurs mains sont coupées et se taisent. Une vie vaut mieux que deux tu verras. La ville est un sombrero qui coiffe nos têtes d’étrangeté.

Nord. Vers le Nord rien n’est beau. Il y a le lycée et puis la rue Chopin, c’est le quartier du souterrain où l’on se tenait la main, du bistrot avec les blanc-pommes de neuf heures. Le lycée, lorsqu’on passe devant vingt-cinq ans plus tard, est une barre grise et inhospitalière, inhospitalière au point que quelqu’un a empli les appuis de fenêtres de barrières pour que personne, jamais plus personne ne puisse y poser ses fesses, s’y affaisser, s’y endormir, s’y embrasser ou simplement jeter son sac là. Que devient un monde où l’on chasse les adolescents comme des pigeons ? Est-ce que la ville traite la jeunesse comme nuisible ? Que font-ils dans cette cour immense, renvoyés à leur condition d’êtres debout – s’asseoir au sol doit être interdit bien sûr. Qu’a-t-on fait du désir des jeunesses ?

Et si l’on quitte la ville par ce chemin – ce n’est pas un chemin, c’est une route, c’est-à-dire le large ruban gris à pointillés blancs des villes, par où il fallait découper bien proprement la ville pour en faire une construction géométrique en trois dimensions, une maquette de ville et plier coller recoller les bords pour que ça tienne, quelqu’un d’ailleurs a tenté de construire la ville mais ce quelqu’un a touché partout avec les doigts plein de colle et le résultat c’est que la ville a débordé tout autour, là où le boulevard se transformait en route et la ville en campagne, la ville se transforme en ville après la ville, en ville entre la ville et le village suivant, on ne distingue plus la vallée, si l’on s’aventure ici le regard ne cesse d’endurer une foule de ces hangars boîtes métalliques panneaux pile de parpaings planches matériaux de construction de toutes familles zone artisanale et commerciale d’une beauté aride mais nos yeux sont habitués, plus rien ne trouble l’urbain désespoir, la modification est achevée. Le pisciniste piscinier piscineur est toujours là où commence la plaine, juste en face de la piscine justement qui elle n’est plus ouverte, l’ancienne grande piscine au milieu de l’herbe comme un coquillage fermé sur une plage déserte, de sable gris. Ça sent le c’est fini.

Est. L’est a vieilli encombré de maisonnettes sombres avec des lucarnes assises sur leurs toits. Les rues ont terminé leurs voyages, elles défont leurs valises et peu à peu réapprennent à vivre ici dans le bazar de détritus. Les oreilles de la ville à l’Est sont des épluchures de pomme de terre. Le nez de la ville à l’Est est une crotte de chien. Les yeux de la ville à l’Est sont deux flaques d’eau grasse. Des rats aimables dansent dans les impasses. La ville à l’Est ne laisse pas d’espérance. Ses habitants vivent entre eux, ont oublié les pays lointains, accueillent sans cesse de nouveaux venus encore mouillés d’eau salée. Ensemble ils forment un peuple périphérique, une cordée contrainte dans son quotidien, chargée de ce que les autres n’ont plus voulu faire, pris par des règles invisibles auxquelles se soumettre est incontournable et ressemble à s’aimer mal soi-même. L’histoire n’est jamais écrite et pourtant tout le monde.
Dans cette ville de l’est il y a toujours une petite fille qui grandit avec les rats et les souris. Son compagnon de jeu est un enfant nain qui n’a qu’un œil mais rien n’effraie la petite fille. L’enfant nain disparaît aussi vite. Un jour la petite fille découvre ce qu’il se passe à l’Ouest, se fâche toute rouge et décide de transformer le monde et les choses de la ville. A force de ne pas y arriver elle quitte l’Est pour aller voir ailleurs s’il y a des rats, trouve d’autres Est pleins de fumée et de poussière noire, dans lesquels des enfants nains borgnes continuent de disparaître. Alors elle écrit un livre.

Adolescente la petite fille qui grandit se souvient d’avoir couru dans une ruelle pavée sous le grondement d’un avion de chasse. C’est la seule chose véritablement effrayante pour la petite fille adolescente qui grandit, le bruit des avions de chasse. Elle avait couru très très vite dans une robe rouge, avec des pieds se posant là où c’était possible, là où il y avait de la place, là où tombaient les pieds avec l’espoir bien serré de ne pas glisser cette fois ni cette fois encore. Le cœur et le ventre se bousculent dans les intérieurs quand passe un avion de chasse, et c’est toujours comme ça aujourd’hui. Avion de chasse avion de chasse avion de chasse, ça crie dans la tête, le grondement arrive de loin mais vite, devient un énorme barrissement, la grossissement d’un son c’est le pire cauchemar, l’avion traîne son bruit atroce, à l’intérieur de la petite fille adolescente qui grandit tout le monde pense qu’il va mourir, et puis le bruit repart comme un orage qui a envie de s’arrêter sur nos têtes. Parfois il y a même une détonation d’avion qui passe le mur du son, pire que pire. En quelques années, les angoisses décuplées. La petite fille adolescente a grossi, elle a des cheveux blonds, ternes et poussiéreux.

proposition n° 36

Ouest. Il entre par l’ouest aperçoit des immeubles effilés qui ruissellent le long des collines de l’herbe verte et déjà mâchée le ciel la Lune douce et un vol clairsemé de flamants roses. Une grande roue blafarde invite à grimper gratter le ventre des nuages, des fois que comme le chat ils se retournent sur le dos. Stefan Golam décide de monter. De là haut il verra tous les toits de la ville toujours vieille les toits rouges comme des gencives de vieillards et pointus le gris des murs il verra de loin les grandes familles de gouttières et leurs descentes verticale rafistolées avec du scotch des agrafes et des morceaux de ficelle il les entendra chuchoter dans la ville pour la faire vivre d’une intimité raconter l’histoire de ceux et celles qui y ont vécu raconter tendrement la ville et ses insanités la ville et ses avanies la ville et ses perplexités la ville ses nouveautés déjà fanées ses joies simples. Les gouttières racontent la ville aux nouveaux venus mais pas un mot des flamants roses. Ma mémoire est une tombe indécise dit Stefan en haut de la grande roue.

Sud. C’est par le Sud qu’ils sont arrivés. Ceux du Haut avec cet accent éteint cet accent qui sent la fromagerie qui sent précisément la sangle de bois de sapin autour du fromage. Ils descendent avec du petit lait, du caillé de vache et dégomment les flamants. Ils arrivent par la porte taillée la belle porte que la pierre recouvre de mousse. Ils arrivent de la nature pleine des plateaux herbeux des prés bordés de sapins et de lotissements de combes et d’affleurements calcaires de routes à quatre voies. Ils trouvent la ville belle et ne voient pas pourquoi elle se laisserait envahir de flamants roses qui n’ont rien à faire dans une ville de cette latitude c’est vrai les habitudes. La ville belle belle comme une ville vieille avec ses pavés. Pas de pavés pour les flamants roses. Ils ont croisé le premier dans la ruelle qui se déhanche. Le flamant est arrivé nonchalamment regardant à gauche et à droite les tricots urbains. Le premier a sorti de sous son manteau un bol. Le second portait un seau. Le troisième de sa louche a rempli le bol. Le lait caillé du matin, suffisait d’en remplir un seau et venir là. Le flamant a reniflé le petit lait ; le flamant a trempé son long bec dans le bol pas si profond. Et il est reparti en titubant un peu sur les pavés en direction du Pont Battant.

Nord. Le deuxième ils l’ont eu au Nord. Dans le souterrain près du lycée Pergaud. Le bol le seau la louche. Pas besoin d’en dire plus. Le flamant barbouillé est reparti en bus jusqu’à la place Saint-Pierre se disant que les gens du coin sont bien accueillants de faire goûter ainsi les spécialités locales. Il est reparti sans un regard pour le lycée la cour du lycée ses fenêtres obstruées. Sans un regard pour les adolescents semblables à des pigeons dans la grande cour bétonnée.

Est. C’est dans le vieil Est que Stefan Golam a trouvé le troisième flamant. L’est est encombré de maisonnettes sombres avec des lucarnes assises sur leurs toits. Les rues ont terminé leurs voyages, elles défont leurs valises. Stefan a retrouvé le bol la louche le seau l’odeur du caillé mais aucune trace de Ceux du Haut. Il travaille depuis si longtemps aux frontières que des Différents ils en a vu pas mal alors des flamants pourquoi leur faire du mal. Ça lui fait monter les larmes au cœur cet oiseau allongé dans sa peine. C’est à ce moment là que la petite est arrivée en criant avion de chasse avion de chasse avion de chasse. Elle s’appelle Gaïa Mirador et sa robe rouge a effleuré l’aile du flamant étendu sur le pavé sale. Elle crève de faim et mangerait bien une cuisse de flamant rose maintenant qu’il est mort. Dans la cordée ils trouveront bien quelqu’un qui sait cuire le flamant. Ma mémoire est un sac de terre lourde qui colle à mes pieds nus et ralentit ma fuite, dit Gaïa en prenant la main de Stefan.

proposition n° 37

Les voilà qui traversent la cordée d’une traite. Stefan et Gaïa, vieil homme courbé et petite fille pieds nus en robe rouge. Mais main dans la main. Ils traversent un appartement sauvage avec de jeunes gens vautrés riant dans des canapés salis, ils traversent la grande pièce à vivre de la buraliste qui engueule son fils en portant la main à son cœur qui bat de peur de la mort de l’enfant, ils traversent l’ancien appartement de la rue des Frères Mercier précisément la pièce sombre et humide au rez-de-chaussée, puis ils s’enfilent curieusement dans la mansarde du prof de piano c’est gris plein de toiles d’araignées avec un pendu qui oscille doucement dans le courant d’air, ils traversent des ruelles pleines d’air qui débouchent dans les maisons de la cordée – ou plutôt les maisons débouchent parfois dans des ruelles pleines d’air et ça passe on est de nouveau à l’abri, ils traversent le cinéma Victor Hugo c’est drôle comme nom pour un cinéma Victor Hugo, ils traversent le studio du serveur sétois qui raconte à son ami le flamant rose ramassé ce matin les deux jeunes hommes sont en train de faire à manger debout dans la minuscule kitchenette buvant un verre de vin rouge et se comptant leur journée sur leurs doigts, ils traversent aussi la chambre du réparateur de gouttière, allongé sur un grand lit de bois sombre il délire dans son sommeil sa femme lève les yeux au ciel mille ans qu’elle entend ces histoires de gouttières qui chuchotent les affaires de la ville il rêve de ses tuyaux le jour et la nuit, ils traversent le bureau de l’homme penché sur son ordinateur qui fait défiler des articles sur la mort récente de quelques flamants roses dans cette bonne ville qui n’aurait jamais du les accueillir, ils traversent un salon voûté tout en pierre on dirait une cave et passent sur la pointe des pieds à côté du lit d’une grand-mère qui paraît dormir avec une pile de livres sous le menton c’est qui Le Petit Nicolas dis tu me liras un livre demande Gaïa, ils débouchent soudain sur un petit parc où joue le fils de la buraliste perché droit sur un tourniquet pendant que deux adolescents s’embrassent dans un coin, et là au coin du parc il y a trois hommes vêtus de noir comme là-haut sur le banc ils ont posé louche seau bol, Stefan et Gaïa traversent le porche et s’engouffrent en enfilade dans la pièce unique où se tient le vieil homme assis sur un fauteuil et dans ses bras un flamant rose près à s’éteindre, debout à côté de lui une petite fille, cinq ans, blonde et bouclée, regarde de ses yeux ronds la photo encadrée d’un éléphant. Stefan et Gaïa s’arrêtent net devant leurs doubles propres et interloqués.

proposition n° 38

Attention. Il ne s’agit pas de raconter l’histoire de toutes les Brigitte, il ne s’agit pas d’écrire le livre de la fontaine dont le calcaire a été effacé par le temps, il ne s’agit pas de dire de Besançon qu’elle est jolie, il ne s’agit pas de raconter des histoires de jeunesse, il ne s’agit pas de rêver éveillé, il ne s’agit pas de faire l’élégie des gouttières (quoique), il ne s’agit pas d’écrire pour moins souffrir de vieillir, il ne s’agit pas d’intituler « le temps a goût de tragédie », ou bien « la vie est un lent séisme », il ne s’agit pas de se demander où est la jeunesse dans la ville d’aujourd’hui, il ne s’agit pas de rattraper par la peau du dos une époque envolée, il ne s’agit pas d’écrire la biographie de Gaïa Mirador ou celle de Stefan Golam, il ne s’agit pas de raconter le jour où la mère est tombée dans la fontaine.

Vingt-quatre fois Brigitte. Ce n’est pas l’histoire de vingt-quatre fois Brigitte, ce n’est pas l’histoire de toutes les Brigitte qu’on aurait pu imaginer, ce n’est pas le portrait vivant de vingt-quatre femmes adultes racontées en quelques lignes à partir d’un très vague et très petit souvenir.
Poème à la fontaine. Ce n’est pas un long poème en prose à propos d’une fontaine dont le calcaire a été mangé par le temps, ce n’est pas un texte qui tourne autour de la fontaine en pleurant sur le pont Mirabeau, la Seine et mes amours.

Besançon jolie ville. Ce n’est pas le portrait de Besançon en jolie ville, ce n’est pas une brochure de l’office de tourisme avec des photos qui cachent mal qu’il s’agit d’une ville de province au charme certain comme toutes les autres.
Sept souvenirs de ma jeunesse. Ce n’est pas le récit d’histoires de jeunesse avec leur odeur sucrée et leur parfum léger d’inconsistance, ni le récit des cœurs brisés piétinés dans la violence des premières amours.

Rêver éveillé. Ce n’est pas rêver éveillé, ce n’est pas la rêverie de celui qui marche de retour dans la ville de sa jeunesse, ce n’est pas notre projet, c’est ce qui est venu sous les doigts parfois mais ce n’est pas, non.

Élégie des gouttières. Ce n’est pas une complainte pour le mobilier urbain qui vieillit dans un tricot coloré, ce n’est pas un documentaire sur les tuyaux dans la ville, encore moins raconter la vie secrète des pierres et de tout ce que dans la ville on ne voit qu’à peine.

Manifeste pour un écrire-vie. Ce n’est pas écrire pour moins souffrir de vieillir, intituler « le temps a goût de tragédie », ou bien « la vie est un lent séisme », parce qu’il ne s’agit pas de rattraper par la peau du dos une époque envolée.
Enfance de Gaïa. Ce n’est pas écrire la biographie de Gaïa Mirador, elle dit seulement : « ne pas faire la guerre c’est manger des glaces au bord de la mer et sentir le vent salé sous mes aisselles, faire la guerre c’est leur monter dessus leur casser les doigts et mordre la peau de leur dos avec mes dents dures. »

Vie de Stefan Golam. Ce n’est pas écrire une vie de Stefan Golam, il dit seulement « je suis un vieil homme plié par le froid et les grands sapins bleus, je viens de la maison en ruine, là-haut, sur cette petite montagne grise à laquelle s’accrochent quelques nuages et le souvenir de ma mère. »

La chute. Ce n’est pas une autobiographie, ce n’est pas raconter le jour où la mère est tombée dans la fontaine d’un village alsacien pendant la fête de la bière, c’était tard le soir c’était devant tout le monde saoul et c’était pour aller chercher mon doudou.

proposition n° 39

Gaïa se souvient du chantier de la grande école. On l’a construite sur un terrain plein d’herbes et très pentu. Elle se souvient des grosses machines avec leurs chenilles aux pieds, du jaune des carrosseries et de la hauteur des grues, de cet air inquiétant des grand blocs de ciment coincés par quatre ou cinq à l’extrémité du bras long de la grue en hauteur, qu’on dirait prêts à se lâcher dans le vide aussi légèrement que des sucres en haut d’un grand domino de sucres qui tombent ensuite les uns sur les autres sans trop de bruit. Elle se souvient du jour où ils ont commencé par creuser la pente, remuer toute la terre où poussaient les herbes, ça faisait comme un ventre ouvert à la pluie et au vent. Puis la boue. L’endroit où elle dormait, au creux d’un muret crevé avec deux cartons pour boucher le trou, l’endroit s’est peu à peu rempli de boue. C’était avant la robe rouge, elle avait un pantalon chaud et un gilet qu’elle a du quitter parce qu’ils étaient devenus boue, eux aussi. Gaïa a vu le trou boueux devenir au fil des jours une fosse creusée, puis un bassin de ciment, comme un drôle de plateau en profondeur pour après poser dessus tous les étages. Et puis les piliers qui sont montés vers le ciel, on aurait pu croire à une cathédrale destinée à rejoindre la rue en haut de la pente, mais non, c’était juste pour faire de hauts murs en ciment et sur eux poser un autre plateau bien vaste. Gaïa allait la nuit avec les autres enfants y courir, une fois passées les palissades sans déchirer la robe rouge, c’était juste courir en riant tous ensemble être follement libres et inquiets du lendemain, inquiets comme sont les enfants qui oublient qu’il y a un lendemain. Gaïa depuis longtemps sait oublier en sachant. Et puis un jour on a changé de quartier tous ensemble et la cathédrale est restée comme ça, pas terminée, avec son plateau en altitude donnant sur la rue du haut, et Gaïa n’a pas vu la fin.

Stefan se souvient du chantier. Il y a travaillé avec nombre d’autres hommes, presque chacun parlant une langue différente. Il fallait maçonner longtemps avant que tout ce ciment ne fasse penser à quelque chose. Une sorte de navire, un cargo vu depuis la mer par celui qui nage juste en dessous de la coque, c’est à ça que ça ressemblait, inquiétant comme quand on va se noyer. Il y avait bien ensuite un escalier qui montait le long de la coque, mais à cette période Stefan travaillait déjà dans les cabines, le bâtiment posé sur le vaste plateau aérien. Il fallait partir fissa, se cacher à l’arrière quand le contremaître sifflait en bas, l’arrivée de l’inspecteur, seuls ceux qui parlaient français pouvaient continuer à travailler. S’il s’y était un peu connu en travail, l’inspecteur il aurait bien compris que ces quelques gugusses francophones n’allaient pas abattre le boulot qui restait. Mais il était plus pressé de quitter les poussières humides qui tachaient son costume. Sur le plateau, la verrière a été installée au mois d’avril, il faisait une bonne température, et réussir à accrocher cette paroi vitrée à huit mètres de haut c’était bien satisfaisant, il avait fallu travailler ensemble et dans un beau rythme commun, c’est une chose aimable que cela se disait Stefan, ça lui réparait un peu le cœur tout ce travail ensemble, même dans le grand corps odorant de la ville allongée et dressant ses bâtiments à en perdre la vue. Le dénivelé du chantier lui faisait du bien, lui redonnait un peu d’horizon, lui rappelait les montagnes avec les chèvres et le cœur de sa mère pendu à la cheminée de la maison en ruines, là-bas… Et puis il y avait tous ces types qui venaient de partout mais surtout des pays où on n’a rien à manger, ils venaient avec leurs langues roucoulantes et leurs sourires. C’était chaud et solidaire au fond quand on se cachait de l’inspecteur, et puis une future école pour se cacher dans les coins, ça faisait à Stefan des sortes de tressaillements joyeux, des retours d’enfance enflammés, comme si on pouvait s’amuser à nouveau. Après le châssis vitré sur le pied et le dos cassé par les brouettes de ciment, ça a été son dernier chantier.

proposition n° 40

Le canal sous la citadelle, l’endroit où la ville s’arrête d’un coup, ou plutôt se met en pause ; on se retrouve brutalement dans une sorte de couloir plein de reflets sombres qui luisent dans l’humide ; il y a d’un côté l’eau noire comme une menace, et de l’autre une sorte de quai avec une barrière métallique ; à chaque extrémité, des issues, points lumineux qui sont comme des lueurs d’espoirs. On ne sait jamais en passant par là si on va retrouver le vieux monde de l’autre côté. On pourrait très bien arriver dans un pays imaginaire ; entendre le bruit d’un caillou qui tombe dans l’eau morte, ou le clapotis d’un rat à la nage, et soudain découvrir de l’autre côté une ville à l’envers avec toutes ses jupes retournées et on verrait les fesses de la ville, les fesses de la ville serait des cathédrales endormies ou bien des bouteilles à la mer, et on distinguerait à peine les suspensions de la ville pendue tête en bas par des milliers de fils invisibles. Dans cette ville du plafond on ne retrouverait pas nos souvenirs ni ceux des autres, on serait seulement porté par l’imagination à inventer du linge qui pend de part et d’autres des ruelles, mais dans quel sens le linge pend-t-il dans une ville suspendue à l’envers ? La ville à l’envers aurait des sortes de rues en pente qui nous serviraient de ciel, avec des toits rouges pour nuages et des lampadaires-soleils. Il n’y aurait devant nous rien d’autre que des empreintes de la ville avant qu’elle ne monte au ciel, juste des traces comme celles que quêtent les chasseurs pour traquer l’animal. La ville s’est blottie dans un angle du ciel, juste au dessus de la montagne, et dans ces empreintes on ne trouverait que du sable et des insectes qui déplacent grain par grain les empreintes de la ville pour que même sur la terre ferme on soit obligé d’inventer autre chose qu’un souvenir. La ville qui fini est notre machine à fiction.

Et c’est ici, dans le tunnel dont on ne sait s’il mène à la vraie fin de la ville, la Gare d’eau et ses grandes étendues herbeuses au bord de la rivière, ou s’il débouche sur une ville illusionniste qui nous emporte à raconter des histoires, c’est ici que Stefan et Gaïa ont retrouvé leurs doubles. Car la traversé de la cordée d’est en ouest conduit ici, dans un recoin du tunnel, une sorte de porche, si l’on s’y prend bien et qu’on habitue ses yeux on peut distinguer un passage, Gaïa et Stefan l’ont emprunté tout droit et tombent nez-à-nez avec eux-mêmes dans le salon où Gaïa et Stefan rencontrent leurs doubles.
Le vieil homme, assis sur un fauteuil, tient dans ses bras un flamant rose près à s’éteindre. Debout à côté de lui une petite fille, cinq ans, blonde et bouclée, regarde de ses yeux ronds la photo encadrée d’un éléphant.

Stefan et Gaïa traversent le porche et s’engouffrent en enfilade dans la pièce unique où se tient le vieil homme assis sur un fauteuil et dans ses bras un flamant rose près à s’éteindre, debout à côté de lui une petite fille, cinq ans, blonde et bouclée, regarde de ses yeux ronds la photo encadrée d’un éléphant. Stefan et Gaïa s’arrêtent net devant leurs doubles propres et interloqués.
L’histoire hoquette.

Stefan et Gaïa ont marché longtemps dans les intérieurs de la cordée. Ils ont passé ce porche tout droit sans se rendre compte de ce qu’ils faisaient. Lorsqu’ils entrent dans ce salon il y a une sorte de vague comme un courant qui fait trembler l’air et paraît repousser les murs, mais c’est seulement l’écho de la secousse due à la rencontre des doubles.

La petite fille debout ne détourne pas le regard de la photo de Syndical, l’éléphant. Le vieil homme assis continue à bercer tendrement le flamant mourant. Stefan et Gaïa sont immobiles, main dans la main, au milieu de la pièce. Et se dévisagent en silence.

Chacun se demande qui il est autre. Les identités tremblotantes tremblotent.
Et peu importe la réponse car la ville se termine ici.

Les tremblements s’éteignent.

La lumière se rallume.

La caméra s’élève brusquement jusqu’à passer au dessus de la colline de la Citadelle, dans un travelling vertical qui embrasse la ville et rend visibles ses empreintes de sable. Survol rapide jusqu’à la sortie Nord de la ville, on retrouve la piscine allongée dans l’herbe, c’est étrange cette piscine étendue dans l’herbe, non pas enterrée comme sont les piscines, mais couchée sur le côté comme un personne, allongée sur le côté presque comme une pin-up en maillot à pois. A présent c’est là que la ville fini vraiment, c’est là qu’elle devient la campagne définitive, à présent. Avec des sillons dans la terre.

C’est là que la limite sera bientôt effacée : de l’autre côté il y a un ancien village devenue ville miniature ou quelque chose d’approchant. Si on tend l’oreille de ce côté on entend monter au loin le grognement des constructions impavides qui dévorent les champs.

proposition n° 44
1

C’est un livre lu la nuit, pendant les insomnies. Au matin il n’en reste presque rien, seulement des traces qui de loin ressemblent des morceaux de nuages effilochés, et de près à des gouttes d’eau sur une table en bois. C’est un livre qui parle de caramels, et, je crois, d’enfermement. Qui parle de revenir en un lieu honni, qui malgré tout garde une force d’attraction. C’est un voyage embrumé au bord d’une rivière, en Italie, mais je n’ai pas le droit de dire où. Pourtant, c’est très beau, et on s’y promène bien.

A un moment du livre, il pleut sur les tôles. Ça m’a marqué, parce qu’il peut pleuvoir sur beaucoup de choses. Je crois qu’il y a un hélicoptère, une montagne, mais peut-être que j’ai tout inventé.

Dans le lien honni il y a des bâtiments avec des noms de lettres. Ça m’a fait penser à un autre livre dans lequel on ne sait pas si le personnage principal a perdu la raison ou l’a recouvrée.

Penser si fort au livre oublié me donne faim. J’irai manger de la brioche sucrée en tentant de me souvenir mieux.

2

Le texte dont je parle est très court. Quelqu’un arrive dans une maison avec de l’amertume de la voir ainsi dévastée par le temps. Puis se couche sous un drap blanc pour rejoindre des fantômes. Il y a un escalier, une galerie et une rampe en fer forgé. A un moment, je me suis dit « c’est ma maison », mais ça ne m’a pas fait peur (ça aurait pu, mais on aurait été plutôt chez David Lynch). Je me suis assise et j’ai regardé mon imagination dessiner la maison que je lisais. Le texte précis, sans trop, aidait bien à faire ce travail. A certains moments je relisais les phrases pour que mon imagination ait le temps de gommer et redessiner un peu mieux l’escalier et les dalles grises, ou de tailler son crayon. Il y a toujours quelque chose de flou dans l’imagination, de brumeux. C’est sans doute pour ça que tout y est plus beau qu’en vrai. Et parce que des mots aux images, on fait ce qu’on veut. Par exemple, on peut s’interroger sur le sens exact du mot convexe. Ou pas. Et dessiner ce qui apparaît. Comme la musique, les mots ne sont finalement qu’un support plus ou moins aiguisé pour une évocation de tous les sens, dans tous les sens.

3

Ce texte-là il est difficile d’en dire quelque chose. Et pourtant il le faut. Pour ce qui est du genre, on ne sait pas trop sur quel pied danser. Pendant longtemps c’est une réminiscence d’un monde ancien, qui prend la forme d’une balade. Et puis il commence à se passer des choses bizarres, il y est plusieurs fois questions d’animaux, qui n’ont rien à faire là. Certains meurent et ce n’est pas un événement, mais c’en est un quand même. Peu à peu apparaissent des personnages et des lieux qui n’étaient pas là avant, qui ne viennent pas de la réminiscence, qui sont le fruit de l’imagination de l’auteur. Ou peut-être qu’ils étaient là avant.

On pourrait dire aussi : l’auteur passe de ses souvenirs à la fiction presque sans y croire. Et s’interroge ensuite sur le bien-fondé de cette bascule, sur sa justesse et son efficacité, et tout un tas d’autres questions du même genre. Ou d’un autre genre, justement. Derrière il y a peut-être des relents de science-fiction ou de fantasy, je ne sais pas, je n’en lis pas assez pour le dire. La question ultime : faut-il se la poser ? Par moment on décroche et on ne sait plus bien ce qu’on a lu ; même en relisant ça fait comme un rêve, tout se transforme tout le temps on ne sait jamais qui est où, ce qui est censé être ceci se révèle être cela, et l’inverse aussi. C’est très fatiguant, à la fin.

Est-ce que le temps qui passe amène avec lui des oiseaux meurtris ?



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1ère mise en ligne 9 juin 2018 et dernière modification le 15 septembre 2018.
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