Aurore Soares | Puis la porte cochère

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l’auteur

Aurore Soares, née en 1969, vit à Paris. Actualités : publication dans les revues Dissonances #24 (fin avril) et D’ici là #10. Opération artistique en cours « les éponges », relayée sur le site internet http://au.s.free.fr et sur @artenexp. La suivre sur Twitter : @ausnum.

le pitch

« Puis la porte, est issu d’une tentative d’écriture d’un roman policier. S’il s’articule autour d’une énigme et d’un meurtre, il explore formellement les possibilités du travelling et de la boucle ouverte. L’énigme serait-elle insoluble ?
« Dans l’idéal, offert par le numérique, ce texte qui aurait un début mais jamais de fin déjouerait les attentes du lecteur (qui espère toujours le dénouement de l’histoire).
« Ce texte fictionnel est aussi le lieu d’une expérience artistique menée dans l’espace réel (en continuation des expériences précédentes et de celle en cours, toutes annoncées sur le site internet) dans l’objectif de questionner l’affirmation de Jacques Rancière « le réel a besoin d’être fictionné pour être pensé » à la lueur de celle de Laurence Weiner : « La littérature est à propos de la façon dont on ressent la vie, l’art à propos de la façon dont on la vit ».

le texte

 

Puis la porte cochère qui, dans la cour de l’immeuble — puis le fond de la cour même, et la porte en bois, vers l’escalier, en bois, pareillement — puis les marches qui grinceront et le long couloir qui, plutôt sombre — puis le bout du, sombre, couloir puis l’autre porte, blindée ; la jeune cerbère en robe noire en commandera l’ouverture grâce au bouton situé à gauche de sa main gauche qu’elle actionnera sans sourire ni parole et recommencera à tapoter sur l’écran de l’ordinateur.

Puis la cave dont la porte sans poignée qui se refermera — les néons du dedans pallieront l’absence de lumière du dehors, et le flux d’air frais, qui sans doute plus tard l’asphyxie évitera, enveloppera son corps d’un cocon glacé — les poils de ses bras se dresseront sur la peau, tandis que la froideur du lieu voyagera depuis l’extrémité des orteils jusqu’au plus profond de sa moelle épinière — il sera en retard.

Elle aura déjà constaté qu’il bafouillait lorsqu’il était ému. Elle aura déjà observé qu’il était ému toujours en sa présence : blanc teint, laborieuse déglutition, tremblantes mains et genoux serrés, il présentait indéniablement les symptômes d’un trouble comportemental. En toute logique, il invariablement bafouillait lorsqu’il se trouvait en face d’elle. En encore toute logique, il bafouillera, ce jour-là.

Elle qui lui serrera la main — la bouche rouge qui s’ouvrirera se refermerera — qui se marchera tordra la cheville — qui se secouera les mains s’agitera les bras se plantera devant un des tableaux monochromes accrochés aux murs impeccablement blancs, et les talons de ses chaussures qui claqueront contre le béton gris ciré, se reculera de trois pas, se balloterera la tête, les talons claqueront à nouveau sur le béton gris ciré — puis se rapprochera de la plus grande toile, tête hochée.

Il aura déjà noté qu’elle bafouillait lorsqu’elle était émue. Il aura déjà remarqué qu’elle était émue en sa présence souvent : rouge teint, fuyant regard, tremblantes mains et genoux serrés, elle présentait les indéniables symptômes du comportement troublé. En toute logique, elle invariablement bafouillait lorsqu’elle se trouvait en face de lui. En toute logique, elle encore bafouillera, ce jour-là.

Il qui s’exposera, immobile au centre de la galerie d’art, les mains cachées dans les poches arrière de son trop court short, fera encore semblant de ne pas écouter — la main gauche qui caressera les poils de l’avant-bras droit. La bouche rouge se indéniablement refermerera s’encore ouvrirera et se refermera en toute logique — marchera se tordera la cheville droite se plirera, se masserera avec la main droite, se redresserera remurerera les mains droite et gauche, agiterera les bras droit et gauche, ce jour-là comme invariablement — translatera devant une autre toile — reculera de trois pas, les talons qui claqueront, tête hochée encore ce jour-là hochera.

Cette situation de bafouillage ne facilitait pas l’exercice de leur respective profession, surtout lorsqu’ils devaient travailler ensemble. Cette situation de bafouillage n’a cependant jamais atteint l’efficacité de leurs collaborations, malgré quelques toujours énigmes : l’intrusion problématique de livres clandestins sur les rayonnages de quelques librairies parisiennes, l’apparition épisodique d’éponges rouges à l’intérieur de galeries d’art contemporain, la disparition allopathique d’une célèbre œuvre d’un non moins célèbre artiste minimaliste américain.

Elle qui annoncera qu’une secrète opération qui se prépare, qui requière un approfondi examen des informations premières, qui recueillies qui confuses : « Ch’peux pas dire grand chose, faut, et pluche … » Précisera que « Ch’en sais pas bézef cause qu’chuis pas dans l’réseau : peuvent pas m’l’accepter parce keux chuis pas politisé comme eux » mais qu’il fait non plus beaucoup d’efforts : « Ch’leur dit T ki toi ? T ki toi pour me parler comme cha ? Tu t’crois où ? Chest pas croyable ! Pas de cha avec moi. Chest pas comme cha que cha che pache. T ki pour me parler comme cha ? Moi chait pas ki T. T ki pour me dire cha ? Tu t’crois où ? Et moi chuis ki ? Chais pas. Chuis moi et cha m’chuffit pour te dire de ne pas me parler comme cha. Chuis che que chuis. Cha te chuffit pas ? Chuis comme chechuis. Chui chelui qu’est comme cha. Chest pour cha que t’as pas le droit de me dire cha. T’as pas le droit de me parler comme cha. T’as pas le droit de te moquer comme cha. Che veux pas, keux je leur dis. Me l’comprenez ? » L’comprenait parfaitement l’bien et que l’maintenant il devait en venir aux l’faits : « Reusement chuis l’pote d’l’une d’eux et m’en dit des choses avant keux j’la … konx … » M’l’comprenez que ch’l’avais fini par m’l’agacex !

Puis l’indicateur de la police, qu’avait pas quand même beaucoup indiqué, enfin l’avait révélée l’information cruchiale : « L’m’l’a dit keux c’était un coup pour rien : juste pour s’entrainer aux l’numéros, avant leur vrai coup — volumineux ou faramineux, ne savent pas bien ». N’a rien voulu alloncher d’plus : parfois elle parle parle parle de lui’l’en faire mal, parfois elle plus rien. Et l’est chortie décongeler un hachis-parmentier de kanard. Devant la toile noire toute noire, sans motif ni trace de pinceau, ni l’rien, l’disserterera sur les intérêts nutritifs du hachis-parmentier, et surtout des intérêts gustatifs, spécifiquement celui du hachis-parmentier de l’kanard, déconchelé ou frais pendant qu’il blocagera devant la toile noire.

Numéros de sécurité sociale d’un interphone d’un coffre de téléphone d’une chambre d’hôtel de compte bancaire ? Elle avec moult mouvements et de mains et doigts de de et bras et de jambes de et pieds. Numéros d’un mot secret de passe d’une connexion bancaire d’une carte bleue d’un téléphone portable d’un compte d’achat en ligne d’un compte de messagerie ? Les lèvres rouges s’agiteront — elle grattera le bas de son dos et l’autre main, cachée sous le chemisier sous le pantalon, recueillera avec le mouchoir le sang qui s’écoulera de la peau du bas de son dos — au mur pas une toile noire mais un tapis de danse.

Puis se retournera et sourira — la porte s’ouvrira — se retournera et ressourira sortira — puis le long couloir, qui plutôt sombre, la jeune cerbère en robe noire qui tapotera sur l’écran de l’ordinateur ne tapote plus. Puis au bout l’escalier en bois, les marches qui grincent — puis la porte en bois, pareillement — puis le dehors la cour même de l’immeuble — puis la porte cochère, elle est partie de laquelle se morfondant en attendant.

Puis le petit bar, sans jeux d’argent ni d’écrans de télévision ni d’émission de radio musicale occupant le champ sonore et visuel des buveurs, autre monde que celui qui lui l’bouffe la l’vie. La jeune cerbère en robe noire qui s’assoit, maintenant une habituée des lieux avec sa table proche du comptoir en zinc qu’est en fait en l’étain, dissimulée par la caisse enregistreuse, se concentre.

Un livre de la vie dedans le bar. Elle aimerait l’écrire. Elle le voudrait — décrire ces habitués anonymes qui s’extraient chaque jour de le programme imposé, pour aller boire un petit crème, un ballon rouge, qui s’autorisent une partie de baby-foot, alors que leurs collègues de travail travaillent. Elle le voudrait pour de vrai — témoigner de ces derniers moments d’un monde moribond, parce que bientôt le petit bar racheté, parce que bientôt les chaises en vieux bois remplacées par d’autres en design en vrai faux en design, parce que bientôt les tables en marbre disparues, à la place les mêmes presque mais les plateaux mieux, parce qu’avec de les publicités. Bientôt.

Faut, l’écrire pour témoigner pour — écrire pour ne pas la perdre la l’vie. Elle qui ne le sait pas ne peut l’écrire le parce que bientôt le petit bar racheté, parce que bientôt les chaises en vieux bois remplacées par d’autres en design en vrai faux en design, parce que bientôt les tables en marbre disparues, à la place les mêmes presque mais les plateaux mieux, parce qu’avec de les publicités. Pourtant, elle a appris à la maîtriser la rhétorique de la démonstration, et en a rédigé plusieurs mémoires, dont une thèse (publication à venir) sur les pratiques sérielles dans l’art du XXe siècle, et surtout après 1952.

Alors elle les enregistre clandestinement les bruits et les conversations, pour se souvenir, pour quand, ce jour bientôt, elle saura. Elle ne se doute pas qu’elle y risque sa l’vie mais qu’heureusement bientôt la venue à la galerie, un jour-là, d’une commissaire de la police et d’un détective — parce que, mais ne le sait pas encore, se lanceront à la poursuite d’un réseau alter-international bientôt — parce que, pas loin de la jeune cerbère en robe noire, cinq individus chuchotent autour de verres de bière et de vin posés sur une table ronde.

Mais ne chuchotent plus les individus au verre de bière et au verre de vin. Celui qui repousse son verre à moitié vide à moitié plein redoute le moment, est inquiet : sa femme l’attend et ne sait pas comment il va lui expliquer tout ça … Il envie l’individu du verre de vin plein, qui vaque le regard, qui n’a pas femme qui l’attend avec des points de suspension cachés sous le paillasson devant la porte de leur petit appartement.

Lui du verre de vin plein qui vaque le regard qui cherche un regard qui n’en trouve pas, déçu délaisse le verre de vin plein et empoigne le briquet parme posé sur la table en marbre bientôt remplacée, à la place la même presque mais le plateau mieux. Le coince entre son pouce gauche et son index aussi gauche, et il éclaire le visage du troisième individu, et découvre qu’il n’est pas seul à se soucier.

Car le troisième individu, qui n’est pas le mais la mais qu’importe, mordille la lèvre inférieure de sa bouche avec la canine droite de la mâchoire supérieure. L’expression du visage tendrait à prouver qu’elle n’y croit pas : beaucoup trop de numéros, et les statistiques ne plaident pas en leur faveur pragmatique ; trop peu de chance, elle n’en a jamais eu. Elle devrait s’enquérir auprès de celui qui est bien un le, de par les poils qui recouvrent son menton, de par le renflement dans son pantalon.

Cheveux gras œil fuyant mains moites est le cerveau de l’équipe ; sur ses frêles épaules repose la réussite de l’entreprise. Car les frêles épaules soutiennent le cerveau qui va programmer la future opération. Dès que ses acolytes auront choisi entre volumineux et faramineux. Il en a passé des journées et nuits à écrire lignes et lignes de code codées pour la future opération d’à nommer. C’est pourquoi l’œil fuyant (réfléchit beaucoup), cheveux gras (pas de temps à le perdre) et mains moites il a peur (moins de tout ce qui repose sur les frêles épaules que) du molosse à sa gauche, son compagnon d’opération.

Le cinquième qui avalait la goutte dernière de son dernier verre de bière et qui pas si volumineux ou faramineux a juste trente kilogrammes de plus que son voisin. Sinon rien. Est là pour les muscles, alors ne parle pas, et ne parlera pas : faut de l’action.

Car faut, préparer la déclaration de presse. Et faut, être précis car chaque mot compte alors faut, vérifier les définitions dans le dictionnaire puis choisir entre volumineux (qui, d’un volume supérieur à la moyenne des volumes usuels, occupe beaucoup d’espace) ou faramineux (qui semblant tenir du prodige est excessif, extraordinaire, exagéré et fabuleux).

Faut, d’autant qu’une juste communication rarement s’accorde avec une utilisation juste des termes justes : c’est le symbole qui compte avec la juste sonorité de le mot. Donc le présent juste blanc dans leur à venir juste communiqué d’avec le mot juste :

Très équipés déterminés
à lutter
contre votre mon
de revendiquons
le vol d’hier
et en sommes fiers.

Ou alors, car les futurs hors-la-loi possiblement ne s’accordent pas non plus sur la juste forme juste du communiqué juste de leur vol juste, soit faramineux soit ou bien volumineux :

TRÈS EQUIPÉS
DÉTERMINÉS
À LUTTER

CONTRE VOTRE MON
DE REVENDIQUONS

LE VOL ? D’HIER
EN SOMMES FIERS.

Faut, d’autant que faut, aussi inventer un nom de code pour l’opération. Nommer juste. Accord majoritaire pour le terme « opération », puisqu’ils vont soustraire pour ensuite additionner, puisque donc l’opération pas militaire mais mathématique — faudra donc l’écrire, pour que tout le monde soit au courant de, leur intention positive.

Et que tout ceci est très sérieux (qui s’intéresse aux choses importantes.) — et audacieux (qui fait preuve d’audace et qui va plus loin que les autres. « L’auteur toujours audacieux n’hésitera pas à perdre ses lecteurs dans des méandres fumeux. ») — et aussi fructueux (qui rapporte un résultat positif.) — quand même hasardeux (« L’auteur toujours audacieux ne craint pas le résultat hasardeux. ») et surtout ingénieux (« Le garçon de café ingénieux, parce qu’il va bientôt finir son service, et qu’il doit encaisser, et qu’il est pressé de rentrer chez lui, et que si alors si les cinq pouvaient payer chacun leur, s’excuse de les déranger. »).

Discret dans la parole et bruyant dans la marche le garçon de le café. Le petit homme toujours vêtu d’une même chemisette blanche, d’un même pantalon noir ainsi que d’un long tablier, noir pareillement, conscient de sa tâche tâche de s’appliquer à la mener à bien : débarrasser quand l’client s’en va, ne pas débarrasser quand l’client s’en va mais qu’aux toilettes, prendre la commande quand l’client arrive, tout en lui laissant un peu au l’client le l’temps d’arriver et l’temps de la commander, et l’temps de la consommer la commande livrée sans tomber ni trembler, avant de ne pas l’oublier enfin l’temps de l’encaisser à l’temps : la commande. Guette tout verre à moitié vide à moitié plein abandonné sur une table, et le moindre signe d’énervement du l’patron.

L’patron qui accueille toujours « qu’est-ce qui vous amène ? » les entrants avec comme un peu de chez le médecin, qui interpelle les l’clients surtout eux devant le l’comptoir qu’il parcourt continûment de gauche à droite et de droite à gauche, se plaint principalement de l’garçon. Parfois lui adresse directement ses reproches, parfois accapare un l’client au verre de labière ou au verre de levin. A cause du bruit d’les jeux qui rapportent, flipper à droite et babby-foot à gauche, l’patron est condamné à la surdité progressive : les jeux qui rapportent faut, qu’il accepte bien.

À leurs bruits sourds de l’autre côté du comptoir, la jeune cerbère en robe noire les devine les joueurs du flipper. Pourtant elle sera bien incapable, le venu jour bientôt, quand il lui faudra les décrire, puisqu’elle ne leur connaît que de leurs bruits. Toujours ils sautent autour de la machine, et frappent avec force, ou des fois immobiles implorent la voix impassible électronique « good boy, shoot again, please, good boy ». Puis à nouveau s’exaltent, trépignent, alors ruades de l’excitation jusqu’au tilt decrescendo de la fin de partie, « let’s play again » murmure l’inassouvie machine. Puis la petite ritournelle digitale qui apaise « Good boy, want to play with me ? » et la pièce encore « Yes ! Have a nice time ».

Et quand bientôt on lui posera la question, la jeune cerbère en robe noire qui s’assoit toujours d’à côté d’eux ne pourra ce jour-là pas de réponse non plus, à cause du beng qui couvre toujours les converbongbong. Très occupée par la bing qui se faufile, la bung en robe bong ne parvient jamais à beng la bing bangversation bing, tout juste quelques bong bong bribes (yataka bing alors bang bong onze deudeufonbang beng douze taka tébingbang bung bong) de les autres du baby-foot. Et tous les soirs, la jeune cerbère en robe noire archive le fichier d’enregistrement son dans l’ordinateur — puis s’essaye dans le carnet de ses notes sur le garçon de le café (aujourd’hui un sourire), sur le patron (condamné à la surdité progressive : les jeux qui rapportent faut, qu’il accepte bien), sur deux clients (l’une en robe noire et talons aiguilles qui s’est fait siffler par l’un, a rougi, s’est tordu la cheville et en conséquence a fait tomber le verre à moitié vide à moitié plein qui inquiétait le garçon de le café : à cause du l’doute qui va l’tuer si ça continue). Puis enhardie la phrase tentée : le petit homme est toujours vêtu de la même chemisette blanche, du même pantalon noir ainsi que du long tablier, noir pareillement. Puis ferme le carnet, le range dans le sac à main et soupire et urine et lave les dents et l’ordinateur éteint, et un pied par terre une fesse sur le lit, la jeune cerbère en robe noire qui se frotte les yeux qui n’a pas beng dormi, tarde.

Un pied par terre une fesse sur le lit faut, de la lumière, quand même se lever car d’un rendez-vous important. Très émue à l’idée de rencontrer Monsieur Monstre. Le plus grand succès de Monsieur Monstre se situait dans sa bibliothèque. La plus grande de la ville. Elle faisait l’objet de nombreux fantasmes : tout le monde disait qu’elle dissimulait des secrets nombreux du passé et du futur. (Faut le préciser, cet étonnant pseudonyme était consécutif à la disparition du déterminant. Avec la disparition aurait dû s’associer la dissolution du genre et du nombre, devenu monstre tout court. La dissolution impossible, la loi faut bien il ou elle, la loi de la majorité faut le il est donc devenu Monsieur Monstre. Et depuis bien longtemps l’ignominie du sens avait disparu de ce pseudonyme.) Et sa bibliothèque était comme il l’avait rêvée exactement. Pendant des années il en avait dessiné les plans, l’avait prospectée à la recherche du lieu adéquat pour héberger ses livres volumineux.

Un pied par terre, sur le lit la fesse, la jeune cerbère en robe noire tarde car, à cause de l’écriture d’hier, elle l’avait oublié de le sortir le linge propre de la veille du tambour de la machine à laver. Par conséquent, et en toute logique, la robe noire à porter du matin du jour jusqu’au matin du lendemain était encore mouillée. (Faut, le préciser que la jeune cerbère en robe noire en possède deux de robes noires, qui l’une portée du jour, qui l’autre de la veille lavée à sécher à porter du lendemain.) Encore la robe de l’odeur de la sueur ? (Faut, le préciser mieux, même si peut-être pas utile, que la jeune cerbère en robe noire en possède quatre de robes noires parce deux d’hiver plus deux d’été égal deux sous plastique plus l’une sur elle plus l’autre pas séchée oubliée mouillée égal quatre robes noires pour l’année la vie.) La fesse sur le lit, par terre le pied et en subsidiaire Monsieur Monstre a-t-il l’odorat sensible ou le goût vestimentaire exigeant ? Elle qui l’imagine volumineux, faramineux et vieux puis qui hypothèse que tous les vieux n’ont plus d’odorat, enfile la robe de la veille.

Un pied par terre, les fesses sur le siège du bus qui la transporte à la bibliothèque de Monsieur Monstre, la jeune cerbère en robe noire à l’odeur incommodante se gratte la tête. Aussi pour cela que les autres passagers la dévisagent ? (Constate que le corps avec odeurs et humeurs est interdit, que l’est présent contraint dans l’absence : absent l’corps qui vit, présent l’corps formaté ; absent l’corps qui souffre, présent l’corps efficace de l’travailleur efficace et sans fatigue ; absent le l’corps fatigué, présent l’corps contenu efficace était …) La jeune cerbère empestée s’est encore laissée aller aux mots d’un livre futur qu’elle n’arrive pas, tant qu’elle a sombré une nouvelle fois dans les points de suspension tant qu’elle ne parviendra pas à les combler.

Et si les points de suspension devenaient points d’interrogation ? N’est-ce pas le but de toute écriture de poser des questions ? Pas persuadé, il se pose des questions l’adjoint jeune.

Qu’est-ce qu’un mot juste ? L’adjoint jeune, dans le bureau seul assis sur une chaise devant la table en bois recouverte en partie de cuir fauve, s’interroge sur le juste mot à écrire justement. Le mot qui évoquera ? Le mot qui dira la chose ? « Le mort gisait, affalé sur un bureau en bois recouvert en partie de cuir fauve, la tête sur le côté, tempe droite contre le plateau recouvert en partie de cuir fauve, qu’il faudra sans doute remplacer en totalité à cause de l’énorme tache rouge causée par le sang du mort. Et tout intact. Aucun élément favorisant la thèse d’un meurtre. »

Faut, documenter au plus près pour les futurs lecteurs toujours soucieux : « Monsieur Monstre était un écrivain réputé au niveau national et international pour son style formel sincère croisé à des analyses pointues de la société capitalistique contemporaine. L’auteur s’inscrit dans la lignée des écrivains réalistes du XIXe siècle, il croit à la mise en récit du réel : l’art et le réel c’est pareil. »

Faut, pas de parti-pris, pour ses futurs lecteurs toujours soucieux de l’écriture de l’administration, et réciproquement, mais peu souvent de l’essence présumée de l’art : « Monsieur Monstre était un écrivain réputé aux niveaux national et international. L’auteur a reçu de nombreux prix récompensant la rigueur de son œuvre et l’importance importante qu’il occupe au sein de la littérature du XXIe siècle. Suivant nos premières informations, le mort passait depuis quelques années la majeure partie de son temps dans sa bibliothèque. C’est là qu’il y est mort. »

Une belle mort pour un amoureux des Belles-Lettres. Une belle mort qu’il aimerait bien vivre, si tant est que l’on puisse vivre sa mort, aussi dans une bibliothèque plutôt qu’entouré de ses dossiers administratifs. Encore le passage délicat : « Le plus grand succès de Monsieur Monstre se situait dans sa bibliothèque. La plus grande de la ville. Elle faisait l’objet de nombreux fantasmes : tout le monde disait qu’elle dissimulait de nombreux secrets … » Et s’il remplaçait les points de suspension par des points d’interrogation ? N’est-ce pas le but de toute écriture de poser des questions ? Pas persuadé l’adjoint jeune de la commissaire de la police qui passe une mauvaise journée à cause de l’élastique de la culotte et du mort retrouvé la tête perforée par une balle de revolver.

Marre de ces corps qui meurent et qui sont bien morts. Un suicide selon l’adjoint jeune, d’autant que … le mort était un écrivain. Elle ne croit pas le d’autant que faut, relire les détails encore : le mort gisait, affalé sur un bureau en bois recouvert en partie de cuir fauve, la tête sur le côté, tempe droite contre le plateau recouvert en partie de cuir fauve, qu’il faudra sans doute remplacer en totalité à cause de l’énorme tache rouge causée par le sang du mort. Et tout intact. Aucun élément favorisant la thèse d’un meurtre. Marre de la culotte en nylon qui gratte gratte encore plus, en pire. Faut, réétudier les détails avant de revisiter la veuve toujours suspecte. Car le mort fut retrouvé gisant dans son sang par la veuve, déclarée ainsi même si aucun papier officiel ne l’attestait puisque manquait la déclaration officielle du médecin et le certificat tout aussi officiel de la mairie qui en résultera, malgré tout et très logiquement elle fut veuve dès la mort de son mari comme le prouvent ses larmoiements, qui avait immédiatement contacté la police, et assure qu’elle n’a rien touché puisque, comme il ne faut pas modifier la scène d’un crime, comme son mari l’écrivait, comme toujours dans ses romans policiers puisque comme combien de fois avait-elle corrigé les épreuves des manuscrits. Comme elle l’a répété, comme après l’avoir expliqué à l’adjoint jeune, elle n’a pas, ni même rien absolument rien, touché à la scène. Comme l’a clarifié l’adjoint jeune « tout est encore dans son jus », jeu de mots que la commissaire n’a pas relevé à cause de la culotte en nylon.

Lequel détail qui prouve que la mort n’est pas suicide ? « Et tout intact. Aucun élément favorisant la thèse d’un meurtre. » N’aurait pas dû l’enfiler mais elle était pressée ce matin et la prise dans le placard la qui lui passait sous la main, sans choisir à cause de l’ampoule qui n’éclairait pas, parce qu’avait oublié au supermarché d’en acheter une, hier ; pourtant se souvient bien maintenant que ne se souvenant plus, dos à gratter, de ce que devait absolument acheter et que ne se souvenant, dos gratté, plus avait pesté dans le magasin, et même qu’un l’avait lorgnée ; aurait dû la jeter, au lieu de la ranger après l’avoir lavée, comme il se doit, dans le tiroir à côté des chaussettes. Lequel détail qui prouve que la mort n’est pas suicide ? Mauvais choix, elle n’aurait pas dû l’enfiler la culotte. Et aucun livre déplacé.

« Suivant nos premières informations, le mort passait la majeure partie de son temps dans sa bibliothèque. C’est là qu’il y est mort. Une belle mort pour un amoureux des Belles-Lettres » Marre des digressions de son adjoint jeune dans l’écriture à administrer. Se souvient qu’en a rédigé des pour l’ancien commissaire qui n’est pas bien mort, mais bien justement parti à la retraite taquiner la sardine en Méditerranée, quand n’était encore qu’adjointe jeune ; et en a pleuré des soirs penchée sur l’écran de l’ordinateur à chercher le mot juste, pour lui attentif au creusement dans la langue, à bien administrer ; commissaire, avec aussi adjoint jeune, alors pareillement elle commande un creusement. L’adjoint jeune fait partie de la longue liste de ceux qui s’essayent à creuser ; qui s’essayent à trouver sans trouver ; n’est-ce pas la seule vérité de la vie : tout le reste n’est que négligeable ; dos gratté. « Le plus grand succès de Monsieur Monstre se situait dans sa bibliothèque. La plus grande de la ville. Elle faisait l’objet de nombreux fantasmes : tout le monde disait qu’elle dissimulait de nombreux secrets du passé », plus encore plus grattée ne doit pas perdre le fil de l’enquête « Et sa bibliothèque était exactement comme il l’avait rêvée. Pendant des années il en avait dessiné les plans, l’avait prospectée à la recherche du lieu adéquat pour héberger ses livres faramineux ».

Donc la veuve pleure un mort bien mort dans sa bibliothèque, sans aucun rapport de mort avec le fameux roman policier d’Agatha Christie ; une belle mort qu’elle aimerait bien vivre, si tant est que l’on puisse vivre sa mort, aussi dans une bibliothèque, plutôt qu’entourée de ses dossiers administratifs ; refuse de penser au vol volumineux/faramineux qu’elle devra bientôt déjouer avec l’aide du détective qui invariablement bafouillera en sa présence et en toute logique ce jour-là, et qui ce jour-ci absent bing biiiing bing biiing Parlez après le Bing.

Qu’on che rendez-vous dans une heure. Me l’comprendrez !

Pourtant bien agréable si seulement les deux affaires liées. Impossible que cela n’arrive que dans les téléfilms policiers de cinquante-deux minutes, où cinq passent à résoudre qui n’en fait qu’une à la fin des minutes. Ne sait pas quand la conclusion ; ne sait rien de son futur ; peut-être le final dans cinquante-deux minutes, dans cinquante-deux heures, cinquante-deux jours, cinquante-deux ans ? Peut-être fin gâteuse de la bave aux lèvres et des tremblants organes ? Et là et maintenant, elle lit que Monsieur Monstre avait reçu la visite d’une jeune femme en robe noire quelques heures avant que la future veuve ne s’aperçoive du décès de son futur feu mari ; elle qui veuve devenue n’en a pas dit plus ; lui qui adjoint jeune n’a pas posé de questions devra, un jour, se confronter au réel de la parole qui se dit pas.

Parlez après le Bing.

Dit en passant vous connaissiez un certain Monsieur Monstre ? Disant passant qu’il possédait la plus grande bibliothèque de la ville. A l’imparfait parce que découvert hier gisant dans le sang, la tête.

Patati patata tralala tra Là là là faut soulager de l’en bas du dos. Je me gratte gratte, encore fort pire plus. Ne sera que passager avant de reprendre la position officielle de la commissaire de la police, car totalement inconvenant de me promener sans culotte. Serait la meilleure solution pour ne plus gratter. Supprimer la cause et pas le symptôme, dans la vraie vie les meilleures solutions n’existent pas … Faudra tenir jusqu’au rendez-vous avec lui qui bafouillera invariablement, encore et en toute logique, ce jour-ci. Lui qui bientôt debout écoutera face au miroir réfléchit assis sur son fauteuil devant la table en partie recouverte de cuir fauve, observant un courant d’air soulever le cheveu tombé sur le plateau en partie recouvert de cuir fauve qu’il faudra sans doute changer en totalité à cause du temps qui passe.

Le cheveu voyage dans l’espace vole ou plutôt virevolte comme tous les échappés. Un de perdu, un de plus, un de la perte progressive des cheveux de son crâne au point d’une poussée étonnante de la pilosité de son corps au point qu’il se demande qu’il s’interroge chaque jour sur le plus gagné soit dans la perte soit dans la différence. Parce que quantitativement relativement plus de poils ? Ou parce qu’une pilosité déjà présente, là et invisible, révélée consécutivement à la chute des cheveux ?

Devant la difficulté rencontrée à choisir entre l’absolu du plus et sa relative vérité souvent il frotte souvent son avant-bras droit avec sa main gauche souvent. Quand il ne se supporte plus dans cet état faramineux il se lève de son fauteuil, marche quelques pas dans l’objectif d’atteindre le miroir. Quelques années déjà qu’il a installé ce miroir pour suivre jour après jour l’évolution du jour d’après le jour du temps qu’il n’y a plus. Faut, chercher le poil qui apparu d’aujourd’hui consécutivement à la chute du cheveu tombé sur la table recouverte en partie de cuir fauve. Malgré le sens des poils et le contre-sens et le sens des poils, rien n’indique qu’un cheveu de perdu de plus gagné. Il déboutonne la chemise qui fut un mauvais choix ce matin car il n’aurait pas dû l’enfiler mais il était pressé et l’a prise dans le tiroir la qui lui passait sous la main à cause de l’ampoule du placard qui n’éclairait pas car avait oublié au supermarché d’en acheter une hier. Se souvient bien maintenant que ne se souvenant plus de ce que devait absolument pourtant acheter et que ne se souvenant plus avait pesté dans le magasin et même qu’une l’avait lorgné. Il préfère les chemisettes qui exposent la pilosité croissante de son corps mais il a oublié hier de passer au pressing récupérer le linge propre et repassé de la veille, alors il fut contraint ce matin d’enfiler la chemise qui cache les poils apparus et dont les boutons si difficiles qu’un ongle retourné. Debout face au miroir il n’observe pas de modification sur la poitrine, ni poil en plus ni en moins, alors debout face au miroir encore il reboutonne la chemise dont les bang boutons

Qu’on che rendez-vous dans une heure. Me l’comprendrez !

Il leur faudrait peut-être engager une relation purement sonore et donc privilégier la présence symbolique par la voix et donc oublier que le corps affirme sa propre dénégation et parle toujours plus qu’on ne le …

Il redéboutonne sa chemise en prenant soin de ne pas retourner un autre ongle et il caresse le poitrail dans le sens des poils anciens et nouveaux, puis en contre-sens, puis dans le sens des mêmes poils, à la recherche du cheveu qui manque, de ce nouveau poil apparu du temps qu’il n’aura plus. Au point qu’il s’interroge qu’il se demande si l’augmentation quantitative des poils sur les bras et sur la poitrine, et bientôt peut-être sur le ventre et les cuisses et les mollets et le dos et les fesses, n’est pas inversement proportionnelle à la diminution de son reste à vivre. Dans le doute du cas où alors il espère pour quand il bang mourra devenir le plus singe des bing — Soit dit en passant vous connaissiez un certain Monsieur Monstre ? Soit disant qu’il possédait la plus grande bibliothèque de la ville. A l’imparfait parce que découvert hier gisant dans le sang, la tête patati patata tralala lalalà faut … Faut ? Il la rereboutonne la chemise en pensant qu’il connaissait bien feu monsieur Monstre, mais qu’il n’appréciait pas beaucoup elle la veuve devenue du jour. Il l’avait aidé dans ses enquêtes et ils avaient fini par se lier d’amitié. La nouvelle de sa mort est une catastrophe. Non pas d’amitié car jaloux de Monsieur Monstre et de sa galopante calvitie et de sa pilosité tout autant absente qui avait été capable d’attirer une future veuve.

Car lui aussi perdait ses cheveux (poils poussant au sommet du crâne qui procurent beaucoup de soucis aux messieurs, ou qui en procureront.) Puis la porte cochère, qui dans la cour de l’immeuble — puis le fond de la cour même et la porte en bois qui vers l’escalier — en bois pareillement, peaufine son discours pour éviter de bafouiller invariablement — puis les marches, qui grincent, pour raconter comment il s’est faufilé parmi les officieux (celui qui n’est pas officiel, en toute étymologique logique) — puis le long couloir qui plutôt sombre, comment il a dû être précautionneux (celui qui, en toute pareillement logique, agit avec précaution.) — puis le bout du sombre couloir, et aussi rigoureux (celui qui jamais ne se perd dans des fumeux méandres.) — puis l’autre porte, blindée, sans être peureux (celui qui jamais ne se risque dans les méandres copieux.) ; la jeune cerbère en robe noire en commande l’accès grâce au bouton situé à gauche de sa main gauche qu’elle actionne sans sourire ni parole — qui recommence à tapoter sur l’écran de l’ordinateur, — serait-il heureux (Celui qui se satisfait de l’expérience méandreuse du copieux rien.), la cave dont la porte sans poignée qui vient de se refermer — les néons du dedans pallient l’absence de lumière du dehors, le flux d’air frais, qui évite sans doute aux visiteurs l’asphyxie, enveloppe les corps d’un cocon glacé — les poils des bras se dressent sur la peau, tandis que la froideur du lieu voyage depuis l’extrémité des orteils jusqu’au plus profond de sa moelle épinière.

Les officieux sont des gens précautionneux, toujours rigoureux, parfois peureux et plutôt heureux.

 

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1ère mise en ligne et dernière modification le 24 avril 2013.
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