Benjamin Redon | Rue des Saintes-Épines

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Benjamin Redon est né en 1977 à Tournon sur Rhône en Ardèche. Il vit à Paris.
proposition n° 1

Il faut se garer, faire comme avant même s’ils ne sont plus là, mettre le cligno, reculer sur le gravier, serrer contre le mur sans rayer la portière. Dans le rétro, cette impression de voir son père lui faire signe de braquer en tournant un volant imaginaire.
Sur une photo de 1982 il pose avec sa mère devant la maison neuve, les murs encore glabres, la terre encore nue. Cette certitude enfant que cette maison serait éternellement à lui.

Il y a toujours le massif de fleurs au pied des bouleaux, c’est là qu’elle l’emmenait en chuchotant. Elle, accroupie à cote de lui, montrant du doigt les crocus qui pointaient sous la neige. Le portail est resté ouvert, doucement, il s’est allongé sur la pelouse à la place de l’arbre dessouché. L’herbe chaude sous la nuque, il ferme les yeux. Dans la chaleur de l’été, il le sent au dessus de lui, toujours vivant, toujours bruissant, Le feuillage immense du pin parasol.

proposition n° 2

Dans la vallée, un chemin de terre écrasé par le soleil, avec son liseré d’herbe entre deux sillons blancs. Plus loin, un talus couvert de ronces avec un arbre nu. Des champs d’abricotiers, des carrés de vignes et de rares habitations disséminées dans un treillis de routes à l’asphalte délavé. Plus prés du Rhône, des parcelles inondables, non constructibles, des terres sauvages parcourues de saules, de peupliers, de chemins couverts de galets. Au-delà du fleuve, un coteau avec ses pentes arides parsemées de petits bouquets d’arbres. Sur sa crête, le va et vient minuscule des promeneurs.

proposition n° 3

Derrière, un coteau couvert de vignes avec des fumerolles bleues qui s’élèvent vers le ciel. La RN86 invisible derrière la voie ferrée. Des petites villas coquettes couvertes de tuiles romaines, ceinturées par des haies de thuyas ou de lauriers palme. Devant un pavillon aux murs vert pastel, un homme avec une cotte bleue à bretelles qui bêche son jardin.

proposition n° 11

On tire sur une grosse poignée dorée, puis la porte lourde se referme derrière nous dans un tintinnabulement de clochettes. A l’intérieur, des hommes silencieux font la queue guindés dans leur manteau comme s’ils attendaient le bus en plein courant d’air. Un homme trempé par la pluie entre et s’essuie les pieds de manière ostentatoire, un autre salue d’un bonjour un peu enroué, les autres répondent en écho, des murmures, des voix blanches, la gorge prise, timides eux aussi.

Entre 2 clients, la fille de la boulangerie déplace avec élégance des bocaux où macèrent des crocodiles gélatineux, elle ajuste son chemisier puis replace une mèche de cheveu derrière son oreille. Prés des brioches, un miroir, un homme s’y observe incrédule, comme s’il peinait à se reconnaître.

Derrière elle, une porte entrouverte et l’on devine un porte manteau, une paire de chaussures. Les regards convergent vers l’entrebâillement, on regarde sans faire mine de regarder, puis un enfant portant un chat dans ses bras fait une apparition. « Un instant » dit la boulangère, elle franchit la porte, disparait avec l’enfant puis revient à nouveau devant le poste de caisse. Ce quelque chose d’étrange de la voir naviguer entre son lieu de travail et sa cuisine, comme entre la loge et la scène, de passer d’un univers à l’autre aussi facilement.



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1ère mise en ligne 11 juin 2018 et dernière modification le 19 juin 2018.
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