Yann Doumeix | Suburbia

–> AUSSI DANS CETTE RUBRIQUE
Né en 1970, éducateur spécialisé puis bibliothécaire, je (re)découvre les mots, la parole, et c’est jubilatoire. On trouvera sur son site Ydo Photographie des lectures à voix haute des textes ci-dessous.
proposition n° 1

De retour au verre de bière partagé avec la chanteuse du groupe de rock Zéro de conduite. Cet événement a eu lieu à Tours, probablement en juin 1984.

Il se souvient des énergies du moment. Le mur du son, la hargne du ton de la voix. Cette façon d’être debout ensemble sur la scène, pour eux, et ce que ça faisait en dedans, pour lui.

Le ventre tordu, les yeux, les oreilles, la peau ; tout ouvert pour capter, ingurgiter, bouffer, mordre. Une orgie sonore jubilatoire. Et puis ses yeux, après le concert. Là, le son est coupé, c’est isolé, ça sent la séduction. C’est précieux.

La tête fabrique de la nostalgie, le ventre est le siège des souvenirs, des sensations enracinées. C’est la mémoire des tripes. Au quotidien, il est là, et opère un retour parfois même à son insu, sur les événements clés.

Cette façon de terminer les mots par une intonation proche du crachat, c’était excitant, beau, libérateur. Il ne le savait pas au moment où surement balbutiant il partageait cette gorgée de bière. Zéro de conduite est le titre d’un film de Jean Vigo, libertaire.
Le retour se termine avec la sensation d’être plus que la somme des événements revenant à la mémoire. Il est aussi question de liens. Une topographie imaginaire s’esquisse. Tout cela prends sens, le retour est une bouffée d’énergie, parfois.

proposition n° 2

Une salle de réunion sans intérêt, quelque part, en suburbia.

« Chers collègues, nous sommes en présence d’une image issue d’une mémoire humaine, captée par nos procédés inconnus du grand public, puis convertie en données numériques. La cohorte d’individus utilisés pour cette récolte à grande échelle est de souche caucasienne, ayant probablement 14 ans au moment de la constitution de l’image mentale.

Il s’agit d’en amasser un maximum, de les numériser, pour nourrir notre projet d’intelligence artificielle prédictive.Plus précisément, nous voulons dans le cas présent retirer des grandes tendances chez les adolescents mâles en terme de sexualité. Nous avons un grand stock d’images mentales.

Celle-ci a retenu notre attention, en raison de sa banalité, de sa pauvreté même. Elle est symptomatique.

L’individu n’a pas été attentif à sa mémoire. Il s’en « flou » un peu. On dirait que ce genre de truc confine à la nostalgie, et ça ne doit pas être son genre. Passons.

Les métadonnées de l’image mentionnent dans les champs IPTC « zéro de conduite ». Nous ne savons pas quoi faire de cette donnée.

L’image a été sous exposée, le sujet n’ayant pas respecté le temps d’ouverture du diaphragme.

L’image est floue et corrompue, on dirait un peu du glitch art. L’analyse des données numériques de cette image est sans équivoque : cet individu a consommé par la suite des quantités importantes de cannabis, ce qui n’est pas sans effet sur la mémoire.
J’attire maintenant votre attention sur ce que l’on y voit ; une bouche féminine embrassant toute la surface de l’image, ne laissant pas de place pour autre chose. Mais ce n’est pas une image en gros plan. C’est comme si le sujet principal, les lèvres, avaient avancé, avec le temps, pour remplir tout le cadre.

Notre expert psycho caméra de surveillance décèle un phénomène typique chez les adolescents de cette catégorie, à ce moment là : une attirance sexuelle farouche contre carrée par une inhibition inversement proportionnelle.

Cette image et le corpus dont elle fait partie ira nourrir notre gigantesque base de données. Nous allons arriver à la société panoptique.

Bien évidement, le compte Instagram de notre organisation comporte cette image. »

Vraiment, cher lecteurs, et lectrices, merci de conserver vos images mentales.

Suburbia, voir Bruce Bégout.

proposition n° 3

Autour de cette scène. L’île Aucard. La Loire. La ville de Tours. Des gens qui essayent d’inventer quelque chose, les Reactors, Forget Me Notes, les Thugs, et l’équipe de Radio Béton. Un type qui tient un magasin de disques Vinylium. Il roule en Honda 125 « twin cylinders bleue ». Me fera découvrir Ludwig Von 88.

Des amplis des guitares des câbles des bières des seins des micros des amplis des basses des bières des micros des amplis des batteries des torses des crachats des cris des jeans des amplis des pied de micro des larsens des choses et des sons des bouteilles de cris des pantalons, des couilles et des chattes des yeux et des gorge des gorges des gorges, des gorges déployées.

Tout ça ayant une énergie capable de mouvoir l’île sur la Loire, partir vers l’atlantique, vers l’Amérique et vers l’Angleterre. Autour de tout ça, des gorges parlantes inventant le rock Français, une histoire de rythme qui marche à ce moment là. Une historie de rythme qui marche à ce moment là, avec des intonations dazibao bombe au napalm.

« Je suis mort » par Zéro de Conduite

Beaucoup plus loin dans le hors cadre. Maintenant. Visible depuis la médiathèque Jean Pierre Melville, à Paris 13, la devanture de Century 21 affiche en lettres défilantes, la date, l’heure et :

« Printemps de l’estimation, découvrez la vrai valeur de votre bien à la loupe. »

C’est une sorte d’avatar de Joseph Koudelka que nous allons suivre. Une pâle copie, un personnage d’opérette, tordu selon les convenances des propos que l’on tente de tenir en suivant cette proposition.

Joseph Koudelka dans un bar à Issoudun. Son regard, le regard de Joseph Koudelka sur Issoudun. On se contrefiche de savoir s’il sait que le groupe de rock Zéro de Conduite est originaire d’Issoudun, dans le département du Cher. De même, aucune indication temporelle. J’écris et je fais ce que je veux.

Joseph Koudelka regarde par la fenêtre du bar. Ses yeux ne font pas que voir, ils regardent. Ils débusquent les grains qui vont se retrouver sur ses images. En écrivant cela, c’est pratique et tout bénéfice pour celui qui écrit qui devient voyant derrière les yeux de Joseph Koudelka. Il regarde en dehors du bar dans une rue d’Issoudun. C’est une ville tellement morte que même Google Street View n’y viendra jamais. Autant contempler les vers d’un cadavre.

Joseph Koudelka regarde par la fenêtre du bar. Les grains d’un ennui provincial profond lui font peur. Rien de magique à photographier ici.

Joseph Koudelka sort du bar, se poste devant un mur de magasin condamné avec des planches. Un attelage de chevaux arrive par la droite. A gauche, un type, je crois, une figure humaine, qui regarde. L’ange d’Issoudun fait son apparition ur un vélo. L’ange d’Issoudun est blanc blanc blanc sur le gris gris gris. Depuis cette image gri gri se passe de main en main de bouche ne bouche de corps en corps dans cette ville quand on s’emmerde, ce qui est fréquent. Si on n’aime pas la anges, on fait un groupe de rock, d’où Zéro de Conduite.

Nice regarde Isssoudun qui regarde Tours et tout ça se réponds.

Nice, toujours Joseph Koudelka, devant un amas de tôles. On devine l’inscription Google Street View sur la carrosserie. Un type se faisant passer pour Jean Vigo, beau comme un ange, verse de l’essence sur le tout, crie à mort Christian Estrosi et balance un morceau de tissu enflammé.

Nice regarde Issoudun qui regarde Tours et on y comprends plus rien.

Sur un Ipad dernier cri, muni d’un Canon 5 D dernier en bandoulière, Joseph Koudelka regarde un vieux film en noir et blanc.

« A propos de Nice » de Jean Vigo.

Rien que par la forme, c’est de l’amour de la destruction. Le faux Joseph Koudelka se dit que le vrai Joseph Koudelka à dû voir ce film, en vrai, un jour. Que cela à dû le marquer, le conforter peut être dans ses choix esthétiques. Ca se termine par le plan du film où l’on voit les palmiers de la promenade des Anglais. En fond sonore, on entends « Je suis mort » de Zéro de Conduite.

proposition n° 5

Le souvenir le plus précis, c’est la bouche et les lèvres. Il faisait un temps dans la norme pour un mois de juin 1984. Une température digne du jardin de la France. Un ciel bleu (royal) sans nuages.

Le sol de l’île Aucard, en cet endroit précis : habituel, dans la norme pour un lieu de loisirs et de sports. Probablement un sol ayant été compressé. Présence de fossiles brisés pas encore réduits en si petits morceaux que l’on ne peut plus les définir par leur forme. Le sol de l’île Aucard en cet endroit précis peut-être aveuglant en plein soleil, il est blanc cassé.

Entre le ciel bleu et le sol blanc cassé, des murs d’arbres autour du terrain. Des arbres gigantesques, aux feuilles un peu huileuses retenant parfois la poussière de l’air ; des peupliers ? Des troncs gris prolongés en dessous par des racines plongeant dans le sol de l’île pour aller puiser l’eau de la Loire. Des arbres gigantesques conscients du privilège d’être là, dans la vallée de la Loire.

A Tours, dans le bus entre le Cher et la Loire, pas en sens inverse, un usager, assez maigre, tenant ses cinq doigts dans sa main. Dans le même temps il se fraye un chemin entre les mots qui l’entourent. Les mots de la ville, son nom, et puis en grossissant encore sur la carte, le nom des rues. Ce qui est en lisière du solide, d’abord, l’eau. L’eau de la rivière Cher, l’eau du fleuve Loire. L’usager du bus surplombe le Cher de cinq étages quand il est chez lui. Le Cher ne chuinte même pas. C’est plutôt « chut » l’usager ne le voit même plus, question d’habitude. Le fleuve Loire charrie un lot d’imaginaires dans son nom et dans ses eaux. L’usager s’en fiche un peu. Le plus souvent beaucoup.

Mail Antoine Bourdelle, opaque. Rien à tirer de ce nom. La lippe satisfaite du fonctionnaire repu donnant ce nom. Assis devant son bureau standard, il chevauche la culture et lui mord l’échine, recrache le morceau sur la ville, lui donne des noms. Ou peut-être un jeu de dés pour répartir les noms à donner.

Tiens c’est curieux. C’est surement un signe, y’a jamais de hasard dans la vie, tout es écrit, par on ne sait qui mais Antoine Bourdelle a pour initiales AB. Comme ma mère. C’est un putain de signe. Poursuivons. Les initiales de mon père son CD. Ma mère et mon père ça fait ABCD. Je m’appelle YD. Ça cloche.

Monsieur Guignolet, instituteur habitant à Azay le Rideau et officiant à l’école primaire Ferdinand Buisson.

Guignolet

Azay le Rideau

Ferdinand Buisson

« Assez, le rideau ! La mémoire m’encombre, il faut faire de la place sur le disque dur, je ne veux pas ressasser la passé, mais écrire la ville du futur. »

Jean Royer, maire de Tours pour l’éternité est encore vivant. L’usager attend la venue d’internet pour enfin voir la photo de cette femme aux seins nus manifestant contre l’édile.

Mort, mais maire de Tours pour l’éternité il donnera son nom à une rue Jean-Royer.

proposition n° 7

« Est ce que ça vous est déjà arrivé de sentir que c’était tout proche, et puis quand même quelque chose fait que c’est impossible ? Les lieux on changés, des bâtiments sont rayés de la carte. Vous avez perdu la carte mentale, la mémoire des pieds. Le chemin ne se retrouve pas naturellement pour se dérouler. Quelque chose d’impalpable rends le retour incomplet. »

Il répond que oui parce que il a fait Paris Poitiers en vélo sur plusieurs jours. Il est allé chercher des traces. Sur les endroits de l’enfance.

Il répond que oui parce que la ville le village on ne sait pas en tous cas, paraissait déformée, comme vue à travers un kaléidoscope. Ca semblait flou. Le regard ne s’y retrouvait pas, entre des couches de temps différents. Il s’est dit en sortant de la ville ou du village en bordure du Cher : « C’est dans ta tête, des souvenirs, et ce que tu vois là, autre chose ».

Il répond que ou il est allé pédaler sans machine à coudre mais à vélo pour tenter de recoudre ce qui était décousu. C’était là tout prêt, vraiment proche. C’était là devant lui. Un diorama. Une mise en scène sous cloche. Il voyait des scènes précisément. Cela avait été disposé pour évoquer le souvenir. Là il pleuvait sur sa cape orange. C’était là devant lui, le lieu dit « le Paradis ». Les gouttes glissaient.

« Une cloche, une vitre, faite de non-dits, de coagulation de je ne veux pas dire quoi non plus ». Il s’est dit le pied droit sur la pédale sous la pluie et la capuche orange.

proposition n° 8

De retour au verre de bière partagé avec la chanteuse du groupe de rock Zéro de conduite. Cet événement a eu lieu à Tours, probablement en juin 1984.

Sauf qu’en vrai, rien de tout cela n’a eu lieu. Il était bien prévu que, mais il n’ont pas pu.

Comme il pleuvait, tombait des cordes, des chiens et des chats, des tombereaux d’eau, rien de tout cela n’a eu lieu.

Comme l’ensemble des nuages recouvrant l’agglomération Tourangelle étaient ouverts, rien de tout cela n’a eu lieu. Comme les vannes des nuages étaient ouvertes, rien de tout cela n’a eu lieu.

Comme il pleuvait ses yeux derrière la vitre de la cuisine, les gouttes sur le ciel et les odeurs de choux et France Inter. Comme il pleuvait il tenait ses doigts dans ses mains sans lâcher des bordées d’injures. Comme il pleuvait l’île Aucard s’était désolidarisée de l’agglomération Tourangelle emportée par les flots les univers liquides emportant la Loire et ses vivants. Comme il pleuvait dans un songe ils ont vu un orchestre de rameurs sur un fétu de paille emporté, les bouches vociférantes dans une sorte de bruit de gargarisme. Un orchestre zéro prenant l’eau plutôt en dessous de la ligne de flottaison. Un orchestre mort-né d’enfants noyés glapissant « Je suis mort ». Comme il pleuvait les couleurs du souvenir se mélangeant à l’acrimonie merdeuse des jours passés et les mots liquéfiés liquidés ne veulent plus rien dire, ils se refusent même à être à la hauteur, on ne les voit plus faire que le dos rond sous l’eau. Il pleut vraiment la bière est mélangée à l’univers liquide.

Je viens de regagner la rive, les quais mais j’ai froid.

proposition n° 9

Radio Béton vous propose de retrouver cette archive. « Il a été dit précédemment que cet événement a eu lieu en 1984. C’est une erreur. Il s’agit du 21 juin 1986. » Une voix de jeune dans un poste ancien, avec du souffle et une odeur de vieux truc. Dans cette archive nous entendrons, sans que cela réponde à aucune logique, des sons, des voix, des choses, et d’autres.

Commencer par le son d’une recherche de radio sur une fréquence FM ; des grésillements, des tâtonnements, et puis une fois arrivé sur 93,6 FM la netteté, et on entends un type, probablement, éructer Radio Béton, avec une voix de soudard agent provocateur. Une danse de sons va alors débuter, vous transportant à la recherche de leurs origines. Feulement doux du stylo plume sur le papier, reniflement sale du nez. Toujours en fond sonore, mais hors-champ, l’écoulement noble de la Loire. C’est une erreur, on ne peut pas dire d’un son qu’il soit noble. Le son cric crac cric crac. Ca devait être celui des pas sur le sol en gravier. Pour décrire un son par les mots, je ne vois pas comment faire. Inventer un procédé d’écriture entre la notation musicale et l’écriture des mots.

Le son cric crac interprété comme celui des pas sur le sol, assez doux, arrivent des vox « là, tu poses ici, fais gaffe à tes pieds » des son métalliques, socles de barrières posées sur le sol, raclement un peu, stabilisation après, silence. Poursuivre ensuite par un mur du son déluge de guitares qu’il manque des mots pour dire. Les Thugs son lourd opaque et pourtant lumineux en tous cas orgiaque. Son de braises, de distorsion, de grai, de fil à couper l’heure en larsen. Que c’est pauvre à dire lire, limite sans intérêt par rapport à ce que c’était à entendre. Le son de Radio Béton crevant la nuit de silence de la ville de Tours. C’est convenu à écrire.

Connecté, le son de machines-outils, marteaux piqueurs pourtant largement hors-cadre.

Le son des voix entre les morceaux, des verres de bières, des gens avec lesquels il aurait parlé, aucun souvenirs. On les retrouve pourtant dans l’archive sonore en pastilles temporelles capsules mentales.

De zéro secondes à deux minutes trente, c’est flou, la bande magnétique et usée. Des voix audibles mais incompréhensibles. A un moment un chuchotement humide, vers une minute quarante cinq, comme une gorgée de liquide suivie d’une autre. Entre deux un merci.

L’archive ne se termine pas sur, mais plutôt sur. Enfin autre chose.

Le sérieux de l’auteur vautré dans les souvenirs contre balancé par un bruit de vomissement, des rires en arrière plan.

proposition n° 10

J’écris sur ce qui se sent. Ce qui se renifle. Un manuel scolaire, cours de Russe, imprimé en URSS. Il sent affreusement. Comme jamais un livre n’a senti. Ils sentent tous pareil, on compare. Non, c’est d’origine. Sans citoyen Soviétique sous la main, nous n’avons pas pu dire si le Russe moyen a mauvaise haleine. Nous sommes enclins à la penser, à Rochefort sur Mer. Notre professeur de Russe s’appelle madame Mollard.

Un livre, ça peut sentir. A la fin du bloc de l’Est, on est allé vers des choses moins parfumées. L’hygiénisme rampant trouve son acmé dans le livre électronique : il ne sent rien, sauf à avoir les doigts qui puent.

Inventer le livre qui sent l’arbre.

De mes éloquents souvenirs si importants à partager j’exhume des exhalaisons tentatrices ou repoussantes, c’est selon. L’odeur de la culotte de sorcière dans un bain de pisse de Satan, et qu’on rajoute ce qu’on veut. L’aspirant poète à la moue boudeuse parlera longtemps de l’odeur du thé vert. L’assistance s’effondrera sur les bancs du stade de Furiani, confite d’ennui, et les bancs avec.

Là ou il était, je n’ai pas de souvenirs d’odeurs.

J’écris sur le toucher. Même la plus distraite des lectures, un accord de prêt bancaire pour un bien immobilier, passe par le toucher. Le papier encore chaud tout juste sorti du ventre de l’imprimante. Il a aussi une odeur, âcre. Ce papier, qui engage, on le touche distraitement pour le parapher. La lecture d’un texte évoquant le toucher donne des ailes oniriques aux mains, la chair de poule, parfois. La peau est aussi convoquée.
Toucher de ses lèvres le verre auquel elle a préalablement bu.

J’écris sur ce qui se passe dans ma bouche. J’ai une langue, des dents, d’autres trucs, et des joues pour que tout ça reste à l’intérieur. Ca me permet d’avoir des sensations gustatives. Ecrire, lire, marcher, c’est en lien avec le goût. Je n’ai jamais mangé de pâte à papier de façon intentionnelle.

Il goûte le verre de bière. Ce houblon c’est le pompon. Un truc à tourner gredin, à se pâmer avant qu’un soupçon d’ivresse se pointe. Là, au bout de la langue jusqu’au fond de la bouche, un fleuve de saveurs se dépose.

« Tu en fais trop c’est souvent insipide. »

Au centre de la carte mentale élaborée sur Mind Maps, l’image fixe, en 3D, vue sous plusieurs angles. Autour, disposés en cercle, des nœuds fils, ce qui s’entend, ce qui se sent, ce qui se touche et ce qui se goûte. Au centre de la carte géographique personnelle, Tours, et plus précisément dans le cas présent l’île Aucard. Des liens, sans précision temporelle avec d’autres lieux ; Paris, Poitiers, Rochefort sur Mer. Dans ce trajet immobile entre différentes stations de la mémoire, des perceptions.

proposition n° 11

Odeurs. De paille, douce amère. On ne s’y attends pas à ça en ville. Mélangée avec des remugles de déjections animales. Voir. Des contenants grillagés ayant comme contenu des animaux. Les boîtes à bêtes sont munies d’une petite porte côté boutique. De la galerie, voir les grillages puis les poils les plumes puis les yeux. Les animaux qu’on pourrait acheter.

Dans la galerie commerciale du Grand Passage, à Tours, un oiselier vendait aussi des chiots. Juste avant l’entrée du magasin le Printemps. Cette odeur connectant à la campagne, à l’animal domestiqué. Eux dans les boites nous dans la galerie.
La galerie du Grand Passage à Tours. Carrelage constitué de morceaux. Figures géométriques de triangles, d’autres plus complexes. Impression d’un jeu avec de la vaisselle cassée. Alternance de gris différents, formant des vagues, plongeant le regard vers le plus profond de la galerie. Un sol artisanal aux motifs chaotiques.

Une image d’archive extraite d’un film muet, noir et blanc, des années 50, montre les maçons à l’ouvrage sur le chantier de la galerie. A genoux sur des planches en train de nettoyer, c’est la fin. Que disaient ils ? Qui étaient ils ? Il paraît que le motif du sol est directement copié sur celui des trottoirs de Capacabana de Rio.

Une autre image d’archive, trouvée sur le site du journal la Nouvelle République. En noir et blanc de format carré, c’est peut être un appareil moyen format à l’origine de cette image. Elle est datée des années 1970. C’est l’hiver, l’approche de Noël, les magasins sont décorés. Devant une des vitrines, on distingue un sapin. Les personnes semblent surprises devant l’objectif. Elles sont habillées de façon citadine, un peu guindée. La vitesse de prise de vue est suffisamment faible pour que les personnes qui bougent soient un peu floues. Une femme à l’écharpe blanche. Sous l’enseigne perruques postiches. Son regard que l’on devine, son sac à mains, porté un peu en arrière.

L’inquiétante étrangeté d’une photo d’un quotidien figé, mais mouvant aussi, propice aux projections, voyages, dilatations.

Le même sol, dont je me souviens. On devine une enseigne d’un magasin de jouets. Tout est propre, soigné. Faut appâter le chaland. Les vitrines sont clinquantes. Entre le boulevard Heurteloup et la rue de Bordeaux, faut que ça consomme.

Une galerie commerciale dans une ville de province, paf, celle là. Une bulle hors sol, hors conditions météo. C’est un lieu commun, utile, utilisable et désirable. Je ne peux pas aller plus loin et rivaliser avec Annie Ernaux, dans ses descriptions de tels lieux.
Revenir à la galerie du Grand Passage, par la mémoire, assistée de recherches sur internet, trouver des documents d’archives, consulter Google Maps et y faire un tour. Virtuel.

Il faudrait pouvoir cataloguer ce qui s’est vécu dans ce lieu. Parler de ce sentiment de fierté de marcher là, devant les tentations, adolescent pas encore concerné par la décroissance. De ce qui se construisait, sur le carrelage, quand on accompagnait une copine acheter une babiole. Faire l’inventaire et retrouver des : « Tout gamin, j’ai joué aux billes sur le carrelage de la galerie du Grand Passage ».

Prolonger cette invitation en marchant de ville en ville, de galerie commerciale à une autre.

Arriver à Chendgu, en Chine, qui compte un mall gigantesque, monstrueusement déjà kitch, avec un sol en faux marbre, des enseignes de luxe copiant nos élites sacs à main. Le New Century Global Center.

Envisager les galeries Parisiennes, passage Choiseul, avec Céline.

On pourrait rêver comme ça, sur une idée de voyage de galerie commerciales en mall exotiques, une marche qui emprunterait le moins possible de nature. Une marche dans l’illusion d’un monde recréé, pour une seule logique, consommer. Un état du monde génétiquement modifié pour la croissance éternelle. On passerait dans la décrépitude, aussi, c’est souvent le cas, à croire que c’est une malédiction. Surtout dans les villes de province. On ferait des selfies devant les vitrines des magasins, que l’on posterait sur Instagram, et on serait chic, riches et jeunes, pour toujours, dans une errance cotonneuse, continuelle, onirique quand même, onirique toi même.

proposition n° 12

Paris, treizième arrondissement, maintenant. Entre l’avenue de Choisy et celle d’Ivry, le centre commercial Massena. Une clientèle « captive et fidèle » fréquente les 7300 mètres carrés disponibles.

La cuillère s’approche de la bouche ouverte. Une dame en fauteuil roulant est nourrie par une autre. Une serviette sous le menton, qui oscille. Une dame au visage fatigué, mais parmi tous. C’est en bande de vieilles Asiatiques que nous sommes venues « captives et fidèles », avec nos petits fauteuils de camping, et nous squattons l’espace public, à la vue de tous, sous les caméras de surveillance. Manger, parler, dans des langues différentes selon les oreilles et les bouches. Ça fabrique continuellement quelque chose, quoiqu’on en pense ce truc a un sens.

Table de café, une bière, une assiette de viande dorée style canard laqué, achetée juste à côté. La vitrine du restaurant regorge de viande suspendue dégoulinante et captive. Des personnes un peu âgées, un peu ridées assises, des corps en mouvement perpétuel, même si ça oscille doucement. Manger boire parler échanger rencontrer retrouver parader : « Tu as vu, je suis venu, je suis encore là, les malgré le malgré les maux, et que le sourire que je te balance dans les yeux remplace la lumière du soleil ». Visage rond, yeux éclatants, fierté, même avec un costume élimé et des baskets. La bière coule, les mâchoires mandibulent, ça cause et ça recause. Ça fabrique continuellement quelque chose, quoiqu’on en pense ce truc a un sens.

Les indications en plusieurs langues Asiatiques, sur tous les panneaux. Si vous venez traverser, un jour de pluie, entre avenue de Choisy et avenue d’Ivry, venez voir la clientèle « captive et fidèle ».

Gobelets de plastique remplis de café sur la table du Subway, au premier étage de la galerie, qui en compte deux. A n’importe quelle heure d’ouverture. Librairie papeterie Pmu. Une échoppe bordélique qui pue le vieux chien à côté d’un magasin Sephora. Une foule de types devant un écran à chevaux. Bedaine sur les genoux, un chien mité à la main, un tee shirt Johnny Hallyday. Le gens mêmes cassés, les corps sont plus beaux que vos enseignes.

Ici comme ailleurs les types de la sécurité sont noirs, grands et forts, et parlent selon leur bouche et leurs oreilles dans des casques micros.

Dans le ventre de la galerie commerciale espace public à reconquérir conquérir toujours, ça vit de 10 heures à 19 heures, c’est une baleine.

Vous trouverez des poissons exotiques aux noms imprononçables, des baguettes de pains, des nems, des fausses pizzas, des brioches, des dim sums, des téléphones, un traiteur grec, une pharmacie, une banque, des opticiens et d’autres enseignes. A genoux, l’impression que ce sont les commerces qui sont « captifs et fidèles », à réclamer la clientèle.

Monsieur rote sa bière, les doigts gras sur le pli du pantalon.

Madame sur son fauteuil à les yeux fermés. La serviette à été rangée, un coussin ajouté. Les paupières sont closes. Sur une des deux épaules, une main amie accompagne le repos. Les bouches parlent, je m’endors aussi, nous occupons l’espace public. Ça fabrique continuellement quelque chose, quoiqu’on en pense ce truc a un sens.

proposition n° 13

Une plaque indicatrice de nom de lieu. Faite de métal, il est écrit « Place de l’île de France » en lettre bleues sur fond blanc. La face que vous pouvez lire est orientée vers l’ouest. Un poteau de béton peint en blanc la porte. Elle surplombe le sol de deux mètres trente environ. Son coin supérieur droit est relevé. Elle surplombe la situation, le paysage urbain. Elle voit tout, mais n’enregistre rien de ce qui se passe ici, d’ordinaire.
En dessous, une poubelle en métal gris, entretenue et munie d’un sac en plastique blanc, transparent. Derrière elle côté est, la pharmacie de la dalle. En face côté ouest, un bâtiment aux fenêtres fermées, aux commerces murés. Un feu couvant sous dans les parties inférieures du complexe à attaqué les fondations. Les commerces et les gens habitants au dessus ont été expulsés, relogés. Le mot « transfert » figure par deux fois sur les panneaux, une sorte d’invitation à voir ailleurs, pour l’onglerie. D’ordinaire, ici, c’est tranquille. Une utopie du passé, la dalle en béton. Dans son ventre, l’espace dévolu à la circulation, sur le plan du dessus, les commerces puis les logements en hauteur, pour gagner de la place. C’est rationnel.

L’entrée du la galerie commerçante est à gauche, par l’allée de Picardie. Un petit bruit de roues de caddie sur le sol. Un tissu aux motifs de style écossais tendu sur une armature en métal. Un corps, un visage juste de passage, tout en modestie. A côté, un groupe de jeunes goguenards, dans l’attente. Des voix, et un haut parleur diffusant du rap qui cogne. Survêtement blanc, sneakers immaculées, des yeux en caméra de surveillance.

Le Café l’esplanade est encore plus sur la gauche. Des tables en terrasse, avec une vue sur le ciel gigantesque, bleu, sec. Un groupe de jeunes filles marche en se filmant à l’aide d’un smartphone. L’une d’elle arbore un sourire très « millenial ».

Il est possible de rejoindre la Seine, en prenant à gauche, une fois les escaliers descendus, prendre l’avenue Jean-Jaurés sur la droite, marcher quelques temps, vous serez alors sur le pont.

proposition n° 14

Il est habillé mais on s’en fiche. Ses yeux sont expressifs et on les remarque. Ce n’est pas suffisant, ce sont des phares, disons que la lumière sort de ses yeux. Oui, on voit bien qu’il est habillé de façon normale, mais ce n’est pas ce qui saute aux yeux. Il est brun.

L’autre est brun lui aussi, mais moins, avec du blanc par endroits. De ses yeux on en sait rien. Il porte des lunettes de soleil à montures métalliques. Des chaussures noires, avec du blanc par endroit. Sa silhouette est celle d’un homme presque absent, déjà parti.

A six pattes, Madame passe avec son chien. Pardessus réglementaire marron, il pourrait être gris. Fichu sur le gris des cheveux, qui auraient pu être brun, couic, feulement. Le son de la laisse à dévidoir de fil rattachant le bipède au quadrupède. Le chien est bref, menu, citadin.

Un tee shirt blanc, une inscription : Siouxsie and the Banshees, Doc Martens aux pieds, noir de jais partout ailleurs ; une jeune femme moderne. Concentrée sur l’écoute de l’ardente explosion sonore, les hanches en joue. Des joues à embrasser sous des yeux rancuniers, on ne sait pas pourquoi.

Cheveux bruns frisant, mais pas de diversion possible, votre regard ira se perdre dans ses yeux. Séductrice potentielle consacrée aux sons, elle ne vous regardera pas, tout est dans ses oreilles. Une sueur discrète perle sur son front et sa nuque, sans qu’elle en soit pour le moins du monde troublée. Mais moi, si.

proposition n° 15

Une mèche de cheveux dépassant du fichu caresse la peau âgée de quelques rides, au dessus des pommettes saillantes des yeux dont on ne soupçonne pas la force, mais ce qui nous occupera c’est ce que dira la bouche soignée encombrée de rouge à lèvres - en son for intérieur du soleil, sans oublier la sueur et l’envie, l’odeur aigre douce des prunes alanguies sur un drap, et des pieds, au nombre de quatre - la bouche parle alors, on écoute, que ce soit le personnage aux yeux de phares, le brun poivre et sel, la demoiselle aux yeux rancuniers et l’autre aux joues comestibles ; je vois bien là les jeux auxquels vous jouez, les regards que vous affichez, les fins que vous poursuivez – elle n’aurait jamais dit cela, elle dira plutôt : grand échalas, je te parle, comme je parle aux animaux et aux hommes, je parle pareil, j’ai l’oeil, je te le dit, sur toi et tout ce qui ce passe ici, grand échalas déguercheu d’andouille, je te parle ! Non, je n’aurais jamais laissé une inconnue m’apostropher de la sorte, elle n’aurait pas dit cela mais plutôt : Je ne sais pas ce qui se passe ici ce qui change ou ce qui ne change pas mais ce raffut ne m’enchante pas, et toi, tu es le dindon de la farce, tu as les plumes encore trop vertes, si c’est possible d’afficher une telle niaiserie, et que je saches tu es encore dans les bras de maman plus souvent que c’est prescrit, et que je sache te dire tes quatre vérités, munie d’un quadrupède silencieux n’y change rien ; je sais qui tu es et ce que tu vaux, rien. Tu m’emmerde la vieille au caniche, avec tes mots en travers de la porte, ici, c’est moi le roi créateur, c’est mon terrain d’expérimentation – il lui a répondu vertement, une volonté de ma part et tu t’envole hors d’ici ; il parlait de son je, un je à lui, prêt à recouvrir l’ensemble du visage de madame, de son fichu et clore une bonne fois pour toute l’épiderme de tout ça – ne pas l’entendre encore !

proposition n° 16

Entre la mèche de cheveux et les souliers, une bouche parle encombrée de rouge à lèvres soulignée par quelques rides, la force des yeux et les forces dans les mots à venir.

Sur l’île Aucard à tours la musique s’est arrêtée. Nous sommes debout sur le terrain de sport reconverti en scène musicale, pour un jour. Pour le moment, le temps et les événements sont suspendus. Je rapporte ce que j’entends de la façon la plus fidèle possible. J’ai décidé d’écouter ce qui semble une péroraison. Par opportunisme.

« Je ne m’adresse pas à toi parce que je suis omnisciente, faut pas exagérer, mais là ça vaut le coup de mettre des guillemets, je m’adresse à toi parce qu’il faut reprendre tout ça et remettre les choses en perspective – je suis architecte à la retraite – je m’adresse à toi parce que j’ai des soucis de cohérence, et si je peux aider, je le fais, alors repose toi, on va se tutoyer, hein ? J’ai tout suivi depuis le début j’ai tout lu et tout compris (non pas tout compris mais ce que j’en ai compris j’en fais cadeau) mes lumières sont faites et conçues pour servir alors alors de façon simple il est question d’une chose importante si importante que tu n’en as pas parlé pour l’instant mais qui mérite d’être dite isolée mise en évidence sur un piédestal à l’abri des corrosions : la mémoire et la ville comme terrain d’expérience et de fuite ; c’est d’abord cela dont il est question et qui te pends au nez / la mémoire du gobelet verre de bière échangé partagé en tous cas offert à la vue de tous, c’est la première chose dont il a été question, cette mémoire est associée à la nostalgie, et ça tu sembles le refuser –- ériger une statue commémorative te donnerait des frissons d’angoisse –- la ville dépose des couches physiques sur les souvenirs psychiques / de façon simple, je vois bien que tu refuses le retour l’idée même du retour et que tu t’évertue en de nombreuses manœuvres dilatoires risquant de fatiguer le lecteur potentiel ! Le refus de la nostalgie se fraye un chemin dans les villes peu importe lesquelles. »

Le chien couine.

« Ça saute aux yeux que toute cette construction sent la peur du retour, sans pour autant avoir l’audace d’affronter l’avenir, de saisir les possibilités à bras le corps si je peux me permettre de m’exprimer ainsi ! Ce que tu ne vois pas et qui pourtant est devant toi et en toi, c’est ta peur et la ville comme échappatoire, ses potentialités peu expérimentées – de l’audace, un peu ?

proposition n° 17

Le personnage est en Chine, à Chengdu. Qui dit ville dit flux d’informations, surtout ici, il faut occuper, semble-t-il, le temps de cerveau disponible des citoyens, et ce par tous les moyens. Ainsi, on voit des affiches de toutes dimensions aux lettres rouges sur fond blanc, on entends des messages délivrés, passons. Cela fait : […]. Un bruit, pas des informations ; le réel fait obstacle à la volonté de compréhension du personnage. Notons au passage qu’il n’a pas pris la peine d’apprendre ne serait-ce que quelques mots de Chinois. Notons au passage qu’il est venu se perdre et qu’il a gagné, il est perdu, il ne comprends rien au réel qui l’entoure. Notons au passage qu’il s’en réjouit, même s’il fait l’expérience d’un monde inintelligible.

Le réel à littéralement fait obstacle à la volonté du personnage, pas le même, mais c’est en ville, et nous allons voir comment, et c’est assez commun. Vêtu d’une tenue correcte, sans ostentation, d’une besace garnie légèrement, le personnage avance, sans qu’il soit nécessaire de préciser son sexe. Nous dirons « il », mais vous comprendrez « il » ou « elle » en fonction de vos désirs. Il avance vers son destin qu’il espère radieux, en tous cas au niveau professionnel, un rendez-vous de la première importance l’attends, une embauche probable, un recrutement envisageable, une mise à l’encan du chômage souhaitable. Son épaule gauche, à laquelle il tient tant, est offerte, expose à la réalité ; cette dernière, on s’en doute n’est pas belle à voir et comporte diverses occasions de contrarier son destin radieux. Il convient, là où nous en sommes, de ménager un temps d’attente entre l’horizontalité du trajet pour le moment pédestre de l’impétrant et l’événement perturbateur. Il est indéniable que, la pesanteur aidant, tout corps lâché dans le vide tombe à la verticale. Ceci est prouvé, encore une fois, par la chute, certes, mais surtout par l’écrasement d’une fiente de pigeon obèse, à en juger par l’importance de la souillure qui jonche l’épaule gauche, à laquelle il tient temps.

« Aujourd’hui, je suis professeur dans un lycée et les élèves se moquent souvent de ma petite taille. Ce matin, l’un d’eux à inscrit tout en haut du tableau : « Efface moi si tu peux ». Sit internet Vide Merde, écrit par Petite Prf, posté le lundi 17 mai 2010 à 20h52.

proposition n° 18

Titre : « Les gens même cassés, les corps sont plus beaux que vos enseignes »
Les gens
Les gens même
Les gens même cassés
Les gens même cassés, les corps
Les gens même cassés, les corps sont plus beaux
Les gens même cassés, les corps sont plus beaux que vos enseignes

Sons 1
Les gens même, même gens, les gens si même qu’ils sont même, à s’y méprendre, même s’ils sont différents, différemment cassés, les gens même différemment cassés sont, il sont même.

Les gens cassés ? Les gens, avec le son ; le son des lettres formant les mots, le son des gens même par dessus : le son de « les gens même cassés » que l’on pourrait dire : « les gens même cass. » on l’écrirait : « légeanmême Kass » que l’on dirait avec un appui sur le K. On ferait cas des gens cassés, sachant que cassés nous le sommes à l’origine, cassés ou chassés, pourchassés parfois, que cassé et chassé c’est pareil avec un h en plus. Oh. Les gens même cassés, les corps, que l’on dirait en appuyant sur les sons K.

Transition
Qu’on dirait que quand même on aurait pu lire : « les corps des gens même cassés, sont plus beaux que vos enseignes. » ou encore : « Les imperfections et difformités physiques de certaines personnes ne les rendent pas moins belles que vos enseignes. »

Tourner

On aurait envie d’aller vers, verre cassé : « Les enseignes, même cassées par les gens cassés, cassant en se caressant. » Mais qu’on revient avec seulement la bouche et les oreilles, que l’on en revient avec la bouche et la langue, et que la langue elle tourne derviche, dévisse, et qu’on débranche la machine à faire sens pour écouter la machine à sons, que pas seulement la langue et la bouche, mais aussi le cou et le nez, et les genoux et les pieds, bougent en disant, en disant que :

Sons 2 et synthèse
les gens les gens les gens
même cassés par trois fois
même cassés en autant de fois que de gens
les gens cassés brisés chacun à sa façon
les gens cassés brisés chacun pour soi
les gens les gens les gens
les enseignes les enseignes les enseignes
les gens saignent les gens saignent les gens saignent
les gens saignent suent sang et eau
suent
les enseignes les gens saignent
les gens saignent et cassent les enseignes
l’enseigne ment les gens saignent et les cassent
une fois les enseignes toutes cassées, les gens saignent
du verre brisé
mais on lit : « … sont plus beaux que vos enseignes »
mais on entends : [des bruits de verre tombant brisé des cris hurlements d’êtres
enivrés des pas des paf des kra des ouf, casse, casse, casse] et on lit sur un graffiti : « … sont plus beaux que vos enseignes »
Ils tournent autour des enseignes détruites
les gens les gens les gens
les poings les poings les poings

Les gens même cassés, les corps sont plus beaux que vos enseignes
Les gens même cassés, les corps sont plus beaux
Les gens même cassés, les corps
Les gens même cassés
Les gens même
Les gens

proposition n° 19

Titre : Tentative d’approche en musique
De retour sur les lieux, vus de haut. On voit bien qu’il y’a un fleuve, une île, une ville, un terrain, que tout est nommé, mais devenu anecdotique. De retour sur les lieux les données du catalogue sont inutiles, on peut se passer des métadonnées. Ainsi, de retour sur les lieux, le contenu de ce qui a été vécu peut recevoir d’autres noms. En d’autres termes, les informations dont il a été question se retrouvent sous d’autres ensembles narratifs. Pour cela, opérons un virage vers le réseau. Entendons nous bien ; nous allons faire irruption dans les souvenirs d’une immense masse de personnes. De façon simple, c’est comme si nous pouvions accéder aux souvenirs et les traiter. Ce ne sont plus que des informations. Pour être extrêmement concrets, nous avons élagué, simplifié, raturé, biffé. A la fin il ne reste au mieux qu’une équation, un calcul, une formule, un pachyderme de chiffres et de symboles, un algorithme peut-être. Une façon simple de comprendre ce dont il s’agit : faites une recherche dans votre ordinateur, dans le navigateur de dossier, avec deux mots utilisés fréquemment dans vos documents ; toutes les occurrences vont apparaître, sans le contexte. On vous a prévenu, c’est assez nu. Du ciel, que voit-on, alors ? Et bien, deux personnes en train de partager quelque chose. Que ce soit deux personnes de sexe opposé n’est pas remarquable, que l’objet du partage soit ceci ou cela, on s’en fiche. Ce qui est important c’est la capacité de retrouver les mêmes situations émotionnelles, sur l’ensemble du globe, dans des temporalités assez semblables, tout de même.
N’ayant pas vécu cette situation, je me contente de suggérer quelque chose. Cela va répondre à ma carte mentale, à ma propre subjectivité, je vous le concède. Je fais l’hypothèse que ce que je vais vous proposer, même si ce n’est pas universel, c’est assez répandu. Allons-y.
[Rebel rebel de David Bowie]
Nous y voilà. Ce titre est selon moi, l’incarnation de la situation dont nous parlons. Il comporte l’excitation, le désir, la mise en fleur des possibilités. Il est la bande-son de situation assez semblables à celle qui nous occupe, dans des contextes hétérogènes. Plus concrètement encore, voici des images d’échanges de regard ayant eu lieu avec ce morceau. Vous pouvez voir ce que vous entendez, ou l’inverse. En tous cas, vous serez d’accord avec moi, c’est semblable à la situation initiale. Vous faites justement remarquer, même si cela n’est pas le propos, que cette chanson est de la guimauve, certes mais comportant en-elle même l’idée de la décrépitude. C’est un autre sujet.

proposition n° 20

Titre : clichés / animaux / volapuk
Médiathèque Louis Aragon, Choisy le Roi. Intérieur nuit. Personne. Parfois bruit de RER, en début et fin de nuit. Parfois bruit de l’extérieur.
Cliché 1 Une lumière bleutée traverse les larges vitres ouvertes sur la Seine
Cliché 2 Les tranches des livres sont autant de promesses de savoir
Cliché 3 Les bruissements de gens maintenant absents sont perceptibles

« Une médiathèque, c’est un lieu du savoir, la figure de la spirale en est le symbole, comme une progression vers la connaissance. »

Cliché 4 Dans la nuit, des correspondances se tissent entre les livres
Cliché 5 Le silence est total
Cliché 6 Les poubelles sont propres

Animaux 1 / chèvre : Une chèvre est dessinée page 72. En noir et blanc, croquée à traits fins, avec soin, elle est interrogative. Autour d’elle, des lettres formant des mots, des mots formant des phrases, des phrases formant des textes, en l’occurence descriptifs.

Cliché 7 Une bibliothécaire à laissé son chignon
Cliché 8 Il y a beaucoup de livres
Cliché 9 Pas de jeu vidéo et d’écrans

« Implantée sur les bords de la Seine, la médiathèque Louis Aragon occupe l’ancien site industriel portuaire, encore marqué par un paysage de sablières. »

Animaux 2 / papillons : le cahier de suggestions à la couverture de couleur majoritairement rose. Recouvert par des illustrations de papillons voletants. Contient des demandes de lecteurs.

« La structure en béton est repoussée en périphérie pour offrir un maximum de flexibilité aux intérieurs. »

Animaux 3 / souris : Avec fils, nombreuses, silencieuses, uniformément noires dans tous les bureaux.

« Avant le projet, une démarche participative a permis de définir les besoins à prendre en compte pour la future médiathèque. Nous avons proposé des solutions esthétiques et efficientes répondant à ce cahier des charges afin de faire de ce lieu de culture et de partage un exemple de confort d’usage. »

Feuilles de papier A4 imprimées en couleur, affichées sur le mur en béton avec du scotch. Problème d’adhérence.

« De loin, lorsque la Seine exhalera sa brume d’hiver, ce « bateau » aura des allures de vaisseau fantôme. »

Boîte contenant des objets employés comme marque-pages par les lecteurs.
1/ Un billet-ticket yolouda kalacak- passenger coupon / istanbul sehir hatlari number 069817 / Welcome to Nostalgic Bosphorus Tour / Hergun / everyday.
2/ Une photographie faite avec un appareil instantané. Indication Charentes 2016. Une personne en premier plan, portrait raté, c’est flou. Présence d’un verre (?), d’une flasque (?) devant le visage de l’individu. C’est en couleurs.
3/ Une feuille de papier, tirée d’un carnet petit format. Ecritures en noir sur papier blanc cassé. Illisible. Traces d’empreintes de doigts, avec graisse alimentaire.

A l’intérieur, entre les murs, des machines échangent des informations, sous forme de code. Ecrans omniprésents, certains allumés. Sur l’un d’eux, en veille, un mot, VOLAPUK, écrit en police Euphemia UCAS, en rouge « à lèvres », le tout d’un effet assez kitch. Des petites lumières, de très légers cliquetis pourraient être perçus dans la salle des serveurs. Sans présence ni intervention humaine. Personne pour raconter ce qu’elles échangent. Le réseau wifi, libre, sans code d’accès. Les prises internet, partout. Ecoutez.



Tiers Livre Éditeur, la revue – mentions légales.
Droits & copyrights réservés à l'auteur du texte, qui reste libre en permanence de son éventuel retrait.
1ère mise en ligne 14 juin 2018 et dernière modification le 16 août 2018.
Cette page a reçu 540 visites hors robots et flux (compteur à 1 minute).