contribution auteur | Marie Barthélémy

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Je vis à Marseille. Animatrice d’ateliers d’écriture au sein de l’association « L’Ecriture Buissonnière ».

Ses contributions à l’atelier ville.

Propositions 1 _ 2 _ 3 _ 4 _ 5 _ 6 _ 7 _ 8 _ 9 _ 10

proposition n° 7

Ce matin du huit février, j’ouvre les yeux sur un soleil radieux filtrant par les interstices des volets clos. Il est trop tard, je ne pourrai pas écrire aujourd’hui. Bien que je l’adore, le soleil est mon ennemi. Il m’appelle dès qu’il se diffuse sur mon cahier, venant de derrière la colline de la Tête de Puget à Luminy et qu’il inonde le monde.

Le dix février, à cinq heures, je vais préparer le café et retourne le boire dans le lit. Là, rassemblement des armes d’écriture. Le stylo Bic vissé aux doigts, j’entame mes rites : relire les dernières pages écrites précédemment, parcourir les textes de Duras, de Woolf, mes copines d’écriture – c’est Virginia que je préfère pour sa légèreté dans son rapport avec les choses du monde, pour sa subtilité – comme tous les matins, un chien aboie et se répète. Je me concentre sur mes feuillets, c’est maintenant ou jamais, entre cinq et huit heures.Allez, promène le stylo sur le papier, même ça, c’est difficile, s’il n’y a pas ça, il n’y a rien, moi, j’y convie la vie, réanime des gens connus, aimés, haïs, je les brocarde, je les ridiculise. J’y convie dérision, oui, nostalgie et, aujourd’hui, un peu de mon désir de retourner à Istanbul un jour.

Le dix-sept février, je suis bien assise dans mon lit, le dos appuyé sur les coussins, un peu mal au dos mais bah...le soleil entre, j’écris encore un peu, encore, encore, puis plus rien.

Le lendemain, c’est le dix-huit février. Réveillée à cinq heures, je commence mes rites. Je pointe des mots dans les textes précédents, je relis tout ce qui concerne mes écrits de l’hiver 2019. De fugaces pensées volent autour de moi et me parlent d’autre chose, de choses mélancoliques, de choses difficiles de ma vie d’avant, de moi maintenant, s’insinuent dans ma tête, auréoles gazeuses redondantes, fugaces, insistantes. Je reviens à l’écriture, je me force à reprendre mon texte, rêvé le huit février, commencé le dix février, repris presque tous les matins pour de minuscules ajouts, de traumatisantes rayures, réécrit le dix-sept février. Aujourd’hui, je vais pouvoir le fixer sur la page documents de mon ordinateur en une nouvelle composition à l’écran.

proposition n° 6

J’écoute derrière la porte ou plutôt entre deux portes, dans un coin, le visage proche de la cloison. La peinture à l’huile d’un sale vert noie le mur. Elle est vieille, elle sent mauvais. A quelques centimètres de ma bouche, je sens une écorchure sous mon doigt, une écaille que je triture en écoutant la musique de la salle de bal, derrière. Dessous, le plâtre blanc, si tendre, qui s’émiette, laisse échapper de la farine blanche, fine, sur les tomettes rouges cirées, extrêmement propres. Peu à peu, ce détail me fascine. Je sens l’odeur douceâtre du plâtre, l’odeur de sa déliquescence. Bientôt, je ne peux plus m’en passer. Je « suis » le plâtre poreux qui se délite. Toute à mon incorporation, je n’entends plus ce qui se passe, là-bas, dans la salle de bal. J’adhère à cette matière poreuse du mur. C’est mon support. S’insinue dans mes narines, cette odeur aigre que je ne peux plus éluder. Bientôt voir et sentir ne me suffisent plus. Je dois goûter. Je porte mon doigt à ma bouche. Je sens cette fadeur. Bientôt, je réitère mon geste, je mange, sentant sur ma langue comme un goût d’ hostie bénie. Le plâtre me distrait de mon obsession des bruits des autres, derrière, de leur mastication. Le plâtre requiert toute mon attention. Maintenant, mon attention est toute entière comblée par ce plâtre qui, mine de rien, devient mon nouveau centre d’intérêt. Avec mon index, je gratte doucement l’écorchure du mur, près de mon visage, doucement, doucement, sans bruit, sans à coups. La poudre blanche, humide, froide en tout cas, devient poussière sous mon doigt. Comme on revient sur une écorchure qui gratte sans pouvoir cesser, je triture cette blessure du mur pour la manger. Par terre, sur les tomettes rouges demeure la trace de mon forfait, par la farine blanche échappée. Elle est le stigmate, au sol, de ma nouvelle obsession. Rien ne m’intéresse autant que le mur, la blessure du mur, cette encoche où mon esprit peut se loger à l’abri du monde. Alors, mon corps ni mes pensées n’existent plus, ne m’encombrent plus. Ils sont tout entiers dans cet index qui gratte le plâtre sur le mur qui se délite, qui tombe en poudre sur les tomettes rouges. Rien d’autre que cela.

proposition n° 5

Vous les entendez ? Ils sont gais et mélancoliques. De dehors, nous arrive d’abord la musique et ces chansons populaires, désuètes qui nous parviennent par la voix sensuelle, un peu rauque, du chanteur à la mèche blonde. Une voix qui s’ insinue pas seulement dans nos oreilles, sous notre peau aussi, jusqu’au cœur, jusqu’à la tripe. Et ces paroles sirupeuses ,fallacieuses :

toujours...amour...triste...abandonnée...jamais...égrenées comme les perles d’un collier, les boules d’un chapelet. Au fil de la musique, le bruit des pas des danseurs qui glissent sur le marbre de la piste, qui s’arrêtent....Au dehors, notre corps prisonnier des mouvements feutrés des autres, dedans. On ne sent plus le froid, l’humide. On a chaud avec les danseurs du bal. On ne sait pas ce qu’ils se disent - peut-être qu’ils rient, qu’ils se susurrent à l’oreille des mots choisis, des paroles incitatives - on n’entend que l’éclat d’un rire en cascade, parfois, qui nous gène car on y perçoit comme le désir tendu des hommes s’exprimant hystériquement par le corps des femmes. Du dehors, tout près, on est prisonniers de cette musique, de cette voix sirupeuse, insupportable, attachante, de ces glissements des danseurs, de cette mastication insinuante des voix de ceux qui sont dedans, qui transpirent au chaud. On est immobiles, comme morts au monde, habités par cette vie des autres.

proposition n° 4

C’est un village près de Marseille fréquenté en raison de sa proximité avec la zone commerciale et la forêt de Saint Pons qui permet l’accès au massif de La Sainte Baume. Ce village s’appelle Gémenos. De Marseille, on peut y accéder par l’autoroute ou par la départementale, en passant par Aubagne.

Quand j’y suis retourné pour la première fois, c’était en 2013, parce que je n’avais pas de souvenirs.

J’ai lu que le lieu avait été un marécage assaini quand ils ont construit le village. Pendant la guerre, il a servi à construire des dirigeables. Une usine s’est établie, là, sur ce vaste terrain plat qui convient parfaitement, maintenant, au développement de la zone commerciale.

J’ai essayé de retrouver le théâtre de verdure où, petite, j’allais avec mes parents et mes frères, à la Fête de La Marseillaise. J’entends encore les voix des chanteurs populaires d’alors dont la peau blanche, presque translucide nous interrogeait, nous qui vivions parmi des provençaux à la peau toujours hâlée ; parmi eux, le souvenir de Leni Escudéro et de Jean Ferrat m’est resté. Leurs voix claires et poétiques s’élevaient dans la nuit chaude et étoilée, dans un cône de lumière qui traversait nos vies sans joies. C’était au pied de la Sainte Baume, en juillet, dans ce lieu vénéré pour avoir servi de refuge à Sainte Marie-Magdeleine et permis d’expier ses péchés après la mort du Christ, son ami mort et ressuscité.

Bien plus tard, j’ai découvert le dancing, en français, on appelle ça une salle de bal, un salon de danse, en français, il n’y a pas de mot adéquat pour ça !...une grande salle aux murs tendus de velours jaune d’or chatoyant, aux lumières feutrées, au plafond bas. C’est un endroit clos et secret

où les danseurs de déplacent sans bruit. La musique fait vivre l’espace. Deux femmes dansent, sérieuses, enlacées, lancées dans un mouvement cosmique. Elles ne parlent pas. L’orchestre brille de mille feux. Le chanteur, vieux crooner à la voix douce, susurre des mots d’amour surannés en suçant le micro. Il donne du bonheur.

proposition n° 3

Selon la légende, Thésée vint en Crête pour tuer le minotaure., demi-frère d’Ariane. Celle-ci, énamourée lui donna le fil d’or auquel il devra son salut pour sortir du labyrinthe.

On raconte que Thésée abandonna Ariane sur la plage de Naxos. Son cœur fût piétiné. Phèdre lança alors ces vers sublimes : « Ariane, ma sœur, de quel amour blessé vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée ».

Est-il vrai qu’Ariane, trahie par Thésée, fût enlevée dans l’Olympe par Dionysios sur son char. Qu’Ariane fût adorée. Qu’elle reçut un diadème d’or en cadeau de mariage.

Force est de constater que le diadème d’Ariane brille dans le ciel dans la constellation de la Couronne Boréale. Il faut donc bien revenir à ces légendes..

proposition n° 2

En Italie, au dix-septième siècle, il aime cet homme violent, ce bandit de la nuit qui met le « souk » partout où il passe. Lui, si domestiqué, l’aime comme son frère ! C’est à Marseille qu’il retrouve celui qui a été le poète au visage d’ange de ses dix-sept ans, amoureux sur la promenade de la jeune fille en fleurs de ses rêves. Il n’a plus les stigmates du mauvais garçon aventurier d’Abyssinie, mais des ailes en duvet de cygne. Au Portugal, à Lisbonne, il traduit la sausade qui est plus que la nostalgie de l’homme rattrapé par le destin, un regret infini de ce qu’a été la vie , sa part obscure, irrattrapable....

proposition n° 1

Bloc 1 — le cadre est resserré sur deux femmes qui dansent, une, de dos, est rouge, l’autre, de face, est verte, des couleurs d’un perroquet coco. Elles sont toutes entières dans le mouvement : elles dansent, elles dansent, elles dansent sans fin, presque sans jambes, elles tiennent toute la place, comme la voie lactée, comme une galaxie dans l’espace, du gaz qui s’évapore, de la poussière d’étoiles.

Bloc 2 — s’il y avait sur le prie-dieu une mante religieuse à sa taille, cela conviendrait parfaitement. Elle déplacerait lentement ses brindilles de pattes pour atteindre ses mandibules voraces. La mante religieuse mange n’importe quoi et peut disparaître « comme ça » !

Bloc 3 — les champs de blé mur, les arbres sombres, les maisons blanches et rouges et même la mer violette convergent vers le ciel vert d’herbe tendre, en haut du tableau. Je suis anéantie par la chaleur



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1ère mise en ligne 6 janvier 2019 et dernière modification le 22 février 2019.
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