contribution auteur | Dominique Girard

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proposition n° 9

source de l’apocryphe
Il y a l’aubépine et tu te souviens du petit chemin blanc. Un jour de soleil. Un jour inversé. Et le sourire par-dessus la haie. Ce jour-là tu avais trouvé. Les fleurs ouvertes, le buisson bourdonnant, les rayons dardant. Ces images revenues en lisant. En lisant tu avais compris qu’il fallait suivre le chemin blanc. Maintenant le feu crépite. Il va s’éteindre dans peu de temps. A tes semelles le chagrin qui dure longtemps. Il faudra retrouver le chemin blanc.

proposition n° 8

Il est penché sur l’atelier. Il lime minutieusement une petite pièce serrée entre les mâchoires de l’étau bleu métallisé. Il est concentré. Il est paisible. Tout entier à la tâche à exécuter. Sûr de ses gestes et de leur effet. Il a fait ça tant de fois avant. Il sait qu’un problème peut toujours se solutionner.

Elle est assise sur la chaise cannée. Dans la lumière de la salle à manger. Les rideaux filtrent le jour blanc. Le buste très droit la tête inclinée. Les pieds sous la chaise un peu croisés. Ses deux mains rassemblées. Une tâche minutieuse à exécuter. Elle sait qu’elle va y arriver. Elle l’a toujours fait.

proposition n° 7

Tu rentres de cours. Personne encore à la maison. Le temps du travail solitaire, les papiers les messages remettre en ordre les cours donnés, préparer la suite. Tu te retrouves avec toi, la bulle est ronde, tu vas plier tout très vite… mais tu sais qu’en fait non, tout est feuilleté et se déplie toujours en accumulations compliquées, attendre considérer rapprocher répondre répliquer réagencer... le temps aura passé tu auras le sentiment du rien fait, juste les problèmes à s’efforcer une fois encore de classer.

À la place tu ouvres le fichier. Celui un peu bizarre où il se passe autre chose. Celui où tu chemines dans une histoire étrange faite de bribes glanées. On les pose ensemble sur la page comme des cailloux, des papiers découpés, des petits objets. Rien à voir. On secoue doucement. Les couleurs se rapprochent. On s’étonne, on remue encore. Une image se forme. On n’y avait pas pensé. Un peu comme les lettres sur le clavier. On n’y avait pas pensé. Tu tapes sur les touches noires. Le clavier, et l’écran un peu surélevé. Comme une marche pour regarder. Et des fils entourés, quand tu as rebranché. Mais pas reconnecté. Tu laisses avant le kaléidoscope se redéployer. Ou le tapis. L’image se reformer. Les petits points. Le reste en chantier. Tu as ouvert le fichier. L’enfant d’avant qui l’a porté. Tu as ouvert le fichier. Tu fais les points qui font le chemin. Les points avec les cailloux les papiers découpés les petits objets. Le chemin où aller. L’enfant d’avant tu sais bien qu’il est à côté. Ou dedans. Tu sais bien maintenant.

Tu vas aller marcher t’aérer circuler. Assimiler. Ce que tu as trouvé, l’image dans le tapis. C’est comme une aiguille oubliée. Vas-y, prends ton fil maintenant. Ce n’est plus celui du renoncement.

proposition n° 6

L’image dans le tapis. La tapisserie jamais achevée. Et celle rayonnante au mur comme un incendie. N’approche pas. C’est la forêt du songe, celle où on n’entre pas. C’est la forêt de l’ombre, celle où on chasse en bas. L’enfant suit les chiens. L’enfant suit son père. Ils défilent au loin. Tu apprends les tout petits points. L’aiguille, les fils de couleurs, le motif en carré. Quelques centimètres où il faut piquer, dans les trous, et tirer, perdre le fil, le chas, reviser, enchainer. Tu fais les gestes minuscules. Tu fais les points maladroits. Enchainer. L’image dans le tapis. Le petit point, le fil tiré. L’image naïve aux couleurs vives. Tout le passé attiré.

proposition n° 5

Y a un manque, du côté gauche… Il dit ça, sûr de lui. Les cervicales douloureuses et les muscles tendus. Et ça aussi. C’est tout simple. Il répète. Il le voit… Elle n’en revient pas. Elle se dit il se trompe. Elle ne comprend pas. Elle dit tout haut son grand-père, sa mère quand il rentre après la guerre, ce monsieur qu’est son père… Ça s’arrête là. D’ailleurs lui ne sait pas. La séance est finie. La séance. La question. La réponse qu’on hasarde et celle qui va grandir.

proposition n° 4

Il parait qu’il y a une église sur la place, pas loin de la maison. Il paraît. L’espace se reconfigure. Les deux marches sur la route, la route qui jouxte la place. Et l’église à clocher.

L’espace, mais le temps. Quoi du temps ? Qui vient avec l’enfant ? D’où surtout ? Et les papiers avec ? Les papiers où ? Ceux de famille et ceux du travail. De la côte à la campagne, la maison aux marches, la place, l’église à clocher. L’enfant, qui l’a porté dans ces jours sans nom.

A moi le manque écrire. A quel fond de misère un jour creuser. Et s’il est besoin de. Ou dans le blanc rester. En deçà du seuil. Qu’est-ce qui conduira. Ou pas. Écrire. Ou pas. Hériter. Ou pas. Hériter et de quoi.

proposition n° 3

Elle tisse pour attendre. Il est parti, il revient. Elle n’a rien fait entre deux que défaire. Elle n’a rien fait.

Il est parti, il fait la guerre des héros et des dieux. Il est parti, il voyage. Il est parti, il découvre des peuples et des monstres. Il revient. Elle est là. Il a gagné le monde et retrouvé l’origine. Il n’a renoncé à rien.

Elle est harcelée par les prétendants. Elle gère le quotidien et ses pressions. Elle a tous les jours les mêmes gestes. Le fait est toujours à refaire. Elle maintient. Elle n’a avancé sur rien. Elle attend. Elle est toujours sur le seuil.

Reste l’inexplicable toile, tissée de désir, et de renoncement.

proposition n° 2

Il est assis à l’autre bout de la table complètement encombrée de papiers divers, petits objets, menus totems qui encombrent un bureau. Sous ses bras des livres ou cahiers ouverts. Il tient une plume à la main. Il fixe le photographe et derrière lui, tous ceux qui contempleront la photo. Il est trapu. Sa cravate floue, son visage, ses cheveux et sa moustache, à l’unisson des masses blanches de papier sous ses bras. Sa veste sombre. Le relief des tranches sombres des livres de la bibliothèque qui couvre le mur. Lui fait comme un cadre solide, une armoire d’où il sort tout armé. Tous les livres, et son propre passé. À ce moment-là donc, ou à un autre. Tu reviens de sa maison. Tu n’en reviens pas d’être allé sur les lieux mêmes. Tu imagines la rencontre. Tu ne peux pas imaginer la rencontre. Écrire. Lui, et tous les autres. Le geste confisqué. Ce seuil. Deux marches, directement sur la rue.

proposition n° 1

Un petit pont. La pénombre de l’après-midi d’été, les arbres couvrent le pont de bois. Ou : un pont de ciment, sous un soleil beaucoup plus dru. L’eau coule en dessous. Elle emporte. Comme une force qui attend. La limite entre le pont et l’eau n’est pas claire. Où l’on se tient on peut aussi être atteint.

Une grande route. De longs peupliers dans la ligne droite, dans la courbe. Une longue route. Jamais de fin. Elle se déroule. On n’arrive pas. On marche fatigué, le soleil de midi cogne dur. On n’atteint pas.

Deux marches grises. La route et tout de suite la porte de la maison. Deux marches grises. Difficile de les monter. Elles sont trop près. La maison est trop au bord. Il n’y a pas d’espace de retrait. Il faudrait la place. La place de quitter le dehors de tous pour entrer progressivement dans le dedans de quelques-uns. Là, c’est tout de suite, en deux pas, qui sont comme un saut. Un seuil non préparé.

Dans la salle à manger, tu vois surtout les pieds des chaises et de la table. Tu regardes dans un coin une petite boule jaune. Comme une balle. Avec des yeux dessinés. Un jouet pour chat. Tu voudrais être le chat qui saisit la balle. De l’autre côté la petite vitrine du meuble de la télévision. Un pan de verre, un pan de bois. Par le pan de verre on voit de minuscules bibelots. Tu voudrais être celui qui met le doigt sur l’encoche du panneau de verre. Au mur une immense tapisserie. Des cerfs dans la forêt qui boivent au bord de l’eau. Un flamboiement en millions de points minuscules. Une tâche impossible à finir. Le regard glisse et tu suis le couloir. Les chambres en enfilade. La maison en enfilade. Tu es juste dans le couloir, tu n’entres pas.

Un jouet étrange. Il tient de l’appareil photo et de la jumelle. Tu appliques tes yeux sur les lunettes de plastique jaune et tu voies des vues touristiques défiler. Il faut sans doute actionner quelque chose. Tu voies les vues défiler. Ton émerveillement ne cesse pas.

Une petite poupée brune, toute brune, aux vêtements blancs. Tu n’y crois pas. On te la donne. C’est un cadeau. On n’en veut pas.



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1ère mise en ligne et dernière modification le 8 mars 2019.
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