le roman de Françoise Durif

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Infirmière en milieu hospitalier dans une vie antérieure, elle a toujours eu une passion pour la lecture — tous les « classiques » puis, dans le désordre : William Faulkner, Julien Gracq, Italo Calvino, Christian Gailly, Éric Chevillard — à ses débuts —, Matthias Enard, Claro, Wajdi Mouawad et bien sûr, Jean-Loup Trassard ; et une seconde passion pour la musique, pour piano d’abord, puis la musique de chambre, et enfin, la voix à travers la période baroque. Sa seconde expérience professionnelle l’amène à travailler aux côtés d’un manager artistique.

N’est arrivée à l’écriture que tardivement et par hasard. Elle tente néanmoins de rattraper le temps « perdu » grâce à des ateliers d’écriture.

Ni blog, ni site. Elle fuit les réunions de plus de deux personnes !

20. Yeux ouverts sur l’intérieur


Élisabeth ferme les yeux. Élisabeth inspire longuement en fermant les yeux. Puis expire, laissant, le plus lentement possible, fuiter un minuscule filet d’air à travers ses lèvres closes, tel un fin ruban, phylactère ondulant, s’entortillant sur lui-même à mesure qu’il s’éloigne d’elle. Ses épaules s’abaissent jusqu’à la détente presque totale — pour un peu, elle s’abandonnerait, se laisserait aller, presque certaine de toucher, tête la première, le moelleux de son lit situé là, tout près. Mais elle n’en est pas si sûre. Pas certaine non plus qu’elle n’ait pas laissé trainer deux ou trois énormes livres, une chaise ou le guéridon. Pour le vérifier, il lui faudrait rouvrir les yeux mais, alors, le « charme » — cette sorte d’apesanteur dans laquelle son corps flotte — se dissiperait. Elle résiste et se concentre sur la sensation de poids de sa tête au bout de son cou, tirant légèrement sur la nuque à mesure qu’elle continue d’expirer jusqu’à vider tout l’air contenu dans ses poumons. Elle reste un moment ainsi, presque à cours d’air, écartant lentement les bras dans la tiédeur de la pièce où elle se trouve. Lui parvient le parfum sucré d’un lilas, très dilué dans l’atmosphère de la chambre, un lilas au soleil quelque part, dehors, plus loin, par-delà les hauts murs des jardins voisins, puis, tout près, l’odeur animale de ses livres à la vieille couverture de cuir, la cigarette de Mireille qui prend son café de l’après déjeuner dans la pièce voisine.

À l’abri, derrière ses paupières toujours fermées, avec la sensation de ses poumons complétement vidés, voici que se présentent les yeux ouverts de Charles Baudelaire, avec ce regard intense de la photo noir et blanc de Nadar, et puis immédiatement le souvenir de cette imbécile d’Annie, l’amie un peu plus âgée que la « bande » d’inséparables — Hélène, Marthe, Marie et Élisabeth, bien sûr — qui leur avait proposé de « faire tourner les tables ». Élisabeth, un peu surprise, face aux questions d’Annie demandant qui elles voulaient « convoquer », avait sorti le premier nom venu en tête, Bauledaire ! dont elle venait de lire « Les paradis artificiels ». Bon sujet, le poète avait répondu présent dans la minute ! Elles avaient clairement entendu le coup retentir sous le plateau de la table, et le meuble avait même bougé, faisant trembler les quatre filles sous l’oeil impassible et assurée d’Annie. À la fin de ce fameux après-midi, c’est une Élisabeth tremblante qui revenait chez elle, comme « scrutée », suivie, pistée, par ce regard qui se déplaçait partout avec elle, à travers la ville, puis à l’intérieur de l’appartement, et dont l’intensité lui parassait insoutenable … Quelle gourde… Quand elle y pense aujourd’hui ! Mireille avait tôt fait de lui démontrer les manigances grossières d’Annie face à cette bande de gamines qui gobaient tout ce qu’on leur disait, en faisant tourner illico la petite table en Formica jaune de la cuisine.

Ce qui avait calmé Élisabeth, mais en apparence seulement. Depuis l’épisode Baudelaire, la jeune fille se sentait inexplicablement attirée, scotchée — obnubilée, pensait Mireille — par le regard des portraits en peinture. Ainsi, celui d’Albrecht Dürer dans l’autoportrait de 1493. Depuis qu’Élisabeth avait vu cette peinture — « Rencontré ! rectifiait Élisabeth — depuis qu’elle avait croisé le regard du peintre de ce tableau, il y a de cela au moins cinq ans aujourd’hui, elle était certaine d’avoir déjà rencontré cet homme ! À l’époque, Élisabeth en avait été si surprise — l’histoire des tables tournantes était presque oubliée — qu’elle en avait parlé à Mireille, non pour lui dire sa certitude d’avoir vécu à la fin du XVème siécle, mais avait posé la question : « Dis, tu le connais, ce type ?… Il ne te rappelle rien ?… » Ce n’était rien d’autre qu’un petit tableau, un petit tableau sur lequel elle était « tombée » par hasard, lors d’une promenade au Louvre, mais dont le personnage qui la regardait, de ce regard si particulier, l’avait véritablement aimantée ! — et encore une fois une histoire de regard — Mireille s’en était moquée gentiment à l’époque, mais la question, somme toute banale, l’avait placé dans une confusion grandissante, persuadée que sa fille se lançait à la recherche d’un… père —. Ensuite, ne trouvant rien pour alimenter cette première impression, Élisabeth était passée, semblait t’il, à tout autre chose, glissant vers un goût très appuyé pour la ville de Venise — ce qui avait, à nouveau, fait tressaillir Mireille, pressentant combien il devenait urgent de faire savoir à sa fille qu’elle ne tenait pas du tout, mais alors pas du tout, à se trouver Place Saint-Marc ! Comme si « l’autre » — le père de la jeune fille dont elle était séparée depuis lontemps et qui, justement, y résidait… pouvait se trouver à cet endroit précis de la ville, au moment même où elles y poseraient les pieds ! — C’était absurde, mais tout se carambolait dans la tête de Mireille. Alors qu’Élisabeth ne tenait à ce voyage pour une seule raison, et qui n’avait rien à voir avec la paternité : elle avait lu que Dürer — encore ce peintre ! — s’y était rendu, à pieds depuis Nuremberg — « Tu te rends compte ?! À pieds !… » — et dans sa correspondance, avait mentionné cette ville sans arbres et, voici que l’adolescente passionnée voulait absolument se rendre sur place pour vérifier par elle-même, répétant sans cesse : « Comment est-ce possible une ville sans arbres ? As-tu déjà vu une ville sans arbres ?… » Mireille éludait ses questions et Élisabeth, en retour, l’accusait de ne jamais s’intéresser à ce qu’elle appréciait et la faisait « vibrer », comme elle disait. Les discussions se cloturaient par des haussements d’épaule et des claquements de portes, chacune repartant à ses occupations. Quelques semaines plus tard, la jeune fille troquait son rêve de voyage et ses arbres vénitiens, contre une pelote de laine rouge et des aiguilles à tricoter — Ce bonnet à gros pompon rouge qu’elle portait à la fin de l’été dernier avait fait monter la fureur de Mireille. Sa fille devenue folle la rendait cinglée !…

Élisabeth, soudain asphyxiée, rouvre les yeux en même temps que, dans une large inspiration, ses poumons se gonflent d’air. Elle se trouve face à la fenêtre, ouverte sur la place ensoleillée, un rayon de lumière est venu se poser sur son pied droit, une sensation de minuscules aiguilles provoquée par la chaleur du soleil qui commence de cuire doucement sa peau nue.

Elle perçoit — comme si ses oreilles le découvraient pour la première fois — le bruit du petit jet d’eau qu’elle trouve un peu ridicule, avec ses quatre filets d’eau retombant presque goutte à goutte dans le bassin miniature, placé pile au centre du parterre gazonné tout rond —.

La petite ville est calme, comme d’habitude, mais, justement se dit Élisabeth, ce n’est pas si simple d’affirmer « comme d’habitude », puisqu’il y a cette voiture rouge, inconnue, dont le moteur tourne doucement, et qui vient de se garer juste sous sa fenêtre.

Codicille : D’abord inspirée par cette dernière proposition qui m’amenait tout droit vers mes répétitions habituelles - la saison de l’écrit, qui est souvent l’été, la montagne, la lumière, l’altitude et une sorte de liberté de mouvement, le souffle éprouvé par l’altitude. Et puis, finalement, non.
M’est revenue l’image précise d’un film d’animation tiré d’un manga : Amer béton dont je revoyais les dessins « entrer » et sortir des yeux d’un oiseau… c’est cette impression que je voulais traduire, mais, bien entendu, l’écriture, on l’a déjà dit, ne voyage pas au même rythme que le regard, ou même qu’un souffle, comme dans ce texte d’au revoir ! Merci à tous. Tes pour cette belle respiration ample de cet été 2020.

À suivre…

18. Appel de détresse


proposition de départ

L’homme au teint mat, âgé d’une soixantaine d’année, est vétu d’un uniforme. La veste et le pantalon d’un bleu marine très sombre ; quatre galons dorés ornent le bas des manches de la veste. Il vient de dégrafer le premier bouton du col de sa chemise blanche et, après l’avoir dénouée, retire la cravate noire qu’il fait disparaitre, roulée en boule, dans l’une de ses poches. La casquette, ornée du logo de la compagnie — que tout le monde surnomme la crevette — est glissée dans sa vache, une valise professionnelle contenant le dossier du vol qu’il vient d’effectuer, les classeurs de documentation réduite de la machine ainsi que ses papiers personnels.

Le voici devant son casier où il prend connaissance du courrier qui s’y est accumulé depuis son dernier passage à la div’ qui doit remonter à environ dix jours. Parmi le fatras de papiers syndicaux, documentations, convocations et feuilles d’activité, il trouve une lettre. Manuscrite. D’une assez belle écriture à l’encre bleue, cursive et incurvée. Le timbre a été oblitéré le mois dernier et l’enveloppe postée quelque part depuis les USA — il ne parvient pas à déchiffrer le nom de la localité —. Il tâtonne dans ses poches à la recherche de sa clé de voiture — tout en saluant d’un signe de tête et d’un sourire, les collègues qui arrivent ou repartent, les membres de son équipage se dispersant — clé qu’il introduit dans l’un des angles de l’enveloppe, agrandissant l’interstice entre les deux parties mal scellées, jusqu’à parvenir à y glisser le bout de son index, puis déchire par légers à-coups le rabat collé.

De l’intérieur de l’enveloppe, il extrait un feuillet simple plié en trois, qu’il déplie. Son regard parcourt rapidement la page, à la recherche d’un nom, d’un prénom qu’il pourrait reconnaitre. Une signature très lisible et élégante s’étale sur la presque totalité de l’espace, au bas de la feuille : Annabella Jennings. Et voilà qu’une photo tombe à ses pieds, qu’il se baisse pour recueillir — en échappant de sa main droite, le morceau de papier cartonné a heurté légèrement le bout de sa chaussure — le dos vierge porte seulement quelques numéros faiblement imprimés. Tout en replaçant sa clé dans sa poche, il se relève et, retournant la photo, considère l’image en couleurs immédiatement identifiée : un Twin Otter… — Ses débuts à Air D, sa toute première embauche, au cours de l’été 1977, la chaleur suffocante, la qualification passée quelques jours après son arrivée, l’hôtel puis l’appartement partagé avec son collègue, un ami de la même promotion que lui, engagé pour la même saison, puis la ligne, Tadjourah, Obock, les courtes escales qu’il préférait, les journées de repos sur les boutres qui les déposaient sur le sable des îles sous une lumière implacable, les poissons grillés servis à même le papier journal… tous ces détails lui reviennent en mémoire à une vitesse incroyable — relevant la tête, il s’aperçoit qu’il est toujours au beau milieu de la division de vol, près des casiers et que, déjà, plusieurs personnes l’ont bousculé en passant, il a vaguement perçu la pointe d’un coude heurter son dos, et une voix féminine bredouiller des mots d’excuses, auxquelles il n’a même pas répondu, tant il se trouvait absorbé par cette brusque bouffée de souvenirs qu’il n’avait pas convoqués. Il sent, il revoit, la lettre dans ses mains, accompagnée de l’enveloppe déchirée et de la photo à la texture plus rigide, aux bords plus aigus. Il se souvient qu’il n’a même pas encore pris connaissance de son contenu, et que pour l’instant, il n’a que deux éléments : le nom d’une femme, et la photo d’un avion. Il songe à une erreur et vérifie, en retournant l’enveloppe, qu’il s’agit bien de son nom qui s’y trouve inscrit. Ses yeux fatigués par la nuit en vol sont secs, se concentrer sur l’écriture lui demande un effort, de même que la langue anglaise qu’il se met pourtant, et presque machinalement, à traduire :

Monsieur,
Dans la nuit du 7 avril dernier, je me trouvais, avec mon copilote, à bord d’un Twin-Otter que nous devions convoyer jusqu’en Europe. Quatre ou cinq escales avaient été prévues.
Au-dessus du Groenland, ne pouvant plus maintenir notre altitude en raison du givrage des ailes, et sans moyens performants, nous avons dû descendre à travers la couche de cumulus. Peu de temps après cette décision, nous avons ressenti un choc sourd. Notre avion se trouvait brusquement stoppé : nous étions visiblement posés, bien malgré nous, sur une épaisse couche de neige alors que seulement quelques minutes auparavant nous étions en plein vol !
Notre altitude trop basse nous avait amenés à frôler, puis toucher, l’un des sommets, à près de 2000 m !
Nous avons lancé des appels de détresse sur la fréquence 121.5 et nous savons que c’est grâce à vous que nous avons pu être secourus. Depuis le Canada un avion a été envoyé à notre recherche.
Cette lettre vous exprime notre plus sincère gratitude…

Ce vol retour de San Francisco lui revient en mémoire avec, à nouveau, cet autre instantané, à une époque plus récente cette fois-ci, celui de l’équipage attentif, — alors que lui venait de terminer son temps de repos et revenait au cockpit après avoir bu un café au galley de la porte une — les deux co-pilotes penchés ensemble vers un appel sur la fréquence de détresse.

Ils n’avaient d’autre information que ce S.O.S. ce signal très faible, provenant de quelque part près de Narsarsuaq, une localité du Danemark dans le sud du Groenland. L’équipage avait signalé ce message au contrôle.

Codicille :

Rien, pour le premier « texte » #17 écrit spontanément. Rien d’autre que des réflexions simples à propos de mes difficultés à quitter ce que j’appelerai « mon thème ». Faut-il lutter, et j’arrêterais alors probablement d’écrire, tout simplement. Faut-il insister, mais de quelle(s) manière(s) puisqu’à chaque texte l’impression persistante « d’avoir déjà tout dit » revient et que la facilité m’entraine toujours vers la même pente ?…

Pour le texte #18, une histoire vraie et vécue : sans secret de famille ! Même si cela ne semble pas convenir à ce qui a été posé comme préalable : « un rouage minuscule ». Après tout, pour l’homme dont il est question dans ce petit texte, cette histoire fait bien partie de son quotidien de travail.

J’ai entendu cette histoire véridique une première fois, racontée par l’ami qui l’avait vécue, puis une seconde et une troisième version, avec les mêmes ingrédients, mais colportées par d’autres amis, qui, eux, ne l’avaient pas vécue et l’attribuait à une autre personne. Cela finissant par devenir une sorte de légende !

17. Se cacher derrière ou devant ?


proposition de départ

Immédiatement, embarquée. Subitement débarquée.

Le reste ne suit plus, ne veut pas aller là, à cet endroit creusé nouvellement par le premier texte sorti, expulsé tel un nouveau-né. Séparé du reste. Se trouvant, de lui-même, séparé du reste. Un avant. Un après. Des images-flashes persistant sur la rétine du souvenir. À Approcher par bribes. Pour l’instant, sans doute…
Solitude. Refus à vouloir, à décider de poursuivre, à revenir dans, vers cette nuit. Pourtant, ces sensations uniques, telles que pédaler de nuit dans une ville inconnue, ne pas avoir sommeil, s’ennuyer à en mourir d’ennui, ne rien comprendre, ne rien maitriser, revoir des visages tous semblables, je pourrai les explorer. Tentation. Tentatives. Avortement.

Quelque chose refuserait tout net cette direction à prendre. À négocier.
Je n’en sais pas la raison. Ne la désire pas. Trop intime…
C’est un lieu vers lequel il m’est difficle de me tourner. De retourner. J’ai, depuis peu, perdu de vue les derniers amis là-bas rencontrés, malgré messages et appels restés sans réponses. Et c’est encore une nouvelle douleur qui s’ajoute à ces souvenirs.

Il s’agit probablement de quelque chose qui ne veut pas se laisser raconter, ni saisir par des mots. Une référence trop exotique pour tenir debout dans ma langue.
Je reviens toujours, comme vers un abri sûr, à M, à mon enfance.
Une enfance fabriquée de mots. Je souhaiterais m’en extraire mais n’y parvient jamais.

Je n’aime plus les romans.
Je me laisse écrire à propos de M, alors qu’il est impossible de la faire parler. Je la prolonge simplement, je m’empêche de la laisser mourir.

Neuf cent quatre vingt dix neuf autres taches m’attendent dès que j’en choisis une et m’y consacre quelques minutes, quelques heures. Si j’écris, je rêve de m’installer au piano. Si je suis au piano, immédiatement, les mots d’écriture me viennent qu’il faut coucher de suite, faute de savoir bien les retenir, dans leur extrème simplicité.

 

19. Le silence


proposition de départ

Le tonnerre de quatre portières claquées — celles de l’arrière d’un véhicule, refermées presque simultanément, puis, en léger décalé, les deux de devant : la gauche d’abord et à peine quelques secondes plus tard, comme en écho, celle du conducteur. Une ou deux minutes après, le capot d’un coffre, par deux fois claqué, la seconde fois nettement plus fort comme si la femme dont on aperçoit la silhouette près des trois autres, légèrement en retrait au bout de la longue allée de platanes, avait pesé de tout son poids pour en assurer la fermeture — rebondit en roulant sur la petite route, secoue le berceau des arbres porteurs d’embryons de feuilles, puis s’écoule le long de la pente herbeuse, se faufile à travers les taillis et les buissons bas de la colline, et s’en va rider imperceptiblement la surface de la petite pièce d’eau, le reflet de ciel soleil couchant, enserré dans la courbe du mur qui la borde, s’étale au pied des deux platanes majestueux, puis s’élance à nouveau, rebondit plus haut, plus loin, vers les sillons des terres labourées qu’ils ne voient pas encore.

Quatre valises roulent maintenant sur le grain épais du goudron — creusé par endroits d’ornières que les roulettes des bagages contournent — résonnent en grondant, piétinent les bavardages des quatre personnes — trois femmes, un homme — venus à la rencontre du paysage — terres anciennement cultivées, forêt et chemins de terre, prés et château cerné de cèdres très anciens, hauts murs écroulés par endroits, ferme, pièce d’eau et tas de bois coupés — leurs mots s’échappent, se hâtent de vivre leur vie de mots, courent frapper de leur souffle le mur de béton blanc grandissant devant eux, s’ébahissant de l’odeur de la forêt humide, de cette architecture puissante qu’ils découvrent ensemble et qui fait ralentir leurs pas — ils savent que le bâtisseur de cette « demeure » a déclaré débuter sa construction par le toit, prévoyant d’un long geste qu’elle atteindrait le sol, « quand on l’atteindrait … ». Après la barrière interdisant à tout véhicule de poursuivre plus avant, la route redevenue chemin avale leurs pas, le roulement des valises s’efface, absorbé par la terre. Seuls encore quelques cailloux mordent sec, buttent sur les roulettes, sont bousculés par le bout de leurs chaussures.

Ils découvrent maintenant, à la sortie de la grande allée de platanes, le long vaisseau calme posé à leur droite, à même le sol en pente, adossé d’un côté à une épaisse vague de béton coiffée de trois cheminées — canons à lumières —, et agrippé de l’autre, à la pente herbeuse et fleurie qui s’écoule devant eux jusqu’à la forêt en contrebas.

Ils approchent du petit porche indiquant l’entrée dans l’édifice — simple rectangle vide posé devant sur la courte esplanade bétonnée. Les deux anciens parloirs aux rondeurs accueillantes ont été transformés en bureau d’accueil. C’est ici qu’ils se présentent, qu’ils recueillent les clés des cellules qui leur ont été attribuées

Elle observe les publications proposées à la petite boutique, cartes postales dans un tourniquet de fer, affiches au-dessus des tables sur lesquelles sont entassés des prospectus proposant des visites guidées du lieu, avec les dates d’ouverture au public et les horaires, des catalogues d’anciennes expositions et commence de feuilleter un livre dans lequel elle lit :

Les circulations reliant toutes choses et très particulièrement celles qui vont sous une autre forme, réaliser les effets du cloître traditionnel rendu impossible ici par la déclivité du sol. Sur deux étages, des loggias couronnent l’édifice (une pour chaque cellule de moine formant brise-soleil). Les salles d’études, de travail, de récréation, ainsi que la bibliothèque, occupent l’étage au-dessous. Plus bas le réfectoire et le cloître en forme de croix conduisent à l’église. Et c’est alors la déclivité du sol laissé naturelle, sans terrassement, et d’où s’élèvent les pilotis porteurs des quatre corps de bâtisse du couvent. L’ossature est de béton brut armé. Les pans de verre situés sur les trois faces extérieures réalisent, pour la première fois, le système dit : "pan de verre ondulatoire" (qui est également appliqué au Secrétariat de Chandigarh). Par contre, dans la cour-jardin du cloître, les fenêtrages sont faits de grands éléments de béton allant de plafond à plancher, perforés d’espaces vitrés et séparés les uns des autres par des "aérateurs" : fentes verticales fermées d’une toile métallique moustiquaire et munies d’un volet pivotant. Les promenoirs du cloître sont clos "d’ondulatoires". Les corridors conduisant aux cellules d’habitation sont éclairés par une fissure horizontale située sous plafond.

Le couvent est "posé" dans la nature sauvage de la forêt et des prairies indépendantes de l’architecture elle-même. Les façades demeureront de béton brut, les quelques remplissages étant peints de chaux blanche. Les murs de l’église seront en "banchage". À l’intérieur de l’église, les "pointes de diamant" ne subsisteront pas à l’exécution pour diverses raisons (sauf une ou deux installées en bonne place). La toiture du couvent lui-même, comme celle de l’église, sera recouverte d’une mince couche de terre laissée à l’initiative du vent, des oiseaux, et autres transporteurs de graines assurant une protection étanche et isotherme. Extrait de Le Corbusier, Oeuvre complète, volume 6, 1952-1957

Ils ont vu J qui les attend derrière la porte vitrée du bureau d’accueil. Arrivé la veille au soir, il les a noyés de ses toutes premières impressions du lieu il avait eu l’envie de pleurer ; il avait pleuré ; il se sentait seul ; mais il était « bien » ; il avait posé la question saugrenue à 21 h 35, apparue simultanément à la lueur de leurs quatre portables : aimes-tu les grands draps de bain ? … et, dans le cas d’une réponse affirmative, c’était raté, parce qu’ici, il ne disposait que d’une petite serviette de toilette… puis plus rien, connexion interrompue à leurs réponses, leurs questions. Portable resté muet depuis. Ils reprennent sacs et valises. Ils se mettent à parler, mais plus bas, immédiatement, pour essayer leurs nouvelles voix réunies. J dit :

— Attention, tout de suite après avoir passé la porte rouge, c’est le silence ! C’est écrit partout !

Ils rient. Comme d’une bonne blague. Comme d’habitude, à chaque fois qu’ils se trouvent rassemblés. L’impression persistante qu’il s’agit d’un jeu, rien de plus, que pas un, pas une, ne se doit de prendre au sérieux. Ils se demandent tout à coup ce qu’ils sont venus faire ici, un week-end entier, mais pas un, pas une, n’exprimera cette pensée fugitive devant les autres.

J pianote le code à 4 chiffres et la porte rouge s’ouvre dans un petit souffle, comme une expiration, sur un couloir et un escalier. Ils rient à nouveau, sans savoir de quoi, leurs rires jaillis puis étouffés en même temps. J a répété chut ! Ils entrent. La porte se referme en claquant brutale sur leurs talons. Ils sursautent en riant, cueillis aussitôt dans l’odeur du lieu, nouvelle pour eux, sauf pour J — une odeur de gymnase, de sol lavé —. Leurs pas frottent, chuintent, sur le sol de plastique vert. En empruntant les escaliers de béton, leurs mains lisent le braille des murs crépis de grosses gouttes de plâtre blanc. À travers les couloirs silencieux leurs yeux filent le long des fenêtres rectangulaires, découpées sur la forêt, à l’exacte hauteur du regard, et séparées les unes des autres par les saillies rythmées des « morceaux de sucre », parpaings de béton, fichés en travers du mur.

Derrière les vitres épaisses, depuis l’intérieur, ils considèrent les pans inégaux des longues ouvertures, et, à travers, les arbres en contrebas qui se balancent doucement, au-dessus des toit-terrasses envahis d’herbe. L’amplitude de leurs larges gestes tranquilles, les uns vers les autres, se touchant, s’éloignant. L’entourage de béton porte encore les traces de coffrage — on raconte que l’architecte, tour à tour encensé ou critiqué aurait décimé les forêts alentour afin d’obtenir des traces différentes.

Après le dîner dans le réfectoire, les quelques tables occupées viennent d’être nettoyées et les chaises en bois repoussées sans ménagement jusqu’à venir cogner le rebord des tables. La vaisselle sale s’empile bruyamment sur le chariot métallique et tous les hôtes quittent les lieux, se suivant un par un ou par petits groupes, et, tout comme les Frères, s’éparpillent à travers l’édifice.
On perçoit l’écho de leurs voix qui résonne dans l’espace en hauteur de l’atrium, encore éclairé par la porte du réfectoire largement ouverte. Maintenant, à travers l’escalier des cellules et les couloirs, des portes claquent.
Puis c’est le silence, qui surprend presque dans la lumière orangée d’un reste de lueur, tout au long de la vaste verrière surplombant le pré en pente vers la forêt et plus loin, par-delà les arbres, vient encore frôler les dômes des collines porteuses de petits villages, étoiles lointaines qui commencent de briller dans le crépuscule.

Une dernière porte refermée, au-dessus, au-dessous ?… laisse passer un battement — choc bois contre bois — qu’elle oublie d’étouffer et que répercutent les couloirs déserts en un léger écho. Dans l’allée, une voiture froisse le gravier. Le pinceau des phares accueille une portion conique de terre mêlée de cailloux. Les pans de vitrage inégaux de la salle X qu’ils occupent tous les cinq éclairent de rectangles jaunes, tous de tailles différentes, le talus d’herbe, le chemin. Le reste alentour est plongé dans l’obscurité. Tous assis autour de la grande table faite d’autres tables réunies ensemble, ils lisent ou écrivent. Tous penchés sur un rectangle clair posé en face d’eux sur le rectangle couloir bois de la table. Ils se taisent. Sauf J qui leur parle d’un visiteur étrange que personne d’autre que lui n’a rencontré.

Les deux étages de cellules, les couloirs et les escaliers ne sont plus éclairés que par les blocs d’un blanc laiteux indiquant les issues de secours, chacune porteuse de son petit homme vert en marche. À l’extérieur, et malgré une averse soudaine, et tandis que la pluie subitement redouble d’intensité, ils perçoivent, derrière le pilonnement des gouttes, les éclats d’un rire forcé bousculant le lieu, la nuit.

Depuis la fenêtre de chaque cellule donnant d’un côté, sur la coursive intérieure du bâtiment et, de l’autre, sur la petite loggia avec l’étagère carrée placée sur le mur gauche et les ombres répétées des petits orifices creusés, ouverts dans l’épaisseur du béton du balcon, ils peuvent voir, chacun, un pan de forêt, une portion du grand pré.

Le revêtement brut, ciment soufflé en vagues et en crêtes dans les cellules, sur certains murs où la lumière accentue les effets de reliefs de grotte taillée dans le roc, les traces des planches de coffrage du béton brut intègrent les moments d’une fabrication, des tubulures bleu rouge, noir se croisent, à la rencontre de tout l’édifice comme des vaisseaux irriguant un corps humain.

Sur les loggias, dans les angles des fenêtres, des portes, sous les piliers soutenant l’édifice, les spores, les graines voyagent depuis le coup de vent nocturne, se posent dans les interstices du béton où la pluie laisse une tache humide, à travers les fissures des dalles, dans les recoins des bords de fenêtres, des dessus de portes, le sifflement des bourrasques va s’enrouler aux tuyauteries au ras des plafonds, et parcourir tout l’édifice en suivant minutieusement et patiemment tous les rails des fils électriques.

Venu du plafond, un souffle enfle, parcourt les boyaux des tuyauteries apparentes, étouffe l’oiseau dans le dehors de l’arbre. Un craquement s’est fait entendre à l’intérieur, dans les hauteurs du bâtiment. À l’extérieur, le trille pur d’un merle troue l’espace jusqu’à eux. La table sous les coudes bascule légèrement. Ils reniflent et bougent en glissant sur leurs chaises. Une respiration, un soupir des murs, de la fenêtre, coule dans leurs dos. Une clé est posée sur du bois. Un stylo claque sur la table puis gratte le papier.
Dehors, des voix nombreuses orchestre, collent des mots innombrables sur les criblures de pierre des balcons des cellules. Ils les laissent porter leurs histoires et, enfin, se taire, emportées par d’autres pas vers la forêt.

Un courant, quelque chose, se faufile doucement, s’essouffle avant même de parvenir. Des chants d’églises, murmures de vêpres, communions secrètes de la parole avec la pierre et la lumière, des corps en bavardage avec le ciel, perdus dans l’épaisseur du béton, ses fissures comme des cicatrices de fractures anciennes, une mémoire de la pierre. Le chauffage sinue en longues goulées absorbées par les couloirs, les escaliers, quelques miettes métalliques se bloquent, se heurtent à travers la dilatation des canaux, par-dessus le croassement d’un corbeau.

Seule dans sa cellule, installée à la petite table face au mur blanc, elle lit :
— Comme les mères des hommes, les bâtiments sont toujours à l’écoute. Des bruits longs, isolés ou groupés apaisent les orifices du palais doucement penchés en arrière au-dessus d’un canal ou d’un trottoir. Un son long et son écho donnent à la pierre son ultime raison d’être. 
Adrian Stockes – peintre et essayiste anglais.

Au matin, aucun réveil, aucune cloche, mais des portes ouvertes et refermées à nouveau. Des clés tournent dans des serrures. Le flux d’une eau, de plusieurs eaux coulées ensemble chahutent les tuyauteries partout au-dessus des lits. Chaque pas résonne sur le sol de plastique vert, y creuse son chemin sonore, bute contre les lourds piliers, les portes rouges et jaunes, se laisse rouler depuis l’Atrium jusqu’au bas de la pente vers l’église à travers les pans lumineux des ondulations aux joints noirs qui courent, dansent, se coupent, et se tordent, scandant le sol de leurs ombres découpées, tandis que les tubulures turgescentes des mitraillettes à lumière visent le ciel. Enjambant les coulées lumineuses des pans ondulatoires, ils suivent la pente légère du long couloir qui les porte jusqu’à l’église. À l’orée de son tunnel sombre et glacé, seulement éclairé par le haut, d’une fente courant au ras du plafond, la lueur improbable filtre au sommet du vaisseau et ouvre un doute. À quoi peuvent bien servir les hauts murs de béton épais, que soutiennent-ils ? Depuis la crypte, l’éclairage bombarde les murs jaune, noir, bleu, à travers les canons, les mitraillettes à soleil. La lumière coincée dans les tubes semble hurler.
Un frère, une aube blanche passée par-dessus ses jeans, apprête un autel dans de vigoureuses allées et venues. Ses sandales martèlent, comme une injure, les dalles du chœur. Ils attendent l’heure du déjeuner, feuilletant les pages effeuillées des livres de messe qui murmurent ppsssssaummmmme en voletant entre leurs pouces.

Cela fait plusieurs heures maintenant qu’ils n’ont pas entendu une sonnerie de téléphone, ou un message entrer. Ils tournent les pages de livres, parcourent les pages écrites, descendent s’installer dans le silence comme on déménage dans un nouveau lieu de vie.

*

Nous construisons continuellement une immense cité de l’évocation et de la mémoire, et toutes les villes que nous avons visitées sont des quartiers de cette métropole de l’esprit.

La mémoire nous ramène vers des cités lointaines, les romans nous transportent dans des villes suscitées par la magie des mots.
Le Regard des sens – Juhani Pallasmaa

Codicille : Où je m’aperçois de plus en plus nettement de la difficulté qui est mienne, à rattacher ce qui vient en premier lieu à l’esprit — après écoute et lecture de chaque proposition et des textes d’appui — et qui ne s’ajuste peu, voire pas du tout, à ce qui est venu « avant ». Le lieu dont il est question ici, exerce sur moi un attrait puissant depuis plusieurs années. J’y séjourne — en dehors de tout contexte religieux ! — j’y reviens pour de courts séjours, me disant pourtant que je ne pourrais pas y vivre.

Délibérément, donc, je considère que chaque pièce du puzzle de « roman » ne créera jamais un « tout » : une histoire, avec exposition-développement-conclusion, sur le modèle d’une sonate classique.

Lorsque François Bon a parlé d’une couleur, d’une tonalité, évoquant nos textes distincts et qu’une couleur, une tonalité, pourrait rassembler, j’ai pensé à Jean-Philippe Toussaint, qui choisit toujours une dominante de couleur pour chacun de ses romans.

16. Notes du traducteur


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proposition de départ
1/ 27 Nguyen Thi Minh Kai, Q. 1

Il existe plusieurs types de sandales. Chaussure très légère, sans talon, et à brides ouvertes qui montrent le pied nu. Elles existent en plusieurs matières. Le modèle français en PVC souple et transparent prend différents surnoms selon les régions : méduse, mica, squelette, fif, nouille.

Sandales plates
Référence 18531AA1 / GFZUYT
Détails produit
 • Talon plat
 • Fermeture : A bride/boucle
 • Bout ouvert
Composition
 • 100% polyuréthane
Couleurs Blanc Crème, Noir
Tailles 36, 37, 38, 39, 40, 41

2/ Jean-Benoit

Cannonbeatles tx12 subwoffer voiture passif 2x30cm (12") 2x300w autre AUNA
L’Aula Cannonbeatles TX12 est un subwoffer auto passif disposant de données techniques prometteuses et d’un design imposant.

Deux tons basses d’un diamètre de 30cm (12") délivrent une pression musicale maximale dans votre habitacle, effet encore poussé plus avant par la présence de 4 lampes bassreflex intégrées ainsi que d’un châssis anti-résonance. Le subwoffer HiFi pour voiture atteint ainsi sans problème une performance de 2x300W RMS.

En plus de sonorités bombastiques, le subwoffer passif Aula Cannonbeatles TX12 se distingue par son esthétique séduisante. Une grande plaque de plexiglas à l’avant offre ainsi une vue imprenable sur ses doubles membranes argentées. L’effet de lumière LED bleuté vient de la même manière soutenir comme il se doit les prouesses techniques du subwoffer, en faisant un authentique spectacle sensoriel.

Caisson de basses passif pour voiture avec 2 subwoffers de 30cm (12") et 2 x 300W RMS de puissance

Avant biseauté avec grande plaque plexiglas et élégant éclairage LED bleu
Châssis anti-résonance avec quatre canaux Bass Reflex - super résistant avec revêtement feutre

1 x Appareil
1 x Câble 12V
Dimensions :
80 x 38 x 33,5cm (LxHxP)
Poids : env. 22,5 kg
Caractéristiques :
Connexions : 2 x jeux de bornes d’enceintes, 1 x Connecteur LED 12V
Réponse en fréquence : 35Hz - 250Hz
Impédance : 4/8 ohms
Aimant : 30 oz
Bobine : 3,8 cm (1,5")
LED : 4
Couleur : Noir, Gris

3/ Entrée dans un âge qui n’est plus l’enfance

Après une décennie enthousiaste dans les années 1950, la Citroën 2CV débute les années 1960 avec une nouvelle version au capot corrigé. Mais Renault vient faire de l’ombre à la petite Citroën avec la R4, proposée à la vente dès 1961, et ce succès insolent pousse la marque aux chevrons à modifier ses lignes et proposer des variantes plus confortables de la 2CV. Mais rien n’y fait, le succès de la Renault 4 se confirme d’année en année, battant plusieurs records, doublant même la 2CV à partir de 1964. Dans les hautes sphères de la firme, l’heure est au renouvellement. Lancer un nouveau projet de voiture apparaît indispensable, malgré les finances de Citroën ne permettant pas d’imaginer une toute nouvelle voiture.

Type de moteur : 2 cylindres à plat
Énergie : essence
Disposition : longitudinal avant
Alimentation : Carburateur
Ditribution : Arbre à cames central
Alésage & course : 74,0 x 70,0 mm
Cylindrée : 602 cc
Compression : 9.0
Puissance : 35 chevaux à 5750 tr/min
Couple : 4.2mkg à 4000 tr/min
Boite de vitesse : 4 rapports
Puissance fiscale : 3 CV
Type : Traction

4/ Seule, ton doux ton dur

Permanence consulaire à Les Hauts de C 24 avenue Daniel R
Horaires d’ouverture au public : lundi, de 9h à 13h et de 14h à 17h, uniquement sur rendez-vous à travers le site du Consulat
Durant l’horaire de la permanence, on pourra contacter le fonctionnaire présent à C au 06/../../../..

Services assurés

1 – Remise en mains propres de la CARTE D’IDENTITE.

Attention, le Consulat précise que la demande de la carte d’identité ne sera pas effectuée à la permanence de C mais devra être envoyée préalablement PAR LA POSTE. À cette demande, avec la documentation nécessaire, il faudra joindre un chèque de X,XX€ (s’il s’agit d’une première demande ou de renouvellement d’une carte périmée) ou de XX,XX€ en cas de perte ou vol ou en cas de carte détériorée). Le Consulat s’engage à informer le ressortissant lorsque la Carte d’Identité sera prête afin qu’il puisse s’y rendre pour la retirer à la permanence. Il faut savoir que, contrairement aux passeports, les cartes d’identité doivent absolument être remises en main(s) propre(s) contre signature de l’intéressé.

2 – Prise des empreintes digitales et numérisation de la signature pour les PASSEPORTS.

Là aussi, les demandes de passeport devront être envoyées PAR LA POSTE avec un chèque de XXX€ assortis d’une vignette postale pour l’envoi du passeport par pli recommandé. Si le citoyen a déjà un passeport périmé ou en voie de péremption, il faudra le joindre à la demande. Le Consulat s’engage à prévenir l’intéressé lorsqu’il pourra se rendre à la permanence de C pour la prise des empreintes digitales et la numérisation de la signature. Contrairement à la carte d’identité, le passeport sera ensuite envoyé directement à domicile par pli recommandé.

Le C.G.I.E. est institué par la loi n°368 du 6 novembre 1989 (modifiée par la loi n°198 du 18 juin 1998) et régi par le règlement d’application mentionné dans le décret du Président de la République n°329 du 14 septembre 1998.
Le C.G.I.E. est présidé par le Ministre des Affaires Etrangères. Il est composé de 43 Conseillers. Parmi eux, certains sont nommés par le Président du Conseil des Ministres et d’autres sont élus par les membres des COM.IT.ES. et des représentants des Associations dans chaque Pays. En France ont été élus 4 Conseillers du C.G.I.E.

Le C.G.I.E a un rôle consultatif pour le Gouvernement sur les grands thèmes le concernant. Il forme des commissions thématiques (culture et langue, social, jeunes, etc…) et des commissions « continentales » et se réunit deux fois par an en assemblée plénière où se rencontrent les représentants des COM.IT.ES.

5/ Chacun.e cherche ses clés

Des clés perdues en rentrant du travail et vous vous retrouvez enfermé(e) dehors ? Voilà bien une situation stressante ! Vos clés sont peut-être simplement égarées… momentanément, mais elles peuvent aussi être définitivement perdues ou bien même avoir été volées … Y a t-il une adresse permettant de savoir que ce sont ces clés qui ouvrent votre porte ? Pouvez-vous quand-même rentrer chez vous, ou bien êtes-vous dans l’obligation de faire procéder à une ouverture de votre porte par un serrurier ?
Dans la plupart des cas, une personne partageant votre logement pourra vous rejoindre et vous ouvrir. Quitte à ce que vous deviez patienter quelques heures… En revanche, vous pouvez aussi être réellement enfermé(e) dehors. Quel est alors le risque de voir ces clés tombent entre de mauvaises mains ? À moins que votre pièce d’identité n’ait été perdue ou volée en même temps que vos clés, il est peu probable qu’une tierce personne puisse utiliser ces dernières pour s’introduire chez vous.

Au final, il vous faudra néanmoins faire appel à un serrurier pour vous permettre de rentrer à nouveau dans votre domicile. Mais il est inutile de vous précipiter sur le premier numéro de dépanneur venu ! Dans cette situation, mieux vaut prendre le temps de chercher un serrurier de confiance à tête reposée, quitte à devoir, si possible, passer la nuit à l’hôtel ou chez des amis …

6/ Vous ne saurez pas le nom de M

Votre passé commence avec votre arbre généalogique et il est facile de le construire. Ajoutez des noms, des dates, des photos et des histoires et partagez-les avec votre famille. Plongez dans notre immense collection de registres du monde entier. Chercher simplement un nom pour en savoir plus sur vos ancêtres. Avec un contenu exclusif et des résultats précis, nous vous aiderons à découvrir plus que vous ne l’imaginez. Dès que vous aurez un arbre généalogique, nos recherches commenceront. Vous aurez des notifications par email lesquelles peuvent révéler des liens entres des arbres généalogiques, des documents ou articles de journaux sur vos ancêtres. Des millions de familles à travers le monde explorent leur histoire. Collaborez avec les membres et rejoignez les milliers de personnes qui retrouvent chaque jour des cousins grâce à notre réseau.

4,2 Milliards de profils / 60 Millions d’utilisateurs / 54 Millions d’arbres généalogiques

7/ Jeunes remariés

Garantie de satisfaction à 100%

1. Garantie de qualité :

• Des tissus et des fils de haute qualité soigneusement sélectionnés pour créer chaque robe.
• Nos tailleurs professionnels confectionnent à la perfection chaque décoration.

Avant l’expédition, nos articles sont soigneusement vérifiés pour assurer le meilleur produit possible.

2. Garantie de taille :

• Des conseillers professionnels sont disponibles pour vous aider à choisir la taille la mieux adaptée.
Chaque robe a une couture de 2,5 cm pour les modifications de taille.

3. Garantie de livraison :

• Nous emballons chaque article en toute sécurité et le plus soigneusement possible — nos ouvrières portent des gants à usage unique, changés tous les dix articles — pour éviter tout incident.
Date de livraison garantie de nos partenaires de livraison dans le monde entier.

4. Garantie après-vente :

• Pour tout problème lié à la qualité, nous proposons un retour gratuit jusqu’à 30 jours.
• Tout article défectueux, endommagé ou mal expédié est éligible à un remboursement intégral.

8/ 4 Extérieurs / 4 Intérieurs

Depuis plus de 40 ans, nous réalisons tous les travaux permettant d’améliorer votre habitat et de réduire vos factures énergétiques. Nos équipes redonnent un coup de frais à votre façade tout en la protégeant pour les années à venir. L’isolation thermique permet de bien isoler votre habitat et de réduire votre facture d’énergie. De plus, ces travaux de façades ou d’intérieurs vous permettront de renouveler l’aspect extérieur et intérieur de votre habitation.
Les équipes d’Adrénaline Haute Voltige vous accompagnent et vous conseillent dans l’entretien et la maintenance de vos bâtiments. Etanchéité, peinture, maçonnerie, menuiserie, serrurerie, refection, zinguerie, démolition nettoyage en hauteur... Les alpinistes-ouvriers maîtrisent tous ces corps de métier et possèdent plus d’une corde à leur arc… pour vous garantir des interventions dans les règles de l’art. Nos cordistes interviennent en toute sécurité via des systèmes d’élévations électriques pour des interventions sur faible hauteur afin de répondre à tous vos besoins.

9/ 3 variations sur le paysage simple

L’entreprise Larbre vous propose ses services : Tonte des pelouses par notre jardinier, une fois par semaine en moyenne, de mars à fin octobre. Tondre régulièrement une pelouse est la garantie d’obtenir un "beau tapis vert". La tonte doit s’effectuer dès le printemps et jusqu’à l’automne, les dates varies selon les secteurs. La fréquence de coupe dépend de la saison et de l’usage de votre gazon : pelouse rustique, gazon anglais… Votre artisan jardinier vous conseillera sur le rythme à adopter en fonction de vos besoins et de l’état du gazon. Pour conserver longtemps un gazon beau et en bonne santé, faites appel à un professionnel tel que nous ! - Devis 100% gratuit 

10/ Sur l’écran noir de ses nuits blanches…

Encore quelques instants et vous y serez déjà… en quelques clics seulement !
Décoré dans le style du XVIIIe siècle, l’hôtel 4 étoiles Cotton on the Grand Canal se trouve près de la gare Santa Lucia, à quelques minutes à pied de la plupart des sites historiques de la ville. Profitez d’une belle vue sur le canal depuis la terrasse du bar-salon Sky Lounge et profiter de la cuisine locale du restaurant La Coupola. Chaque chambre dispose de la climatisation et d’un mobilier ancien, d’une connexion Wi-Fi gratuite et d’une salle de bains privative avec articles de toilette gratuits. Son cadre élégant, ses arômes intenses et goûts exclusifs caractérisent le restaurant La Coupola. Il sert avec simplicité un menu créatif et des plats traditionnels, le tout accompagné de vins exclusifs. Vous y apprécierez d’excellentes boissons et de délicieuses collations à l’intérieur comme à l’extérieur, tout en profitant d’une vue superbe sur le Grand Canal.
N’hésitez plus !

11/ Je n’ai jamais entendu ses mains

Des professeurs adaptés à vos besoins : Pour remplir notre mission qui est de vous faire progresser selon votre niveau et vos envies, nous accordons le plus grand soin au recrutement des professeurs.

Une méthode personnalisée et active : Alliant passion et pédagogie, nos cours sont structurés autour d’exercices ludiques axés sur la pratique, l’entrainement et le perfectionnement des connaissances.

Des professeurs partout en France : Parce que nous sommes présents partout dans l’hexagone, nos professeurs sont disponibles où que vous soyez.

Vous êtes débutant ? Nous vous proposons une méthode pour commencer à apprendre le piano. Toutes les notions élémentaires expliquées en images et immédiatement mises en pratique dans des exercices et des morceaux : la position de la main, les notes sur le clavier, la mesure, les nuances, le rythme... parallèlement à nos cours de solfège progressifs et interactifs.

Vous êtes intermédiaire ? Alors, profitez des conseils de nos professeurs sur une sélection de plus de 100 morceaux classés par difficulté : Bach, Mozart, Beethoven, Schubert, Chopin, Schumann, Debussy, entre autres, pour 2 et 4 mains… Découvrez également toutes les bases de la technique du piano.
Vous êtes avancé ? Nos professeurs vous guident dans votre apprentissage sur les grandes oeuvres du répertoire : Sonates de Beethoven, Ballades et Intermezzi de Brahms, Etudes et Ballades de Chopin, Préludes de Debussy, Miroirs et Sonatine de Ravel, Fantasiestücke et Papillons de Schumann, etc.

12/ Disséquée

Toute l’instrumentation pour les infirmiers, infirmières et professionnels de santé  :

Tous les ciseaux pour la pratique quotidienne des soignants : pointus, dauphin, mousse, à ongles, droits, courbes, ciseaux de dégagement…

Pour les injections et prélèvements chez vos patients, une sélection à travers une large gamme de seringues : stériles, sans latex, de 2ml à 10 ml, avec ou sans aiguille intégrée, montées ou non montées.

Les collecteurs d’aiguilles usagées ou de déchets perforants sont indispensables à votre équipement. IDE Collection vous propose une sélection de collecteurs de 0,7 à 3 litres, qui vous garantiront sécurité et praticité. 
Large choix de garrots pour les soignants : garrot clip professionnel, garrots plats latex, garrots sans latex, garrots pédiatriques, garrots professionnels adulte.

Une large gamme de stéthoscopes, du modèle le plus simple ou à double pavillon, pédiatriques, colorés, classiques : étudiants, IDE ou IDEL, trouvez le stéthoscope qui correspond à votre exercice !

13/ Ressasséee

Vous souhaitez écrire votre biographie ou le livre qui exprimera vos idées, en réunissant les mots les plus justes. Que vous ayez parcouru le monde, ou n’ayez jamais quitté votre quartier, votre histoire mérite un LIVRE ! Pourquoi ? Parce que vous êtes UNIQUE.
En effet, vous êtes l’actrice/l’acteur principal de ce vécu. Vous seul avez les mots du coeur pour l’exprimer. Écrire son LIVRE est une Aventure RICHE et BELLE, qui n’est pas propre à une classe sociale ou une catégorie d’âge. Écrire votre LIVRE, vous reliera pour l’Éternité à vos proches, aux autres, et au Monde. Je suis là pour vous y aider et vous accompagner dans ce magnifique projet...

Écrire Votre Livre ... C’est Mon Métier...

Que vous soyez un jeune de maintenant, ou des temps plus anciens, un couple, une groupe d’amis, une entreprise ou une collectivité, vous laisserez une trace écrite, sous la forme d’un livre autobiographique : VOTRE LIVRE... Il relatera vos origines, des événements heureux et/ou pas, vos opinions, vos réussites et des anecdotes qui ont émaillé votre existence.

14/ Faire parler le mort

Voici notre sélection de voyants et médiums. Tous ces professionnels de la voyance ont été testés sur leurs dons afin de vous offrir la meilleure consultation possible. Chaque voyant et médium travaille de manière complètement différente et tous pourront répondre à vos interrogations à leur manière.

Certains de nos voyants et médiums n’ont nul besoin de support pour lire votre destinée, alors que d’autres utiliseront les tarots et oracles, le pendule, la numérologie, l’astrologie pour confirmer leurs flashs et ressentis.

Toute cette diversité vous permettra de trouver le voyant ou médium qui correspondra au mieux à votre demande.

Étapes pour consulter un voyant :
 Vous choisissez votre voyant ou médium
 Vous validez le mode de consultation choisi
 Vous êtes mis en relation avec votre expert

Vous vous demandez sans doute quelle somme investir pour une consultation avec l’un de nos experts ? Tout cela dépend de votre demande ! Nos forfaits permettent de s’adapter à tous les budgets et toutes les demandes... Vous désirez obtenir une réponse à quelque question précise ? alors le forfait à 10€ peut très bien vous convenir. Vous désirez approfondir sur un domaine en particulier ? le forfait à 25€ sera l’idéal. Le forfait à 55€, quant à lui, permet d’obtenir une voyance complète et les forfaits à 75€, 105€, 155€ balaient plusieurs domaines et/ou voyance complète.

15/ L’empathie ce sera pour demain

D’après une étude publiée en janvier 2018, les problèmes relationnels seraient la première cause de souffrance au travail en France aujourd’hui. Et je dois dire, que sans avoir fait d’étude statistique, chez Cap Bienveillance nous sommes témoins de ce fléau tous les jours. Conflit avec la hiérarchie, conflit avec un collègue, incivilités …

Les situations sont variées mais il est rare qu’un désir de changement ne soit pas concomitant à des difficultés relationnelles.

Quel dommage que nous n’apprenions pas à gérer nos relations durant nos études !

Nous serions tellement plus à l’aise si nous avions acquis, dès le départ dans la vie professionnelle, les clefs de ce grand mystère que sont les relations !

Il suffit de peu de choses, parfois, pour s’épargner bien des problèmes relationnels, et utiliser plutôt cette énergie au développement de ce qui est vraiment important.

Imaginez … Ne serions-nous pas alors mieux dans nos vies, plus performants au travail, plus constructifs en tant que société aussi ?

Codicille : J’ai été tentée, un peu par paresse mais beaucoup par gout aussi, de me laisser porter au gré des navigations sur le net, voir ce qui venait à ma rencontre par le biais de la recherche lancée. J’ai parcouru, lu, relu, modifiant légèrement ou pas, changeant les noms surtout. Je n’apprécie pas toujours la façon dont sont présentées les choses, dans ce langage de marketing, ou de publicitaire, mais j’ai voulu évoquer aussi, je crois, mes passions enfantines pour les réclames collées sur les vieilles granges en bois de ma campagne, leurs couleurs vives, et les visages heureux représentés ainsi, presque hors d’atteinte, idéalisés. Puis les catalogues, qui ont été mes premiers livres. Je les ai beaucoup feuilletés, regardant les images de nombreuses fois — je me souviens tout particulièrement d’une annonce avec des dessins, aux seuls contours d’hommes transparents penchés sur d’autres fantômes, allongés ceux-là et présentant les premiers soins à donner aux blessés —. Il y a eu ensuite le dictionnaire et toutes les reproductions des peintures célèbres, les visages des musiciens ou des écrivains, des rois er des reines. Et le livre de la cocotte-minute !… et les nombreux papiers administratifs que je remplissais pour les démarches de mes arrières-grands-parents qui ne savaient pas écrire le français.

Je me suis amusée à répondre à la proposition en songeant à ces catalogues et ces formulaires administratifs, parfois incompréhensibles pour la jeune enfant que j’étais…

15. Grand-Pierre


proposition de départ

Au cours de son enfance, Élisabeth se souvient que Grand-Pierre a été le seul homme de la famille. Seul contre trois femmes, plus Élisabeth dont, il aurait salué la naissance par ces mots :

— Encore une étoile au drapeau ! Uncura na stella sulla bandiera !

Il demeure soigneusement en retrait du matriarcat.

Elle n’a d’autre impression que celle d’un échalas gris et taiseux, aux vêtements flottants autour du corps maigre. Silencieux, sauf lorsqu’il l’emmène les dimanches après-midi sur les gradins rêches et humides du stade. Il se met alors à s’agiter en hurlant, à intervalles plus ou moins réguliers, le dentier rattrapé au bord de l’écume des lèvres noircies par le cigare. Élisabeth, perplexifiée par la modification brutale dans le comportement de l’aïeul, a bien cherché à plusieurs reprises à comprendre les raisons de ce débordement soudain, sans jamais parvenir à établir de relation nette entre les sons gueulés à pleins poumons par-dessus sa tête, accompagnés de gesticulations qui la bousculent parfois sans ménagement… et la bande de gugusses bariolés et suants courant sur le pré, occupés, semble-t-il, à se partager un unique ballon du bout des pieds.

Grand-Pierre est solitaire. Souvent, il assied son long corps maigre et vouté sur une chaise, entortillant ses jambes l’une à l’autre serrées en plusieurs nœuds. Puis, il reste immobile dans la fumée âcre de ses Toscani. N’ouvrant une bouche à sanglots grasseyants, que pour invoquer boun’anima mare sa défunte mère, qui le laisse orphelin à l’âge de huit ans. De père, il n’en a jamais fait mention.

Grand-Pierre se prénomme Joseph pour l’état civil, mais personne ne l’a jamais appelé autrement que Pierre, prénom décrété par Mamé.

Au printemps, et lorsqu’il n’est pas devant les hauts-fourneaux de l’aciérie, Grand-Pierre est campé au fond du jardin, sa grande silhouette raide tuteurée d’une bêche ou d’un râteau sur lequel il se tient appuyé de longues heures. Il revient à la nuit tombante, maculant de terre le linoléum que Mamé a tant de peine à garder propre.

La cuisine est le seul lieu où Grand-Pierre retire sa casquette qu’il jette d’un mouvement étudié du poignet en direction du petit fauteuil jaune. La soucoupe flasque plane par-dessus la toile cirée de la table, les assiettes et les verres, manquant parfois rôtir sur le poêle à bois. Le front de Grand-Pierre conserve une auréole rouge, cicatrice creusée qui met plusieurs minutes à se dissiper. Élisabeth l’observe. inévitablement, elle lui donne l’envie de découpages. Elle suivrait minutieusement ce pointillé enflammé, se demandant ce qu’elle trouverait à l’intérieur — une fois la boite du crâne de Grand-Pierre ouverte — qui pourrait l’éclairer sur ce caractère morne et silencieux, ses soudaines explosions des bords du stade.

Grand-Pierre mange des escalopes de veau, jamais assez cuites à son goût. Mamé doit relancer plusieurs fois la cuisson, jusqu’à obtenir un lambeau mince et carbonisé : une semelle de viande qu’il accepte alors de grignoter du bout des dents, mastiquant chaque bouchée durant de longues minutes. Élisabeth voit monter et descendre la protubérance de la pomme d’Adam sous la peau flasque du cou maigre piqueté de poils ternes mal taillés.

Grand-Pierre élève des oiseaux en cage. Lorsqu’ils ont des petits — oisillons chétifs et contorsionnés qui dégoutent vaguement Élisabeth — il lui devient alors impossible de consommer un œuf cuit dur sans que Grand-Pierre, sans même demander la permission, en prélève le jaune, petite lune pleine à bordure grise — un véritable poison ! — pour l’émietter près du nid.

Grand-Pierre est à la fenêtre à chaque orage et appelle Élisabeth afin d’égréner pour elle le nom de tous les lanceurs d’iodure d’argent et de chlorure de sodium — maigres fusées contre la grêle —. Élisabeth ne voit fleurir que de minuscules choux-fleurs s’élevant et retombant, pétards mouillés sur le moutonnement des arbres de la colline, face à la vieille maison.

— Ah, ça c’est G, tiens ! ici c’est P…

Grand-Pierre reste ainsi à l’abri derrière la vitre durant tout l’épisode et, pas plus que le jeu au stade, Élisabeth ne parvient à comprendre l’intérêt d’être capable de nommer les petits choux-fleurs.

Si elle se risque à poser une question, Grand-Pierre fait le sourd et n’y répond jamais. Mamé, elle, a fini par ne plus lui en poser, si bien qu’à table, elle le sert sans rien dire. Entre les recuissons de l’escalope, un silence agacé préside aux repas, seules réunions des membres de la famille.

 

14. Si mal...


proposition de départ

J’étais si mal, si mal… je l’ai dit à A, à mon fils, quand il est venu me voir, la dernière fois. Non, attends !… Je m’embrouille. A n’a pas pu venir me voir, puisqu’il est mort avant moi. Tu t’en souviens, petite ? Bien sûr que tu t’en souviens ! Tu t’en souviens ?… Quand tu m’as raccompagnée, ce jour-là, nous sommes allées le voir toutes les deux, ensembles encore pour quelques minutes, avant, avant que tu repartes, que les portières de votre voiture aient claquées, et que je t’ai dit au revoir depuis le petit balcon, la main levée, protégeant mes yeux qui ne voient plus, ne voient plus, mais qui savent quand tu t’en vas, petite, mes yeux ne voient plus rien, mais encore un peu, juste assez pour te voir partir, pour voir la voiture, je vois surtout la couleur tourner aux deux angles du pré et puis je la perds entre les deux fermes. Comme si de rien n’était. Comme si je ne savais rien encore… il était allongé sur son lit, A respirait mal, mais il a souri, il a eu cette force, la force de ce pauvre sourire, son torse essoufflé qu’il a relevé péniblement, en nous voyant entrer toutes les deux, toi et moi… Il y avait, combien de temps que je ne l’avais pas vu ?… Je ne sais plus… peut-être à peine une semaine… Et tu m’as regardée lorsque je suis ressortie. Très vite. Trop vite, je ne pouvais rester dans cette pièce qui sentait déjà la… Oui, mon fils était en train de mourir ! Toi, je crois que tu as compris immédiatement : tu es entrée, tu l’as vu, à son visage, à cette soudaine maigreur, cette lassitude. Moi, je crois que je ne le savais pas. Personne dans la famille n’a besoin de connaitre la vérité sur une maladie. Je sais, tu trouves ça surprenant. Mais, tu crois vraiment que ça m’aurait fait du bien, que ça m’aurait apporter un soulagement de savoir mettre un mot, le mot à deux syllabes que tout le monde prononce à mi-voix, sur l’état de mon enfant ? On a parlé tous ensemble, de la pluie et du beau temps… de tout et de rien… Pourtant, non, il n’avait pas tant changé que ça, entre l’espace de ces quelques jours. C’était toujours lui, il a mon nez, tu ne trouves pas ? Et puis la forme du visage… sur les photos que je me suis mises à scruter, je le voyais rire, marcher, faire des signes ou fumer…. Et je me demandais où cela pouvait-il avoir eu lieu … ailleurs, sans moi… c’est comme ça tu sais, tu le sais maintenant que tes enfants t’échappent, c’est normal. Tu leur a appris à marcher afin qu’ils s’en aillent loin de toi, c’est comme ça, on dit c’est la vie, c’est toujours ce qu’on dit dans ces cas-là, c’est la vie… Et je rajouterais peut-être un sucre dans mon bol de café. Un tout petit bol à bergère et bordure dorée écaillée, pour le café de l’après-midi, une fois la table débarrassée et nettoyée, la vaisselle terminée, lavée, rincée par-dessus les chignons des bulles du Mir empilées en neiges irisées sur la pierre de l’évier. Mes mains secouées, essuyées au tablier puis au torchon pincé dans la patère retenant aussi le doigt poussé à travers le plastique déformé et le tissu humide.

Je n’use rien, je n’abime pas, je fais durer les choses, les plantes, aussi bien les chats, les poissons rouges, les oiseaux en cage…

Ainsi, nous voici réunies, ma fille, après toutes ces années, voilà, enfin il semble que je sois morte plus jeune que toi, de quelques années, si bien que je me trouve devant toi, plus jeune que tu ne l’étais à ta mort… c’est presque amusant, je me suis laissée dire que vers la fin de ta vie, tu as connu bien des ennuis… nous n’avons presque pas vécu ensemble… depuis la photo où tu es, enfant rayonnante et confiante, entre nous, ton père et moi, bien de face avec ce noeud énorme sur tes cheveux courts. Quelqu’un dont je ne reconnais plus l’écriture a noté au dos de la photo noir et banc, l’année : 1930. Puis, celle-ci, devant la maison de l’avenue de S. En plein soleil, et bras nus. Toi, tu es la plus à gauche, dans une robe claire et tablier à carreaux. Tes cheveux sont coiffés en arrière, comme les miens… Sur la façade de la petite maison blanche, l’ombre d’un arbre et, à tes pieds, une large tache noire. Je ne me souviens plus que de cette tache, de ce qu’elle trahissait de la personne absente sur la photo… Sur la troisième photo tu es devant. Tu as visiblement beaucoup vieilli sur cette troisième photo. Je n’emploie pas le verbe grandir. C’est une adulte qui nous regarde et je dois faire un effort pour reconnaitre la jolie petite fille insouciante que tu étais, l’enfant confiante, l’œil espiègle sous la frange de cheveux sombres. Le menton volontaire qui te vient de ton père, et la tête légèrement rejetée en arrière. À sa place, toujours entre ton père et moi, il y a maintenant une femme au visage rond. Tu as dix-sept ans, de ça je me souviens ! Le front descendu bas sous les cheveux tirés en deux parts inégales. Assise de trois quart. Ton corps a forci. Une ceinture entoure ta taille et fait gonfler le tissu sur ta poitrine. Derrière toi, à ta droite, la silhouette maigre de ton père, cassée en deux. Son geste a été arrêté et, surpris, il tourne la tête vers l’objectif. Moi, on me devine à ta gauche, à moitié cachée… on ne reconnait de moi, que l’auréole de cheveux fins, comme un halo de brume autour de mon visage aux pommettes hautes, mais, déjà, légèrement flou. J’ai dû bouger, dans le geste de ramener mes cheveux afin d’être un peu plus présentable, peut-être, lorsque le photographe nous surprend. La manche d’une robe ou d’une blouse… dans un tissu clair. Ce détail peut nous renseigner sur l’époque qui doit précéder le décès de ma sœur. La scène qu’on a voulu immortliser, a lieu un jour de semaine. Ce qui te recouvre et derrière quoi tu disparais, ce ne sont pas des vêtements du dimanche, de même que ta coiffure, et ton attitude, la notre aussi. Tout indique la surprise dans les gestes de notre quotidien. Tu viens d’apprendre. Dans quelques mois tu seras à la fois mère et veuve… On venait de quitter les usines de soierie artificielle et ton père avait été embauché aux fonderies d’acier. Nous avions trouvé à nous loger à douze kilomètres des aciéries et c’est, bien sûr, à pieds qu’il y allait, de jour comme de nuit, l’été et l’hiver. Plus tard, on emménagerait avenue de S., dans la petite maison, en face de la ferme des L …. Il y a une autre photo où tu es assise sur la première marche d’un petit escalier devant la porte d’entrée d’une habitation portant le numéro 350. Tes cheveux assez courts sont bouclés, tu en as changé la couleur, le brun a remplacé le blond des photos précédentes. Ton visage un peu grave est presque sévère à cause des lunettes de soleil qui cachent ton regard. Tu ne souris pas. Deux rides assez marquées se sont creusées de part et d’autre de l’arête de ton nez. Tu poses, en chemisier et jupe droite assez longue, beige. Le haut de ton corps se détache sur un mur de pierres et le sommet de ta tête arrive juste sous le large appui d’une fenêtre rectangulaire, découpée en trois parties. On distingue sur la droite et au-dessus de la fenêtre, la bordure d’un toit. À ta gauche, un buisson bas, une courte bande de pelouse, et des buissons ornementaux, le mur de la maison voisine, une autre habitation basse avec, entre les toits, une portion de ciel clair. À tes pieds, un journal plié encore retenu dans sa bande de papier. Dans tes bras, ou plutôt, dans tes mains, car tu le portes devant toi pour le montrer au photographe, un enfant. Il semble n’avoir que quelques mois. Ses yeux sont fermés, sans doute à cause de la lumière. Il est vêtu d’une grenouillère jaune pâle qui semble bien trop grande pour lui. La photo couleur est datée au dos : 1963. À cette même date, ta fille, celle qui est restée près de moi lorsque tu es partie — « je ne pouvais pas l’emmener avec moi », as-tu dit … mais ça ne fait rien, puisque ça n’a plus d’importance maintenant, toi et moi, à égalité maintenant, l’as-tu vu défiler ta vie au moment de la quitter ?… « je ne pouvais pas l’emmener ne sachant pas vers quoi, moi-même, j’allais… » oui, c’est ce qu’il parait… en effet, nombreuses sont les jeunes femmes qui, une fois expatriées au bras de leur beau militaire sauveur, les ont trouvés mariés, déjà, embarrassés d’une épouse légitime, espérant leur retour… Oui, ta fille avait déjà eu un enfant, et s’était déjà séparée de son mari… Ensuite, c’est le noir qui m’a recouverte, je m’y suis enfouie, jusqu’à disparaitre, et plus jamais on n’a souhaité l’un de mes anniversaires… et tous les cadeaux que tu m’adressais, je les ai offerts à d’autres, autour de moi, subjugués par leur provenance : made in china, made in japan, made in korea…. Je ne pouvais pas les garder pour moi … les vêtements, les draps, brulaient ma peau. Quand tu venais, une fois tous les huit ans à peu près, distribuant sur ton passage des réfrigérateurs et des mules de fourrures multicolores, je le sais, ça te mettait en rage d’en retrouver au fond du coffre ou de l’armoire, intacts dans leur papier d’origine, pas encore déballés….Tu n’imagines même pas ce que ça pouvait représenter pour nous, ou alors, c’était ta volonté de fer de vouloir nous changer, de nous faire devenir ce que nous n’étions pas… et ne pourrions jamais être…. Et là-dessus, ton fort caractère… n’avait aucune prise. C’est ça qui te rendait folle ! Qui a contribué, sans doute, a espacer tes visites… La dernière fois, nous étions toi et moi, devenues si étrangères… les mots dans ta bouche, déformés par ton accent, puisque ça faisait maintenant plus de la moitié de ta vie que tu avais passé là-bas… entre nous on ne t’appelait plus que « l’américaine »…. mais, cette dernière fois, nous trouverions encore assez de mots en commun pour nous faire mal, de ceux qui visent juste, avec ou sans accent. Je sais que tu les as regrettés … ensuite et que, toi aussi, tu es partie avec leur poids… Il parait qu’à la fin de ta vie, tu les perdais les mots, ne t’exprimant bientôt plus qu’en français, ce qui rendait perplexe ta famille, ta famille de là-bas, que nous avons si peu connue et à qui je sais que tu as toujours refusé d’inculquer l’une de tes langues maternelles, t’acharnant au contraire à parler leur langue avec le moins d’accent possible, afin de te fondre dans ce nouveau pays si neuf …

 

13. Ressassée


proposition de départ

Le fait que je me sois trouvée au fond de ce lit, sans poids, sans douleur encore, mais avec la fausse perception de mouvement, perception de la conscience encore vacillante du réveil, comme si ballotée très légèrement, en équilibre sur des vagues un peu molles, tangage, roulis et le fait que je me trouve réveillée à 04:50 ce matin, croyant lire 05:50 à la lueur violente du petit écran du téléphone portable, lumière diffractée par les yeux au réveil, le fait qu’auparavant on disait cellulaire, j’aime bien le mot, je ne sais pas à quoi il se rattache, pour moi à la cellule, c’est clair, je cherche, je lance une recherche sur le moteur de recherche, je me dis qu’un jour, mais pas maintenant, mais le fait que je prononce ce mot cellulaire, me reporte à des années en arrière, est-ce le mot réellement ou le fait que je ressente ces sensations porteuses d’images, porteuses d’autres sensations similaires, la nausée vague en plus, sur la mer, en bateau il y a très longtemps, le fait que je n’ai jamais beaucoup apprécié cela, le partage de l’espace d’abord et avant tout, le fait que l’on soit tous dans embarqués dans la même galère, on se répètait toujours cette phrase, quelle galère, c’est la galère …. — le fait que j’ai bu le premier café, celui du matin, j’écris avec l’amertume au fond de la gorge, un peu comme la traduction, mais en gout, de la fatigue, le même gout, la même amertume exactement, avec la gorge en carton, ni faim, ni soif, mais l’envie de boire un verre d’eau, une eau limpide et fraiche qui chasserait, en l’emportant vers l’estomac, j’en ressentirai le trajet parcourir le fond de la langue, la déglutition facile véhiculerait le liquide vers l’oesophage puis l’estomac, ouvrant le sphincter, l’acceptant dans l’estomac, le fait que je me sentirais comme nettoyée de l’intérieur, mais ça n’empêcherait pas de retrouver intacte l’amertume, renaissante, sur le voile du palais l’instant d’après et puis le fait que je n’ai pas diné hier soir gardant mon verre en carton noir doublé de carton blanc et lisse dans ma main, et non, je n’avais pas voulu abandonner mon sac pourtant lourd qui pesait à mon épaule, j’étais de passage, arrivée la première pourtant, le fait que c’était la première fois que j’étais invitée chez eux, l’amie de M pas même habillée, s’était faufilée en s’excusant entre nous trois, pas grave, je vous en prie, enfin, je t’en prie, oui, le fait qu’on se tutoie dans ce métier, et puis ils sont tous si jeunes, le fait que je sois la plus vieille ne me dérange pas, me met à l’abri en quelque sorte, on me demande ce que je « fais », le fait que je réponde je suis l’assistante de, alors on me dit mais à part ça ?… le fait que je l’assiste me remplit la tête, à part ça, à part ça… le fait que j’hésite semble les amuser, les surprendre, non, il y a eu ensuite cet homme, sûrement plus âgé que moi ou alors sensiblement de mon âge, admettons, je les vois toujours plus vieux… le fait que je me sois d’abord arrêtée à ce mot cellulaire, le fait qu’il réapparaisse, que je joue avec, le fait qu’il ait été prononcé devant moi, je m’en souviens comme si c’était hier, ou plutôt non, je sais précisément quand, enfin, dans les années 90, c’est idiot le fait que des éléments aussi insignifiants restent dans la mémoire, pour quelle raison, ils s’y impriment de manière indélébile, le fait que, si un jour je perds la mémoire, l’impression que cellulaire resterait imprimé dans les circonvolutions, replis de mon cerveau, cellulaire, je revois distinctement la silhouette de cet homme corpulent assis, le fait que l’homme d’hier soir lui ressemblait sans doute, la même corpulence les unissait à des années lumières, le fait que l’on se soit rencontré dans ce lieu improbable, sur ce tabouret de bar à l’autre bout du monde, le fait que nous avions été obligés de mouiller sur cette île, c’était près de Saint quelque chose, il n’y avait qu’un port minuscule et le fait que nous avions eu la chance d’y trouver une place, le fait que nous nous étions sentis si soulagés après les heures de tangage sous le ciel plombé et l’orage qui arrivait nous obligeant à longer les côtes, avce la lumière qui diminuait si rapidement, le fait qu’on savait qu’il y avait par là des hauts-fonds nous avait fait écarquillé les yeux, sauf P, qui barrait, le fait qu’il semblait le seul à n’avoir pas la trouille sur cet élément liquide et lourd, magma plombé et puis le fait que le jour tombait, et puis tout à coup, retouvés en sécurité dans ce coin paumé du monde avec ce type, le fait que je ne l’ai même pas vu puisque j’étais restée sur le bateau, de ça j’en suis sûre, les autres descendus à terre pour les paperasses habituelles, déclarations, et pourtant je le vois ce type, un peu corpulent, déclarer à A j’ai un cellulaire et il n’y a que ma mère et mon ex-femme pour en connaitre le numéro, le fait qu’à l’époque c’était rarissime, et A, amusée, était venue, m’avait répété l’anecdote, celular-phone, la mère et l’ex-femme de ce type seul au fond de ce bar et reste une autre question, le fait qu’il ait ressenti ce besoin de raconter ça à A, alors qu’ils ne se connaissaient pas et par-dessus tout, le fait que A, dans la réserve polie et souriante qui la caractérise, ait pu, le fait que A, tout, sauf curieuse des personnes qu’elle ne connait pas, le fait qu’elle offre à l’inconnu sa réserve polie et souriante, le fait qu’il ait peut-être eu l’envie de raconter cette anecdote comme ça, en passant, sans raison, le fait qu’il restait accoudé au bar sous les loupiotes crues, venu là, dans ce lieu précis, comment ? Par quel moyen, à part un bateau ? le fait que les ombres devaient s’étirer, déformées par les parois en pailles tressées, avec la nuit tout autour, le fait qu’elle soit apparue, bande de bleu sombre entre les parois et le toit en tôles, vaguement un bout de quai et puis les bruits de la végétation, le buit des palmes frottant les unes contre les autres, la silhouette élancée de quelques grands palmiers se balançant, et le fait que nous nous trouvions tout à coup dans l’immobilité tiède et légèrement ennuyeuse de l’après, des suites d’un non-évènement, de ce qui aurait pu arriver, le fait que le danger, l’orage, la tempête ?… se trouvaient maintenant derrière nous, relégués dans un espace qui était déjà le passé, amalgamés à la sensation toujours présente dans les membres, du mouvement de la mer, de ce paquet dense et froid vibrant sous la coque, le fait que, pour une fois, nous ayons quitté un mouillage incertain, trop prolongé, sous l’ombre de l’île de S, le fait que cette île-caillou toute ronde sans un seul plateau, à peine de quoi y installer en hauteur un village minuscule en équilibre où A reviendra et en gardera un souvenir précis, le nom du seul bar, ou plutôt, non, un lieu qui s’intitulait A guy at the top of the hill et le fait que quelqu’un là, refuserait de lui prêter sa voiture, le fait que l’on puisse même s’y déplacer en voiture !… le fait que nous avions perdu du temps parce qu’il faisait trop beau, que la mer était tiède et accueillante, le fait que nous étions seuls au monde, à l’ombre de l’île et aussi, je m’en souviens, le fait que j’ai vu des créatures extraordinaires marcher en dansant au fond de l’eau, sur du sable très blanc, quelques paires d’yeux, des peaux très claires presque translucides, et le fond qui remontait en pente douce, rampant, parce que « ça » rampait se coulant sous l’ombre de l’île sans plage et le fait que, une fois remontée sur le bateau j’ai dit, vous avez vu ?… et que personne ne m’ait cru, le fait que j’avais dû rêvé les créatures dansantes, poissons à ailes et à pattes ténues, je leur ai dit, raconté et répété, mais…le fait que vous ayez des démangeaisons, Madame, est normal, c’est l’anesthésie…

12. Disséquée


proposition de départ

Ça y est elle y est c’est aujourd’hui elle est là elle ne peut plus reculer enfin son corps à elle est là on lui a dit bonjour déshabillez-vous patientez elle elle ne sait pas où elle est même si elle est présente et capable de répondre aux questions qu’on lui pose que lui pose la voix médicale bien à jeun oui vous venez pourquoi c’est pour le gauche ou le droit le gauche elle dit le gauche on lui attache un bracelet de plastique au poignet gauche mais elle n’en est plus très sûre pourtant si c’est bien celui-là qui grippe et la fait souffrir depuis de longs mois lorsqu’elle se lève on décapsule un gros marqueur odeur d’encre vous inquiétez pas ça part à chaque fois qu’elle se met en marche tandis qu’elle monte et qu’elle descend elle grimace en même temps tout le temps même si elle ne sait plus très bien pourquoi à quoi ça sert ce clignement des yeux et la bouche qui étouffe un petit cri autour d’elle on s’est habitué on n’y prête guère plus d’attention on dit ah oui c’est encore ton comme s’ils avaient oublié elle dit j’ai mal à mes escaliers sans trop se souvenir à qui elle a pu voler cette expression elle voudrait ne plus avoir à se mouvoir mais on l’a prévenue à votre âge il vaudrait mieux alors la voici dans cette pièce lumineuse et nue elle attend elle ne souffre plus de rien

On lui tend des vêtements en papier blanc gris bleu nuit elle doit en revêtir son corps nu la nudité n’est pas déplacée ici ça lui rappelle ses débuts à l’hôpital la première fois qu’elle a dû qu’un corps adulte s’est dévoilé nu devant elle allongé ou recroquevillé dans un lit dont elle a dû soulever les draps et recevoir en plein visage l’odeur la maladie a une odeur écoeurante qui n’est pas celle des petits enfants menés contraints et tristes aux urgences tordus de douleur ventres de bois silencieux sous les doigts savants de l’interne de garde qui les envoie au bloc opératoire coups de téléphone allo ici on a c’est pour vous et demandé le regard toujours posé le long du ventre de prélever une num’ l’odeur des accidentés de la route différente de ceux que le travail a malmenés l’odeur de la jeunesse autre que celle de l’âge avancé l’odeur de la chanteuse échouée là par hasard épuisée des podiums blessée de la route dans ses vêtements rongés de sueurs auréoles jaunâtres qu’il a fallu fourrer dans un sac elle n’en est curieusement pas gênée elle a juste un peu froid devant la grande fenêtre donnant sur rien du ciel vaguement gris d’autres fenêtres identiques à celle-ci de l’autre côté d’une cour et continue de bavarder vérification des ongles pas de vernis on lui demande si elle veut elle dit oui sa main droite se tend vers la main droite de l’aide-soignante elle y cueille un comprimé blanc qu’elle place hostie dans sa bouche sur sa langue petit pois rugueux qu’elle ne veut pas laisser fondre le porte d’un mouvement de langue vers la gorge qui refuse la déglutition et puis merci le fond d’un verre d’eau qu’elle avale pour que le rêche accepte de glisser vers l’oesophage laissant un relent d’amertume collante tapisser toute la cavité buccale elle a peur de vomir ce n’est pas le moment et puis la tête commence de peser elle voudrait s’asseoir au moins elle est vide sa tête est vide il lui semble elle ne pense à rien la main lui tend deux paires de sur-chaussures l’une blanche l’autre d’un bleu agréable elle y glisse deux fois chacun de ses pieds nus puis elle patine vers le couloir des grumeaux de poussière se matérialisent sous ses pas les coups des brancards heurtent traces noires le long du mur odeur de désinfectant et serpillière humide au revoir

Elle attend assise dans un fauteuil confortable dans une pièce à la lumière douce avec des plantes en plastique dans des pots et d’autres personnes des patients comme elle dans la même tenue personne ne cherche à établir un contact pourtant lorsque un brancardier vient chercher l’un d’entre eux plusieurs voix de la pièce lui souhaitent bon courage elle a sorti son téléphone portable elle le consulte faisant défiler les messages déjà lus les mails reçus la veille il est trop tôt elle réprime un bâillement qui lui bouche temporairement les oreilles et lorsqu’elles se libèrent elle perçoit une musique très douce le mot ambiance lui vient à l’esprit pour la qualifier pour mettre de l’ambiance elle a envie d’en rire pourquoi ne passeraient-ils pas du rock tous les patients ici encore valides pour quelques minutes pourraient se lever et esquisser quelques contorsions danser gentiment sur place tandis que cette musique d’aéroport à laquelle personne n’a l’air de prêter attention l’irrite vaguement à quoi cela peut-il bien servir ici dans cette pièce elle a brusquement envie de se lever de sortir de marcher dans l’air libre du dehors elle a besoin de mouvement mais elle n’ose pas l’idée fait son chemin dans sa tête puis l’abandonne elle baille elle sent ses membres se détendre elle n’est pas tendue en fait elle est en dehors d’elle de son corps qui patiente assis dans ce fauteuil de là où elle est elle peut suivre les allées et venues dans le couloir ça ne l’intéresse pas du tout elle a envie de dormir de se laisser aller

Personne n’est encore venu la chercher elle a dit au revoir bon courage à tous ceux qui ont quitté la pièce avant elle d’autres sont arrivés mais déjà repartis elle se pose des questions vagues pourquoi la fait-on attendre elle ne souhaite plus qu’une chose c’est s’allonger et se laisser aller se laisser aller aller où elle reprend son téléphone fait un cliché de ses deux pieds gainés de papier blanc et bleu le déclencheur résonne un peu trop fort dans la pièce et l’envoie à il répond aussitôt courage elle baille sa tête est lourde il y a toujours déjà ce point précis à la nuque qui irradie une douleur sourde elle masse de sa main droite puis gauche tourne lentement plusieurs fois la tête fait oui et non pourquoi la douleur est-elle sourde et pourquoi pas muette il y a des douleurs muettes elle le sait morales le moral on dit le moral est bon mais ça n’a rien à voir avoir être et avoir douleur vers l’épaule elle tente plusieurs rotations de l’articulation essaie de la visualiser os ligaments muscles artères veines tout à l’heure ouverte ils verront l’intérieur de son articulation de ses deux épaules elle mime sans les bras un crawl mou dans l’air moite de la pièce assise sur son fauteuil elle est seule la peau commence à tirer à s’irriter sous les vêtements de papier l’élastique et les ceintures elle sent les toiles rêches dont elle est couverte se distendre sous l’effet de la sueur

Allongé enfin son corps dans cette grande pièce dont elle n’a vu que le plafond quadrillé au passage du brancard sur lequel on lui a demandé de s’allonger elle ne se souvient même plus comment elle y montée sur ce brancard elle se trouvait assise et la voilà allongée des têtes masquées encapuchonnées penchées sur son corps ont dit bonjour à ses yeux elle a répondu d’un mouvement de menton accompagnant son bonjour lorsqu’elle a glissé dans la pièce tellement lasse tellement que ça finisse dans toutes les autres pièces et les couloirs où il y avait toujours du monde pour lui dire bonjour au revoir où elle a encore attendu elle a dû retirer un à un les vêtements de papier les a remis à l’aide-soignant qui les a enfouis d’un coup de poing geste brutal engageant tout son bras dans le long sac de toile vaguement rose elle est nue encore on la recouvre d’un drap on lui dit que voulez-vous elle ne sait que répondre elle veut que ça finisse c’est sa première fois elle dit

Elle considère le haut des appareils après la giclée de gel froid et gluant et les doigts qui appuient sur son sternum pour placer les électrodes puis dénouant les fils par dessus son torse les mains les bras vont et viennent en ballet rythmé au-dessus de son crâne coiffé d’une charlotte elle perçoit son pouls à travers un scope qui résonne tout seul comme en dehors d’elle elle croise le regard du chirurgien derrière les larges lunettes de protection elle se dit qu’elle aurait aimé un signe un geste rien n’est arrivé encore mais ce regard dur la suivra longtemps on tend un large champ bleu devant son visage coupant son corps en deux sa tête puis tout le reste derrière le champ bleu ou vert de son temps le vert c’était le mou et le bleu c’était l’osseux mais ça n’a plus tellement d’importance loin au fond de la pièce ses deux bras étendus sont du côté de sa tête avec la perfusion et l’index droit engagé dans la pince de l’oxymètre de pouls au-dessus du champ elle ne voit plus que le sommet des têtes à bonnets de flanelle elle sent qu’une main ferme derrière le rideau a saisi son gros orteil gauche et que sa jambe toute entière est brandie très haut comme un trophée par l’orteil dont elle ressent l’articulation s’étirer désagréablement elle a envie de dire attention ça va cèder se disjoindre mais il lui semble que la scène se déroulant à l’abri de l’autre côté du rideau qui presque l’étouffe ne la concerne pas on lui dit respirez elle respire le long de sa jambe parcourue toute entière d’un tamponnement froid et gluant une main maintient repliée la jambe on lui dit vous ne sentirez pas la douleur percevrez juste les mouvements maintenant le scalpel elle identifie la ligne tracée de haut en bas l’ouverture indolore au niveau du genou et puis le son du robot l’os grignoté respirez toujours à travers les bruits du scope une voix dit il y a du sang sur l’écran la jambe sa jambe est remuée faiblement très loin de sa tête son torse a froid elle ne pense à rien elle est sans volonté animal pris ou alors elle devient insensiblement complètement sotte son cerveau est vide incapable de faire tenir ensemble et debout une opération facile qu’elle visualise sur le plafond vert tendre quadrillé elle se dit tant pis maintenant le marteau cogne sa jambe cogne plusieurs fois sa jambe molle remue sous les coups mais elle ne sent rien puis le claquement de la morsure des agrafes dans sa chair morte loin derrière le champ je ne comprends pas dit une voix je ne comprends pas la rotule il faudra que j’ai fait mes heures et pourtant moi pareil on en discute après si elle fait un effort pour compter les morsures elle n’y parvient pas elle a beaucoup de difficultés respirez toujours madame

Post-scriptum : Évidemment, cette proposition m’a immédiatement reportée à l’époque d’une intervention récente, la première fois que je me trouvais « de l’autre côté ». L’attente est la plus longue, avec la cohorte de pensées derrière la tête. On a presque hâte qu’il se passe quelque chose, que la chose attendue — et redoutée — soit derrière nous. Et puis il y a eu tout de suite après, le confinement. Et l’insomnie. Un livre m’a sauvée, littéralement, et je lui dois beaucoup, ça a été Boussole de Mathias Enard, monologue érudit d’une nuit d’insomnie… Quant à l’écriture du corps, n’étant pas une « intellectuelle » — je ne trouve pas d’autre mot, et m’en excuse — je lui accorde, il me semble, une grande présence. Tout passe par lui ! Un texte se doit de faire participer les cinq sens. Depuis les sensations capitales et magistrales du vécu de l’enfance… à la musique, si importante pour moi, au moins jusqu’à il y a peu…

11. Je n’ai jamais entendu ses mains


proposition de départ

Ses mains déchiffrent quelques mesures de la partition. Elles s’agitent, d’abord ensemble sur le clavier à toute vitesse, donnant une idée, non pas fausse du morceau à découvrir, mais rapidement esquissée, passant de suite aux problèmes que je ne manquerai pas de rencontrer, ici ou là. Comme si elles étaient réticentes à aller plus loin. Non par fatigue — pourtant, ce sont des mains osseuses, dont la peau couverte de taches brunes par-dessus les tuyaux saillants des veines, trahit l’âge, mais de cela, elle se moque, des mains commençant de se déformer, des mains aux jointures exagérées — mais plutôt pour ne rien me dévoiler de ce que j’aurais trop de plaisir à chercher seule. Les mains énergiques jouent, rejouent le trait, à peine lu, déjà dans et sous les doigts, déjà travaillé, il y a combien d’années ? Elles se taisent sur le nombre, l’apprentissage, les exercices, les répétitions. Mains séparées par cœur. Quand on connait sa main gauche, on connait le morceau. Mains ensemble réunies sur l’ivoire. Les mains outils à sons dessinent dans l’air de la pièce la courbe de la mélodie à ne pas lâcher. Jusqu’à en fixer le bon doigté que la main droite, attrapant à la volée le crayon posé en travers des touches noires, note rapidement en gros chiffres gribouillés à la hâte comme on parapherait le bas d’une page. Du même geste, la main lâche le crayon qui s’en va heurter le bois du cylindre, puis elle revient agripper les touches, s’en détache tout en gardant le contact dans un geste du poignet. Le doigt dans le miel quitte le clavier à contrecœur, veut y rester collé. Si pressée de poursuivre la recherche, la découverte, la main, cheval fougueux lancé au galop, saisit l’accord suivant, propose des doigtés qui éclaire le jeu, les doigts écarquillés malgré les déformations, retrouvent une jeunesse allegro subito. La main en boule, animal tapi, bête morte et muette, lessive tout à coup les arpèges, faisant saillir les jointures enflées. Jamais étalée, ouverte, les longs doigts repliés au ras des touches noires, avec l’énorme bague fleur de pierres bleues coulissant de travers sur le majeur maigre, elles déroulent le texte par à-coups, par enchainements, montées, descentes, vers la lumière, incitent à trouver le poids exact à donner au touché, trottinent sur le blanc, le noir, proposent des couleurs de son, lissent les passages de pouce. Elles empoignent Liszt et Schumann, fouettent Mozart et Bach, des jets d’eau jaillissent sous ses doigts, ou bien, pianotant en symétrie sur l’accoudoir du fauteuil — de là où elle écoute — cinq quatre trois deux — cinq quatre trois deux en avalanches sonores, le poids des bras tout à coup relâchés, ponctuant de ce geste une faute attendue ou une évidence à souligner. Ajoutant — et voilà ! Pour revenir à la partition, que les mains, les doigts, notent tout ce qui s’y trouvent écrit. Du dos de l’index souple, le cinquième doigt toujours replié, posé au creux de la paume ouverte, penchée en avant, elle donne trois ou quatre chiquenaudes sèches sur la page, signalant ainsi les mesures à décortiquer en premier lieu — ce qu’elle appelle les ponctions avancées — avant que le vrai travail ne commence. Les mains ne jouent pas, elles travaillent en imaginant leur incomplétude. Comme si on aurait dû n’avoir qu’une seule main. Une main de dix doigts agiles et indépendants. Une main solide et large à couvrir une dixième, à aplatir les octaves, à dévaler les gammes, à faire naitre tout un paysage sonore, avec la sensation tactile d’une pâte à modeler dans laquelle les doigts s’imprimeraient en sons, les articulations mises en jeu — phalange, doigt, puis poignet et bras —. La main embarquée dans une errance, sans arracher les notes, la main jouant sans le poids, juste avant les valises, des petits trognons de fugues, des voix éparses, éparpillées, et qu’il faudra qu’une ligne réunisse, que la main les couse ensemble tout au long du travail, en ponctions de plus en plus longues. Les croches doubles, triples, drues sous les doigts, se défendent, résistent, comme de l’herbe un peu courte. La main dans les accords arpégés — imaginer seulement du calque que l’on déchire, sans ébrécher la note d’arrivée —. Précautionneuses, ses deux mains recevaient les petits cadeaux, elles recueillaient recueillies le merci des petites.

Déboutonnaient, frileuses, chaque morceau de scotch aux deux coins du paquet dérisoire, défroissaient le papier bruissant avec des mots de gentillesse à l’égard du n’importe quoi. Mains-conques remplies de miettes du bonheur des fins d’années ayant tenu leur promesse de savoirs, d’apprentissages maitrisés, de projets de bientôt et de rigolades partagées en montées et descentes. Rien à voir avec les mains-oiseaux de Mamé, mains industrieuses à tordre le cou aux lapins et chasser les cauchemars. Se posant, tièdes sur les fronts fiévreux, calmant les étoiles des pulls de laine sur nos peaux trop tendres. Les mains réunies tournaient en manchon serré, moulins détournant l’attention, puis s’envolaient tout en haut, jusqu’au bout des bras lorsque l’aiguille du vaccin pénétrait la chair de l’épaule, après la palpation médicale, aux mains froides et savantes, appliquées, savonnées. Les mains palliant le manque, quand il n’y avait plus assez de vocabulaire disponible, les mots se lisaient à travers le buisson des gestes. Mains mourantes, griffes, sur les draps trop blancs des derniers instants.

Post-Scriptum : Pensée pour le livre de Rosetta Loy La première main livre de souvenirs d’enfance — Il y en a trois, des mains. La première est la plus belle, elle a entrelacé ses doigts aux miens, chaude, forte. Une main à la Michel-Ange, aux ongles bien dessinés. C’est une histoire uniquement de gestes où les paroles privées de sens sombrent dans le néant. 

Pensée pour Éric Chevillard — On remboite les quatre membres sans la moindre fantaisie non plus, aucun toupet ni la plus légère innovation, de manière à reconstituer le pantin original, d’abord les bras, les bras symétriques et les mains tout au bout, paumes ouvertes, ainsi greffées pour applaudir encore une fois, le clown, l’athlète et le moustique, flatter le dogue, cogner, prêter serment.... Le caoutchouc décidément - Éric Chevillard
Pour Wajdi Mouawad — Se sont-ils salués comme se saluent les humains, tendant leur mystérieuse main libre vers celle de l’autre pour y déposer un rien bouleversant ? Anima- Wajdi Mouawad.

Des images viennent, plutôt. La sculpture d’une main (que j’imagine être celle de Chopin, ou de Liszt plutôt, par Rodin). Un bronze froid et rigide. Une main fine, exsangue, martyrisée. Les deux derniers doigts repliés, le pouce, l’index et le majeur écartés dans un geste gracieux. Une main sans corps, coupée du corps à qui elle a appartenu. Une main presque effrayante. Je pense aux mains de Jean Cocteau, qu’il savait avoir très belles, parait-il. Il est souvent photographié avec les boutons de manche de sa veste ouverts, de façon à dégager le poignet fin et mettre en valeur ses mains. À la sublime Piéta de Michel-Ange, où la main de Marie retient le poids du corps de son fils mort ; sa main inscrite dans la chair de pierre.

Je pense aussi à la gestique baroque au théâtre, notamment chez Benjamin Lazar et à tous les savoir-faire détenus par les mains (et le cerveau !) des ouvriers, des artisans — tous domaines confondus — des artistes, peintres, sculpteurs, musiciens… À ceux, parfois très sophistiqués du Japon.

9. Trois variations sur le paysage simple


proposition de départ
1

Chaque matin, à son arrivée — 7h45 précises — le chef de centre branche le haut-parleur situé sous sa fenêtre. Le son en a été poussé comme si l’on cherchait à atteindre chaque parcelle de l’îlot et ses quelques constructions — les deux longs hangars de tôle, le parking derrière les barrières blanches, le camping sous les arbres et le restaurant-snack de Jo —. Les voix, la musique, les nouvelles et le bulletin météo s’éparpilleront sur le terrain jusqu’au coucher du soleil. Il referme les yeux, une ou deux minutes pas plus, il souhaiterait se rendormir, ou tout au moins, cesser de voir se gondoler les motifs répétés orange et marron du papier peint ; mais des voitures commencent d’arriver, des portières claquent ; un pas, puis plusieurs, écrasent le gravier en rythme, entre deux pages de publicité sonore. Par la fenêtre entrouverte, il perçoit l’effluve d’une cigarette, les relents de vieille nourriture montés depuis l’arrière-cour, et une odeur de savon glissée, comme une lettre, sous la porte. Le téléphone sonne un étage plus bas, à la verticale de ses draps. La voix de Sylviane, la secrétaire, lui parvient, lointaine, atténuée par le plafond de béton et le carrelage :
— Centre de parachutisme, bonjour… 

La voix de Sylviane encore, amplifiée à travers le haut-parleur extérieur — un grésillement a coupé la ligne musicale — et le léger décalage en sourdine depuis le bureau avec l’impression que voix et haut-parleur ont ensemble été fixés à l’aplomb de son lit :
— Christian !… Téléphone pour toi ! 

Pour le plaisir et la voix douce du chanteur verse à nouveau son sirop sur son demi-sommeil.

2

Sur le balcon, au premier étage de la petite maison blanche, elle lit. En contrebas, on entend déjà les longues portes des hangars coulisser en hurlant. Sara perché ti amo pleurniche le haut-parleur. Silhouette d’une jeune femme pieds nus appuyés sur la balustrade. Silhouette assise sur une chaise métal et bois qui pince à chaque mouvement, le tissu de son short. Le nez de l’avion blanc et rouge apparait, tiré poussé sur l’herbe par des petits personnages s’agitant autour de lui. Elle écoute la mise en route, la turbine Astazou qui siffle sa longue plainte et tout de suite après déroule ses rangs de perles métalliques. Un peu comme un tube de cet été-là. Devenu un classique à force de l’entendre, de l’écouter, malgré elle, chaque jour. Et tenter d’y percevoir d’infimes modifications, fêlures qui pourraient faire penser à. Des rêves de grains de sables dérisoires, d’épingle à cheveux, et puis pour terminer elle s’invente un été qui finirait par pourrir dans d’interminables rideaux liquides ! Mais tout est rudimentaire ici, solide et fiable. Prévisible. Une véritable horloge, et la météo promet chaque matin un temps stable et ensoleillé ! Moustique, le petit chien teigneux de l’instructeur, aboie et s’acharne après les roues du Piper Cub garé près des pompes. Parmi la foule des curieux du week-end ou des habitués des jours de semaine, personne ne la voit. Personne ne s’adresse à elle. Pas d’autres fonctions qu’être une silhouette lisant sur le balcon au premier étage d’une maison blanche. Do you really want to hurt me ? Do you really want to make me cry ?… En bas, sur le carré de pelouse près du hangar, à l’ombre des peupliers, des groupes répètent leurs figures, replient leurs ailes. Les hommes, torse nu, les manches de leur combinaison colorée roulées autour de la taille. Les femmes en cercle dans l’herbe jouent avec leurs enfants.

3

Il se trouve dans cet appartement inconnu. C’est la première fois qu’il dort dans cette petite chambre donnant sur le terrain en herbe et les hangars. Cette nuit, il avait laissé la porte-fenêtre entrouverte et voilà que la radio diffusée à travers un haut-parleur l’a réveillé en sursaut ! Absorbé qu’il était dans un rêve où Capucine lui est apparue. Mais il ne s’en souvient déjà presque plus. La lumière et la chaleur le forcent à se lever ; et puis ce papier peint hideux le ferait presque rire. En caleçon et pieds nus sur le carrelage bancal, en deux pas le voici sur le balcon. Dehors, l’éclairage violent le fait cligner des yeux tandis que la relative fraicheur — comparée à la touffeur de la pièce exiguë — lui procure d’agréables frissons le long du dos. Ses orteils nus se recroquevillent au contact de la surface rugueuse du sol. Il a envie d’un café. Les mains en visières, il suit de loin tous les préparatifs, l’inspection de prévol. Il note que les blocages des commandes ont été retirés, le cache-Pitot aussi, l’avion a dû être mis sous tension, la batterie sur on et une silhouette en treillis militaire fait, à grands pas, les vérifications des feux anti-collision, navigation, strobe-light, phares et les volets, sortis plein braquage puis elle revient couper la batterie, avant de monter sur l’aile pour jauger le carburant. Après avoir sauté à terre l’homme en treillis disparait derrière l’avion. On voit dépasser ses jambes en dessous et il suit tous ses déplacements le long de la carlingue, jusqu’à la queue, vers la gouverne de profondeur et ses attaches. Les volets d’atterrissage, les gouvernes d’ailerons répondent sans durs, l’intrados, le côté et les haubans puis les roues, l’état des pneus, des câbles de freins, enfin, le moteur, la turbine et sa sortie sur le nez qui doit être bien fixée, l’hélice. Le bras levé cherche sur le cône, sur les bords d’attaque, la moindre aspérité qui pourrait signaler un choc. Le profil de l’homme réapparait maintenant de l’autre côté où les mêmes vérifications sont à faire en symétrique. Il sait qu’il faut recommencer chaque jour les mêmes gestes jusqu’à connaitre et sentir sur le bout des doigts toute la peau de l’avion. Ses lunettes renvoient parfois des étincelles de lumière tandis que, d’un bond, la silhouette disparait dans la carlingue. La voix du chef de centre annonce la liste du prochain stick des huit parachutistes. Le premier groupe s’en va, petits hommes bossus en file indienne, jusqu’au point d’embarquement où ils se laissent tomber dans l’herbe, attendant le Pilatus qui roule maintenant en rebondissant sur les mottes de terre. Le vacarme de l’hélice dont la fréquence augmente, s’amplifie, gronde virant vers des gouffres tragiques jusqu’à la vitesse maximale. Après le décollage, le bruit disparait parfois, avalé par le mur du hangar, le rideau d’arbres derrière le parking.

Post-scriptum - Comme toujours c’est le lieu qui s’impose et l’écrit qui suit, je me laisse faire. Après avoir écouté la proposition, j’ai immédiatement pensé à Anima de Wajdi Mouawad où chaque chapitre est « vu » et « raconté » à travers la vision d’un animal, différent à chaque chapitre. Et puis, rien d’autre…seulement la préoccupation de l’écrit, sa légitimité.

8. extérieurs / intérieurs


proposition de départ
extérieurs 1

Sur l’aire de terre, la lumière verticale a écrasé toutes les aspérités, a avalé tous les cailloux. À l’endroit de l’usure des pas, l’herbe a seulement jauni et des pierres plus grosses, polies et luisantes ont été mises à jour par les frottements des allées et venues. On entend, sans bien les distinguer — car la brutalité du jour fait fermer les yeux de ceux qui s’aventureraient au dehors à cette heure-ci, s’appliquant à longer l’ombre courte du mur — le bruit de sabots claquer sur les dalles, d’un son plus ou moins aigü, plus ou moins mat, selon la surface rencontrée. Le seul bruit continu, entre deux claquements des sabots, est celui de l’eau coulant dans le bassin.

extérieurs 2

Sur chaque marche hurle un géranium dans son pot peint en rouge et blanc. Autour de chacun des pots, sur chacune des marches, chaque soir après l’arrosage, quand le soleil est passé de l’autre côté du mur, une tache plus sombre vient déborder des soucoupes. Chaque marche de pierre grise, incurvée légèrement par l’usure et la pierre ainsi lustrée apparait plus sombre avec de minuscules veines blanches. Sur chaque marche, ou presque, il n’est pas rare de rencontrer des chats. De toutes races et de toutes couleurs. Une minuscule boite aux lettres en métal rouillé est accrochée sous l’unique fenêtre. Au sommet des marches, le seuil de même pierre que l’escalier et un rideau devant la porte toujours ouverte : lamelles de plastique bleu, rouge, jaune, vert, blanc qui a viré au jaune noir, orange. À gauche de la porte, un oiseau pépie dans une cage pendue au bout d’un clou.

extérieurs 3

Le fond du jardin, par-dessus le pêcher malingre et les larges feuilles en bouquet de la rhubarbe, le tronc boursoufflé de l’osier puis, la haie franchie, le grand pré traversé, buter contre la barre des 84 aux volets vert, jaune et rouge. L’aboiement d’un chien. Au milieu de la voix animale enfle le bruit d’un véhicule qui grimpe la rue, freine, puis roule sur des graviers très doucement, et enfin, stoppe. Une portière claque. Le chien toujours jappant. Une voix suraigüe, brutale, de femme excédée hurle : Friska ! tais-toi !... Allons ! Jo ! fais-la taire ! 

extérieurs 4

Une énorme cicatrice de cailloux blanchâtre a fracturé l’arrivée du chemin sur l’esplanade, l’élargissant, avec de part de d’autre, un talus de terre et de pierres repoussées contre les derniers arbres. Trois ou quatre voitures peuvent maintenant se garer. En haut, là où s’ouvre l’esplanade, apparait la maison, plantée au sommet de la colline — depuis la vallée, elle est invisible, cachée par les arbres —. Elle comporte deux étages. On accède au rez-de-chaussée par une grande ouverture prétiquée dans le mur. Le sol grossièrement pavé a été abimé, creusé par le passage des bêtes. Un escalier massif en pierre adossé au mur sur la droite mène à une petite galerie couverte où donnent les trois vastes chambres. Sous l’une des fenêtres, un carré de couleur ocre porte, en blanc, les initiales des ancêtres : Pe No Me No An Na Ge Ta Ge Na. Depuis cette galerie, on monte au deuxième étage par une échelle de meunier. Ce niveau est souligné d’un balcon de bois sur lequel on vient étendre le linge à l’abri de l’avancée du toit, et, dans le grenier ouvert, on étale les pommes. Ça sent toujours un peu le vieux paradis.

intérieurs 1

Le store du hublot relevé, les lames blessantes — droites et blanches du soleil à son lever — entrent dans les yeux jusqu’à masquer l’éclat du dehors aussi bien que le beige, rehaussé de motifs plus foncés de la paroi. Seule l’oreille perçoit, accentués encore par l’effet du réveil, le frottement de l’air, le souffle de ventilation des computers glissant sur le chant des réacteurs, et l’oeil voudrait se détacher du flot des images muettes sur les écrans, puis, suspendant les vidéos en cours. — Mesdames et messieurs, j’espère que vous avez passé une nuit agréable, I hope you enjoy your flight, nous allons bientôt débuter notre descente vers Paris, Tokyo, Hong-Kong, rain and showers expected in Paris, Tokyo, Hong-Kong — des journaux que l’on froisse, parfois, la voix, bousculée à la descente sur la route cabossée de nuages, mesure du temps qu’il reste après le calme étale de la croisière. — À l’attention du PNC, début de descente.

intérieurs 2

En face des écuries, la première cuisine où, derrière le rideau de filet blanc à rayures jaune vert et rouge, il fait toujours chaud à cause du feu entretenu même l’été. La forme des meubles surgit peu à peu, à mesure que l’œil s’habitue à la pénombre : trois chaises d’un côté, et de l’autre un banc contre le sofa tendu d’une cotonnade à franges qu’on devine d’un rouge assez éteint sous la fenêtre où il apparait en contrejour, éclairé seulement par la lumière rasante qui doit escalader le mur de l’escalier pour parvenir dans la pièce où elle dessine une diagonale sur le sol. Contre le mur du fond, et sur la gauche, le buffet et ses tiroirs toujours mal fermés, et les portes du bas dont il manque la clé, puis, la stuvà – le poêle à bois - en fonte noire.

intérieurs 3

C’est l’été qu’on apprécie les dalles dont est pavé le sol. La cuisine — son vieux four à pain qui ne sert plus et dont on ne sait que faire, puis la grande pièce avec ses trois fenêtres plus la porte-fenêtre, la belle cheminée centrale — donne sur le petit jardin planté de rosiers anciens et d’un noisetier. Au-dessus de la longue pièce à vivre, une estrade avec un bureau et le piano à queue.

intérieurs 4

Les murs des trois petites pièces sont tendus d’un papier peint des années soixante-dix à motifs géométriques orange et marron. Le papier a l’air neuf alors que le mobilier est rudimentaire. La cuisine n’est équipée que d’une table et de quatre chaises en Formica décoloré et l’évier n’a qu’un seul robinet d’eau froide ; les deux chambres ont chacune un lit à sommier métallique. Des ampoules nues pendent au bout de fils. Une fenêtre sans rideaux s’ouvre dans la première chambre à gauche et, dans celle de droite, une porte-fenêtre donne l’accès à un balcon minuscule.

Post-Scriptum — Cette phrase de julien Gracq m’a toujours impressionnée, elle a un pouvoir secret et fort sur moi. Peut-être parce que je marche beaucoup … et que l’écrit se libère à la faveur de la marche ? Julien Gracq En lisant, en écrivant — « La description tend, non pas vers un dévoilement quiétiste de l’objet, mais vers le battement de cœur préparé d’un lever de rideau. La description, c’est le monde qui ouvre ses chemins, qui devient chemin, où déjà quelqu’un marche ou va marcher. »

De même, lorsque je travaillais au piano une pièce des Visions Fugitives de Prokofiev, mon professeur, afin de m’en faire comprendre l’ambiance, et sentir le toucher que nécessitait le jeu, me décrivait l’intérieur d’une maison lors d’un hiver russe.

Les tableaux représentant des intérieurs, du peintre danois Hammershøi ; la série des Cafés de Jacques Truphémus.

Je pense à La maison indigène de Claro que je suis en train de lire, à la maison et au jardin tant de fois décrits par Jean-Loup Trassard, à la fameuse Casa mata de Curzio Malaparte, située au bout de l’ile de Capri, en à-pic sur une falaise de 32 mètres, accessible seulement par la mer ou par une longue marche en escaliers, que l’on retrouve dans Le Mépris, film de Jean-Luc Godard. Kaputt, du même Malaparte, et la scène hallucinante des chevaux morts pris dans les eaux glacées du front de l’Est.

7. Jeunes remariés


proposition de départ

Ils posèrent pour le photographe. Bouche rouge, dents blanches tachées de rouge, joues rondes et brunies, aucune trace, plus claire, de maillot ou de bretelles sur le dos entièrement nu et doré. Bustier froncé, plusieurs fines bretelles entrelacées, marque de deux plis rougis incrustée sur l’épaule ronde. À peine un minuscule tatouage. De loin, on en voit la tache — papillon gris posé sur l’épaule — . Elle se retourne d’un bloc, jupe à quatre volants s’envolant. Elle gesticule, papillon. Elle accueille, elle dirige les nouveaux arrivés d’une main ferme posée, ongles rouges, sur l’épaule ou le dos, non sans les avoir embrassés goulument en se penchant exagérément, comme au bord d’un gouffre qui les tiendrait éloignés — sa bouche à elle s’avançant dans un bruit de succion comme s’il lui fallait aspirer tout l’air la séparant de la joue de l’ami, de l’amie —. Chaussures à talons vertigineux sous la tonnelle. À tout moment, elle lève très haut ses bras dans un geste suspendu, comme si elle nageait dans l’air brassé. Il fait si chaud. Comme pour appeler au secours, mais pour de faux. Rire. Comme pour dire — je suis là ! Ne me cherchez plus ! Elle est heureuse. Petit chignon de cheveux éclaircis, piqueté de perles. Tournée vers les invités, ses mains en porte-voix, elle lance d’une voix déjà rauque — Je vais pisser, je reviens…

Ce pantalon rouge, il et elle le choisirent ensemble. Lui, très grand et maigre. Les lumières de la piste de danse éclabousse de lunes roses sa chemise blanche ouverte sur la poitrine bronzée. Il est souriant. Accueille ses amis. Il manque de temps pour répondre aux questions. Il passe souvent sa main dans ses cheveux courts. Il cherhcer mais san sy parvenir à réengager la conversation avec ceux qui arrivent. — Conversation brusquement interrompue, pour certains, certaines, présents aujourd’hui, depuis presque dix-huit ans — Il est souriant, ce qui creuse chacune de ses joues de deux grands plis. Il dit : — Il fait beau, on a de la chance avec le temps. Sa soeur n’a pas pu venir. Ses fils non plus. Il est souriant.

La mariée ouvrit le bal. Son cavalier est un homme très grand, un peu vieillissant déjà. Son ventre proéminent tend à l’extrême les boutons de la chemise, et le tissu distendu laisse voir de chaque côté de l’ouverture deux demi-lunes de peau olivâtre. Son nez, ses joues, sont parsemés d’énormes points noirs. Il rit en renversant la tête. Dans sa bouche, deux symétriques dents manquantes. La mariée mime une danse faisant onduler tout son corps, et se rapprochant de l’homme au rythme de la musique qui s’est encore intensifiée, de plus en plus près de lui, si près, à le toucher. L’homme esquisse des petits pas autour d’elle, et son ventre, amas de gélatine, que retient mal la chemise, suit les mouvements de la danse. Le pantalon noir trop long traine sous les talons des chaussures éculées et sales. Autour du couple, la sœur de l’épousée ; son corps maigre moulé dans une sorte de fourreau en tissu élastique ; deux larges bretelles noires sur ses épaules contrastent sur le rose clair de la robe et la peau claire. Les formes adolescentes du corps, en décalage avec les mains puissantes et rougies au bout des bras frêles. Les yeux fermés, elle danse, seule. Elle piétine le sol. Ses jambes malingres, sont tachées de vaisseaux éclatés et portent des marques de blessures anciennes plus foncées que la carnation. Plus loin, une femme berce un enfant — il semble accoutumé au volume sonore célébrant la noce — . L’enfant restera tout le temps de la fête dans les bras de la femme, sans que jamais l’on n’entende sa voix : ni pleurs, ni rire — et la femme, ses formes généreuses drapées dans un tissu à grosses fleurs, rit, elle aussi, de toutes ses dents plantées de travers, certaines en or étincellent sous l’éclairage argenté des dizaines de miroirs d’une boule à facettes.

Ils furent accueillis dans la maison des remariés. Le marié au pantalon rouge leur fait visiter les lieux. Sous un soleil généreux, le groupe des amis traverse le terrain, tondu ras, longe la piscine en forme de cœur, où flottent deux fauteuils de plastique transparent et deux énormes bouées, flamands roses s’entrechoquant doucement au gré des remous sous la minuscule chute d’eau dévalant du petit rocher synthétique. Ils entrent dans la première des trois demeures : celle occupée par le couple. Dans le vaste salon-salle à manger-cuisine, tendu de tissu vieux rose, le piano à queue ivoire est fermé sous les poutres apparentes. Il n’y a pas de banquette pour s’asseoir et jouer. Nulle partition non plus. Une toile de Patrice Giorda — une de la série des Place B, aux aplats contrastés de couleurs rouge, jaune et noir, suggère la ville en plein été, sous la lumière verticale et la chaleur intense — se reflète dans l’immense écran plat occupant la presque totalité d’un pan de mur. À la fin de la visite, Élisabeth se rend compte qu’elle n’a pas vu un seul livre dans aucune des trois demeures — les deux dernières, suites de chambres et de salles de bain, étant réservées aux invités, familles et amis —.

Le marié dit : — Mon bonheur c’est d’être seul ! Je suis tellement bien ici, lorsque je suis seul.

La mariée surgit. Elle a quitté le coupé blanc qu’elle vient de garer, après avoir suivi la courbe de la route tout le long du jardin à grande vitesse. Les invités ont presque sursautés au bruit de la portière, violemment claquée. Elle avance à grands pas énergiques — robe à volants rose tyrien, chaussures à talon du même rose, légèrement tachées de terre — et les invite à rester dîner ce soir. — On fera une omelette ! les œufs à peine sortis du cul des poules !

Post-scriptum — aucune lecture, aucun film ne sont venus à mon esprit. Simplement une fête, quelques scènes vécues il y a peu. Le caractère « privé », la discrétion, vis-à-vis des personnes croisées me fait hésiter, mais si je modifiais ne serait-ce qu’un iota, je crois que l’impact en serait tout différent. Tant pis, je me lance, mais, encore une fois, il s’agit de « mon » regard, « ma » lecture d’un instant.

6. vous ne saurez pas le nom de M


proposition de départ

Élisabeth n’est pas émue par M, Élisabeth ne parait pas non plus véritablement attachée à celle qu’on aurait pu désigner par la simple lettre M — qui n’est ni son prénom, ni le début de son nom, mais la première lettre avec laquelle l’écriture l’approche, la touche, parfois et qui dit, à elle seule, dans sa nudité, la simplicité de l’être à qui je la rattache —. En la prononçant, cette lettre unique nous parle déjà d’amour, de douceur, de complicité, mais peut-on se blottir contre une lettre ? Être réchauffés, secourus, nourris par elle ?

Élisabeth se montre distante par rapport à M, elle reste dans son intériorité de jeune adolescente un peu rebelle, mais pas trop, pas encore. L’écriture — l’acte d’écrire, de faire naitre un personnage — l’a affublée d’un prénom très présentable, un de ces prénoms qu’on ne porterait que le dimanche, un jour ganté de blanc — des gants de fil, à trous et à bordure de dentelle soulignant le poignet fin des jeunes filles. Gants à la limite de l’inconfort. Le prénom-surnom des jours de semaine ressemblerait plutôt à Babeth, Zabeth ou encore Éli ou Lisa… pourquoi pas ? Seule M — qui n’est pas, je le précise, « Mireille », présentée dans le texte comme la mère d’Élisabeth — l’appelle ainsi, de toute l’étendue de ce prénom à chignon, que la jeune fille n’apprécie sans doute pas. Mais, seule M, ne l’abrège pas en le prononçant, il doit simplement raper et claquer très légèrement contre son palais et ses lèvres.

M est devenu Mamé, à la fois maman, mère majuscule, grand-mère et arrière-grand-mère, et plusieurs générations l’ont revêtue de ce vocable, l’ont abritée sous lui. Mamé était douce comme les sons dont s’était formé ce surnom — un nom au-dessus du nom ? — et tous ceux et celles qui l’ont prononcé s’attribuaient sa personne — elle était ma, mienne, et elle n’appartenait plus qu’à nous, et son prénom a fini par s’oublier. Grand-Pierre le prononçait de temps en temps. Il était seul à en détenir les syllabes qui le composaient. Et ce, malgré une déformation que sa voix grave imprimait aux consonnes surtout, roulant depuis le fond de sa gorge, avec le dentier rattrapé au bord du prénom déformé qui devenait Arrrturrraa, s’y agrippant avec la hargne du désespoir, comme un noyé à une planche. Le personnage ainsi nommé, péremptoirement surgi, nous ne le reconnaissions plus, et le prénom, aboyé presque, aussi saugrenu dans la cuisine au sol de linoléum, les sons roulant sur la toile cirée de la table, le voici qui tombait à nos pieds, presque comme un accessoire de théâtre, un ustensile de cuisine dont on se servirait peut-être un jour, mais pas aujourd’hui.

Trente ans après son décès, au cours de modestes recherches généalogiques, j’ai appris que Mamé portait trois prénoms. À travers cette découverte, est apparue une distance et j’ai réalisé combien elle m’était devenue « autre », irrémédiablement étrangère.

Post-scriptum - Je pense à Meursault, le nom du protagoniste de « L’étranger » d’Albert Camus et à ce qu’il évoquerait en tout premier lieu pour moi, si je ne connaissais pas le roman : un merveilleux vin blanc de Bourgogne au léger goût d’œillet sauvage… élaboré à partir du cépage Chardonnay… Je pense aussi, du coup, à ces noms de climats bourguignons fortement évocateurs : les Beaux-bruns, les Corvées, les Cras — du mot craie — les Duresses, évoquant un vin long à se faire… Ainsi, en les buvant, le nom résonne déjà en bouche !

J’aime particulièrement parcourir les vieux cimetières des petits villages savoyards, et lire les noms des personnes qui y sont inhumées ; parfois, un même nom a envahi toute la petite localité, et se décompose ensuite, après tiret, avec d’autres noms associés — Mugnier-Bajat ; Mugnier-Carroz ; Mugnier-Bertrand ; Mugnier-Richard…

Dans le texte Un Miroir taillé à la hache, Jean-Loup Trassard évoque sa tentative de recherche de la voix de sa mère, décédée lorsqu’il était très jeune, et lui fait lire une histoire, qu’ils découvraient ensemble lorsqu’il était enfant et dont il ne se remémore que des bribes. Bribes qu’il emmêle à sa vie du moment de l’écriture. Le personnage dont il est question dans le texte lu — une sorte de légende, avec, pour décor, les lieux où l’auteur a passé une grande partie de sa vie — n’est nommé qu’assez tardivement. On en suit les péripéties — à travers une langue ancienne, qui complexifie, obscurcit le texte ; en fait, il s’agit de patois mayennais, et l’emploi d’une syntaxe pour le moins bousculée et sans ponctuation — . C’est seulement au moment où, dans le texte, la nuit est tombée, et le personnage perdu au milieu de la forêt… qu’il est enfin nommé, et ce, dans une phrase au présent, alors que tout le texte est au passé : « Comte le Hire de Rumeur est au milieu des bois ».

Une pensée aussi pour Le bruit et la fureur de William Faulkner, à travers le monologue intérieur de Benjy, il y a confusion entre le mot caddy prononcé par les joueurs de golf et qui évoque aussi le prénom de la sœur de Benjy.

5. chacun.e cherche ses clés


proposition de départ
1

Elle est penchée, le cou ployé sur sa poitrine, faisant ainsi saillir la petite bosse de la dernière vertèbre sur le haut de son dos. Sa tête est légèrement de côté et ses longs cheveux noirs retombent en pluie jusqu’à toucher son avant-bras droit. Ses yeux noirs scrutent l’ouverture écartelée, de part et d’autre de la fermeture dorée, et ses deux mains très fines, déjà brunies, aux ongles peints de vernis blanc légèrement écaillé, fouillent de plus en plus frénétiquement dans le petit sac de cuir bleu, bourré à craquer, qu’elle porte en bandoulière. Elle a légèrement replié le genou, de façon à relever le sac tenu en équilibre sur sa cuisse et pousse de longs soupirs de plus en plus agacés … ce sac, elle a envie de le jeter à terre, qu’il vomisse sur le palier tout ce qu’il contient ! D’un geste brusque de sa main droite elle tire sur la cordelette des écouteurs qu’elle porte encore et les détache presque simultanément de ses oreilles. Ils s’entortillent à ses cheveux autour de son cou, encore reliés à son portable diffusant la musique country d’Alan Jackson. Brusquement, ses deux bras retombent le long de son corps, elle se redresse, mécontente. Ce matin, en quittant l’appartement, elle a pris sa clef, elle en était certaine …

2

Il pousse la porte de l’ascenseur, tout en maintenant le téléphone portable coincé entre son oreille et son épaule et poursuivant la conversation à laquelle il répond par des mmmmhhh…, mmmmhhh… tandis que sa main gauche fouille les poches de sa veste de tweed, tapotant, soupesant, faisant sonner ce qui s’y trouve — menue monnaie, trois petits cailloux, deux stylos Bic bleus sans capuchon — puis poursuivant de même par l’inventaire des poches de son jean — ses doigts rencontrant un mouchoir en papier usagé, un ticket de métro dans celle de droite et quelques miettes dans celle de gauche — en se contorsionnant, le téléphone passé de l’oreille droite à l’oreille gauche, tenu cette fois-ci à l’aide de la main gauche — ce qui lui permet de se redresser — la main droite prenant le relai de la gauche poursuit la recherche, revenant à la veste, les poches de poitrine, la gauche, la droite sans même s’apercevoir que celles-ci ne sont que des fausses poches, cousues — le couturier ayant poussé le vice jusqu’à coudre un vrai bouton sur le rabat ! — agacé, il hausse les épaules et profère encore quelques mmmmhhh…. mmmmhhh… interrogatifs. Sans un regard sur la porte de son appartement, où, pourtant, ses clés pendent, il rappelle l’ascenseur et s’engouffre dans le petit habitacle.

3

Il tire sa valise à roulettes et le bruit résonne dans la rue endormie. Il est fatigué par son voyage de retour et n’a qu’une envie, regagner son lit après une bonne douche ! Ses yeux sont secs et irrités, et de sa main libre à l’index replié, il les frotte, puis baille, élargissant démesurément sa bouche, tirant sur la machoire tout en continuant d’avancer sur le trottoir. Il est presque arrivé devant son immeuble lorsqu’il se rend compte qu’à la ceinture de son pantalon, dans le passant où il les attache habituellement à l’aide d’un mousqueton, son trousseau de clés est absent. Inquiet, car cela ne lui arrive jamais, il se met à la recherche du trousseau et comme il n’a d’autres poches que celles de son pantalon et que celles-ci sont vides, il se décide, bien malgré lui, à ouvrir sa valise à même le trottoir. C’est en vain, qu’accroupi, il fouille, cherchant à tâtons parmi vêtements et objets qu’il identifie sans y prêter attention : le col légèrement amidonné des chemises, le fil des chaussettes, le coton des sous-vêtements, la forme carrée de sa trousse de toilette et les deux paires de chaussures qu’il emporte dans tous ses voyages. Rien ! Ses doigts ne rencontrent pas le moindre son, ni contact métallique qui pourraient le renseigner, le rassurer. Contrarié, il se redresse en grimaçant après avoir refermé la valise d’un coup de pied rageur, coinçant un poignet de chemise et une chaussette. Il relève la tête et inspecte maintenant la façade de l’immeuble où se trouve son domicile. Aucune des fenêtres de son appartement n’est éclairée. Les mains en porte-voix, il tente un appel dans la rue vide et sombre.

4

Elle s’en est rendue compte immédiatement après avoir laissé la porte se refermer, alors qu’elle était en pleine conversation téléphonique avec Émilie à propos du stage qu’elles organisent chaque année et qui, pour la première fois, avait recueilli un nombre important de participants. Il allait falloir s’organiser et pour leur réunion hebdomaire, Émilie avait proposé de venir chez elle. Elle se trouvait déjà en bas de l’immeuble et l’appelait car son nom ne figurait apparemment pas sur la liste des résidents. Elle avait pesté intérieurement contre cette maudite régie qui, pourtant prévenue de son emménagement n’avait toujours rien fait et ce, depuis maintenant trois mois et malgré ses nombreuses relances ! Elle descendait ouvrir la porte d’entrée — c’était aussi facile, plutôt que de hurler à travers l’interphone un nom qui n’était pas le sien mais celui du précédent occupant des lieux. Elle a dit :
— Attends-moi en bas ! je descends !

Et, machinalement, elle avait tiré la porte derrière elle, persuadée que ses clés se trouvaient dans sa poche… sauf, que ce matin, elle porte une veste sans poches !

5

Il est tard et elle est fatiguée, même si la soirée s’est bien passée, elle n’a qu’une envie : retirer ses chaussures et se mettre au lit ! Elle dénoue ses cheveux longs, secoue doucement la tête pour les démêler ce qui éparpille mille petites étincelles dans la nuit, puis resserre contre elle son imperméable, décidément trop léger pour la saison, mais, on ne sait plus comment s’habiller… ce matin, lorsqu’elle a quitté l’appartement pour se rendre à son travail il faisait très doux ! Elle frissonne et presse le pas. Elle a l’impression que ses talons hauts résonnent trop fort dans la rue. En jetant un coup d’oeil à sa montre, elle se rend compte qu’il est une heure du matin … elles ont tellement bavardé qu’elles n’ont pas vu passer l’heure ! Un long baillement lui étire la bouche et déforme ses traits réguliers de belle femme de quarante-cinq ans, sportive et active. Elle n’a plus qu’une idée en tête : s’allonger, se laisser happer par un sommeil accueillant… Tout à coup, il lui semble que des pas la suivent dans cette rue, apparemment déserte. Elle jurerait qu’il y a quelqu’un, elle sent, ressent, une présence et une onde de peur la submerge. La poussée d’adrénaline vient d’effacer toute la fatigue accumulée de sa journée. Si elle le voulait, elle pourrait voler ! Mais, pour l’instant, elle n’ose même pas se retourner. Comme elle n’est plus très loin de son domicile, elle se met à fouiller dans son sac à la recherche de ses clefs, pour se rassurer, se donner une contenance. Tout en continuant d’allonger ses enjambées … il lui semble ne plus entendre rien d’autre que ses talons claquer sur l’asphalte, le bruit qui se répercute sur les murs doit certainement couvrir les pas souples de son suiveur… mais, tandis qu’elle continue sa recherche à l’intérieur du sac, déjà fouillé plusieurs fois, elle n’y trouve aucun trousseau de clefs, par contre, c’est devenu une certitude, elle est suivie…

6

Ses bras, dont les muscles saillent sous les manches du T-shirt de couleur prune, sont chargés de sacs en papiers et les sacs remplis de denrées alimentaires — boites de céréales, mélanges de fruits secs, plusieurs plaquettes de divers chocolats noirs grands crus, un paquet de café qu’il vient de faire moudre et dont le parfum lui donne irrésistiblement envie, du pain complet tranché, un kilo de sucre non raffiné, deux paquets de pâtes complètes, une plaquette de beurre de la ferme d X, trois fromages de chèvre frais, deux pots de crème de brebis, sans oublier deux bouteilles de bière artisanale… --- dont il modifie fréquemment l’équilibre empilé sur ses bras et ce qui l’oblige à rattraper, parfois in-extremis, un sac qui commence de se déchirer, ou l’une des denrées contenue et qui manque de lui échapper. Ce qui a pour effet aussi d’augmenter l’irritation qu’il a senti poindre à l’annonce de l’arrivée de ses parents… Non qu’il ne les apprécie pas, bien au contraire, il est toujours très heureux de leur venue et des endroits de la ville qu’ils découvrent ensemble. Depuis son emménagement à V qui a fait suite à son entrée dans le club de rugby de la ville — prestigieuse promotion dont il n’est pas peu fier ! — ils aiment beaucoup venir. Mais aujourd’hui, c’est différent, leur arrivée sonne comme un contretemps… et, surtout, il n’a pas osé les contrarier en leur demandant de modifier leurs plans … il enrage d’être si peu adulte lorsqu’il s’agit d’eux… il aurait pu prétexter un entrainement en vu d’un match important… mais étant donné qu’ils suivent avec assiduité toute son actualité, c’est plutôt compliqué… s’il voulait être, une fois dans sa vie : adulte ! Adulte c’est savoir dire non… enfin, c’est comme ça qu’il voit la chose… être adulte, grandir… mais d’un autre côté, il aime faire plaisir…. Et ce n’est pas parce qu’on mesure 1,80 m et qu’on pèse 105 Kg de muscles que l’on n’est pas sentimental ! Bien sûr que non !… Encore une fois, le voilà aux prises avec ces maudits sacs en papier dont tout le contenu ne semble avoir qu’une envie : se déverser sur le trottoir ! Il est presqu’arrivé chez lui, il vient de trouver un nouvel agencement des sacs, sur un seul bras cette fois-ci et de manière à pouvoir extraire sa clef de la poche de son jeans un peu trop serré, qui, en même temps qu’il l’a saisie a fait basculer l’un des sacs et, voulant rattraper les victuailles, envoie valser la clé qui chute, en direct et sans hésitation, un peu comme on marque un but réussi… dans une bouche d’égout…

7

Cette nuit, c’est arrivé ! Voilà : il a trompé sa femme. Ça n’est pourtant pas son « genre ». Mais, c’est arrivé ! Le pas a été franchi et le voici dans la rue ce matin, avec son costume froissé, sa barbe d’un jour et la chemise qu’il n’a pu changer après cette nuit. Un sentiment trouble le submerge tandis qu’il se dirige à pas de moins en moins décidés vers la station de métro qui l’engloutit. Il trouve un ticket au fond de la poche de sa veste… tiens, c’est curieux, ça n’est jamais là qu’il les met… Peu importe… de toutes façons, dans l’état d’agitation dans lequel il se trouve, il ne sait plus du tout ce qu’il doit faire : se rendre au travail… Il doit diriger une réunion déterminante pour la suite du projet qu’il défend et toute l’équipe se repose sur lui, sur ses qualités d’orateur et sa prise de décision qui, jusque là, ne lui ont jamais fait défaut. Sauf que ce matin, dans l’état où il se trouve, ce n’est tout simplement pas envisageable !… Il sait ce qu’il va faire ! Il va leur téléphoner, leur dire …. euh… leur dire qu’il a un empêchement … une rage de dent … une migraine épouvantable … Voilà, c’est ce qu’il va leur dire, ensuite il appelera Simon et le mettra au courant des deux ou trois idées qui lui sont venues au réveil, après les quelques minutes de repos qu’elle — l’autre — lui a accordé en fin de nuit, encore à demi-inconscient, heureux mais troublé, mal à l’aise et coupable déjà, prêt à tout regretter de cette nuit incroyable, pour un homme comme lui… mais les idées lui sont venues malgré tout ! Et, à mesure que le métro avance dans le boyau sombre et souterrain qui le rapproche de son domicile, il réfléchit aussi à ce qu’il va dire à sa femme… C’est curieux tout de même qu’aucun message de sa part n’ait été déposé sur sa messagerie… Ce n’est pourtant pas habituel ! Et elle ne pourra croire à un éventuel voyage en province car ses affaires et sa valise sont restées à la maison… Comment lui annoncer la chose, comment ne pas la blesser, comment faire… comme si de rien n’était ? … Dire simplement, bonjour ma chérie, l’embrasser sur les deux joues, lui raconter la nuit qu’il a passé à travailler comme un fou pour la réunion de l’après-midi, puis courir prendre une douche, se changer et dire … À ce soir ! Passe une bonne journée !… C’est aussi simple que ça, de mentir, de tromper ?… Pour un peu, il s’en sentirait tout à fait capable, d’autant plus que « ça » ne se reproduira pas, il en est certain ! Le voilà en bas de chez lui. Il est plus assuré, malgré la fatigue. Mais, en voulant ouvrir la porte cochère, il se rend compte que ses clés ont disparu ! Avec ses deux mains à plat, il se met à frapper ses poches, veste, pantalon… mais rien ! Aucun son, aucun poids dans ses poches… à part son portable et le ticket de métro… et… même son portefeuille a disparu.

8

Il pleure au téléphone, sans pouvoir articuler un son, et ses appels, ça la rend dingue ! Pourquoi elle ?!… Cela fait maintenant plus de six mois qu’ils sont séparés ! Elle jure que c’est la dernière fois qu’elle vient lui tenir compagnie ! C’est toujours le même scénario, il finit par balbutier qu’il se sent seul, trop seul, et qu’elle seule peut le consoler… et que si elle ne vient pas… Il est prêt à faire une bétise…. Mais pourquoi, pourquoi … a-t’elle décroché ce soir lorsque son numéro s’est affiché sur l’écran du téléphone ? Il y avait plus de deux semaines qu’il n’avait pas tenté de la contacter, et voilà que ce soir, alors qu’elle s’apprêtait à visionner un bon film, voilà qu’il appelle et qu’elle répond, presque machinalement, et qu’encore une fois, elle cède ! Parce qu’elle a la trouille, parce que dès qu’elle est loin de lui, elle s’est persuadée qu’il est capable de tout !… Bon ! Plus vite elle sera auprès de lui, plus vite elle le calmera, plus vite elle sera de retour. Elle enfile un gros manteau par dessus son pyjama, elle s’en fiche de la façon dont elle est habillée ! De bonnes grosses chaussettes de laine, des bottes en caoutchouc. D’un geste sec, elle noue ses cheveux bouclés de trois tours d’un gros élastique, et complète l’habillage par sa grosse écharpe qu’elle parfume toujours de trois gouttes de patchouli. Elle n’a que quelques centaines de mètres à faire et la voilà devant sa porte, sans même avoir eu le temps de ressentir le froid piquant de ce soir de janvier. Elle sonne. Pas de réponse. Elle sonne à nouveau en pestant contre la météo car voilà qu’il s’est mis à neiger, de petits flocons très légers s’accrochent à ses cheveux, son manteau, elle s’emporte encore une fois contre elle, contre lui — quel emm….. ! — Elle colle son oreille contre le bois rugueux de la porte. Aucun son ne lui parvient. Elle attend encore un peu tout en piétinant pour se réchauffer, en soufflant sur ses doigts car elle a oublié ses gants… Elle sonne encore une fois en maintenant le doigt appuyé sur le bouton, cette fois-ci un peu plus longtemps. Rien, aucune réponse ! Elle secoue la porte, finit par tambouriner en criant :
— Ouvre ! C’est moi ! Ouvre, bon sang !… À quoi tu joues ??…..Tu sais très bien que je n’ai plus les clés !! Que je te les ai rendues !.. Ouvre-moi…

9

Elle est entrée dans l’ascenseur et a machinalement appuyé sur le bouton du 5ème. La voici maintenant sur le palier, poussant la porte qui grince légèrement. Le bruit la surprend. Elle s’interroge vaguement mais ne trouve ni question, ni réponse à la surprise qu’elle a ressentie. Faut-il tout expliquer ? A t’on besoin de trouver des réponses à tout ? Doit-on se justifier continuellement ? Non, bien sûr ! Et puis, elle est si lasse, elle voudrait s’asseoir et que quelqu’un — mais qui ? cela, elle ne le sait pas et le fait d’avoir faire naitre dans son esprit cette nouvelle question rajoute à ce sentiment nouveau pour elle, d’angoisse diffuse, sans fondement réel… de çà elle est sûre — elle voudrait que quelqu’un lui apporte une chaise. Oui, c’est ça : une chaise… et aussi une boisson chaude ! Elle se dit qu’elle est bien sotte de dépenser tant d’énergie, tant d’énergie gachée pour si peu de choses, puisque la voici devant sa porte ! Elle va pouvoir rentrer chez elle, s’asseoir tranquillement dans sa cuisine après s’être fait chauffer de l’eau et… et, quoi, déjà ? Quelle est cette chose dont elle avait tant envie ? Oui, il n’y a pas cinq minutes ! Elle a formulé un souhait, mais lequel ?… elle jurerait que c’était quelque chose de très important, de vital, même… comme dormir … ou manger. Et cette porte inconnue devant elle ? Où peut-elle bien se trouver ? Qui l’a emmenée ici ? Cette porte vernie… mais oui ! Bien sûr ! Qu’est-ce qu’elle peut être idiote ! Puisque la voilà devant la porte de son appartement, appartement dont elle a les clés, puisque c’est chez elle ! Bien sûr !… Les clés doivent se trouver dans sa poche… mais oui, les voici ! Mais pour quelle raison a-t’elle tant de peine à les insérer dans cette serrure si particulière ?…

10

Il marche devant et s’arrête de temps en temps pour l’attendre. Ils l’ont prévu ensemble cette balade et franchement, elle éxagère ! Il voudrait arriver au lac avant treize heures pour le pique-nique. Tout est dans le sac qu’il porte sur son dos : gourde remplie d’eau fraiche et à manger bien sur, plus le petit Thermos rempli de café et les jeux pour l’après-midi. Mais qu’est-ce qu’elle peut trainer… Elle ne semble pas aussi enthousiaste que lui à propos de cette journée au grand air ! Et puis ce portable qu’elle ne quitte jamais !… Ça commence à l’agacer !
— Allez, on est partis, et si tu t’arrêtes toutes les cinq minutes, tu auras du mal à trouver un rythme ! … Laisse un peu ton téléphone ! Pas possible que tu aies du réseau, ici !…

Elle maugrée sans même lever les yeux sur lui.
— j’arrive ! Je fais juste une photo ! …. Et puis, que veux-tu, la marche libère mon esprit et ce rapport que je dois rédiger demain, et qui me paraissait si complexe, figure-toi que je viens de trouver plusieurs idées que je dois organiser, et comme je ne veux pas les oublier, je les note immédiatement ! … C’est tellement pratique !
— Oui…ok ! Mais… franchement tu peux aussi dicter ! Et le faire en marchant ! On n’y arrivera jamais à ce lac !…
— Mais, si, mais si, on va y arriver, mais comprends-moi ! C’est important de ne pas laisser mes idées s’évaporer dans la nature, et si j’utilise le dictaphone, il note n’importe quoi ! … Impossible de me relire ensuite… Dis-donc, ça monte ?… Je n’ai plus de souffle, moi…
— Encore ! Tu t’arrêtes ?!… Bon, écoute… je continue et tu me rejoins parce que là… J’ai besoin d’exercice, moi ! Moi aussi je travaille et le dimanche j’ai besoin de me dépenser ! Alors, salut !…
— Ppffff… quel râleur tu fais ! Eh, bien puisque c’est comme ça, je retourne à la voiture ! J’en ai marre de cette balade ! Lance t’elle, les mains en porte-voix tandis qu’il poursuit son avancée, grimpant de roches en roches.
Elle repart sans se retourner, en direction du parking, la tête penchée sur le téléphone, pianotant des deux pouces. Elle est presque contente, soulagée. Elle va avoir du temps pour se reposer, et va pouvoir avancer son travail… sauf, qu’arrivée à la voiture, elle se rend compte que les clés sont dans son sac à dos.. à lui.

Post-scriptum : En recherchant un livre de très courts textes, décrivant les chambres dans lesquelles l’auteure avait vécu, avec un petit plan dessiné pour chacune des pièces …. — mais dont le nom continue de m’échapper —, j’ai trouvé sur internet, l’ouvrage de Michelle Perrot « Histoire de chambres » qui pourrait y ressembler.

Puis, je me suis souvenue du livre de Sylvie Gracia « Les nuits d’Hitachi ».
Mais ces ouvrages restent à l’état de souvenir trop imprécis…

Dans le générique du film de Woody Allen « Deconstructing Harry », il y a une scène où l’on voit une jeune femme visiblement déterminée, sortir d’un taxi et se diriger, d’un pas décidé vers l’entrée d’un immeuble. Un pan de son imperméable s’envole tandis qu’elle avance tout en levant la tête.

Au montage, cette scène a été coupée à des moments différents, puis remontée bout-à-bout tandis que le générique du film se déroule, ce qui donne une curieuse impression de « raté » comme si la pellicule était défectueuse, mais au bout de quelques minutes, on saisit que la répétition est bien voulue, et à l’air d’empêcher le personnage, de le freiner dans sa lancée… en même temps que cette insistance ajoute une dose d’humour à ce qui va suivre (c’est-à-dire, l’expression d’une grosse colère !)

Je pense aussi au livre de Christian Gailly « Les fleurs » au cours duquel le personnage masculin cherche comment, et dans quels termes, il va aborder la femme, croisée ce matin dans les transports en commun et dont les fleurs rouges de la jupe ont fortement retenu son regard, et son esprit !

4. consulat


proposition de départ
seule, ton doux

Elle est lisse et sage. Savonnée. La patience est sa vertu. L’ovale de son visage n’est que douceur, sous la chevelure blanche légèrement ondulée. Ses formes rondes sont simplement revêtues de sombre, vêtements aux lignes sobres, aux matières simples et pratiques. Et, mis à part un anneau à sa main gauche, et une fine montre à son poignet, elle ne porte aucun autre objet ou bijou de valeur. Dans le sac à main de faux cuir, un porte-monnaie contenant seulement quelques billets de dix francs, son ticket de retour et un mouchoir blanc, propre. Assise, elle en avale de ces longues minutes de silence intérieur qui finissent par former des heures, à patienter devant des portes fermées, à ne rien faire alors que, là-bas, son arche la réclame.

seule, ton dur

À peine ridée de peines, le sourire de Joconde de pleurs fardé, le corps corseté, engoncé de noir deuil. Briquée, astiquée. Les cheveux frictionnés au Pétrole Hahn, crantés au fer, crépitent. Les mains usées, ongles cassés, paumes gercées de tant de draps frottés, agités, giflés dans l’onde de fontaines glacées. Les pieds orteils coincés flamboyants gothiques dans la chaussure défigurée cirée. Pastille claquée, croquée, dentier brossé. Son coeur a des ratés de moteur éreinté, et dans sa tête, s’accumulent les mots tus. Elle attend. Posée. Captivée par les claquements de portes, qui la font sursauter et secouent sa torpeur, et l’attraction des talons aiguilles de la secrétaire qui tohu-bohutent sur le carrelage, puis des doigts ongles rouge pointus pointés sur les touches, tambourinent d’irritation.

Post-scriptum : Proposition très intéressante, mais terriblement difficile ! Le personnage choisi résiste à la douceur, alors que le ton dur semble lui convenir mieux — me convenir mieux à travers l’écriture. Aucune lecture en tête à associer…

3. Entrée dans un âge qui n’est plus l’enfance


proposition de départ
en Long | Entrée dans un âge qui n’est plus l’enfance

L’adolescente — appelons-là Élisabeth — est passée en quelques mois du siège avant-droit de la Dyane blanche conduite par sa mère — répondant au prénom de Mireille — , au siège arrière droit de la Ford Escort de couleur marron-glacé, actuellement pilotée par Jean. Le véhicule s’engage sur la Place M, en tournant le coin de la rue D où Mireille et Élisabeth ont vécu seules durant cinq ans, aussi, elles ne peuvent s’empêcher de jeter un dernier regard au petit balcon au deuxième étage du vieil immeuble. Jean a perçu le mouvement de tête de Mireille et sa main droite a lâché le volant pour chercher sa main gauche à elle et la retenir. Ils ont échangé un regard rapide ; dans le rétroviseur, Élisabeth a vu les pattes d’oie se dessiner au bord de l’oeil gauche de Mireille et devant elle, les mêmes rides se sont accusées au coin de l’oeil droit de Jean. Ils sont restés silencieux tous les trois. Jean a pris la direction du sud et Élisabeth a vu disparaitre le Théâtre… Elle conserve le souvenir de Lorenzaccio qui a été donné cette année, juste avant Noël ; comme un Noël un peu en avance, et après la représentation, le fait de retrouver les rues illuminées avait encore ajouté à sa joie, comme si la ville entière participait à cette fête. La représentation lui avait tellement plu qu’elle en avait parlé pendant des semaines… La troupe du TNP de Villeurbanne… Planchon… c’était quelque chose, tout de même, non ?!… Disait-elle à Mireille, et le petit livre de la collection Larousse de la pièce de Musset était resté sur son bureau, les pages cornées des scènes préférées…. « J’ai plongé, je me suis enfoncé dans cette mer houleuse de la vie. J’en ai parcouru toutes les profondeurs, couvert de ma cloche de verre ; tandis que vous admiriez la surface, j’ai vu les débris des naufrages, les ossements et les Léviathans »…« Te voilà, toi, face livide ?…. » Les sentiments de Lorenzaccio, son mal de vivre romantique …Elle avait même épinglé au mur de sa chambre la grande reproduction de la lithographie d’Alphonse Mucha représentant Sarah Bernhardt dans le rôle de Lorenzaccio. Et, bien qu’elle-même ne soit jamais rentrée « tout(e) baigné(e) de sueur, avec ses gros livres sous le bras… » elle enrage car, depuis son entrée en sixième, elle a fait partie d’une petite troupe de théâtre et ses cheveux, que Mireille s’obstine à lui faire garder courts, en dépit de la volonté de l’enfant, puis de la jeune fille, ont conduit l’élève Élisabeth à tenir tous les rôles d’hommes des pièces retenues par le professeur de français et mis au programme du club théâtre !… Élisabeth a lu que la création du rôle par l’actrice a été l’occasion d’un exploit personnel… Le groupe de bons copains se sont finalement tous dispersés l’an dernier. En raison du passage en seconde, elle s’est trouvée inscrite dans un établissement plus proche de son appartement mais où elle ne connaissait absolument personne ! …Tous les autres étant demeurés au lycée Vaugelas où tout lui aurait fait envie, absolument tout ! …y compris les épais murs gris, et puis, la proximité d’avec le reste d’enfance du Jardin du Vernay où Mireille la conduisait après le déjeuner, lorsqu’elles vivaient rue L, pour un tour de balançoire et une glissade sur le grand toboggan de bois verni, avant de la déposer à l’école et de poursuivre vers son bureau. Après le jardin, elles longeaient la grille du collège où l’enfant entrerait dans deux ans… le préau, la cour, lui paraissaient immenses… « Un travesti, a déclaré Sarah Bernhardt, je n’en veux plus jouer. Si encore ce travesti avait quelque chose qui le distinguât des autres ? Alors Armand d’Artois qui adapte la pièce en 1896, se risque à suggérer, mais … Lorenzaccio ? Oui, a dit l’actrice, j’en rêve ! » Et elle !!… Verra t’elle d’autres spectacles dans la petite ville où ils vont s’installer ? Ils ont quitté C, un matin de Juin 1976. Ils avaient attendu la fin de l’année scolaire pour leur installation. Dans l’habitacle, il fait chaud, et, côté conducteur, Jean a ouvert la fenêtre. Un air moite s’y engouffre. Ils ont devant eux au moins trois heures de route. Élisabeth ne connait pas encore la petite ville de P. Pour Jean, qui a rencontré Mireille l’an dernier et vient d’entamer avec elle une relation heureuse, c’est avec soulagement qu’il quitte C… il pense que les années noires — une vie personnelle dramatique, doublée d’une vie professionnelle à peine moins triste — sont derrière lui à présent et il se demande, tout en suivant la route, comment lui et Mireille ont pu attendre si longtemps pour faire connaissance alors qu’ils se croisaient chaque matin de la semaine, à peu près au même endroit de la rue de B ?… Mireille la remontant à grandes enjambées vers son bureau et Jean la descendant. Mireille a même raconté à tous leurs amis, réunis pour les au revoir la semaine dernière, que Jean était une sorte de « repère » pour elle, rien de plus au début… si elle le rencontrait avant le coin, c’est qu’elle était très en avance, ce qui arrivait rarement… — S’il n’y avait pas eu cette autorisation de sortie du territoire que Mireille et sa fille étaient venues chercher, et si Jean n’était pas sorti de son bureau à cet instant précis…. — Hier soir, ils ont tous été invités chez les parents de Marie, la meilleure amie d’Élisabeth… les deux inséparables sont bien décidées à se revoir ! On a convenu que Marie serait bientôt, dès que possible, invitée à P et que les deux jeunes filles étaient maintenant assez grandes pour prendre le train et faire chacune la moitié du chemin, ce qui leur permettrait de temps à autre de se retrouver à Lyon, où elles projetaient déjà de passer une journée, le centre commercial de la Part-Dieu venant d’ouvrir, elles s’y voyaient arpenter chaque étage et visiter chaque boutique…. Mireille songe qu’elle quitte un travail solide. Jean et elle n’ont pas prévu qu’elle rechercherait un autre emploi, pour l’instant. Mireille n’a jamais eu le loisir d’être maitre de tout son temps. Elle ne sait vraiment pas comment elle va le vivre mais elle est heureuse de cette perspective de vacance à perpétuité et il lui semble que Jean est la personne solide qu’elle attendait, non … en fait, elle en est sûre… de plus, Élisabeth et lui s’entendent bien. Jean lui a même avoué, mais sans rien lui dévoiler que « la petite » comme il l’appelle, lui avait fait des confidences… à propos d’un garçon qu’elle « appréciait » beaucoup … tu sais comment est Élisabeth ?… avait-il avancé, et Mireille avait eu l’envie de lui répondre : non. Non… elle ne savait pas comment était Élisabeth, pas réellement… Bien sûr, elle connaissait ses goûts, pour le théâtre, ça oui, pour la lecture, passion qu’elles avaient en commun, mais pour le reste… jamais, par exemple sa fille ne serait venue se confier à elle à propos d’un flirt ! C’est curieux… et ce T-shirt moulant à l’excès qu’elle venait de s’offrir… petit col rond vert pomme en satin brillant, et larges rayures framboise et rouge…. Mireille n’a rien osé dire, occupée à ce déménagement et toutes les démarches administratives que cela représentait…mais, franchement, s’il ne s’agit pas de provocation ?…. Elle connait la petite ville de P, et le poste que va y occuper Jean, elle sait combien il représente pour lui, pour les dix dernières années de sa carrière. On leur a même conseillé d’inscrire « leur » fille dans un établissement privé, plutôt que public… Elle ne voit pas d’un bon oeil le T-Shirt framboise, rouge, vert pomme dans ce nouveau paysage… Élisabeth a tenu à conserver tous les petits objets offerts au cours des « mardis soirs » par les Pierre, ce couple d’antiquaires très âgés chez qui elles s’arrêtaient fréquemment et qui étaient devenus des amis. Elle tient à ses « vieilleries » comme dit Mireille, et les a réunies dans un carton, chacun des objets soigneusement entouré de papier bulle : un petit coquetier en faïence dans lequel l’oeuf est retenu entre le bec de trois oisillons sortant de leurs coquilles, un petit bol blanc et bleu à larges oreilles, un beurrier de Lunéville empestant encore le rance sous son couvercle fleuri, un vieux pot à pharmacie ébréché et l’assiette, neuve celle-là, qu’Élisabeth convoitait depuis l’ouverture de ce nouveau magasin près du bureau de Mireille, une assiette en verre sculpté représentant, en creux, deux profils face à face. Un couple rieur au-dessus de la phrase « The wedding day », et lorsqu’on retournait l’assiette, le même couple faisant alors la moue, et la mention « … and three weeks later »…. Mireille se demande s’il s’agit d’humour ou bien d’une sorte de message à elle adressé … Avant-hier soir, ils sont allés tous les trois au cinéma. On y donnait « Le vieux fusil ». Sur la grande affiche peinte du « Paris » on voyait sur fond d’incendie rougeoyant le portrait de Romy Schneider au premier plan, son beau visage souriant estompé par une voilette et Philippe Noiret un peu en retrait, son nom écrit en plus petit que celui de l’actrice. Philippe Noiret est l’acteur préféré de Mireille et ce film l’a bouleversée…. Jean et Élisabeth l’ont beaucoup aimé… Jean vient de prendre l’embranchement à la sortie de la ville, en direction de l’ouest, Mireille songe à Mamé, qu’elle et sa fille ne verront plus aussi souvent maintenant. Jean lui a été présenté, et la réunion a permis d’évoquer la mère de Mireille, partie très jeune s’exiler aux États-Unis. Autour de l’apéritif, tandis que Mamé tirait le gratin dauphinois du four à bois et tout en surveillant la cuisson du civet, elle n’a pas pu s’empêcher de mentionner les éternels détails de l’histoire familiale, ce qui a gêné Mireille et, Jean qu’elle observait, demeurait toujours aussi discret et affable, visiblement heureux de rencontrer le peu de famille de Mireille. Confrontation pas évidente pour elle, tant il y a d’affects en jeu et Élisabeth ne l’épaule guère, toujours plus occupée des chats durant les visites à son arrière-grand-mère … Ils ont promis de revenir la chercher et qu’un séjour dans leur nouvelle résidence serait organisé très rapidement. Depuis le décès de Grand-Pierre, elle vit seule, d’autant plus qu’il ne reste que peu d’amies de son âge dans son voisinage … Mireille se demande quelles conséquences vont avoir leur déménagement. Cette modification dans sa vie — elle repense à ce roman de Michel Butor, la Modification, justement — radicale pour elle qui a toujours été autonome depuis son lointain divorce, où elle s’est retrouvée seule avec sa fille, alors âgée de six mois, mais elle avoue aussi qu’à ce moment-là, Mamé et Grand-Pierre lui ont été d’un grand secours… À mesure que les années passaient, Mireille s’est trouvée soulagée de ne recevoir aucune nouvelle de son ancien mari. Élisabeth n’a jamais rencontré son père et, visiblement, le sujet ne l’intéresse pas. Pourtant, Mireille sait combien l’unique signature sur ses carnets de notes a longtemps gêné l’enfant. Elle se souvient de l’avoir surprise en flagrant délit de falsification d’un bulletin au bas duquel elle essayait gauchement de s’inventer une signature « masculine », correspondant au nom qu’elle est seule à porter. Ces détails de sa vie, ajoutés au film triste d’hier soir, lui feraient presque monter des frissons, n’était cette période de chaleur éprouvante que le pays traverse. Ils longent maintenant une campagne brûlée, déserte. Où sont passées les bêtes ?… Le ciel est presque blanc tant il fait chaud. L’appartement de fonction qu’on leur a attribué lui plait beaucoup, à Jean aussi. Ils l’ont longuement décrit, plusieurs fois déjà, à Élisabeth, et à Mamé, au cours de leur longue conversation téléphonique hebdomadaire… la jeune fille sait qu’elle va disposer d’une grande chambre donnant sur la petite cour très calme d’une maison de ville à tourelle. Tout près, elle entendra sonner les heures au carillon de Saint-Nicolas et il y a une boulangerie au pied de leur résidence, une place minuscule avec jet d’eau aussi…. Élisabeth a fermé les yeux et, dans le rétroviseur, Jean pense qu’elle s’est endormie. Il est à la fois tout gonflé d’une joie, nouvelle pour lui, et un peu craintif aussi. Il connait le caractère bien affirmé de Mireille et sait déjà qu’elle est capable de colères aussi violentes que soudaines. Il lui semble entrevoir que sa vie à elle n’a pas été facile non plus, et que ses accès sont certainement la marque d’un temps révolu puisque désormais, il est là, elle peut s’appuyer et compter sur lui ! …Mireille se dit qu’elle devra rapidement trouvé un nouveau médecin. On lui a donné une adresse, un nom et une lettre de suivi à sa sortie de l’hôpital, après l’intervention bénigne qu’elle a subi, voici deux mois déjà. Rien de préoccupant, lui a-t’on déclaré, mais à surveiller, régulièrement … Élisabeth ne dort pas mais rêve à Jean-Marc qui vient juste de se déclarer, deux jours avant son départ, il lui a fait la surprise de venir la chercher à la sortie du lycée ! Elle se demande s’il s’agit d’un calcul cynique pour la faire souffrir encore plus ou si, réellement, il lui a fallu tout ce temps pour se découvrir amoureux d’elle… Que faire ? À qui en parler maintenant ?… La Ford Escort poursuit sa route au milieu de deux étendues de terres craquelées, désertiques, qui ont l’air de s’ouvrir sous ses roues, emportant le chagrin d’Élisabeth, les incertitudes de Mireille et l’assurance hésitante de Jean…

en bref | Entrée dans un âge qui n’est plus l’enfance

Élisabeth est obligée de suivre ses parents. Enfin, sa mère et son futur mari… Élisabeth n’est pas une jeune fille rebelle mais, franchement, que va t’elle faire à P ?… Elle suppose même que Mireille, sa mère, s’en trouverait soulagée si elle n’était pas là… Elle ne sait pas pourquoi, mais elle le sent…. Élisabeth se serait bien vue demeurer pensionnaire à C ! Même si, en toute honnêteté, elle doit bien avouer que le fait de partager quoique ce soit avec d’autres filles qu’elle ne connaitrait pas… La vie en communauté … très peu pour elle !… C’est entendu, elle suivra donc Mireille et Jean. Il est gentil, Jean, elle l’apprécie. Elle apprécie le fait que sa mère ne soit plus seule. Mais, elle aussi, elle a sa vie ! Et on ne lui a pas demandé son avis !… Elle enrage… intérieurement, évidemment. Dans la voiture surchauffée qui a quitté C il y a maintenant deux bonnes heures, personne n’a rien remarqué… Élisabeth les observe, là, installés devant elle, comme s’ils formaient déjà une « vraie » famille : le père au volant, la mère assise à ses côtés, les deux adultes regardant droit devant eux un avenir qu’ils ont choisi ensemble, et l’enfant trimballé à l’arrière… De l’extérieur, c’est ce qu’ils doivent paraitre, une famille banale, comme il y en a tant, une famille qui part en vacances. Voilà ! Sauf qu’Élisabeth n’est pas d’accord avec cette lecture ! Elle veut bien que sa mère « refasse » sa vie, comme on dit, elle est tout à fait d’accord, elle applaudit des deux mains… mais elle aurait aimé qu’on lui propose une sorte d’autonomie… Qu’on pense à elle, tout simplement ! Élisabeth est si docile que les autres ne doutent pas un seul instant que son avis pourrait différer du leur…. Elle est fautive de cette méprise, elle le sait ! Les colères de Mireille y sont aussi pour quelque chose… On ne s’oppose pas à Mireille. Il lui faudrait un caractère plus affirmé, oui, elle est d’accord, mais là, tout de suite, maintenant, que faire ?…. Jean-Marc, lui, aurait pu l’aider, la soutenir !…. Sauf que cet idiot — comment le qualifier autrement ?…— a choisi de réfléchir patiemment, trois longues semaines, en fait….. avant de lui déclarer hier, qu’il… qu’il l’aimait ! …Enfin, pas vraiment, il n’a pas réellement exprimé sa pensée avec autant de précision… Élisabeth doit bien se l’avouer ! … Au cours de la fin d’après-midi passée ensemble, ils ont beaucoup bavardé — c’était la première fois qu’ils se retrouvaient seuls, tous les deux … sans la bande de copains qui entoure constamment Jean-Marc, et sans Marie ! — ils ont parlé de tout et de rien, de leurs passions, celle d’Élisabeth pour le théâtre, et Jean-Marc de son goût pour le dessin…Tiens, d’ailleurs, il aurait pu lui en laisser un… au moins un … n’importe lequel, une aquarelle, un dessin à l’encre… ils ont traverser la place du Marché en évitant soigneusement le Café Fo’ où tous les lycéens ont l’habitude de se retrouver à la sortie de Vaugelas, pour s’engager dans la rue V, avec les escaliers du château tout au bout dont ils ont parcouru ensemble les cours et les jardins, en bavardant, mais avec de fréquents silences … Élisabeth, un peu gênée, tentait de relancer la conversation en montrant un détail architectural qui lui plaisait, ce qui rappelait à Jean-Marc qu’il y avait une exposition de dessins d’architectes à la Bibliothèque qui l’avait beaucoup intéressé…. Le long des arcades de la rue de B, ils se sont amusés de leurs reflets déformés dans les vitrines… mais, voilà, c’est fini, n’en parlons plus se dit Élisabeth qui ferme les yeux. Elle a un plan et Marie est d’accord pour l’aider…

Ennuyée pendant quelques heures de l’imbroglio persistant dans ma tête, entre Sortir de la ville et Quitter la ville. Du coup j’ai opté pour un retour vers l’atelier Écrire la ville, qui m’a permis de me rendre compte de l’importance de la ville de C et la fait certain que mon corps y était resté inscrit…

2. Jean-Benoit


proposition de départ

Du dehors, vu de l’extérieur, il est jeune et plein d’un avenir prometteur même si, côté boulot, comme on dit, c’est pas le Pérou… Mais, nous-mêmes, à la même époque, on s’en fichait pas mal, de l’argent, de la carrière… on était ensemble et ça suffisait ! Pourtant, on n’irait pas jusqu’à affirmer que dans son cas précisément, ce soit la même chose… la famille, peut-être, et encore … même si le mot sonne faux en parlant de lui, d’eux, eux deux… ensemble… Lui, riant, sûr de son charme, et affirmant à qui voulait l’entendre, qu’au début de leur relation… attendez, non, avant plutôt, oui … il n’avait rien vu venir… il nous ferait presque croire qu’il en aurait été la victime … c’est un peu fort, tout de même, quand on le connait, comme on l’a connu, depuis tout jeune, encore un enfant, et déjà séducteur ! Et par la suite, ça ne s’est pas arrangé… enfin, pour les autres, parce que pour lui, c’était plutôt pas mal toutes ces conquêtes ! À l’époque de l’enfance, il n’avait pas besoin de se donner du mal, rien d’autre de plus fastidieux que de sourire, en penchant la tête légèrement sur le côté et toute la famille fondait, rien ne lui résistait ! Alors, quand il a osé avancer qu’en répondant à son annonce — à elle — cherchant un(e) colocataire, — dans ce trou paumé ! Un(e) colocataire ?!…Qu’est-ce qu’ils ne vont pas inventer ces jeunes ! — il s’était présenté et avait été accepté… avait emménagé … tout en laissant un pied dans sa famille, chez ses père et mère, des fois que cette cohabitation se révélait ne pas lui convenir… C’est qu’il est difficile… il faut bien le dire … bien sûr, ça reste entre nous, car, voyez-vous, les parents ne se sont pas rendus compte qu’en l’élevant comme ils l’ont fait, c’était couru, c’était fatal ! Tout lui réussissait, il triomphait partout ! C’est, du moins ce que prétendait sa mère, la même qui refusait obstinément de considérer qu’il avait pu se tromper, qu’elle aussi, dans son éducation, elle avait pu se tromper, envisager qu’il ait pu tromper des personnes ayant placé leur confiance en lui ?… C’était chose impossible… pour elle… Et toutes ces voitures ?!… À chaque fois qu’il passait, c’en était une nouvelle ! Comme s’il en changeait tous les jours ! … Et pas des occasions … On a commencé à se poser des questions ! … Forcément !… Jamais il n’a conservé un travail ! …Un jour, son frère, le plus âgé, l’avait bien avoué, à demi-mots évidemment, prétextant parler d’un autre… mais, on s’était tous regardés discrètement, on avait compris… il avait raconté qu’un ami devenait méfiant lorsqu’en compétition ; oui parce que les frères participaient tous deux à des compétitions d’athlétisme — enfin… le grand surtout, prenait ça au sérieux, JB, évidemment ça n’était pas la même chose. Non.. Ils ne se ressemblent en rien… c’est vrai ! — alors, lorsqu’on lui disait « connaitre » son frère… ça le mettait mal à l’aise, il ne savait jamais trop comment se comporter, ni comment répondre s’il était questionné à son sujet, ça l’embarrassait… faut comprendre… c’était son frère, tout de même. La famille, vous savez ce que c’est ?… Son père avait bien tenté d’ouvrir les yeux, de considérer le problème en face, mais la détermination de sa femme à le défendre en toutes circonstances et devant n’importe qui, à propos de trois fois rien, elle sortait ses griffes… il a préféré se faire discret et ses colères sont rentrées en lui, il s’est comme vouté et préfère se taire lorsque, après un dîner ou à la fin d’une réunion familiale, on aborde la question, au moment du pousse-café : « Au fait ? Et JB ? — comme on l’appelait toujours, oui, on disait JB, Jean-Benoit ?…Non, jamais on ne l’appelait comme ça, allez savoir pourquoi, mais…. Ce prénom, choisi par sa mère, de toutes évidences, ça lui allait si peu.. mais, elle, la mère, elle insistait à chaque fois : Il ne s’appelle pas JB ! Il a un prénom ce garçon !! Quand allez-vous, enfin, l’appeler par son prénom : Jean - Be-noit ?!!.. — Et, donc, quand quelqu’un s’aventurait à poser la question : « Au fait, JB…Euh.. Jean-Benoit … vous avez eu des nouvelles ?…. je l’ai croisé l’autre jour, mais… » Chacun, parmi l’assistance familiale — après ces évènements, enfin, quand on dit « évènements » c’est un bien grand mot, parce que JB, pour changer de voiture, oui, il voulait bien, mais le reste… ça… j’avoue que c’était un sujet à ne pas aborder. Alors, quand il est arrivé avec ce bébé…. Et… seul… Enfin… ça ne nous regarde pas… mais la famille ne recevait déjà plus que les proches, et encore, de loin en loin — et autour de la table, on ne peut pas dire que l’ambiance était toujours détendue, ça, non… on scrutait minutieusement les fonds d’assiette ou de tasse, avec les quelques grains de sucre mêlés au fond à la dernière goutte de café qu’on tentait tout de même d’attraper, renversant la tasse et la tête, essayant de faire comme si personne n’avait rien dit, comme si la question n’avait pas été posée… et les autres, rien entendu… de la cuisine, parvenait alors un remuement de casserole, un ferraillage un peu plus sonore et tout le monde se levait, poussés par le père : Venez ! Passons au salon… Allez-y, nous serons mieux !… en attendant de pouvoir s’éclipser…

Première pensée pour Le vent de Claude Simon, les démêlés du personnage avec l’entourage hostile, dans cette petite ville où ses manières et sa présence demeurent incomprises… Seconde pensée pour la famille, vaste sujet, inépuisable réservoir de « romans familiaux » d’enquêtes sociologiques, philosophiques et romanesques où tout est dans le détail, la tête d’épingle, la question anodine posée d’une voix neutre, comme si, pensant à autre chose… et qui, des années après, fait entrevoir les précipices frôlés…

27 Nguyen Thi Minh Kai, Q. 1


proposition de départ

Lui a mal aux pieds. Ses sandales de plastique le blessent, il est obligé d’en porter lorsqu’il vient en ville. Il n’a pas l’habitude. Des morsures-piqûres récentes — moustiques, taons ?… — chatouillent son dos, le frottement contre la chemise un peu rêche. Dans l’escalier ça s’étage. Lui a le temps d’y penser. Papiers, tout noté. Son mariage. Les futurs époux remplissent des documents. Ils ont, tous deux, exprimés verbalement leur consentement à l’agent judiciaire de l’état civil. À ses pieds brunis piétinants, chaussés de sandales de plastique décoloré, et devant, derrière lui, d’autres jambes maigres devinées sous des pantalons flottants. Vêtements uniformes, chemises grises, pantalons larges et courts, couleur toujours sombre. Des mains osseuses aux doigts fins s’accrochent à la rambarde. Celui-là a remis son alliance pour l’occasion. Elle brille à son doigt déformé. Il est ici pour les démarches d’enregistrement de l’état civil, il s’est déjà rendu au bureau du Comité Populaire. Deux enfants, au lieu d’un seul attendu. Des odeurs de corps, mais rien à voir avec les heures de pointe dans un métro parisien. Quelques enfants silencieux, jambes et bras maigres, pressés autour de hanches aiguës, yeux débordants de noir, cheveux presque bleus. Ils ont fourvoyés, faufilés leurs deux corps contre la balustrade ou le mur crasseux. Frottements, gesticulations, le mur, le métal de la balustrade se les renvoient et contre les autres corps en attente. Les maigres qui se font plus maigres, les autres, immuables et qui résistent dans la moiteur, poussant volontairement de leurs ventres maigres, de leurs épaules dures contre eux, leurs yeux durs plantés dans les leurs, comme pour s’interroger. Qu’est-ce que tu fais ici, toi, lui ?… Des étrangers. Lui, brun et qui les dépasse d’une bonne tête. Sa chemise bleu-roi fait tache sur le gris, le noir. Dans sa tête, des calculs, ça fait x jours qu’ils sont arrivés, ça fait x jours qu’ils attendent, il reste encore x jours avant son retour….Elle blonde, chemisier blanc — la jupe invisible, à carreaux fushia — la peau très blanche, ce qui fait sourire, s’éclairer toutes les bouches. Ils, elles, se demandent pourquoi, comment. Elle, sa tête vide, la peur vague, l’étranger, ça y est, elle y est. Deux ans à peu près, qu’ils attendent. L’ambassade pas d’accord, ça n’était pas le bon moment. Ils étaient prévenus. L’ambassade ne voulait pas en entendre parler, l’ambassade avait précisé qu’elle ne souhaitait pas qu’ils recourent à elle en cas de problème. Ils étaient conscients et prévenus. Elle a seulement chaud. Elle est seulement épuisée. Elle a seulement mal aux pieds. Elle n’a seulement pas assez dormi. Ça fait déjà plus d’une semaine qu’elle n’a pas dormi convenablement, suffisamment…. Quelle heure est-il, là-bas, chez eux, dans leur vie d’avant ? Leurs dents larges et mal plantées font rictus, le couple — un homme, une femme réunis sur la même marche — savent-ils que le décret de 2005, du 8 mars, précise que les démarches relatives à l’état civil doivent être effectuées sur leur lieu de résidence permanente ? Cela leur aurait sans doute évité les quatre heures de route inutiles, sans compter les heures d’attente. Ils n’en savent rien et attendent, patiemment, comme on sait le faire dans ce pays. Une pensée les effleure, presque simultanément, ont-ils prévu assez de nourriture pour les bêtes ? Il, elle, détournent le regard, essaient de voir plus haut, longent le mur. Vers une porte ouverte au premier étage où l’on aperçoit, contre une vague lueur, plus claire que celle qui éclaire l’escalier, d’autres épaules grises, beiges, venues contester des expropriations, ou faire certifer une vente, attester de la réintégration d’un domicile. D’autres cheveux raides bleu-noir, une joue à pommette saillante, peau tirée caramel, un cou, la nuque d’une femme, sa longue natte noire rejetée sur l’épaule, le plafond de la pièce, des pales de ventilateur tournoyant mollement. De l’extérieur, relégué derrière le mur de la cour, leur parvient l’incessant va-et-vient de la circulation où moteurs, klaxons s’emmêlent sous la lumière blanche qui la fait tant souffrir, elle, lui creusant les yeux. Il, elle, s’étonnent de cette frénésie qui les abrutit. Ici, sur l’escalier, ils se sentent presque en sécurité. Pas un mot n’est échangé, de toutes façons, on ne les comprendrait pas ! Tout autour d’eux, des paires d’yeux, des bouches rieuses, des regards détournés s’éloignent, puis reviennent invariablement vers eux. La chemise bleu-roi, les cheveux blonds. Impossible de savoir, de deviner leurs pensées. Une seule sans doute, les anime, la même qui les a poussés, lui et elle : rien qu’un coup de tampon sur un papier ! Afin de valider le mariage de celui-là, si jeune — ils ont tous l’air d’enfants trop grandis, de vieux adolescents dans des corps d’enfants, des joues imberbes — si jeune et l’air déjà grave, comme prêt à s’engager, à quoi ressemble celle qui deviendra son épouse ?.. Est-ce la jeune fille qui tente de gravir une marche, là devant lui, pour parvenir à ses côtés ?… C’est elle, pourtant aucune connivence ne semble les lier, aucun regard ne s’échange qui les ferait se rejoindre, aucun contact physique, aucune aide venu de lui qui pourrait l’aider, elle, à monter l’escalier, à parvenir avant lui dans la lumière beige de la pièce … une vente, une succession, une donation … est-ce ce vers quoi tend celui-là, se curant les dents, masquant ainsi une douleur sourde survenue il y a deux jours et s’intensifiant dans le maxillaire gauche irradiant à l’oreille, ou celle-ci, la tête penchée vers le sac en plastique qui pèse à son bras ?… Y cherche t’elle son livret de ménage dans lequel sont répertoriés sa mère, son frère, les parents de son mari et les enfants tous réunis et vivant sous le même toit - qu’il faudrait songer à réparer avant la saison des pluies - désigné le chef du ménage — même si celui-ci n’est qu’un bon à rien ?… — Rien ne transparait sur leur visage, de leurs pensées. Muets. Ils sont muets. Et patients leurs gestes, avares, calculés sans doute pour le peu d’espace. La masse compacte progresse le long de l’escalier, marée, lame montante d’humains. Certains, surpris par l’avancée, en perdent une tong, une sandale, et poussés, propulsés d’une marche, leur pied nu reparti à tatons vers la marche inférieure, frottant de l’orteil sur le béton ébréché de l’escalier. Ça fait grumeau. Ça fait refleurir les rires à leurs lèvres, ça tord un peu leurs visages qui reprennent très vite, sérieux, vide de l’expression. Plus tard, il, elle, diront si vous aviez vu ça… jamais on n’avait vu autant de monde dans un espace aussi réduit… était-ce tous les jours ainsi ? …Il, elle, n’en savaient rien. Mais c’était toujours ainsi, oui, les deux ou trois fois où ils avaient dû s’y rendre. La même attente, tous deux pris dans la même foule des mêmes corps, des mêmes visages, des mêmes jambes, des mêmes pieds avec les mêmes yeux sombres empilés sur l’escalier, puis entassés dans la pièce au premier étage où, sous trois ventilateurs s’affairaient, sous le buste de l’oncle Ho, barbichu doré, sous le drapeau à étoile jaune, trois têtes à chevelure noire bleutée sur trois épaules recouvertes de la chemise beige, trois crânes, chacun penchés sur la liasse des paperasses entassées pêle-mêle, déposées par chaque homme ou femme entrant enfin dans la pièce et, portés vers le comptoir devant les trois têtes. De temps à autre un coup de tampon brutal vient mettre fin à une procédure accomplie et l’heureux, (l’heureuse) élu(e) peut s’en retourner à ses occupations, remontant le flux à contre-courant, sans plus de modification dans sa physionomie, sans plus de précipitation à s’extirper de cette foule. Il, elle, il leur semble qu’ils s’en trouveraient au moins soulagés…. Pour l’instant, il leur faut tendre l’oreille, à l’annonce d’un nom, énoncé par l’une des trois têtes et dans une langue inconnue, incertaine la procnonciation, et vite, sans bien comprendre, s’approcher, ramer dans la marée, pousser des corps inconnus, collés, pressés contre le leur. Plus tard, elle se souviendra de l’impression d’avancer sans que ses pieds ne soient posés sur un sol… elle en gardera ce souvenir… elle se dira, elle répètera, mais personne ne la croira, quand elle racontera que, là-bas il lui est arrivé une chose incroyable, ça se passait au notariat, il y avait tant de monde, nous étions si serrés les uns contre les autres que, je vous assure … mes pieds ne reposaient pas sur le sol lorsque j’avançais. Comme malgré elle. Près du comptoir où résonnaient les coups de tampon.

PS - Pensée immédiate vers Nancy Huston, Variations Goldberg, peut-être, seconde pensée mais confuse (non vérifiée) vers La jetée de Chris Marker et la dalle d’Orly et aussi vers une toute petite scène de K.622 de Christian Gailly au cours de laquelle des personnes entrent et sortent d’un magasin par la même porte battante… et par ricochets tout personnels, vers les nombreuses heures d’attente dans les couloirs d’aéroports, et les centaines d’incipits de romans — ou plutôt, d’histoires — qui se laissent écrire dans la tête, à ces heures de vacuité à la fois physique et intellectuelle, mais où, paradoxalement, le cerveau en profite pour échafauder de nombreux scénarios. Pensée également vers le réfectoire du Couvent de la Tourette, lieu de rencontre unique de tous les résidents — de tous les pays de la planète — que la Communauté des frères accueille et qui sont le plus souvent invisibles à d’autres moments de la journée : étudiants, apprentis-architectes, professeurs rédigeant leur thèse, photographes, « touristes », motards, etc. et toutes les conversations ébauchées lors de ces séjours. Une pensée aussi au public venu assister à notre premier festival de musique…

 



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1ère mise en ligne 20 juin 2020 et dernière modification le 9 novembre 2020.
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