le roman de Mireille Piris

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Toujours un lien avec l’écriture dans ma vie professionnelle de comédienne, chanteuse, animatrice culturelle, psychodramatiste, formatrice conseil. La plupart du temps les mots des autres. Aujourd’hui les miens. Petite musique intérieure, évocation de l’enfance et de l’adolescence en Algérie dans Boulevard des orangers, fragments autobiographiques parus chez N & B] en décembre 2017. Autres éclats de mémoire, reconstructions et fictions dans treize nouvelles, Une étrange modernité, recueil paru chez même éditeur en mai 2019, où l’art se mêle au destin de quelques cabossés de la vie.

Adepte des formes brèves, envie de paysages au long cours…

Pratique aussi peinture et photographie. On peut voir des images sur ma page Facebook.

20. Vague à l’âme


Tu marches encore dans la ville, tes deux enfants dans la tête, dans le quartier des pins de cette ville-là, tu effleures leur écorce rouge rugueuse, tu reconnais l’odeur chaude et piquante de la résine, encore présente la sensation de la petite poussière de soie noire qui restait à tes mains d’enfant quand, accroupie avec tes copains dans les allées du cimetière, vous écrasiez les pignons avec un caillou, ils avaient le bon goût de l’odeur, et puis vos rires à vous faire des moustaches, des signes d’indiens sur les joues, indiens en course ou cachette tandis que les adultes nettoyaient les tombes, se recueillaient, vous demandaient d’être un peu plus calmes, un peu de respect tout de même. Ici les pommes de pins sont ramassées par les employés municipaux, de toute façon tu ne peux plus t’accroupir, tu ne peux plus ton ancienne position favorite, les talons sur les fesses comme les Arabes pour les palabres. Ton corps vieillissant. Ici c’est le sel qui colle à la peau, le sel sèche rêche, la peau tire, démange, plus qu’à filer dans l’eau. Là-bas, tu faisais des trucs incroyables, pêcher les petits poulpes en glissant ton pied entre deux rochers, courir sans sandales, danser avec les algues vertes, plonger dans les matelas de varech, rire de la brûlure du sable, dormir au bord des vagues enivrée par l’odeur d’iode. C’est pour ça que tu es ici, pour cette odeur d’iode, cette odeur de vie, pour te cogner au bleu compact du ciel zébré par les traits blancs des réacteurs, ballet dessiné des chemins de vie qui s’estompent comme dans ta tête. Peut-on ne pas aimer sa fille ? Tu l’as bien reçue, toi, cette lettre ou ta mère écrivait sa surprise de ne plus savoir ce qui s’était passé dans sa vie le jour de ta naissance… Elle aurait pu mentir, inventer une foulure au poignet, non, elle avait formulé l’incroyable, elle t’avait oubliée ! Aujourd’hui il te reste Cécile.

Tu as marché sur beaucoup de trottoirs dans beaucoup de villes, tu as même rapporté un pavé de Prague, tu as souvent rapporté des choses inutiles, morceau de lave d’un volcan, graines de jacaranda, rose des sables. Maintenant tu regardes plus tes pieds, alors pour la curiosité tu t’arrêtes souvent. Et puis la chaleur du trottoir qui monte dans tes jambes, ça mérite parfois une pause. Tu connais l’emplacement des chaises, des bancs, c’est embêtant parce que tout est fixé au sol, mais bon c’est bien placé. Tu t’assieds non loin du manège, les basses te cognent au cœur, les larmes tournent, tu t’accroches au crépuscule qui tombe sur les pierres dorées dans une odeur sucrée, des crêpes sans doute, au chocolat. Tu aimes ne pas avoir d’heure, on parle des insomnies de la nuit, mais celles du jour parfois c’est pire, tu aimes marcher jusqu’au square du Sémaphore, tu es passée maître en vagabondage d’esprit, tu admires tes chers palmiers, et, rituel immuable, tu froisses quelques feuilles de lantana, rugueuses au toucher, mais respirées elles t’offrent un effluve fort de Méditerranée. D’ailleurs au fond de tes poches dorment des brins séchés, lavande, menthe, sauge ou thym … Quand tu les touches ils te rassurent. Toucher du doigt la vérité, les vérités auxquelles s’ancrer pour continuer, la vieillesse, quel essentiel pour tenir dans la vieillesse. Cri des mouettes, rires ou alarmes ? Marcher dans sa tête qui marche dans ce monde qui marche sur la tête.

Au bout de la rue, enfin la découvrir, elle, la Bleue, même quand elle est grise ou verte, ça te fera un bien fou, déjà tu la sens quand les grains de sable se déposent sur le bitume, le vent les pousse puis les efface, comme ta vie. Prends des notes, maman, note, c’est Cécile qui note quand elle vient, les post-it, les petits papiers pliés en quatre dans mon sac, ma menotte ne note pas. Donnez nous aujourd’hui notre main, notre pain quotidien, seigneur, Belle du Seigneur, fil d’Ariane, fille, Cécile ma fille, les chansons qui courent ça je n’oublie pas. Elles sont dans les oreilles, dans le cœur, dans le ventre, dans les chansons on ne dit pas ma fille tu m’as déchiré le périnée et j’en souffre encore aujourd’hui… Bleue, et c’est rien dire bleu tant il y en a des bleus, la Grande Bleue m’accueille, accueille les pieds les chevilles les jambes les genoux les cuisses le sexe le ventre, progressivement, une autre fois je pourrais m’y jeter d’un coup contre une vague, gifle violence aussi faut pas croire, jusqu’à boire la tasse, la gorge et les narines envahies suffoquer. Mais aujourd’hui douceur, à l’instant vague à l’âme, c’est peut-être ça Alzheimer, le vague à l’âme déferle plus fort que tout, comme ailleurs la mer monte, sauf qu’avec elle tu peux choisir d’y entrer ou pas, tu peux choisir, tu mesures ton temps, le temps de ton corps, ton corps mesure le temps pour apprivoiser le froid ; la taille, le creux des reins, les épaules, reste la tête, un bain n’est pas un bain sans la tête sous l’eau, l’étau va serrer le cou, les tempes, engloutir les yeux, le front, encercler le crâne, ça y est tu auras tout apprivoisé, à toi la liberté de nager. Même l’hiver. Ce serait ça, l’hiver dans ta tête, Alzheimer, tu vas l’apprivoiser comme tu sais faire pour l’eau, allez, va nager dedans, tu en sortiras.

Bande de jeunes sonore et joyeuse revenant de la plage, jeans troués, tee shirt blanc ou sweat noir, uniformes, bonsoir madame.

C’est bien de longer le canal, tu peux jouer avec le vertige que tu pourrais t’y jeter dedans un soir, une nuit, une tombée de nuit. Clémence est tombée à l’eau la nuit dernière, s’est noyée à l’âge de soixante-seize ans. Un peu jeune pour mourir, non ? Alors nager, atteindre la bouée jaune, la limite du permis. À quoi vous autorisez-vous ? À vous offrir ce bouquet d’agapanthes à la sortie du cinéma, consolation des pleurs sur le trottoir dans la lumière d’été après La vie des morts, le premier film de Desplechin ? À mourir seule ? Seule comme Mathieu contre son arbre, c’était un chêne magnifique, un bon vieux chêne solide et protecteur, protecteur et tueur d’enfants, de mon enfant. Un père ça protège normalement. Le pont tournant sur le canal autorise à passer ou pas, il s’ouvre ou il se ferme, tu attends, tu entends le musicien sur le trottoir, comme c’est surprenant ici une suite de Bach au violoncelle, tu écoutes, il faut choisir la musique pour les enterrements, pour ta mère c’était Gorecki, pour Mathieu c’est son père qui a choisi, j’étais pas en état, j’avais dit oui, oui, fais comme tu veux ce sera bien, je ne me souviens pas, c’était quoi ? Pas Bach en tous cas. Un rire peut être fou. Une odeur de poissons se mêle à celle des oignons frits, non pas de poisson, plutôt de seiche, autrefois ta mère vous régalait avec les seiches dans leur encre noire, comme ce restaurant à Venise sur la Giudecca, tu as toujours su mieux voyager avec tes amis qu’avec tes amants.

Et puis revenir et cultiver son jardin. La voilà ton épitaphe : elle a su nager et cultiver son jardin. Ou : elle se levait chaque matin dans le premier jardin du monde. Non, tu n’es pas si prétentieuse. Ici la terre est ingrate, toujours quand le sable s’y mêle, pas bien sûr comme dans le monde aride, tous ces lieux de tous ces continents où les hommes ont du mal à s’inscrire dans le sol. Vivre, choisir la plante qui va bien pousser là, à cet endroit précis là que tu as choisi ou que d’autres ont choisi pour toi, être poussé à l’exil ou s’exiler. Ici c’est la réconciliation. La maison, les miroirs pour réfléchir la lumière d’une pièce à l’autre, les vitrines quand tu marches dans la ville. Les reflets me renvoient la silhouette d’une femme que je ne connais pas. Sauf dans les vitres du bistrot de Germain.

 

18. La seconde où elle a compris


proposition de départ

Il pleuvait, un vrai déluge, c’était sur un Boulevard, Montparnasse probablement, leur quartier souvent. Lui de dos, haute silhouette noire, long manteau de cuir, démarche affirmée, rapide, nerveuse, c’est lui qui a le parapluie, elle, elle suit, bientôt loin derrière. Pourquoi se sont-ils disputés ? Arrête de te tordre les chevilles, c’est insupportable ! Il a crié sans se retourner. Il l’a vue ? Entendue peut-être, c’est la deuxième fois qu’elle a trébuché, chuté presque. Il ne marche pas, il trace. Elle avance, se soumet, comme aimantée. Qu’est-ce qu’ils foutent là ? Il est tard dans la nuit, tout est fermé, même les bars. Soudain, très précisément dans son œil, des lampes vertes de bureau éclairant pots de pigments, pinceaux de toutes tailles, tubes d’acrylique, feuilles de papier dessin, carnets et boites d’aquarelle. La vitrine de Rougier & Plé. Donc ils sont Boulevard des Filles-du-Calvaire, c’est quand elle habitait vers Bastille, alors c’est chez elle qu’ils allaient. Il creuse la distance, elle craint d’aller vite avec ses chaussures à talons sur le trottoir mouillé, pourtant ce n’est pas à cause d’elles qu’elle se tord les chevilles, ni à cause des feuilles tombées des platanes, c’est ce découragement qui l’imprègne, ça lui coupe les jambes qu’il ne l’attende pas, qu’elle ne puisse pas avancer à côté de lui. Plus jamais sa main ? Ses larmes dégoulinent, se mêlent aux gouttes d’orage, tout luit, tremble, bascule, le corps comprend avant la tête, il ne l’aime plus. Une seconde, une éternité.

Beaucoup torturé les méninges avec cette proposition… Finalement choisi le premier petit rouage de la première note pour Clémence de la #7. De quoi elle se souvient ? Maintenu aussi de la #7 l’exercice des temps passé et présent articulés. (Fin de l’atelier, on révise, et puis si je continue ce travail sur ce personnage qui perd la mémoire ça peut servir !) Finalement, le vrai n’est-il pas simplement le juste, le à quoi on y croit ? Et puis le style… et puis le rythme qui s’accorde à la situation…

17. Ce ne sera pas


proposition de départ

Sans histoire à raconter, qui en vaille un peu, à peu près, absolument la peine.

Sans asséner de message encore moins de leçon.

Sans poésie, pas celle pour faire joli, les fioritures, la guimauve. Seul le sensible.

Sans la sensation des espaces, des paysages vus du dedans. Pas de descriptions interminables.

Sans monologue(s) intérieur(s)

Sans la traque au mot juste. Sans rature, repentirs, gratter sous la rature, parfois revenir au premier tout neuf.

Sans personnages, plusieurs, destins croisés ou solitaires, sans que je devienne elle, lui, et elle, lui deviennent je, que finalement on s’en foute. Pourvu que vivent les ressemblances, les différences. Les singularités. Et pourvu que les liens, d’amour ou de haine.

Sans savoir en commençant.

Sans aimer les personnages, enfin les personnes, même les plus sombres, sans chercher au profond le dégoût la honte la haine la saloperie. Et puis l’humanité. La joie. Avec tous, qu’ils habitent le temps, leur temps, merci à vous, Novarina.

Sans titre tout de suite, ou alors exceptionnellement.

Sans le corps, les corps, sans lier les mots dans les têtes et les corps.
Profération à l’intérieur.

Sans voix, plusieurs, musique, rythme, chanson, silences.

Sans lire à voix haute.

Sans les couleurs, toutes, des voix, de la peau, des paysages, du jour, de la nuit.

Pas sans respiration, sans sueur, sans odeurs, cheveux, cou, aisselles, ventre, sexe. Et toutes les autres, de la cuisine de l’enfance à la terre des saisons…

Sans écrire dans le désordre, les bribes comme ça vient, composer après, au risque que jamais ne pas…

Sans doute ou avec, mais pas de découragement.

Sans laisser la main tracer, des fois elle sait très bien toute seule.

Sans confiance au travail souterrain, rêve, demi-sommeil, insomnie.

Sans les surgissements des lectures, se laisser traverser par Duras, Cabre, Pessoa, Murakami, Lowry, ceux qui viennent là sans réfléchir, et tant d’autres, selon… Comme par les images des films, les mêmes histoires, toujours, dont heureusement souvent on a oublié la fin, les mêmes mais à quelque nuance près. Travailler les nuances, c’est ça. Les nuances, le ton, la forme, l’authenticité.

Sans deviner, à un moment donné, que c’est peut-être bien de ça qu’il s’agit, oui, alors creuser le sillon.

Sans recherche sur Internet des heures entières.

Sans passer de la main à la souris, version 1, version 2, version 3, version 4 etc…

Sans dictionnaire des synonymes ni remercier Crisco.

Sans relire, relire encore, précision, concision, épure, couper, couper, couper.

Sans se perde et s’y retrouver.

Pas sans lâcher, renoncer.

Pas sans, un si beau jour, s’arrêter.

Pas sans le culot, le toupet, que c’est bien soi, bien de soi cette affaire-là, l’ambition que ça pourrait se lire, se montrer, s’éditer, être lu…

Codicille : Bien eu le temps de procrastiner pendant ces vacances (tiens, pas mis dans la liste : sans procrastiner, je devrais rajouter !) donc rêvasser sans prise de notes. Finalement rien ne vaut de s’y coller, laisser le phénomène associatif à l’œuvre…

16. Notes de soi à soi dans les creux d’une fiction en cours


proposition de départ
1

Le double mystère du début d’un Alzheimer, pour la personne qui y sombre et pour l’entourage. Reconnaissance d’une réalité qui se brouille et se débrouille d’un côté, déni voire accusation de l’autre, souffrance et violence des deux. Avec tentatives, partagées ou décalées, d’apaisement. L’évolution différente d’une personne à l’autre autorise les retours en arrière, les souvenirs, inventions, distorsions.

2

La mer, l’origine et la fin.

3

Le mistral, pour les anciens aussi la bise, on disait La bise souffle. Bail de 3, 6, 9 jours. En Camargue, les taureaux d’une manade se serrent les uns contre les autres, tête baissée, cornes face au vent.

4

Le massacre des Italiens : l’évocation de Germain des blessures de son arrière grand père est relatif aux émeutes de 1893 à Aigues Mortes.

Adelmo Barattino est venu du Piémont pour travailler à la Compagnie des Salins du Midi. Battage et levage du sel. Traité de Rital voleur de travail, il a été blessé dans les émeutes (10 morts et 50 blessés) Il est cependant resté dans la région. (Son fils, Antonio, sera embauché dans un garage, qu’il reprendra, dans lequel Germain jeune homme travaillera.)

5

Joutes nautiques : Le but du jeu consiste à envoyer son adversaire à l’eau au moyen d’une lance. Jeu très codifié qui attire beaucoup de passionnés, côté jouteurs et public. Dans les ports et canaux de Provence et autres régions de France, et d’ailleurs.

6

La fragilité serait le mot clé du roman. Celle dont on hérite. Celle créée par des évènements. Il va falloir naviguer… Comme la fragilité n’a pas d’antonyme, on a tendance à l’opposer à la force, comme la faiblesse. Mais non, on peut être fragile sans être faible, c’est ça qui est intéressant. (Jean Louis Chrétien dans la revue Esprit : il n’est nulle force qui n’ait sa fragilité)

Clémence a une fragilité d’héritage, de par la personnalité de sa mère, et une fragilité d’évènements, la guerre d’Algérie.

Pour Germain les évènements sont anciens, l’entourage familial a été bienveillant. Il est plutôt costaud.

Fragilité de la fille au CDD, impulsive rebelle vulnérable. Chômage des jeunes, dichotomie du Tout tout de suite possible virtuellement et rien possible dans la vraie vie. Elle se cherche une passion et admire le sculpteur de sable qui existe dans l’art éphémère.

Fragilité du mec qui a rendez-vous, il fuit son âge dans la drague de jeunes filles ou jeunes femmes qui le rassure.

L’homme adultère, même genre, mais lui met en acte une sorte de Donjuanisme, technique éprouvée du besoin de plaire, coq qui parade et attend d’être choisi. Beau parleur.

Fragilité d’Adrien pas à l’aise avec son homosexualité.

7

Les amants de Clémence : beaucoup d’hommes mariés, le rejet est compris dès le départ dans l’addition. Son mari à elle comme un frère.

8

Géographie familiale : côté paternel pleine de labeur et rudesse. Généalogie maternelle aux hommes absents ou morts, la mère barre la rencontre de Clémence avec son père.
Clémence pas la même histoire maternelle avec sa fille et avec son fils.

9

Géographie extérieure méditerranéenne, sauf une incursion mutation dans les terres.

10

Géographie intérieure, sens de l’esthétique et du créatif. Jardin magnifique.

11

Récurrence de la nage, l’histoire du corps dans l’eau, point d’ancrage et de réconciliation de Clémence avec elle- même. Liemotiv.

12

Construction pouvant s’articuler sur la mort et la vie du noyé, ou de celle de la femme avec qui il passe passait ses vacances ?

Codicille : comme c’est venu après digestion de la consigne et lecture de quelques contributions… peut-être que ça ressemble trop à des notes d’auteur… mais sans doute utile. À suivre…

15. Adrien


proposition de départ

Ni dehors ni dedans, juste à la bordure de la terrasse, c’est là qu’il se tient le plus souvent. Silhouette mince, presque sèche, assez grand, une certaine allure. Ici, pas de chemise, un tee shirt blanc et le gilet noir par dessus, ce gilet il l’a depuis son premier emploi, certaines poches sont lustrées par la monnaie prise ou rendue, il sait maintenant reconnaître les pièces jaunes ou blanches au poids et au toucher. Les pourboires, il y en a peu, iront dans la poche du jean. Jean foncé et toujours propre, avait insisté Germain, et plus que blanc le blanc du tee shirt. Attentif au moindre mouvement, au moindre geste, il préfère devancer les appels, scrute, démarre à l’impulse, arrive à la table avant que ne soit prononcé Garçon, s’il vous plait ! Il n’aime pas qu’on le sonne. Il n’aime pas non plus les phrases toutes faites, Et pour ces messieurs dames ou Qu’est ce que je vous sers ? Alors il observe à qui il a affaire et ajuste en fonction du client. Il est assez fort à ça. Il reconnaît une personne dès la première fois qu’elle revient, Germain a tout de suite repéré que c’était un gars à fidéliser la clientèle. Il a toujours les cheveux courts, légèrement bouclés, le regard clair derrière des lunettes. C’est sa coquetterie, les lunettes, il change la fine façade métallique colorée de la monture, selon les jours, en fonction de son humeur et du temps. Il avait quitté l’école hôtelière de Thonon avec regret, le regret de n’avoir pas osé avouer qu’il était amoureux d’un première année qui avait démarré tard dans la saison, qu’il avait pris sous son aile, enfin, en tutorat. Il avait eu peur que ça dérape, trop peur d’être rejeté. Il avait fui. Il avait regretté longtemps. Il n’y pense presque plus, sauf s’il en rêve. Ici, pas de danger, une seule serveuse faut voir comme, pas de goût au métier, pourtant assez adroite au plateau chargé, mais du goût à rien dans la vie, ça se sent, il lui fait signe de temps en temps pour être sympa, mais sans plus. Quelques échanges minimum, un petit coup de main si besoin tout de même. Professionnel.
C’est bientôt la fin du coup de feu de midi, il fait chaud, il commence à sentir ses jambes qui tirent, les sneakers confortables n’allègent pas le piétinement. Ce serait bien d’aller marcher dans l’eau, mais il n’aime pas avoir du sel sur la peau, ou s’étendre sur le sable, mais trop de soleil, les allers retours serviette-mer des touristes ce n’est pas pour lui, et il faudrait pouvoir se rincer avant de reprendre le service. Alors il attendra ce soir, chez lui, une bonne douche, faire couler l’eau fraîche sur ses jambes, les allonger sur la table basse du salon, il y aura peut-être un film sympa à la télé, ou alors choisir un DVD, de toute façon il s’endort souvent avant la fin.

Codicille : C’est le garçon du Provençal évoqué dans la #1, qui en faisait un peu trop dans l’affable. Dans son portrait, là, il a gagné un peu d’épaisseur et du galon dans le métier. Ce qui est difficile avec cette non empathie, c’est l’impression parfois d’être sur un fil entre l’intérêt (sans implication) et l’ennui (à éviter tout de même, à l’auteur comme au lecteur !) Tenté de ne pas basculer, d’être funambule…

14. Lettre de Mathieu à Clémence


proposition de départ

Maman, tu vas trouver bizarre que je m’adresse à toi, non par mes habituelles incursions dans tes rêves, mais dans ton demi-sommeil du matin. C’est que je veux que tu te souviennes de mes mots. Il y a longtemps que mon esprit ne t’a pas rendu visite, je sais que cela t’affecte et te manque, que le tien se dilue parfois dans l’espoir de créer un espace flottant où tu pourrais me rencontrer. Ne te rends pas malade, Mum, ça ne marche pas comme ça. Nous, les morts, sommes tellement loin, totalement inatteignables par les jeux de spiritisme auxquels certains veulent croire, par vos appels désespérés, par vos fatigues exsangues après tant de larmes… Ce n’est pas que nous n’y soyons pas sensibles, c’est que vos mots sont chargés de chair et de sang alors que nous en sommes dépourvus, les nôtres planent dans une sphère musicale emplie de souffle et de songe au cœur de nos silences clairvoyants. Mais je peux retrouver leurs signes. Au début je t’ai visitée souvent, je ne voulais pas que tu deviennes folle, ce qui se passait dans mon corps m’occupait pourtant beaucoup, oh comme il serait préférable qu’on nous allonge directement dans la terre, c’est fou tout ce qui se passe dans le corps d’un mort, surtout le mien avait été tellement rabiboché après l’accident, vaine tentative de le rassembler par broches plaques et vis qui d’ailleurs ont été rendus à leur état de ferraille lorsque je suis devenu poussière. Parfois cette lourdeur me gêne pour vagabonder…

Alors pourquoi m’adresser à toi après cinquante quatre ans neuf mois et vingt-cinq jours ? Oui, je sais que tu ne les comptes plus, tu as pris cette décision en même temps que celle de vivre tes vieux jours au soleil, celle de fleurir ma photo le jour anniversaire non de ma mort mais de ma naissance. Je t’en ai d’abord voulu de me quitter, puis je t’ai admirée pour ce courage de partir, et même je te remercie de m’épargner les couleurs du carnaval de la Toussaint.

Alors voilà, il y a deux raisons à cette missive. La première, c’est que, qu’elle m’excuse de la trahir — tu nous avais pourtant appris à ne pas cafter, tu te bouchais les oreilles quand on venait se plaindre de l’autre, oh, je n’entends plus rien, c’est bizarre, plus rien du tout !… — Cécile prend des renseignements sur la concession, c’est drôle, j’aurais cru que ce serait toi qui le ferais, du coup il y a péril en ma demeure et je risque de perdre sinon ma place du moins ma tranquillité. Pratique, remarque, plus besoin de la réduction du corps ! Je devrais m’en foutre, évidemment, mais il n’en est rien. Faut croire que les rivalités de territoire transpirent l’archaïque au-delà des vivants, peut-être un lambeau de triviale humanité ?
La deuxième est plus difficile à formuler, il y a bien quinze ans, même vingt, que j’aurais pu le faire mais j’ai eu peur de te faire mal. Le chemin a été long qui m’a permis de m’avouer que ce n’était pas au sort que j’en voulais, à la faute à pas de chance, ce virage, la chaussée glissante, l’arbre au bord de la route, mais bien à toi, Mum. Cette façon que tu as eue de me protéger, de me surprotéger, d’être toujours là pour moi, toujours et tout le temps… Va mon petit chéri, fais bien attention de ne pas tomber… Cette façon de répondre à ma place, de savoir ce qui était bon pour moi, de contrôler sans cesse… c’est peut-être pour cela que je n’ai pas vraiment grandi. C’est peut-être pour cela que j’ai tout fait pour obtenir de Papa cette moto d’une cylindrée si grosse, à l’image de mon besoin d’indépendance…

Tout ça, vois-tu, je sais très bien que tu le sais, que tu te l’es dit mille fois, que tu l’as mâché, remâché et que ça te ronge encore. Ecoute-moi bien, écoute ton fils devenu si grand, si sage : Aujourd’hui, ton corps faiblit, ta force mentale a besoin de rester intacte, il ne faut surtout pas que cette culpabilité te prive du désir de te battre contre la maladie. Alors sois sûre, absolument sûre, que je ne t’en veux plus. Il faut que tu vives, Maman, que tu continues à vivre avec cette certitude-là, que tu gardes en toi la mémoire, ta mémoire de moi, de ma présence dans ton œil, dans tes mains, dans tes sourires, que tu me portes encore un peu, vivant.
Ton fils qui t’aime,
Mathieu.

Codicille : Beaucoup d’hésitation sur le choix du mort, deux autres bataillaient, et je bataillais aussi, un troisième les a coiffés au poteau. J’ai essayé de donner du corps à ce mort, sans tomber dans les détails morbides… du corps et de l’esprit. Pas trouvé de titre, donc au plus simple.

Quant à la proposition intéressante de repérer à la relecture la tonalité de ce qui précède… pas très forte à cet exercice… alors laisser encore aller un peu… la fin de parcours approche, faudrait peut-être se ressaisir !

13. Petit papier plié


proposition de départ

Le fait que j’aime marcher dans la ville, le fait que marcher dans la ville j’ai toujours aimé ça, le fait que j’ai marché dans beaucoup de villes, qu’aujourd’hui elle est petite et ça me va, le fait que nous ne vieillirons pas ensemble, qu’il y a longtemps qu’on le sait, le fait que mon mari ait perdu nom prénom dans la bagarre du divorce pour devenir le père de mes enfants, mon ex, le fait du coton dans ma tête mais pas dans mes jambes, le fait que coton dans la tête devant le petit papier plié en quatre, le fait de le déplier, de reconnaître l’écriture de ma fille, le fait que Cécile soit ma fille, que ma fille soit Cécile, le fait que je lui demandais t’as bien tout dans ton cartable et je vérifiais, le fait que mon fils soit mort et moi aussi en morceaux avec lui, le fait que j’ai enterré son prénom au plus profond de mon ventre, le fait que pourquoi on continue à avancer, le fait qu’Ebru Timtik soit morte au deux cent trente huitième jour de sa grève de la faim, qu’une femme puisse puiser autant de temps dans son corps, le fait qu’elle ne demandait qu’un procès équitable, le fait que d’autres avaient tenu trois cents jours et que ça n’avait rien changé, le fait qu’on se donne bonne conscience en signant des pétitions inutiles sur les réseaux sociaux, le fait que je mélange tout, je pose tout et je retiens rien, le fait que je n’ai pas envie de retenir, plus envie de jouer à la vie, le fait que le bain de soleil sur un banc face au port me distille le goût de respirer, le fait que Paul voulait un cartable tout neuf, pas celui de sa sœur, le fait que je n’ai jamais voulu jouer à la poupée et que ce sont les petits frères qui en ont hérité, le fait que dans la même famille un OAS et une gaulliste ça finisse en tranchées autour de la table, bonjour l’ambiance, le fait que toutes ces adresses de ma vie à cause de la première interdite de retour, le fait que perdues les amitiés de l’enfance et de l’adolescence, le fait que le petit bout de papier plié en quatre se déplie, qu’il ait été arraché d’un cahier à spirale, le fait que j’aimais bien William Sheller, j’ai encore perdu ton amour tu sais, tant pis pour moi j’étais un peu distrait, le fait que les cahiers à spirale c’était pratique pour prendre les trous pour les cœurs des fleurs que je dessinais en écoutant les cours de philo, le fait qu’il y a eu les rues d’Aix avant celles de Paris, le fait de l’enthousiasme de 68, le fait qu’une semaine avant mai notre groupe de théâtre avait choisi le thème de la révolte, que dans l’improvisation supporter l’humiliation jusqu’à la révolte je m’étais cassé un bras pour de vrai, le fait que les slogans situationnistes m’enchantaient, sous les pavés la plage, écrivez partout, le fait que j’étais seule, connement seule dans la maison désertée, à regarder les images de la chute du mur de Berlin, le fait qu’être deux je ne comprenne pas bien, ni décidément pas grand chose à l’amour, le fait que les rues ici sentent l’iode et le vent du large, que vraiment c’est si joli vers le canal, le fait que Germain me dise en souriant que ça fait trois fois que je viens aujourd’hui, le fait que je n’ai pas envie de rentrer chez moi, où il y a des petits papiers partout, pas des papiers pliés en quatre, des post-it de couleur avec des mots, même qu’il y en a un avec le plan de la maison, pas envie de rentrer chez moi pour entendre Trump Ça finira par refroidir ou Hannibal nostalgique du Reich, le fait qu’alors je vais m’installer là, encore une petite glace au cassis, ça me fait du bien le sourire de Germain.

Codicille : Ce codicille en rejoint beaucoup d’autres sur le fleuve qui coule ou la vanne qu’on ouvre, la sensation que ça pourrait n’avoir pas de fin… Mais c’est en apparence seulement facile, on aurait besoin de lumière dans les mots contre la rigidité de la répétition de l’injonction, et ça, ce n’est pas gagné ! Choisi de retrouver le personnage de Clémence.

12. Soleil, plus que présent


proposition de départ

Ni réveil ni sommeil surtout ne pas choisir non tenir le fil funambule jusqu’à l’effacement fil emportant pensée conscience le suivre ce fil du frémissement ténu de la vie vivante chaude chaleur autour vague énorme de chaleur tout autour frontière de la peau pénétrée de tous côtés mille fois de mille côtés par mille minuscules aiguilles caressantes

Visage sommet du nez montagne dominant plaines joues collines lèvres et la langue décollée du palais offre un gouffre un lac paisible au fond dedans nos siècles d’abondance

Éblouissements dans les paupières de chaque paupière coulent s’écoulent des larmes lascives elles traversent les tempes se perdent vers les oreilles arrosent les racines des cheveux nourrissent les clignements des yeux fulgurances prisme de points jaune rouge vert violet noir ponctuation du noir entre vert noir violet noir jaune noir noirs lumineux scintillements feux d’artifice infinis dans l’œil microscope avec variations inépuisables de cellules infinitésimales grouillantes baladeuses dans le vif

Plus de voix plus besoin de voix ou seulement une mélodie souterraine mélodie grave bercement ancien le rejoindre sombrer au profond de soi guttural archaïque non pas peur accepter

Dos large largesse enfoncement dans le sable formes ajustées épousées épousailles peau chaleur air ici là-bas air s’étire air s’évanouit pour mieux entourer envelopper enrober tandis que des millions de particules au plus profond envoient la sensation d’un compact humide et pourtant pourtant toujours au-dessus la douceur chaude la chaleur forte la brûlure brouilleuse de repères géographie du corps absente dissoute diluée je pèse des tonnes

Offrande au soleil des épaules poitrail seins patience douce patience attendre un peu attendre toujours attendre encore l’insupportable n’arrive jamais c’est qu’en deçà le cœur battant le cœur battant dessous le cœur battant ralenti battant à fleur de poitrine et soudain emballement admettre l’arythmie respirer ample calme soulèvement des chairs rondes accordées au flux et reflux des vagues musique des commencements

Flux et reflux des battements dans le ventre dans le sexe chaud accueillant la caresse du moindre souffle de vent accueillant les images amantes pénétrantes jouissantes

Flux et reflux du pouls dans les tempes bam bam écoute du corps entier traversée de la terre au ciel bam bam écoute du monde étiré sous le fabuleux soleil bam bam, soleil à conjuguer au plus que présent on devrait l’inventer ce temps plus que présent rester là de tout son corps de tout son être dans ce temps là jusqu’à l’usure éblouie de cette sieste féconde

Sans fin.

Codicille : Après la # 11 où les mains étaient dans l’immobilité de la mort, j’ai tout de suite su que ce corps immobile serait du côté du vivant. Quelques exercices pratiques et petit brouillons pendant les vacances, et me voici à l’écriture dans une journée pluvieuse !

Texte sans aucun doute pour l’oralité, la lecture à voix haute lui donne son rythme.

Me rend compte que j’ai utilisé pas mal anadiplose et anaphore, certainement une façon de me bercer. Du mal avec le titre...

11. Fleurs de cimetière


proposition de départ

Clémence regarde ses mains posées sur la table du bistrot. Cette impression de ne rien tenir… Elle entend encore la voix de Cécile tout à l’heure au téléphone : Oh, mais maman, je te l’ai déjà dit, tu ne t’en souviens pas ? C’est surtout le ton qui blesse, impatient, déçu, agacé. Elle l’a même formulé : C’est agaçant, à la fin ! Dans l’œil de Clémence tout à coup les mains de son père. Elle était accourue dès l’annonce. Lui, pas de chevet, le cœur s’était arrêté comme ça d’un coup, c’est ce qu’on appelle une belle mort, celle qu’on se souhaite, mais personne pour lui tenir la main à cet instant précis-là. La mère avait appelé le frère, les deux ensembles pour la toilette du père, le frère avait appelé Clémence. La voilà dans la chambre, ses mains à elle sur ses mains à lui encore tièdes, sentant arriver la raideur et le froid. Mains peu tenues vivantes, mains malentendantes si longtemps, trop longtemps, maintenues à distance par la mère, jours après jours, mois après mois, années après années, influencées à la guerre, la guerre c’est ce qu’ils ont su le mieux se faire. Leurs mains, donc, se touchèrent peu. Heureusement réconciliées quatre pauvres années avant la fin, c’est à ça qu’elle préfère penser, à ces paroles échangées tard sur le regret partagé de leurs malentendus. Elle caresse les os sous la peau devenue fine. L’année dernière, il avait tenu à l’amener au cimetière, fier de lui montrer le tombeau de marbre gris brillant neuf, les anciens noms des absents fraîchement gravés en lettres d’or, des colonnes vides pour les suivants, elle n’avait pas osé lui dire qu’elle trouvait ça pompeux, qu’elle préférait les morts dans la vraie terre. Quand il avait dit : Tu vois, un jour, tu seras allongée là, toi aussi, à côté de moi… elle avait répondu : Tu sais bien que je veux être incinérée. Non, il ne savait pas, il ne voulait pas savoir. Il lui proposait un pacte éternel qu’elle n’avait pas voulu entendre. Quelle conne, non mais quelle conne ! Elle caresse doucement les mains, c’est au regret que les larmes coulent.

Trente ans plus tard, la couleur des regrets s’est estompée, le soleil d’ici sèche vite les larmes, petites traces blanches de sel sur la peau dans l’été. Germain vient lui-même débarrasser la table et lui apporter un nouveau verre d’eau, les glaçons tintent, son regard est insistant : Ça va, ma toute belle ? Bien rêveuse aujourd’hui ! Aujourd’hui… Aujourd’hui, elle n’a que cinq ans de moins que son père à la date de sa mort, incroyable, ce n’est pas possible, non, elle ne veut pas, elle se sent jeune, pleine de force. Même si ses mains lui font penser à celles de sa mère, le chemin boursouflé des veines, les articulations épaissies, la peau mince parsemée de fleurs de cimetière, ça, fleurs de cimetière, c’est la mère de son père qui les appelait comme ça. Ça veut bien dire ce que ça veut dire, non ? avait-elle répondu à sa curiosité de petite fille, on va mourir et puis voilà. Cette femme avait élevé son fils à la dure, élevé pour trimer toute sa vie, les mains jamais au repos. Il avait tellement bien entendu la leçon, même dans les moments calmes les petits bruits de vie de ses doigts, gestes de bercement de soi pour soi, tintements des pièces de monnaie dans une poche de pantalon, sons secs des ongles d’une main frottant ceux de l’autre, un limage permanent, d’ailleurs ils étaient beaux ces ongles, joliment bombés et toujours propres. Les mains aussi, soignées à n’en pas croire leurs labeurs, ébénistes, mécaniciens, peintres, jardiniers, musiciens, même son écriture était précise, ciselée, élégante. Après toutes ces années, elle saurait encore imiter sa signature.

Et puis il y a eu ce jour, ce beau jour après la mort de la mère quinze ans plus tard, où elle était tombée sur cette photo aux bords déchirés, combien de fois l’a t-elle scrutée… Elle a peut-être à peine deux ans, elle est assise, blottie à hauteur des hanches de ses parents appuyées sur un muret. Clémence tournée vers son père, levant une frimousse si expressive, regard et rire radieux, et lui, tenant la main de sa fille petite dans la sienne, tout penché en tendresse. L’autre menotte est posée sur le bras de sa mère qui les regarde en souriant. De tels moments ont donc existé, avant que les mots ne distillent leur poison, la chaleur était là.

Clémence fait un signe à Germain, elle reprendrait volontiers un brin de ce délicieux sorbet au cassis, avec un soupçon de chantilly pourquoi pas, et oui, merci vous êtes tellement gentil avec moi, encore un verre d’eau fraîche. Elle a bien le temps, personne ne l’attend.

Codicille : pris au pied de la lettre la fin enregistrée de la proposition : « Et les mains des morts, avez-vous touché les mains de vos morts ? C’est peut-être un point de départ. » Très touchée, c’est le cas de le dire, par ça. Alors repris le personnage de Clémence, la femme qui oublie… pas tant que ça, pas les mains en tous cas. Beaucoup de temps à rêvasser tourner procrastiner avant d’écrire… par touches…

9. On entre dans les carrières comme dans une cathédrale


proposition de départ
1

D’abord la lumière oblique, forte à l’Ouest, du côté où les rayons de soleil, filtrés dehors au premier plan par un grand pin, parviennent à entrer, diffractés. Ils ne pénètrent pas très loin, mais c’est suffisant pour réchauffer l’ambiance. Pas l’air, l’air reste frais. Refuge idéal pour ce jour d’été. Lieu magique accordé à l’envie d’étonner, de séduire. Au fond, et du côté Est, une clarté diffuse caresse les piliers de pierre blanche, accroche les arêtes des blocs taillés les uns à côté des autres. Imaginer dans les carrières un compagnon, puis un autre, et encore un, dans la fatigue solidaire des soirs pour que les hommes d’en bas deviennent bâtisseurs.
Trop tôt pour graver dans la paroi une initiale, juste y rêver, en découvrant la frêle flamme verte d’un arbuste, là-bas, tout au fond, soudain éclairé comme par un vitrail. Sourire au miracle de la sève. Accueillir les battements du cœur dans l’attente.

2

Froid. Le froid dans les carrières imprègne jusqu’aux os. La lumière n’y peut rien, ne réchauffe rien. Les pierres transpirent l’humidité. Au sol, amassés on dirait depuis des siècles, les déchets des parois, caillasse ou poussière blanche, obligent à une marche précautionneuse. Crissements irréguliers des pas, alentour le silence. Curieusement une majesté, un envoûtement presque. La lueur tout au fond attire comme un puits où il ferait bon sombrer. Rythme hypnotique dans les ténèbres. Une délivrance au bout du chemin ? Le soulagement d’en finir, peut-être.

3

Quelle drôle d’odeur ! Aucune rue, dans le village en bas, ne dégage une odeur pareille. Pourtant y a des murs partout, comme ceux des maisons des hommes. Mais ici, pas de portes, on peut circuler du dehors au dedans, du dedans au dehors, par des tas d’ouvertures, librement. Pas besoin de permission.
Cette odeur, ça ressemble un peu à celle qui sortait de la cathédrale, avant le changement des pierres du sol avec le chauffage. Ça ressemble à celle des balades du dimanche à la grotte, un peu aussi à la rivière, mais ici y a pas d’eau, pas d’endroit où boire, rien à lécher, pourtant la fraîcheur est là. Peut-être en grattant, en fouillant le sol ?

Bon, alors, si on ne doit ni nommer le personnage, donc pas de il ou de elle, ni ce qui lui est arrivé de beau ou de terrible, je vais seulement évoquer un humain pôle positif, un humain pôle négatif, et un animal…. Dans le lieu qui m’a paru le plus mystérieux…

#8 et #9, au bout du compte, quelle belle occasion de travailler !

8. Comme un chat sur le seuil de la porte...


proposition de départ

TU SORS...

1

On l’appelle Route des plaines, c’est curieux parce qu’on y accède en grimpant de fortes côtes, avec ces virages qui obligent le conducteur non averti à passer en première. Rarement, quelque cycliste téméraire. En haut, on atteindra une seule très longue ligne droite, puis les virages descendront jusqu’à Valréas. Partout, l’homme a détruit les bois de chênes verts pour planter des vignes. Restent les butes, qui contraignent les parcelles à des rangées contrariées. Agrément du paysage, maigre victoire de la topologie ancienne… Au plus haut, une aire de dégagement, vue sur l’écrin du village quitté, vert tremblant gris des oliviers, noir des cyprès, maisons blotties sous le Prieuré, car à Vinsobres, oxymore burlesque, on monte au temple et on descend à l’église. L’été, Route des plaines, lavandes et tournesols sous ciel propre attirent les touristes photographes. Ils ne sauront pas la somptueuse lumière d’hiver, oblique sur les lignes des plants rasés et des sarments endormis.

2

Chaque matin, porte-fenêtre ouverte sur le jardin. Chaque matin, caresse de l’œil sur les rondeurs, des lauriers-tins, de la touffe d’un bambou, de la silhouette japonaise du micocoulier, de la tonnelle végétale abritant la terrasse des petits déjeuners près du bassin, chanson de l’eau, traits rouge vibrant des poissons qui fuient l’indiscrétion et recomposent leur ballet dès le calme retrouvé. Plateau posé sur la patine rouillée de la table ronde, le thé fume, bruit froissé d’une tourterelle qui se pose, se penche, boit la transparence de l’eau. À travers les guirlandes de la passiflore bleue, vue sur les tuiles romanes des maisons derrière les remparts, les pierres claires de la cathédrale, les pierres blanches des carrières de Saint Paul. Derrière les carex et les lotus, le courant a amassé quelques feuilles, jaunes ou déjà brunes, premier signe de l’automne dans l’été.

3

On entre dans les carrières comme dans une cathédrale. La lumière impressionne entre les blocs piliers, plus faible ou forte selon la provenance. Les blocs retirés par les carriers dessinent des rectangles réguliers, superposés jusqu’au plus haut de leurs forces. Ça et là la vie végétale a tenté sa chance, les frêles silhouettes d’un sureau, d’un chêne vert, d’un figuier, surprennent l’espace, apportent un semblant de vie. Plus on avance vers le fond, puis il fait sombre, humide et frais. Sieste impossible cependant, nul confort au sol jonché d’éboulis de pierres et de caillasse. Certaines parois sont recouvertes de graffitis, les éternels cœurs de Paul et Marylise, Stef et Julie, Yann et Vanessa, pour d’autres seulement des initiales creusées, jeux entrelacés, serments éternisés dans la pierre alors que la vie ou la mort les a sans doute défaits.

4

Certains diront que ce n’est pas un paysage, ou alors qu’il est le même, toujours le même, plat. C’est qu’ils ne savent pas regarder, qu’ils n’ont pas le talent de lire la mer. Il faut se poser, attendre, scruter. Non, ne rien attendre. Laisser venir, absorber. Ou bien c’est elle qui vous absorbe, la pensée, le cœur, le corps. Sable, eau, ciel, les lignes se démarquent ou se confondent, selon le temps des saisons. C’est là que tout se joue, se transforme, infiniment.
Pour arriver à la plage, il faut prendre le chemin dans les dunes, franchir le dessin des petites barrières dressées, leurs ombres comme le clavier d’un piano sur le sable, mélodie de chaleur. Elles protègent une maigre végétation, luzerne marine, chardons bleus et graminées, ces petits épis ovales dodus soyeux nommés ici queue-de-lièvre. Marcher dans le sable, un grain, un autre et tous les autres, c’est déjà une grammaire, rugueuse ou fine sous le pied, pieds nus si la chaleur est supportable, à partir du zénith impossible sous peine de brûlure, cris, course effrénée jusqu’au moins chaud près de l’eau, l’aire de ceux qui ne veulent pas trop de sable dans leurs serviettes, qui sont outillés pour enfoncer les parasols dans le sable compact. Ici les parasols, les bleus, les rouges, les jaunes, les rayés, sont rarement hauts car le vent les emporte, on doit les raccourcir et s’aplatir pour profiter de l’ombre. Il faut revenir en arrière pour le sable blanc, fin, le doux velours qui épouse la forme des fesses, des seins ou de la tête. Allongé là, on peut cligner des yeux pour jouer avec l’horizon, ou bien lire, ou simplement rêver.
Franchir la lisière de l’eau, un vrai poème à écrire avec les empreintes des pas qui s’évanouissent, récréent sans cesse le langage de ces fleurs gorgées d’eau mêlé au dessin du ressac, ourlet de minuscules coquillages épousant l’abandon des vagues.
Enfin le dos bien chaud pénétrer dans la mer, et là commencer l’histoire de la nage, cette toute autre si fabuleuse histoire…

…OU TU RENTRES ?

1

Il faut que l’œil s’accoutume quand on passe de la terrasse à la salle. Cela se fait vite car l’intérieur est clair. À gauche, le grand mur a conservé ses pierres, jointe d’une couleur sable. Accrochés, deux lances de jouteurs et un pavois. Une lance rouge et une bleue, installées pour s’affronter. Le pavois doit être très ancien, le décor de la peinture est patiné, sur une moitié unie de nombreuses marques des trous assénés par les tridents d’acier des lances, sur une autre trois initiales. En dessous des tables en bois, peut-être en mélaminé, avec piétements à l’ancienne. Au plafond, un énorme ventilateur style colonial.

En face tout du long, un mur de miroir où se reflètent les rangées de bouteilles et de verres sans quantité excessive. Le comptoir est sombre, devant quatre tabourets hauts au design rouge, au bout la caisse en position stratégique pour œil averti sur la salle et la terrasse. Seule concession pêle-mêle, derrière la caisse un grand panneau d’affichage, de nombreuses photos, certaines encadrées, d’autres pas. Images des jours de fête sur le canal, on y voit les bateaux des joutes, l’effort des rameurs, l’encouragement des barreurs, les affrontements des jeunes blancs chevaliers d’aujourd’hui, triomphants ou dégoulinant d’eau après leur chute.

Le patron de La petite Camargue trône à son poste d’observation, on entend l’accent qui chante.

2

Pour accéder à la porte d’entrée, il faut d’abord tirer à soi une porte moustiquaire, artistiquement bricolée par un menuisier dans un temps très ancien, dont l’énorme ressort rouillé fait encore son office de frein à la fermeture. Un bruit mat cependant dans votre dos, après le seuil franchi une fois poussée la lourde porte de chêne. L’entrée n’est pas grande, en face l’escalier central, dont la pierre doit sa noblesse à la seule patine des allées et venues vers les chambres.

3

Rez-de-chaussée lumineux grâce à l’enfilade des pièces devant les portes fenêtres, aux jeux de miroir, plusieurs, qui renvoient les reflets dans chaque pièce et d’une pièce à l’autre. Le mobilier mélange les styles. Dans la cuisine, miroir ancien doré sur maie en noyer, meuble peint, table massive allégée par la transparence des fauteuils Ghost. Dans le salon, pièce maîtresse, la cheminée ancienne avec habillage contemporain de marbre de Carare, au-dessus un grand miroir baroque en stuc doré, en vis-à-vis d’un autre moderne dépouillé, les deux captant et se renvoyant les irisations d’un lustre en polycarbonate aux couleurs changeantes. Nombreux tableaux. Étagères à musiques et films. Coussins sur canapé.

4

Dans la chambre une commode entièrement recouverte de miroirs biseautés. Armoire Louis XV avec panier de mariée sculpté sur le fronton face à la bibliothèque Ikea vitrée. Les livres bien rangés du fond, par genre et ordre alphabétique, servent de décor aux tranches couchées de ceux qui débordent, qui voyagent même au dehors, s’empilent dans le désordre sur les deux étages des tables de nuit. Certains migreront vers la bibliothèque à l’étage.

Vraiment difficile pour moi de déconnecter un décor d’un personnage… Pourtant bien entendu la dramaturgie de l’attente… chez Gracq, qui dit si bien…

Présentés dans l’ordre d’écriture. Les plus longs, quatrième extérieur et premier intérieur, inspirés par l’exercice #1, début roman, À côté la plage.
Les intérieurs 2, 3 et 4 sont la même maison.

7. notes pour Clémence


proposition de départ

La seconde où elle comprit qu’il ne l’aimait plus :

Une nuit, Boulevard Montparnasse. Arrête de te tordre les chevilles, c’est insupportable ! Il crie sans se retourner. C’est à cause de lui, parce qu’il marche trop vite, c’est lui qui avance avec le parapluie, elle suit, ses larmes dégoulinent, se mêlent aux gouttes de pluie, son corps comprend avant sa tête.

Un jour, son fils eut honte d’elle. Tu sais Maman, c’est pas la peine de venir me chercher à l’école. Pourquoi, mon chéri ? Les autres mamans sont à l’heure. Et puis elles sont pas attifées ou coiffées n’importe comment.

Ils se précipitèrent dans la mer. Une ribambelle qui crie, saute, patauge. Ça nage ou ça fait semblant, ça triche en se haussant sur la pointe des pieds. Regarde, maman, je nage ! Sous le parasol, les mamans sourient et reprennent trop vite la conversation.

Elle eut une enfance au goût d’algue et de guerre. Tout pour la vie, le soleil, le ciel à boire et à manger, la mer tellement bleue, l’horizon dans la main. Tout pour la mort, le qui-vive, la peur dans le dos, le cercueil sous le bras. La méfiance ne vient pas seulement du dehors, elle déglingue l’intérieur aussi. Mais le vernis tient, tu pousses, tu grandis, tu vieillis, t’as dix ans et t’es déjà vieille.

Le jour où on lui apprit la mort de son fils. Elle sait tout de suite, avant même qu’ils ne parlent, dès les silhouettes des flics dans l’encadrement de la porte, c’est la femme qui s’avance, qui va parler. Elle n’a pas besoin d’entendre, la moto, la vitesse, le dérapage. Elle sait. Corps en coton, cœur rétréci avant d’exploser.

Une nuit, elle se jeta à ses pieds. Ah non, pas ça ! dit-il, mais pas question de se redresser, elle n’a même pas honte. Alors il la saisit, il lui fait mal aux bras, il la relève, la secoue. Poupée chiffon punie qui a peur.

L’avion ne démarra pas ce jour là. Tout le jour assis sur les valises, dans la chaleur, le silence, les pleurs. Mais surtout le silence. Ils ont des numéros, on va les appeler, mais tant de monde, trop de monde. Vers le soir, les camions militaires les transportent jusqu’au lycée transformé en campement, les hommes d’un côté, les femmes de l’autre. Les petits frères sont sages, si sages. Ils n’ont pas sommeil. Prendre appui dans les regards, intensément. Respirer, un gramme d’air, un sommeil de plume, quelques instants avant demain où il faudra attendre, encore attendre.

Ils firent des siestes obligatoires et délicieuses. À l’ombre d’une barque, à attendre que les ombres s’allongent jusqu’à l’heure du concours de châteaux de sable. Ils montent les murs et les tours, des coquillages pour les fenêtres, des roseaux pour les ponts-levis, des algues noires pour les chemins et des vertes pour les arbres. Puis c’est l’heure de la récompense. Les gagnants choisissent la couleur du gros bonbon au cœur du rouleau de réglisse.

Toute petite, elle commença à fuguer, puis elle renouvela. Sa mère dit souvent : Clémence, elle n’est bien qu’en dehors de la maison. Pourvu qu’elle soit dehors, sur le palier, chez les voisins, chez les copains, puis en voyage… C’est vrai qu’elle adore être ailleurs.

Avec sa fille, elle ne sut pas très bien non plus la bonne distance. Ce qui marche, ce sont les histoires, lire, raconter, broder, inventer, ça, oui, ça marche. Les corps se blottissent au cœur des contes. Leurs vies imaginaires. Le lien des livres. De l’amour des fleurs et des livres. C’est déjà ça.

Ils se marièrent et n’eurent pas d’enfants. Il est beau, doux, parle beaucoup. Elle côtoie souvent des hommes qui parlent beaucoup. Peut-être pour compenser ses silences. Elle a de l’humour, elle ponctue parfois, ça fait mouche.

Elle prit goût aux amants.

Elle se demanda ce qu’elle faisait là, comment elle était là. Et puis il suffit d’un son, d’une odeur, d’un regard. Le regard de Germain, il y a longtemps qu’elle le connaît. C’est de la bonne pâte.
Elle se sent bien dans ce bistrot, ça fait des années qu’elle vient, depuis qu’elle a choisi de vivre sa retraite au bord de la mer. Sa décision a surpris tout le monde, ses collègues du lycée, sa fille, son fils, son cher fils encore vivant à l’époque, quel âge avait-il donc ?
Tout le monde a essayé de la dissuader, usé de tas d’arguments : tu vas avoir trop chaud… le mistral va te saouler… tu ne connaîtras personne… la vie est chère là-bas… les gens ont l’air sympathique, mais l’air seulement… et puis culturellement parlant, tu seras obligée de faire des kilomètres pour voir quelque chose d’intéressant… sans compter leur accent, de vrais poissonniers. Elle n’a rien contre les poissonniers, elle adore le poisson, même, là-bas ils seraient frais.
Elle a tenu bon. Envie de soleil, de nonchalance, après tout la retraite c’est fait pour ça. Et puis elle ne l’a pas formulé, mais elle en a assez des mêmes têtes, de ces conversations où l’on sait à l’avance ce que les autres vont dire… Elle a biaisé : vous me rendrez visite, les filles, de nos jours rien n’est loin. Les filles sont un peu venues au début. Un peu. Puis rien.
Ça lui revient, tout ça, quand Germain la regarde.

Codicille :

Toujours la femme qui oublie… Certains éléments de sa vie. Curieux mélange autobio et fiction. Me suis pas trop posé de questions. Un élément par paragraphe, dates éclatées. Sans me demander si et comment ça servira. Sous l’influence des lectures de uns et des autres, j’ai commencé un texte plus linéaire avec le personnage de Germain, mais pas fini. Et je préfère envoyer avant la cogitation à la future proposition…

En tous cas, consigne entendue ou pas, délicieux exercice passé simple présent, tenu sauf au dernier paragraphe…

3. tu mets quoi dans ta valise ?


proposition de départ
version brève

 Si tu arrives au centre du village, c’est que tu as raté l’embranchement, fais bien attention, sinon tu es obligée de faire un grand tour. Eh bien, c’est gagné, c’est reparti pour le tour ! Elle savait qu’il fallait arriver avant la nuit, mais voilà, comme à chaque départ, les allées et venues désordonnées dans l’appartement, les vêtements partout, les questions urgentes, quoi dans la valise, chaud ou froid quelle météo, et une piscine, y a t-il ou pas une piscine dans ce bled, ou bien marcher pourquoi pas, où sont les vieilles chaussures de randonnée ? Bon, vérification porte du frigo- chasse d’eau-robinet du gaz, surtout ne pas séquestrer le chat des voisins comme la dernière fois, leur laisser la clé pour l’arrosage, enfin bref, c’est toujours comme ça, pas moyen de décaniller paisible, puis tellement contente d’être ailleurs, complexe la nana, enfin, normale quoi, enfin pas tout à fait. En tous cas ça agace, et ça fait quitter Paris à l’heure de pointe… Heureusement après c’est plus fluide, mais nuit totalement noire, marrant dans les phares tout à l’heure tous ces lapins au milieu de la route après Verneuil, un vrai conciliabule ! Ouf, enfin arrivée, plus qu’à trouver la baraque. –Un chemin à gauche en haut d’une côte, ça monte et ça descend tout le temps dans ce pays, ça s’appelle pas Alpes Mancelles pour rien. Bien la campagne dans la tête à Paris, mais quand on y est…

version longue

Si tu arrives au centre du village, c’est que tu as raté l’embranchement, fais bien attention, sinon tu es obligée de faire un grand tour. Eh bien, c’est gagné, c’est reparti pour le tour ! Elle le savait, pourtant, qu’il fallait arriver avant la nuit, à croire que chaque départ la mettait dans l’état de se presser pour perdre du temps, un comble, donc au final partir et arriver en retard ! C’était plus fort qu’elle, à chaque fois, les allées et venues désordonnées dans l’appartement, les vêtements explosés partout, les questions urgentes, quoi dans la valise, fera t-il chaud ou froid ? Et une piscine, y a t-il ou pas une piscine dans ce bled ? Marcher, au moins ça d’évident, dans les bois ça va lui faire du bien, respirer, elle a tant envie de nature, mais où sont les vieilles chaussures de randonnée ? Introuvables, bien sûr. Tant pis, faire le tour de tout, vérifier la porte du frigo, la chasse d’eau, le robinet du gaz. Ah ! Surtout ne pas séquestrer le chat des voisins comme la dernière fois, oh là là, quelle galère, par sa faute il n’avait pas mangé pendant trois jours… Encore heureux qu’ils ne se soient pas plus fâchés que ça, du coup ils avaient proposé d’avoir une clé en permanence, ils pourraient s’occuper de l’arrosage au besoin, tout le monde était tranquille. Mais quand même, elle en était fatiguée d’elle même, jamais moyen de décaniller paisible, pourtant tellement contente après d’être ailleurs, complexe la nana, enfin, normale quoi, enfin pas tout à fait. Peut-être que c’était inévitable depuis l’exode, cette histoire de quoi dans la valise, tu mets quoi dans une valise quand tu sais que tu ne vas pas revenir ? Toujours est-il que ça lui a fait quitter Paris à l’heure de pointe… Heureusement après c’était plus fluide, ça ne la gênait pas de conduire la nuit, et même c’était tellement marrant tout à l’heure dans les phares, tous ces lapins au milieu de la route après Verneuil, un vrai conciliabule ! Une image magique à replacer absolument dans un film, faudra quelle en parle à Didier, la casera bien quelque part dans son scénar. Ouf, enfin arrivée, plus qu’à trouver la baraque. –Un chemin à gauche en haut d’une côte, ça monte et ça descend tout le temps dans ce pays, ça s’appelle pas Alpes Mancelles pour rien. Bien la campagne dans la tête à Paris, mais quand on y est…

Codicille : J’ai un peu triché, mais pas complètement, j’ai pris le premier paragraphe d’une nouvelle déjà publiée, où un personnage quitte la ville. Ça m’a bien intéressée de tenter de donner de l’ampleur en essayant de garder le rythme initial d’un départ chaotique, d’étoffer en annonçant le thème fondamental de l’exode. Ce n’était pas le thème de la nouvelle initiale, mais pourrait devenir celui d’un roman, peut-être… Y suis-je parvenue ? C’est une autre histoire… J’ai joué le jeu demandé d’un seul paragraphe dense. En tous cas, retravailler ouvre des pistes, c’est sûr !!!

Très, très curieuse de vos retours pour cet exercice.

6. chacun cherche son nom


proposition de départ

D’abord, comme pour Philippe, celui de Pierre Cortial — c’est joli Cortial, ça fait penser à Cordial et ça adoucit la pierre — comme pour Philippe donc, mais avec majuscules, il y a eu Le Chat, qui baladait sur le toits de Bourges, que mon vieux voisin amoureux kidnappait pour me le ramener, alors que ni Le Chat ni moi-même n’avions besoin de ce service. Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, merci Charles, je ne me souviens du nom de cet homme mais de sa gentillesse, il avait choisi d’habiter une chambre sous les toits, comme la jeune bohême que j’étais, pour passer les deux ans qui le séparaient de sa retraite d’avocat, sa présence là était incongrue, je crois qu’il était heureux de faire une pause non bourgeoise loin de la cossue maison familiale. Aujourd’hui, je pourrais l’appeler… Charles pourquoi pas, et il faudrait un nom bien français, rond, sympathique, Cortial est déjà pris, dommage, CC en initiales sonne bien. Courtial ? C’est pour de vrai le nom d’épouse d’une amie, Mireille, oui, ici il y a beaucoup de Mireille… Mireille, c’est la Marie de Provence, avait inventé Mistral. Ça sonne pas mal les noms en al, non ? Charles Maréchal ? Non, bien trop mauvais souvenir d’un certain Maréchal…

Moi, à quelques jours de ma naissance, je n’avais pas de prénom. C’était une époque où l’on écoutait beaucoup la radio. À l’audition de l’opéra de Gounod, mon musicien de père proposa « Mireille » à ma mère, qui, Provençale, accepta. J’aime à imaginer cet accord entre eux grâce à mon prénom, grâce à moi. Je me souviendrai surtout de leur guerre.

Mais revenons à nos chats !
Ensuite, dans ma vie, Colombine, Rocambole… C’est après qu’ils ont eu des noms de famille. Zoé Fanfreluche, Popof Catastrofsky, Max Mackintosh, le nom venant d’une particularité physique ou d’un trait de caractère. C’est à dire qu’il fallait vivre un peu avec eux avant de le trouver.
Non, je ne m’éloigne pas, dans l’écriture, c’est pareil, j’ai besoin de côtoyer un personnage avant de lui donner un nom.
La seule fois où il en a eu au départ, il en a changé.

Lorsque le choix est marqueur d’une époque, merci aux moteurs de recherche, on tape prénoms des années 50 ou 80, une liste défile, ça aide.

Et puis vivent les prénoms qui les traversent toutes, les époques, les Anne ou Isabelle, les Jules ou Paul, les valeurs sûres, quoi.

Les prénoms qui font bloc : Vincent, François, Paul et les autres, grâce à Claude on s’en souviendra. Évidemment on n’aimerait pas être les autres, se fondre dans la bande, en même temps on aimerait pour la chaleur de l’amitié.

Et que dire des grands ?
Alice, de Lewis ou dans les villes,
Sophie dans ses malheurs,
Ariane et Solal des Solal,
Le consul sous son volcan,
Kafka sur le rivage d’Haruki,
Ulysse, avec les sirènes ou chez James.
Dans une nouvelle j’ai appelé un chien Ulysse, enfin, je l’ai emprunté à des amis.

Dernièrement est venu spontanément Jacques sous mon stylo, une amie venait de perdre son frère, il fallait le faire revivre. Un personnage d’écrivain qui note beaucoup dans ses carnets. Mais à la lecture, Jacques note, Jacques note, ça écorche l’oreille. Donc Jacques va mourir une seconde fois. Car il ne faut pas oublier la musique…

Clémence, c’est musical. C’est la femme qui oublie dans le premier exercice. La douceur de Clémence pour ce personnage qui perd la mémoire, il me touche. Elle n’a pas encore de nom. Elle a perdu un fils, sa fille préfère mettre à distance cet Alzheimer qui commence. Clémence, j’ai envie de la bercer. Là, en écrivant, je pense qu’elle aura repris son nom de jeune fille.

Appeler un personnage Bérénice, Andromaque, Agrippine (sauf le talent de Bretécher… tiens, un bref effort pour le souvenir de Claire ! Tiens, sa nièce, une Clémence…) Pénélope, Hyppolite, Jason, Samson… Ou même seulement Êve, Éva…

Nous voici au cinéma, Ava, Garry, Marylin, Elvis, Gina, Sophia, Federico, Helmut, Garance, Vanessa, Johnny, Leonardo, tant d’images présupposées dans la tête des lecteurs, pas de lutte inutile ! Ou alors annoncer la couleur et s’écarter : Ses parents avaient osé l’appeler Gloria parce qu’ils adoraient Cassavetes, mais elle, elle était si différente…

Ou alors un surnom ? Plus fort que Poil de Carotte ? On l’appelait… Mimi les gros bras… Ça vous caricature, le travail consiste à en sortir, complexifier comme on dit ! Peut-être essayer avec Polly Maggoo ?

Ah, et les intimes ? Ceux de la famille, ceux qu’on aime ou qu’on a aimés, en direct ou par procuration. Ernest, Olympe, Rose, Bertrand, Bernard, Pauline, Noé… Et ceux qu’on déteste ou a détesté… là, la plume ou la souris hésite, parce que forcément… si par hasard ils vous lisent un jour… la haine vient si vite dans les familles, n’est-ce pas, exit la famille… Comme les anciens Jules d’ailleurs, à moins d’avoir eu cent cinquante amants…

Ne pas oublier le pour et le contre en même temps. Nicolas (le jardinier) et Nicolas (Sarkozy) Dilemme. Nico, peut-être ? Le jouteur rencontré à la Petite Camargue. Et hop, on revient au début du roman ! Germain, pour le patron du bistrot, c’est venu tout seul, c’est resté. Parce que quand même Marius, ça faisait un peu trop !

À suivre…

Pas un grand travail de recherche, juste les associations du moment pour le plaisir de l’exercice…Ça compte, non ?

4. Clémence


proposition de départ
1

La femme qui oublie est fascinée par la brunette au corps souple qui danse en silence. Ce qui la fascine, c’est le mouvement dans le silence. Autour les bruits de la terrasse existent, mais elle ne les entend plus. Le corps crée l’espace et gomme le temps. Ça lui parle, à Clémence, la gomme du temps. Quand cela a t-il commencé ? Parfois la petite sensation de coton dans la tête, un minuscule vertige, presque agréable. Parfois la sensation d’un trou qui s’ouvre et va l’engloutir…Elle a peur alors. Bam bam bam, une percussion ponctue certains des gestes, le copain de la danseuse en retrait sur le trottoir module sa voix, il murmure, claque les lèvres, chuchote, parfois un cri chanté, une note tenue. La fille écoute, réagit, s’étire, tourne, s’enroule, saute, se balance, se tend. Clémence se suspend au fil du mouvement et des sons.

Petite fille, au coin de la rue, toujours, elle ralentissait le pas. ET…un deux trois quatre … Et… un deux trois quatre, déplié, tendu. Et… un deux trois… La voix du professeur montait par le soupirail, le piano scandait, les autres filles tournaient, valsaient, s’envolaient. Les autres filles… Non, Clémence, tu n’iras pas au cours de danse !

De ça, elle se souvient.

2

La femme qui oublie est fascinée par la jeune danseuse. Le mouvement dans le silence l’absorbe toute entière. Elle n’entend plus les bruits de la terrasse. Seul le corps. Le corps crée l’espace, gomme le temps. Ça lui parle, à Clémence, la gomme du temps. Depuis quand ? Comment ? Par la tête en coton, comme un léger vertige, agréable parfois. Mais le gouffre prêt à l’engloutir, non. Résister ? Bam bam, le garçon scande les gestes, bam bam bam, tape sur son djembé. Un silence puis sa voix, souffle, chant, silence, chuchotements, silence, cri. Nourrir l’énergie de la fille qui s’étire, tourne, s’enroule, saute, tangue, se tend. Les bras cisèlent l’air. Clémence s’accroche au fil du mouvement et des sons.
Une autre voix, lointaine, prend la place, toute la place, le piano par le soupirail au bout de la rue, le professeur de danse, les filles virevoltent, la fillette ralentit le pas, s’arrête, écoute, épie, les autres filles rient.

Et puis la réponse du père : non, Clémence, tu n’iras pas au cours de danse !

De ça, oui, elle se souvient.

J’ai un peu développé le personnage de la femme qui oublie du premier exercice.

Le premier texte comme il venait. Le second en essayant de tendre. Je crois que c’est celui que je préfère. Trouvé cet exercice difficile !

1. à côté la plage


proposition de départ

Monsieur, vous désirez ? … Heu ! … C’est l’heure où on ne sait pas, un café ou un thé, froid de préférence, ou déjà un apéritif ? Une bière fera l’affaire. Il regarde la buée sur le verre, sa montre. Il a rendez-vous, l’unique baiser d’hier soir lui revient, ne l’a pas quitté en fait, ni le baiser ni le rendez—vous à la terrasse de La Petite Camargue. Il est là, en avance. Il appuie sa joue contre le bock froid.

La lumière commence à décliner mais la chaleur reste forte, celle de l’air alentour, celle qui monte du trottoir. Il se souvient d’une terrasse de restaurant à Rome arrosée aux pieds des clients, plaisir du sol humide. Ici non. Ici, les grains de sable pénètrent dans les pavés autobloquants. Détail sans ambition pour ce port plutôt modeste, qui a certainement baigné dans son jus jusqu’au front populaire puis a dû grossir peu à peu, surtout dans les années soixante-dix avec la création voisine de La Grande Motte. Ceci dit, vers le canal la ville conserve un charme indéniable, façades claires, cafés, palmiers, bateaux, le cachet historique l’emporte sur les aménagements des rues à babioles pour les touristes, on flâne volontiers le long des quais, on y apprécie l’espace, vaste. Il se demande si elle va venir…

Une femme et ses enfants reviennent de la plage. Panier, bouées, rabane, parasol. Elle a l’air fatigué, le petit qu’elle traîne chougne, elle va beaucoup trop vite pour ses petites jambes, les deux aînés, un garçon et une fille, se chamaillent, la femme se dit qu’elle aurait dû s’arrêter à ces deux—là. Marre des vacances avec mari absent, le pauvre chéri travaille, certes, les rejoint les week—ends, certes, mais... Elle a finalement pitié du mioche, le hisse sur sa hanche puis dans ses bras. Un joggeur transpirant la bouscule et l’engueule.

Le serveur papillonne de table en table, nouveau dans le métier il en fait un peu trop dans l’affable, peut-être pour compenser l’air de rogne de sa collègue qui fait le service minimum, vraiment, son CDD prend fin demain, pas question de prolonger a dit le patron. Il en a vu tant d’autres, Germain, il a tout de suite compris qu’elle ne ferait pas l’affaire, mais avec le mal à trouver des employés aujourd’hui… elle, elle l’a senti, alors depuis le début les odeurs de moules et de frites lui sortent par le nez. De toute façon, elle n’a jamais su ce qui lui plairait. Rien que des petits boulots de merde. Elle rend la monnaie au couple le plus éloigné de la terrasse, la femme caresse la main de l’homme, il lui sourit, dans le même temps vise discrètement sa montre, il veut rentrer chez lui, se demande si sa femme va avaler la couleuvre de la journée en plus de son séminaire, de la batterie de son smartphone à plat, du chargeur perdu, il en a marre des fois de tout ça mais ne peut s’empêcher de son envie de plaire, et puisque ça marche… que même ça galope… à califourchon cette nuit c’était bon.

Le monsieur qui désire demande une seconde bière. Elle est en retard. Il est incorrigible décidément, sortir dès son arrivée hier soir dans la première boîte pour tuer son désœuvrement, se débrouiller un plan drague de la jeunette qui a joué au mystère de son prénom, lui voler un baiser. Un éternel adolescent ! Il est distrait un moment par une bande de cyclistes qui tente de garer ses vélos contre un seul malheureux poteau, vélo contre vélos et antivols croisés. Ils finissent par y arriver et se précipitent au bistrot. C’est le genre Nature Santé Découverte, des enseignants sans doute, sûr qu’ils sont allés explorer au Parc les étendues d’eau, de sel, ont scruté à la jumelle les plumes roses des flamants et autres curiosités faune—flore. Ont fait provision de soleil et d’images avant de retourner dans leur nord. Impossible pour eux de s’installer sur la terrasse bondée, hésitent à accepter une place à l’intérieur, veulent profiter du dernier coucher de soleil de leur dernier jour, insistent. Germain fait signe au garçon de proposer de joindre les deux tables du fond car le couple adultère s’en va.

Oh, salut, Nico ! Viens là, viens ! Alors, comment tu vas, petit ? Germain enjoué fait de grands signes au jeune homme qui traverse la terrasse, corps souple, cheveux bruns, œil noir, torse et pieds nus, démarche remarquée de tous. Nico, clame la voix chantante, le meilleur jouteur de la Rouge, le vainqueur de la dernière passe ! Ici la tradition ne se perd pas, m’ssieurs dames ! Qu’est—ce que je t’offre, mon Nico ? Et à la Demoiselle ? Non loin de Nico une jeune femme suit, elle aussi sûre de son corps et de son charme, short au plus court, soutien—gorge de principe pour seins bronzés, opulents, fermes. Elle ne se presse pas.

Un type circule discrètement entre les tables, pose sur chacune un porte-clés fait main made in China, il transpire la misère propre, jette un œil vers la caisse, il a peur de se faire virer bien que pressentant Germain dans un bon jour, ose un regard affamé selon les clients. Affamé et résigné, il accomplit sa balade dans l’autre sens, ramasse ses porte-clés que personne n’achète. Sauf une dame qui lui donne un billet, trop gros pour le prix mais elle insiste. Il repart à reculons, se confondant en gestes de torse et tête, merci, merci, merci. Cette dame, il y a longtemps qu’elle a fini sa glace, elle a recommandé un verre d’eau glacée qu’elle ne boit pas. Dans son sac à main elle a un petit papier plié en quatre avec le chemin pour rentrer chez elle, mais elle a oublié qu’elle a le papier, elle a oublié qu’elle doit rentrer chez elle, elle pense à sa fille qui est si loin. Elle sourit, elle a envie de pleurer, des fois elle sent bien qu’elle oublie, que sa fille le sait, oui Cécile le sait, mais elles peuvent encore faire semblant. Elle est fascinée par le mouvement, la grâce d’une jeune fille qui danse en silence, un musicien sur le trottoir scandant ses gestes, comme c’est beau, la danseuse elle aussi aura un gros billet.

Le monsieur du désir et de la bière commence à se dire qu’elle lui a posé un lapin. Oh, il sera facile de se remettre de cette petite déception, plus ardue la pensée souterraine de son vieillissement, ce n’est même pas le mot qu’il emploie dans sa tête, tout au plus concéderait-il la sensation de ne plus être si jeune.

Soudain, en même temps que se fondent les odeurs de sucre du marchand de pralines et d’oignons frits du restaurant d’à côté, tandis que retentit la bande chanson du manège au bout du boulevard, que le haut-parleur d’une camionnette crache l’annonce du dernier spectacle de la saison du cirque Cric et Crac, un attroupement se fait vers le muret qui sépare le boulevard de la plage, juste à la hauteur des statues de sable des singes de la sagesse, pas-vu, pas- entendu, pas-dit. Déjà la rumeur : C’est un type qui s’est noyé… mais non, il a seulement perdu connaissance… noyé dans si peu d’eau… on dirait bien qu’il est mort, quand même, non ?... mais oui, quelqu’un a appelé les pompiers … c’est sa femme, debout, qui bouge pas, là-bas ?

Et déjà la sirène d’une ambulance, la mort passe en pointillés tremblants de lumière bleue.

Codicille :

Après inventaire et broderies imaginaires autour de plusieurs lieux, j’en ai choisi un fréquenté la veille au Grau du Roi, où je rendais pour me livrer à mon activité favorite, la nage. Donc pas de hasard, surtout si on considère mes origines méditerranéennes. Texte écrit vite et avec plaisir, la liste des personnages était plus longue, mais il m’a semblé que deux pages suffiraient… Le titre, bof, parce qu’il en faut un, il a le mérite d’évoquer un cher souvenir, Sous les pavés la plage

 



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1ère mise en ligne 13 juillet 2020 et dernière modification le 8 novembre 2020.
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