le roman de Laurélia

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4. De chaque côté du miroir


proposition de départ
face dure

Seule dans un bar, sous les lueurs blafardes, elle fixe son reflet dans le miroir, puis détourne le regard, agacée par ces traits tirés, ce regard perçant et cette triste grimace qui lui sont renvoyés. Elle espère encore, il finira par surgir de la rue sombre. Elle se crispe sur le tabouret alors que l’obscurité s’engouffre, noircit les ombres. Son tricot gris, trop rêche la gratte, l’écorche presque. Elle grelotte dans le courant d’air froid et piquant. Raidie contre le mur de brique rouge, couleur de cendre à présent, elle s’égare dans les méandres de ses souvenirs. Elle voudrait rompre ses fers, se rebeller, hurler sa colère et larguer les amarres pour quitter ce décor et retrouver enfin sa liberté et la douceur perdue.

face douce

Assise à une table, dans une salle de café calme et vide, elle contemple son image dans la glace face à elle. Une vague lassitude se devine dans l’océan de ses yeux. Dans le scintillement du soleil couchant les silhouettes s’allongent, la pendule avance. Elle l’imagine en chemin, à deux pas d’ici. Elle l’attend avec la même obstination que la lune accomplit chaque mois son cycle immuable. Elle écoute une chanson douce en fond musical, lovée bien au chaud dans son pull de laine et dans la nostalgie d’un passé de baisers et de miel. Mais le temps passe et il ne vient pas. L’âme en peine, elle devine l’issue de ses folles illusions, mais déjà une nouvelle aube se dessine dans sa tête, sans lui, cette fois.

Pas sûre d’avoir respecté la consigne (décrire un personnage séparé de son action), puis manque de temps pour reprendre tout ça. J’ai commencé par le dur. Les mots sont choisis en fonction de leur sonorité et le sens vient ensuite. Finalement je me suis donnée une règle simple : supprimer les « r » pour le « doux » et les accumuler pour le « dur », en plus de jouer sur le longueur des mots et les autres sonorités. Les mots doux ou durs appellent chacun une ambiance, éclairent une même scène d’un regard différent faisant apparaître comme un dédoublement ou des mondes parallèles, qu’il pourrait être intéressant de continuer à faire exister en miroir l’un de l’autre.

3. exode


proposition de départ
amplitude roman

Elle marche avec élégance dans la gare bondée, un enfant de chaque côté. Trois valises de différentes tailles les accompagnent dans ce départ hâtif vers des cieux moins menaçants. Le garçon doit avoir dix ans, collé à sa mère, il s’efforce avec sérieux de porter sans se plaindre la valise qui le fait pencher sur le côté et alourdit sa démarche. A leurs côtés se tient une jeune adolescente dont l’air grave et le regard inquiet révèlent sa conscience du danger. Ils avancent tous les trois, ralentis par la foule et le poids de leurs bagages. Autour d’eux, une effervescence anxieuse agite les voyageurs qui se précipitent en tous sens. Hélène reste digne, droite dans son tailleur impeccable, elle presse le pas, tire son fils par la main, surtout ne pas rater le train. Le petit groupe se fraye un chemin dans la cohue, à la recherche du quai d’où partira le prochain convoi pour Paris. Les billets n’ont pas été faciles à obtenir, mais avec l’aide de son employeur qui organise le rapatriement de ses employés français, Hélène a réussi à se les procurer. Veuve depuis sept ans, elle se débrouille pour élever ses enfants du mieux qu’elle peut malgré les difficultés, la précarité qui n’est pas loin parfois. Mais elle a toujours gardé la tête haute. Elle connaît ses atouts, cette beauté et ce charme qui la font remarquer même au milieu d’une foule affolée. C’est un capital précieux dont elle sait jouer en femme avisée. Elle sait parfaitement doser le sourire à rendre à ce jeune officier qui les aide à monter dans le train, portant les valises et veillant à ce qu’elle soit bien installée avant de redescendre du wagon en la saluant avec ferveur. Les derniers voyageurs prennent place, les portes se referment, le train démarre. Hélène soupire, soulagée, sort de son sac de quoi lire pour occuper les enfants qui s’impatientent. La gare du midi est maintenant derrière eux, le train file, laissant Bruxelles s’éloigner et disparaître dans la lumière printanière. Claude, fatigué, pique du nez sur son livre, Denise regarde rêveusement le paysage défiler. Les maisons de briques rouges ont laissé place à des paysages de campagne où les pommiers en fleurs ponctuent d’un blanc floconneux de vastes prairies vertes. Hélène regarde ses enfants, le voyage sera encore long, il faudra prendre à Paris la correspondance pour Toulouse où ils seront en sécurité, loin de l’avancée des troupes allemandes.

amplitude nouvelle

Bruxelles, gare du midi, 15 mai 1940, Hélène marche d’un pas pressé, ses enfants à ses côtés, ralentis par leurs valises trop lourdes pour leurs petits bras. La silhouette élégante de la jeune veuve attire l’attention d’un officier qui offre son aide pour porter les valises jusque dans le wagon. Elle le remercie d’un sourire charmeur et s’installe pour le long voyage. Elle n’a pas voulu affoler son fils qui fait le pitre sur son siège, mais elle n’a pu cacher à sa fille l’avancée des troupes allemandes, bientôt aux portes de la ville. Le train démarre. Elle soupire, soulagée, demain ils dormiront à Toulouse.

En entendant « quitter la ville » c’est une scène familiale d’exode qui m’est apparue. Une scène dont je sais peu de choses et qui, renseignements pris, n’était peut-être pas aussi dramatique que je l’imaginais et me semble plus intéressante dans sa version longue, rédigée en premier, alors que je suis plutôt adepte des formats courts.

2. communication en panne


proposition de départ

De l’extérieur, elles semblent bien s’entendre. Chaque fois qu’elles se retrouvent pour une fête de famille ou une occasion quelconque, leurs échanges calmes et détendus, le ton détaché avec lequel elle se répondent, tout laisse croire à une entente sans nuage. Pourtant leurs propos restent superficiels, certains sujets étant savamment évités. Et lorsque la mère tente discrètement par une question un peu plus précise d’en savoir plus sur la vie de sa fille, celle-ci détourne habilement la conversation ou reste évasive en présence d’un tiers. Mais si elles sont seules, la fille détourne les yeux sans répondre et parfois se lève et quitte la pièce en silence. Si bien que la mère ne sait rien de la vie de sa fille adulte qui a décidé de ne plus rien lui confier suite à une bien sombre histoire.

Pas grand-chose à dire. C’est venu facilement. Pas eu le temps d’approfondir ou de creuser.

1. partir


proposition de départ

Prenons un aéroport. Ils se ressemblent tous ces vastes hangars impersonnels, immenses structures de verre et de métal, fourmilières grouillant partout dans le monde d’une même foule cosmopolite. Regardez-les ces voyageurs qui se croisent sans se voir, fatigués, pressés, énervés, rêveurs ou déterminés, ils sont surtout préoccupés de leur future destination ou de ce qu’ils laissent derrière eux. Cet homme ventripotent, par exemple, qui s’apprête à rejoindre sa maîtresse pour quelques jours. Ses mains moites glissent sur la poignée de sa valise. Il hésite un peu, juste pour la forme. Finalement il est plutôt soulagé de rater, par cette escapade amoureuse, le spectacle de danse de sa fille. L’année dernière il s’y était mortellement ennuyé et sa femme lui avait fait une scène mémorable sur un prétexte qu’il avait jugé futile et a depuis oublié. Jamais contente celle-là. Si elle savait ce que cache ce séminaire de travail, il sourit intérieurement sans se douter qu’elle surveille ses mails et sms depuis quelque temps et que toutes les scènes précédentes ne sont rien par rapport à ce qui l’attend à son retour. Et cette vieille dame à l’air perdu et épuisé : elle attend avec inquiétude son fils qui devait venir la chercher mais l’a oubliée et ne s’excusera même pas de son retard. Ou cette petite fille qui pleure et devra se passer du doudou resté à la maison pendant les vacances exotiques organisées par ses parents, jeune couple dynamique qui n’en peut déjà plus de devoir la supporter toute la journée pendant les congés de la nounou. Bien des destins se croisent dans ces lieux de passage, creuset d’un grand brassage inhabituel où se frôlent pour quelques instants des vies qui resteront hermétiques les unes aux autres, toutes mystérieuses et passionnantes, chacune lancée vers une destination aussi inconnue qu’ inéluctable. Et puisqu’il faut bien choisir, intéressons-nous à Clotilde Dupin, cette jeune fille à l’air timide qui vient de poser sa petite valise noire sur la balance pour l’enregistrement. Rien ne la distingue vraiment des autres, sinon peut-être cette banalité, cette neutralité de tout son être qui la rend si difficile à décrire. Ses voisins dans la file d’attente ne la remarquent même pas, l’œil attiré par des individus plus exubérants, d’aspect moins sage et raisonnable qu’elle. Elle tremble un peu en tendant son billet à l’employée au sourire figé dans une lassitude indifférente. Clotilde sent ses jambes faiblir, elle n’a pas fermé l’œil de la nuit, occupée à débattre intérieurement de l’opportunité de ce voyage qu’elle entreprend. Maintenant sa décision est prise et il est trop tard pour reculer. Ce départ va bouleverser sa vie, elle le sait, mais n’imagine pas encore à quel point. D’ailleurs qui pourrait deviner en la voyant ainsi qu’elle vient de jouer son avenir à pile ou face ?

Je ne me suis pas sentie très à l’aise avec la posture du narrateur omniscient, avec la crainte (absurde) de me tromper sur les personnages. C’est pourquoi je préfère souvent laisser une part de doute, une marge d’interprétation. Il me semble que même le narrateur omniscient ne peut pas tout savoir, tout comprendre des personnages, que tout personnage conserve sa part de mystère, de libre arbitre. Donc au final impression de m’être limitée et d’avoir aligné des clichés.

 



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1ère mise en ligne 26 juillet 2020 et dernière modification le 30 août 2020.
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