le roman de Jacques de Turenne

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14. villages engloutis


proposition de départ

le fils m’a attrapée. Il m’a saisie par la taille ou par le bras je sais plus parce que sinon … enfin je veux vous dire c’était fait fini terminé j’enjambais le garde-corps je passais par la fenêtre je sautais je trouais comme une pierre les 10, 15 — combien ça en fait de secondes ? — avant le goudron — je partais direct la retrouver mon petit clown d’hôpital sa tête maigre son débris de corps son rire épuisé de dents jaunies son rire de malgré elle de malgré la douleur malgré les moqueries malgré la honte malgré le manque de tout malgré les hommes qui viennent et partent en agitant leur main, — grommellent leurs foutues promesses après t’avoir couchée dans le foin ou dans leur lit — ma petite maman toute recroquevillée dans le blanc et échouée dans son ultime râle sur le seuil du dernier oreiller

je te tenais la main serrée bien fort devant l’encadrement de grosses pierres grises et dedans au fond de tout ce noir qui sentait la fumée la mère disait tu la laisses dehors la gamine — avec elle c’est tout le mal qui rentrerait et la débauche que tu as prise comme une gale comme si on n’en avait pas déjà assez de tous ceux qui se sont pendus ou remplis de vin jusqu’à en venir crever de vomir leur bile — tu la laisses dehors qu’elle c’est notre malheur que tu traînes planté dans ta main comme on cogne le clou dans le bois de la croix — au tout début j’ai essayé, je voulais rentrer, expliquer, raconter la force de l’homme, sa chaleur, ses mots qui parlaient d’une que je connaissais pas encore, qui était plus belle que moi, plus belle que tout, et que lui dessinait sur ma peau du bout des doigts, effleurait sur mes os, caressait de son souffle sur mes paupières… Moi qu’il faisait rêver avec ses images de la vie qu’on aurait, du monde qu’on se fabriquerait plus forts à deux loin d’ici, loin des trous des bombes loin des prés éventrés loin de la crasse et des grêles cheminées d’usines à poussière, loin des montagnes de terre grasse sortie des puits, loin des sirènes quand les portails immenses déversent ouvriers en mains de graisse et mineurs en gueules de charbon ; j’avais tout fait comme ils avaient dit, le soutien qu’il fallait montrer pour rappeler les hommes au doux des champs à la fatigue rompue des labours achevés aux éclats pourpres des verres de vin aux valses sous les lampions, j’avais pris le papier et écrit comme j’avais appris de longtemps dans l’école, en m’appliquant lentement pour le manque d’aise, j’avais inventé des phrases pour ce nom qu’on m’avait donné et que j’ignorais d’avant, un nom qui sonnait pas d’ici !— Quelle importance puisqu’ils avaient dit c’est vital pour eux d’avoir des lettres de quelqu’un qui s’intéresse quelqu’un qui s’occupe quelqu’un qui envoie des colis et des nouvelles de l’arrière, quelqu’un qui montre qu’elle est fière, même s’ils diront pas les nouvelles de l’armée qui doivent se garder retenues, c’est important de répéter avec les lettres que tout le pays connaît leur sacrifice et soutient — j’avais écrit comment c’était triste ici sans plus rien de jeunesse et de fêtes mais vite j’ai eu la honte qu’il allait croire que je me plaignais alors j’ai ajouté que c’était rien à côté de ce qu’on entendait le soir à la radio — tous ces hommes comme lui qui se battaient pour nous défendre et que j’espérais qu’un jour à la fin on se trouverait, j’avais raconté la mère et ses silences et ses larmes de savoir les garçons partis comme lui et que peut-être un jour ils se rencontreraient ou peut-être se croiseraient sans même se savoir, avec chacun mes lettres et mes mots dans la poche — j’avais dit le courage qu‘il avait et l’honneur qu’il nous faisait de nous défendre les femmes et les enfants — j’avais dit l’admiration de nous tous— comment je pensais à lui et comment je priais pour sa vie. Et puis quand la cloche de l’église a carillonné la fin de la guerre les hommes sont rentrés par pleins wagons on ouvrait les bras on agitait les mouchoirs pour les accueillir on comptait en silence les places vides autour des tables on était perdus dans tout ce mélange de joie et d’impossible absence, à ne pas savoir comment ni où c’était fini ; mais lui est arrivé un jour avec le paquet des lettres qu’il a tiré du sac disant qu’il avait tant attendu ce jour et que cette espérance là c’était comme le fil qui tient les marionnettes debout — le fil qui fait qu’elles avancent et bougent les bras et que même si elles trébuchent et glissent dans la boue toujours le fil les retient les redresse leur relève la tête et le fil fait que les jambes se soulèvent encore, le fil fait que le corps tient encore ensemble un jour après le jour — comme il parlait il m’a regardé humide dans les yeux — il a dit que mes lettres c’était le fil qui lui avait gardé la vie et que j’étais plus belle encore que sur la petite photo dentelée que j’avais envoyée du photographe, plus belle que tout ce qu’il avait jamais vu et que ce moment d’enfin me voir il oubliait d’un coup tout le noir de la guerre, la boue de la guerre, les cris de la guerre et toute sa foutue peur comme une araignée collée au ventre, il oubliait le froid la faim pour la joie immense de me prendre dans ses bras — est ce qu’il pouvait me serrer fort contre lui ? — alors j’ai vu son regard bleu comme un ciel de printemps quand les couleurs se réveillent, ses épaules larges comme l’eau du fleuve qui pousse derrière le barrage avec le vieux village des anciens englouti dessous — j’ai entendu le chaud de sa voix comme le goût du pain j’ai avancé sans rien à penser que ce bonheur neuf et je suis tombée dans nous comme on plonge sans retour dans les soubresauts de son dernier rêve.

Codicille : et bien sûr c’est un mélange d’histoires qui n’appartiennent à personne et à tout mon monde… La lettre c’est inventé revenu de loin, de cet appel aux morts qui reviennent, comme les anciens peuplent infiniment leurs villages engloutis.

13. le fait que


proposition de départ

le fait que ni queue ni tête et réciproquement le fait que Marion n’a pas encore rencontré Romain le fait qu’on ne rencontre jamais jamais jamais tout à fait ni l’endroit ni l’envers le fait que la rue danse le fait que la rue chante le fait que la rue soleil le fait que la rue plombe le fait que la rue sue le fait que la rue poubelles le fait que la ville des rues pue pue pue le fait que Marion depuis toujours hissée dans les bras de son père depuis toujours dans les rires de sa mère le fait que sa beauté se glisse sans effort dans les yeux ricoche sur les murs contre les vitres feutre doux dans la voix qui monte et tremble et joue, le fait qu’elle déroule ses serpentins colorés dans la jubilation des oreilles dans le chaud de la main qui caresse le fait que partout les yeux les visages les bouches et leurs mots renvoient la beauté le fait qu’elle regagne ses yeux et effleure à nouveau sa peau le fait qu’un frisson le fait que c’est sans fin le fait que c’est inouï le fait que c’est son lot mais le fait que c’est pareil pour la laideur hormis le fait que c’est en quelque sorte un peu l’opposé le fait que ça s’auto-entretient pareil le fait que l’indifférence pareil encore mais sans les yeux sans les visages sans les mots sans plus rien de rien le fait que le désastre de la peur ravage les yeux les visages les mots le fait que les bateaux de sauvetage sont consignés au port le fait que d’autres avec leurs hélices labourent les têtes les ventres et les dos des noyés le fait que les bateaux en cale sèche font toujours rêver le fait que regarder les gens à hauteur de genoux le dos dur contre le mur râpeux efface de la ville des rues et des vitrines accroche—passants le fait que le chien du SDF effacé de la ville des rues et des vitrines accroche—passants soupire et mâche la poussière avant de fermer les yeux le fait qu’il posera alors sa gueule sur ses pattes le fait que le temps ne change rien à l’affaire le fait qu’avec le temps va tout s’en le fait qu’un bon tien mieux que deux le fait que le temps de cerveau disponible ne dit rien du disponible le fait que le rhume dit de cerveau indispose le fait que vieillir oui mais vieillir le fait que jamais rien n’est acquis le fait que fumer rêveuse devant le café posé sur la table ronde ça pose dans le décor de la ville des passants et des regardants le fait que l’écran géant braille le foot en terrasse le fait que crier en buvant des bières et taper des claques bourrues sur l’épaule c’est fini bien fini le fait que c’est peut-être juste pour l’instant le fait que ça pourrait durer longtemps jusqu’à quand ? — le fait que les images du monde n’apprennent pas le monde le fait que l’avion trace son rail blanc dans le bleu le fait qu’au pied de l’arbre le miroir cassé et son tapis de miettes brillantes le fait que le rail et son avion brisé sautent de morceaux en morceaux le fait que quelqu’un quelque part dort le fait que quelqu’un quelque part crie le fait que quelqu’un quelque part rêve le fait que quelqu’un quelque part est certain : son sosie quelque part le fait que quelqu’un quelque part attend : sa moitié quelque part le fait qu’on pense qu’on dise mon double ma moitié le fait que l’arithmétique des morceaux c’est singulier le fait que rassembler les morceaux c’est singulier le fait que sauter brisé de morceau en morceau c’est singulier le fait que la main crispée sur la couverture du berceau le fait que le bercement du landau le fait que le balancement du landau le fait que l’oubli c’est peut-être curer les joints des morceaux et partir en fumée avec l’avion le fait que quand même jamais deux fois dans la même eau le fait que Romain et Marion, Marion et Romain le fait que c’est moitié-moitié

Codicille : Manque de temps et frustration. Mais le fait que c’est décidé : elle c’est Marion lui c’est Romain (adieu Adrien). Le fait que ce qui les relie est invisible. Le fait que c’est partout.

12. Corps de nuit


proposition de départ

qui ?

on verrait terriblement rien si tellement rien du suif de la vitre bredouillée de pluie lui tout contre recroquevillé en chien de fusil la tête posée dans le noir comme d’une icône on la dirait magnifiée du corps assoupi posée donc contre le verre fondu de tout cet enfui ça file passe tellement vite et laisse tellement rien qu’on croirait que c’est moins que la boue sur les confettis, moins moins que la frange pâteuse et âcre sous l’ongle rogné sec d’un coup de dent moins moins moins que chaque

balancement imperceptible du corps virgule le corps d’encoche balloté infini aux rives du noir les mains jointes coincées entre les cuisses croisées on verrait pas non plus leur abandon et leur noyau de tiède ou si elles étreignent un caillou de froid ni la pâleur de leur défaite leur poids de fatigue leurs petits tressaillements à gratter les gros plans du rêve comme soubresautent les pattes des chiens ainsi on saurait et on ne saurait pas tellement on entend jamais rien de rien du

du rythme lourd du corps épuisé pas deux fois pas trois fois dans la même eau jamais le vrai repos pas deux fois pas trois fois dans la même eau jamais le moindre repos et comment des fois s’ébroue la pelure de peau comment des fois la crue du monde ses images noyées surgissent du dedans une meute de loups lâchée de ses forêts de ses souterrains de ses failles de ses rocs des flèches argentées des rivières mais on saura toujours rien de la

la minuscule roue dentée le minutieux grignotis d’os de la rouille d’oreille et soudain le chambard du crâne tout juste arraché à sa torpeur comment maintenant il mâche remâche devant la face les lèvres molles sucées léchées mordillées happé dans l’assourdissante fureur du trou noir vibrant tout contre dedans lui on ne saura évidemment rien quand la claque angoisse assomme retourne abrutit et déjà toujours se multipliant défilant hurlant dans le loin noir profond crier soudain crier vif crier broyé comme avant autour derrière avalé expulsé sans rien pour prise ni on devinerait pas plus la sienne brute

éclatée glace – incandescente chaleur de feu de dieu du feu de dieu du feu d’yeux la morsure du feu d’yeux baise braises enfoncées poinçons en milliers émiettée fusion déversée dans la rétine sous la peau sous le drap froid du jour premier dernier toujours les sanglots violon du drap froid du jour les grelots gelés du drap froid gémissent frémissent froissent frissonnent fibrillent leurs petits clous pointus comme le métal sniffé à pleins sacs poumons l’immense clair bleu-gris d’éther oh explosion giga des nervures ramifiées à fond au fond du fin fond oh comptez grandiose d’autant surplus du temps morne délivré comptez lentement sous les d’yeux jusqu’à dix un deux… on sentira pas non plus la

la lame de l’instant d’eau bue forer bam le puits dans la gorge cartilage inonder le sec de la poussière à meuler étouffer griller la carne du dedans et mêler en bas la boue épaisse d’estomac gonflé du débord et puis après

après refluer suinter tiédasse amère au bord haut de la bure de peau à la commissure des lèvres là où le coulis de sommeil relâche lentement sa trace gluante le front vibre contre la vitre marmonne son murmure mauve de rails chuintants la pluie sème ses petits cratères tisse et étire ses doigts lisses crache ses pointillés d’aigu

aigües vergetures du rectangle d’étoiles brouillées fondent microscopiques ignorées des paupières recluses à nouveau tremblent derrière leur voile orange diaphane papillon doux flotte doux comme la griffe de plume posée sur le dos de l’eau on verra pas on verra pas non on verra pas non plus

Codicille : je ne sais pas où c’est dans quel recoin du fractal et du multiple, ni par où ni quand le corps commence ni par où ni quand le corps finit. J’envoie pour essayer… sans savoir le lisible.

11. Je de mains


proposition de départ
« j’appelle celle qui me répondra
depuis trente mille ans je crie devant la mer »

Marguerite Duras, Les mains négatives

Le poing miniature et translucide est dressé à hauteur du crâne pâle. Cratère trouble de l’œil, opaque comme une fumée. L’image ondule et se constelle dans les camaïeux changeants de gris à blanc pulvérulent. Nuées de phosphore. Voie lactée. Elle, un sanglot viendrait peut-être la transpercer de l’intérieur, possédée et écorchée comme si elle s’épluchait d’une chair retournée, comme si elle s’enroulait et se dénouait autour de l’écharde de vie baignée dans la grotte sonore et fluide. À ses tempes le cognement répété, épuisé en un long chuintement, comme quand elle courait au long des vitres de la rue, superposant son reflet à l’ombre des silhouettes décalquées ; le poing est maintenant abouché sous le cratère de l’œil, la fine main latex lui tend un froissement de papier : vous pouvez vous essuyer madame. Sa main s’en empare en hésitant, frotte délicatement le froid gluant en traçant des ronds lents et précautionneux sur la peau tendue au-dessus du crâne blanc. (Elle penserait peut-être, si les mains pensaient, qu’elle dessine les cercles d’une pierre invisible lancée dans l’eau souterraine et son musc profond — elle penserait peut-être, sans savoir, qu’elle glisse sur un vortex sans fond, elle penserait qu’on pourrait lui arracher la petite main qui secrètement vibre et pousse, les anéantir, ou encore qu’elle pourrait s’engloutir elle aussi et errer comme ces poissons aveugles du fond des cavernes, ou bien que le petit poing agripperait le sexe-pilon de l’homme alors la jeune femme se refuserait jusqu’à…)

minuscules pétales fripés, perles des ongles, doigts brindilles accrochés à la branche chaude de l’index, chaud en-creux de la femme en devenir, concentré dans le doux ferme du doigt, agrippé d’instinct contre l’émiettement sans fin, contre la chute interminable des pierres dans l’eau noire des grottes. (Elle penserait peut-être, si les mains pensaient, à l’immensité des caresses, quand l’œil fatigué effleure le voile ténu du rideau où dansent les dauphins, quand sa main étoile de mère épouse le dos arrondi, soulage le lourd de la tête, elle penserait à ce qui depuis toujours berce.) Elle chantonne sans savoir d’où ça lui vient.

des jours après des jours la petite main apprend. Tenir la cuillère, cogner contre l’assiette jaune en criant, jeter. Agripper les longs cheveux en se balançant sur un pied quand les grandes mains font enfiler le maillot. Nouer les lacets comme les sœurs agiles, boutonner comme elles en poussant fort à travers les lèvres récalcitrantes du tissu rêche, dompter la rondeur fuyante du stylo feutre. (Elle penserait peut-être aussi, si les mains petites ou grandes savaient penser, au barbelé sanglant le jour où l’épine a signé la peau et la lèvre buvait son eau.)

une fois la jeune femme avait retrouvé la moufle de laine rouge, abandonnée, fichée mutilée sur le piquet de la clôture en bordure de champ. La petite main était venue vers elle en pleurant. D’avoir creusé en riant et titubant dans le blanc elle se retrouvait prise dans la morsure glacée. Elle a pris la main gourde et rougie entre les siennes, l’a frottée et réchauffée en soufflant comme sur les quatre bougies d’anniversaire. La petite main fourmillait de mille aiguilles pulsatiles au bout des doigts mouillés. (La jeune femme avait vu en un éclair les lourds chandeliers se déployer en silence au corridor du château de la Bête, tenus par des bras et des mains sans visage. Elle avait pensé « derrière moi ils se replient et coulent en chiffons de poussière comme des ailes de chauve-souris. » Elle n’avait pas su pourquoi, n’a jamais rien dit, mais elle avait frissonné.)

après des jours et des jours la main grandit à peigner des poupées, apporter des gâteaux de sable, se cercler de bagues, tenir une cigarette, belle, l’air de trois fois rien, écraser le mégot en tournant — s’habiller de tabac — y renoncer — semer et récolter le plaisir effervescent de la peau nue contre la peau nue — gifler — pianoter son impatience sur les tablettes des trains — balayer leurs fenêtres d’au-revoir tristes ou indifférents — faire défiler des visages sur les écrans — pendre au bout du bras, inerte comme un oiseau épuisé dans la gangue de glue — désigner — faire signe — ranger et défaire les bagages — supplier — essuyer des larmes — épuiser les regrets — serrer des milliers d’autres mains,

après des jours mais encore bien d’autres jours, un soir de silence et de pénombre muette, un soir de couche de métal — un soir d’apparemment plus rien — la petite main balbutie sa caresse hésitante et craintive. Un soir de brindilles froides nouées serrées sur tout ce noir tremblant de la grotte.

Codicille : Il n’y a pas là la moitié ni le quart de ce que… mais il faut bien rendre copie ! — quitte à reprendre… À qui appartient la petite main ? Elle est passée du jeune homme dans le train à la jeune femme qui s’y trouvait également… Encore une fois (et de plus en plus) impossible de trouver suffisante unité entre les différents écrits, ce qui me rend muet d’admiration devant celles et ceux qui ! (je n’arrive toujours pas à laisser de messages sur la page de l’atelier, dois m’y prendre comme un âne !) Ecartelé entre la consigne de ne pas « forcer » - « laisser venir » et se révéler la construction après coup, et ce qui apparaît comme une impossibilité, déjà rencontrée lors des ateliers précédents…

5. Marcher


proposition de départ

… marches. Ça ricane autour. Ça ne rate jamais et c’est même ce qui t’alerte. Tu marches. Admettons. C’est un lieu touristique, en général une petite ville. Centre historique, rues étroites et pavées, piétonnes, maisons bancales et cabossées à poutres rugueuses et chenues, colombages, encorbellements, enseignes à prétention médiévale, boutiques, restaus, terrasses, ou bien la même, mais fissurée de canaux, petites barques colorées, cygnes blancs, surexposés sur la photo tiraillée de l’ombre à la lumière, baladent leur tache aveuglante juste avant la dissolution graduelle sous le pont étroit où tu

plus beau village de France. Admettons. La passerelle fait le dos rond entre ses rambardes de fer forgé. Vert foncé. Écailles et coulures de peinture dans les arabesques, aux phalanges des anneaux de fer. C’est rassurant, ça fait solide cette épaisseur, tu aimes comme si c’était toi recouvert d’authentique et d’origine. C’est automatique et c’est inexplicable. Les barques ne sont pas colorées mais en bois clair et vernis, comme les pinasses que tu as vues un jour à Arcachon. Ça fait mini-luxe, ça fait détente, tu déambules façon insouciance délibérée (ou tu t’efforces !) dans tes vacances, tu flânes dégingandé

tu as cette habitude de manœuvrer en zig-zag et par à coup. Tu vas où l’œil t’hameçonne, ta main glisse sur la rambarde de fer, sentira la rouille comme le goût du sang. Mais là tu es figé soudain, un deux trois soleil, les doigts crochetés sur la main courante

tu es penché au-dessus du canal, en appui sur les bras tendus, tu redresses la tête, tu étires le dos bien droit, tu allonges les jambes, au max du max, en plaquant au sol la plante des pieds, en enfonçant profondément et mentalement les talons, racines. Puis tu essaies de creuser et arrondir les lombaires incendiaires. Tu décides également d’alterner à plusieurs reprises (trois ou cinq ?) une extension plus poussée encore de chaque jambe, tout en descendant sur l’opposée. Un canot à moteur passe avec la femme en chapeau de paille, l’homme gros en short, le maillot marin rayé, casquette bleu-foncé, brodée carmin compagnie du lac, assis derrière le petit volant brillant. Suit un froufrou d’eau mousseuse, un bec de canard apparaît entre les fleurs éclatantes du bac tu te redresses et

tu marches. Le pied gauche renâcle un peu, s’accroche aux aspérités du sol, égratigne parfois de petites virgules dans les allées de gore à proximité du terrain de jeux, toboggan luisant, araignée de cordes… c’est imperceptible, le réflexe achilléen a foutu le camp après la paralysante. On s’y fait. Admettons

tes errances ne sont pas libres. Tu guettes tu suricates. Tendu tu cherches. Ton regard s’égare dans la tenture de confettis impressionniste, les silhouettes confuses et colorées. Je vois bien que déjà tu fouilles sans croire : le petit pli crispé au coin des lèvres, au feu du dos le corset d’aiguilles. Ton dépit s’affiche à tes joues qui se gonflent et attisent la braise de l’irritation. Intérieurement tu jures ? Admettons

tu progresses par à-coups désordonnés, raide sous les taches d’ombre et de lumière, entre les clapotis miroitants de l’eau, les glaces dégoulinantes des gosses, le caniche frisé qui traîne sa laisse, les flonflons du carrousel Belle Époque, les voitures à pédales maquillées en course de trotteurs, les joueurs de pétanque ancrés à l’aimant au bout du fil, fleur de chiffon en poche, le parasol orange des loueurs de pédalo lunettes de soleil sur torse de bronze, les cris, les appels, le gamin trapéziste entre les bras du couple enjoué allez saute allez tourne allez youplà ! les rires

les rires

le filiforme claudique sous sa grande redingote noire à amples revers et pans, visage hâve strié de traînées de charbon, ton double clandestin piqueur d’image. Tu te retournes. Aussitôt glacé son regard vide déplie un linceul sur la foule hilare et bigarrée. Ne te voit pas. Admettons.

Codicille. À l’écoute de la proposition : des associations, des images… La consigne de répétition diffraction des gestes appelle en écho le fonctionnement des neurones miroirs, l’empathie comme une forme de substance invisible qui relierait les hommes dans un comme un mais pas tant que ça ! — car aussi ce jeu « énervant » de l’enfance, la reprise intégrale des mots de l’autre, en perroquet, reprise fermée sur elle-même et ses effets de colère. Enfin ce jeu des imitateurs de rue qui emboîtent le pas d’un passant et provoquent, à ses dépens, l’hilarité des spectateurs, en exagérant et « volant » sa démarche. L’embarras qui en résulte d’être ainsi dépossédé d’une partie de soi, une gestuelle, une mimique, inaperçue ou oubliée et soudain exhibée. Ça produit un texte qui n’est sans doute pas fidèle à la consigne, mais pas pu me défaire de ces idées… Questions en lien cependant avec d’autres précédemment rencontrées autour des emboitements, des sédiments de soi.. de ce qui construit et fait bascule dans le rapport au monde.

4. Ni une ni deux.


proposition de départ
la douce

… ce que j’ai vu : elle méconnaît la douceur éthérée et suspendue de son halo, ce fragile reflet, le pastel délicat déposé sur la voile de la vitre, en flou d’arrière-plan le décor infiniment étal de canaux d’ombre et de lumière, en esquisse la fuite languide de péniches ventrues, devinées cossues, chargées de fleurs de vélos et de vie d’apparition brève derrière les rideaux à carreaux mal tirés aux fenêtres, comme on en longe souvent en flânant les mains au dos dans l’encoche alanguie des ports de bord de fleuve, tel celui, délaissé et encore pas très loin là-bas, où elle promenait souvent ses matinées de printemps, à se consoler de l’absence d’un corps aimé sans autre expédient que la tendresse de la soie ou la nacre polie des perles du collier caressé entre ses doigts frêles, comme une prière de chapelet pour fatiguer l’attente. Mais plus après au bercement des tours de roue elle se superpose à la calligraphie impérieuse de l’autoroute ses vides ses pleins ses déliés ses accolades de ponts, aux collines le poinçon des fermes isolées, certaines cillées de vert qu’elle ne saura bientôt plus distinguer dans la monotone tristesse du jour éflanqué en ses dernières flammèches. Maintenant sa mince tête diaphane oscille légèrement au rythme cadencé, elle somnole, songe en pointillés, se mordille joliment la lèvre à petits coups précis et légers, creusant une marque éphémère à sa pulpe, une minuscule empreinte pâle comme il en vient parfois pour accuser la peur ou la douleur — parfois un soubresaut soudain la rejette au bord d’un indicible frisson, alors elle se rencogne dans le fauteuil, cale à nouveau son épaule à l’angle du dossier et de l’accoudoir, se calfeutre à mains jointes dans le nid de ses cuisses, abandonne son front frangé de mèches blondes à l’infime vibration chuchotée de la paroi de verre. Enfin elle abaisse finement les paupières au seuil d’un moins que soupir.

la dure

Tagadac tagadac tagadac. Je t’ai déjà raconté le train. La machine à concasser les images. Tchaff l’autre rame qui déboule en pleine tronche dans le trou noir du tunnel. Claque du souffle. Vlam. Gueulante étirée de sirène. Tous d’un sursaut à s’écarquiller les yeux. Frotter. Remâcher la pâte amère des phrases coincées au fond du gosier. Cracher leur coquille. Tousser. Bailler. Quand je l’ai vue, la fille blonde… Une qui sait son pouvoir. Depuis toujours. Admirée. Sainte Nitouche elle aurait dit, tu te rappelles ? Une de celles. Branchée directe sur la vie. Faite pour elle. Aucun doute. Quand elle est montée dans le wagon j’ai de suite compris : transformé illico en décor carton-pâte. Fasciné. Figurant délaissé. Faire-valoir réduit à la claque intérieure. Courtisan ad vitam aeternam. Magnifique apparition ! Reine sans faire ni vouloir. Lui viendra pas le soupçon qu’elle pourrait rater son coup. Elle anéantit le laid. Le médiocre. L’ordinaire. Ceux qui savent pas danser dans la lumière des jours. Elle distille l’essence du monde. Les mots l’allure et le ton. Les habits et les manières. C’est noyé dans sa peau, dans la goutte nacrée des dents sur la lèvre. Se Mordille Belle d’Amour. « Tellement que ça me fait mal aux seins ». Joyaux érectiles. Chaleur humide. Derrière la vitre les camions cloportes crochent le trait d’autoroute. Son reflet les engloutit sans effort. Resplendissant. Sommeil et désir. Autour dérisoires cordes de sanglots. Bouffon du néant. Il lui viendrait peut-être par inadvertance de plaindre. Par complaisance. Une générosité qui l’attendrit d’elle-même. Déploierait alors sans hésiter son ombrelle sur sa vacillante morsure de braise. Elle s’aime consolante.

Codicille : laborieux laborieux laborieux.. Entre l’auto-injonction de pousser les feux, la fabrique de personnages multifocaux saisis depuis divers lieux et l’impression d’osciller entre la volonté de les faire vivre tout en redoutant le côté factice… Bref on n’est pas au bout… Envie aussi de saisir une cohérence en devenir mais c’est pas encore là ! L’écart dur doux tenté dans le phrasé n’arrangeant rien à l’affaire. Toujours la vieille mise en garde « interne » : bien laisser sa chance à l’inachevé pour qu’il fasse son œuvre d’ouverture versus, toujours, le risque de la dissociation, dissolution irrécupérables… Signe d’une voix qui se cherche non ?

3. Gare


proposition de départ
rythme roman

Ça aurait commencé comme ça. Comme s’il était honnêtement possible de poser un doigt décisif sur la page la phrase le mot dans le bouquin ou bien d’épingler la photo dans l’album des souvenirs, et vite lui coller une étoile ou deux pour dire oui c’est ça c’est bien là le début, bien vu, ça fait pas un pli c’est là que tout a basculé, façon révélation ultime, comme le commissaire moustachu qui s’entre-claquait les deux paluches épaisses, l’une généralement agrippée à son inséparable pipe, réceptionnée lourde plaffff dans le radeau ballant de l’autre, comme un paquet de mer s’affale sur l’étrave à la peine, bon sang mais c’est bien sûr… mais avec le temps voilà, même si on apprend à se méfier des faux-départs, des vrais-écrans, des faux-vrais-semblants, des appels qui font le vertigineux clin d’œil, des roucoulades du sens et de l’explication incendiaires, on n’en finit pas moins, comme aujourd’hui, regardez-le, le front derrière la vitre (comme le font les veilleurs de chagrin — il a un faible pour Eluard même s’il a lu quelque part que c’est de la poésie « gentille » ça lui avait filé un coup, comprenez qu’il s’était immédiatement mis en demeure de douter de ses choix de ses goûts, se demander au fond ce que ça valait ce qu’il percevait ce qu’il entendait, ce qu’il aimait, quelles étaient ses entrées dans le continent de la vie… ce qu’on pouvait déduire de ses goûts et dégoûts, ce qu’il était condamné à rater par ignorance, par inexpérience, par inculture, par manque d’âpreté c’est le mot qui lui venait, âpreté, comme le cadeau inouï de certains fruits en bouche, leur flamme de trajectoire gustative, leur trace fulgurante dans le corps, le râpeux qu’il en reste, une micro-déchirure térébrante d’ouverture au monde) — donc oui le front contre la vitre il en est là de ses méditations, une bouillie de fragments d’idées, un amalgame tenant lieu d’ersatz de pensée, une façon d’être à la petite semaine qui ne lui suffit plus depuis longtemps pour se faire impression, le petit air frais de la climatisation vient rafraîchir sa langueur, entre l’attente du départ, l’imagination de l’arrivée à l’autre bout des rails et comment ça ratera parce que nécessairement le rythme ne sera pas le bon, l’enthousiasme sera empêché, empêtré dans les mots qui ne viendront pas ou pas au bon moment, se marcheront dessus comme dans la cohue d’ouverture des portes au premier jour des soldes — le souffle ténu caresse et soulage sa main posée sur la grille étroite au bas de la vitre, un ronronnement légèrement crescendo annonce le départ imminent, bientôt la voix intimera de s’éloigner de la bordure du quai après le dernier souffle pneumatique de fermeture des portes ; il déplie ses jambes avec ce soulagement d’être « celui qui part » plutôt que « celui qui reste » la déclaration gravée et sans appel du mentor de son adolescence, autre quai de gare, autre histoire, son regard papillonne distraitement aux alentours immédiats, les escaliers qui hissent leur cargaison de voyageurs à sacs à dos, valises à coque luisante et à roulettes, sacs plastiques, étuis d’instruments sur le dos, jusqu’à l’Himalaya bondé du hall d’accueil, les groupes qui devisent, les visages qui scrutent à travers les vitres pour le dernier regard du dernier au-revoir, la grande affiche l’armée de terre recrute avec la photographie d’un jeune militaire à barbe nette, l’allure claire et volontaire, tandis qu’à son pied, un homme, la quarantaine fatiguée et broussailleuse noir-gris attend sans attendre, posé là hors du temps, comme s’il venait juste de se relever de sa culbute hors de l’image de papier. Ça a commencé comme ça.

rythme nouvelle

À 14h 45 le TGV à destination de Paris gare de Lyon se lance lentement sur les rails après que la voix a distinctement recommandé de s’éloigner de la bordure du quai et attention à la fermeture automatique des portières. On ne sait pas ce que pense Adrien, tête appuyée contre la vitre. S’il était possible de l’interroger il répondrait certainement, évasif, qu’il n’en sait rien, ou bien qu’il divague à l’âme comme à son habitude. Sur le quai s’efface un homme fatigué à l’air absent. Silhouette usée et brouillonne. Derrière lui l’affiche : l’armée de terre recrute et son jeune militaire déterminé. L’aura, son calque de jeunesse, un Dorian Gray recommencé ?

Codicile : pris et mis au hasard des personnages dans le train et autour. L’image du type que l’on dirait tombé de l’affiche est cependant « réelle » en ce sens qu’elle fait référence à un souvenir, l’association étrange d’un voyageur et sa doublure « rajeunie » sur le poster. Un peu comme des poupées gigognes, des emboîtements d’images de soi. Possibilités multiples du côté également de voyages et portes temporelles mais c’est des grands classiques … Par contre pas clair du tout quant au distinguo écriture roman / nouvelle… Ni quant au choix d’un personnage « central »… même si Adrien a débarqué je ne sais d’où… Impression que la rédaction façon nouvelle ressemble plus à un résumé teaser qu’à un début de nouvelle. Mais faut que j’avance, le retard s’accumule avec les visiteurs …

2. Cartographie sommaire des dessous


proposition de départ

Elle les explore partout où elle va. Déambule d’allée en allée. Terre, gravier, pelouse, boue. Elle enjambe les petits tertres, les galets en cœur, les pots renversés, les petites chaînes rouillées. Elle dit : c’est du bouillon d’histoires. Souvent elle photographie : la tombe de l’aviateur anglais, le numéro de déporté tatoué sur la pierre, la plaque émaillée du chalutier secoué par les vagues et la date, les amples hommages à la Dame dévouée à son orphelinat, l’ambassadeur et ses majuscules dorées, la campagne d’Indochine, le père regretté et tendre époux, noir et blanc, moustachu rond, la morte à six jours, la jumelle six mois après, les amis au président de l’amicale bouliste. Sur celle-là un ami lui a fait remarquer que les vivants remâchent une haine surie. Selon qui rend visite la photo impassible dans son cadre regarde ou est renversée. Elle a vérifié.

Codicille : le tiers idéal c’est venu comme cette inépuisable racontée des cimetières, ces fragments de bouts de dates et de faits avec les pauvres signes qui se jettent dessus.

1. Coup d’œil sur des fouteurs de rien


proposition de départ

comme d’hab, après l’esplanade sonore, échos de pas agrafeurs de vide, dalles de grands carreaux gris, à droite le subway vert sinistre, dépeuplé, (un seul type la quarantaine maigre, chevelu pas net, l’œil et l’âme vagues derrière la vitre et le gobelet en carton siglé) puis l’allée couverte (suspendue au milieu de mille et mille millions de secondes d’apparition et d’effacement, un truc de fou) : dessous autour partout la ville en poussière et fronces de crépuscule, en fleuve nauséeux et puant (le nouveau truc c’est plonger du parapet depuis le pont bien précis, celui avec les sirènes qui fendent l’eau depuis les piles quand c’est jour de cru, mais là c’est caudale au sec, ils sautent par impérieuse nécessité de fraicheur par défi par jeu par illusion d’Icare, parce qu’immortels, le dernier, 22 piges, noyé, c’est pas dieu possible des conneries pareilles, pleurs, mais qu’est-ce qu’on a fait pour endurer ça ?) en bitume lardé d’immeubles crasseux ou cossus, fenêtres aveuglantes, tantôt échardes de soleil, tantôt gueules d’incendie – fournaise (te soufflent toujours au visage) – en maillons de pare-chocs et suées de klaxons (alors mec tu la bouges ta caisse ou faut te la pousser dans le cul ?!), silhouettes furtives et élancées, parfois casquées vieillot, modèle vieille armée exhumée des tranchées d’en face, uniforme de fantassin de vitrine de musée, mais là sont pleine bourre efficace, perchées sur roues silencieuses – rasent les façades, frôlent les piétons en sursis et en sursaut — dedans — de nouveau sous la voûte béton, la flicaille barbue et imberbe en bleu foncé et pouces au ceinturon ( là maintenant conciliabule à trois, campés comme des sûrs d’eux et de la raison qui colle ici leurs gommettes de gardiens de l’ordre et de la loi, causent : l’ennui, la chaleur, l’épais du soir qui vient pesamment en soulevant ses remugles d’alcool et de vomi, et chaque jour debout, la fatigue que c’est dans les pattes, les pieds gonflés dans ces putains de boots, allez bientôt on va pouvoir rentrer mais avant le chef vient d’appeler, faut encore aller remuer l’autre taré en bas avec son chien, le faire dégager, c’est presque tous les soirs y’en a marre, et puis à quoi ça sert, t’en vires un t’en retrouves quatre le jour d’après, la main de crasse sur la canette de bière – (je vous l’jure m’sieur l’agent je reste pas trop mais là j’ai rien d’autre où aller, le chien sans lui j’ai plus personne, allez soyez sympa !— je dérange pas hein faut bien vivre, ou se foutra d’eux en passant le bras blanc et décharné autour du cou du berger allemand pour ajuster la chaîne : messieurs de la maréchaussée oui je décarre illico avec mon cleb, allez viens Rouille on va se promener les puces qu’y zexigent nos amis des bêtes,) d’un bel ensemble consanguin repartent lentement amorcer la descente vers l’escalier, menton énergique, regard mirador sous casquettes, tonfas, menottes, ballottent contre la cuisse et les fesses (fermes ou grasses selon qui), à hauteur du distributeur de billets croisent, hochent pour saluer les deux sentinelles vigie-pirate maculées kaki, fusil noir hypnotique au berceau des bras, ceux-là en béret, tout juste descendus de l’affiche « engagez-vous l’armée de terre recrute » ; après donc dépassé le piano noir et la valise à roulettes échouée à côté, le mini attroupement autour (quand ça arpège sympa, le type manches de chemise retroussées swingue des gouttelettes jazzy et balance un peu d’avant en arrière mais à peine d’un rien, comme s’il câlinait les notes du bout des doigts (je les retiens celles-là je les caresse un peu, je les fais luire et glisser toutes douces comme on roule une petite bille entre la pulpe de deux) c’est enfoui, même pas pensé, comme laisser couler le chuchotis du sable par le trou arrondi au fond des mains jointes, quand t’es gosse de plage, maigreur empaquetée de cris et de lumière –- en fond le décor de visages plus lointains penchés sur les portables, cordon blanc à l’ombilic de l’oreille (quand ça vasouille le piano, ou alors s’en foutent) et les deux djeuns t-shirt et jean là-bas, assis sur le drôle de banc pédalo de la table à recharger les écrans — régulièrement le jingle carillon 3 tons précède l’annonce des arrivées et des départs (pour vacances ou boulot entre deux dodos ça dépend qui et quand ) mon tour viendra fleurit l’idée puis fane tandis qu’elle marche plus vite encore à pas serrés précipités pour bouffer le retard, coudes au corps, lancée on dirait dans sa hâte comme la lame de couteau vers le crucifié sur la cible des cirques — merde c’est quasi foutu si je rate le prochain c’est dans deux heures au moins, deux heures à poireauter et après rentrer trop tard pour les courses, plus rien à bouffer dans le frigo, marre … le TGV numéro …. (à destination de l’ailleurs que tu peux) va entrer en gare, …. quai numéro B. Veuillez vous éloigner du bord du quai. C’est pas un numéro B ! Le quai de ma vie de punaise dans ce quartier borné de murs, putain m’arracher, mais poussez-vous merde (allonge le pas balance les bras, taille cette fois des morceaux d’espace, laissez-la filer, laissez la respirer !) laissez-moi passer je vais le rater ce putain de train ; la fille très pâle dans le compartiment noie son visage diaphane dans l’encadrement de la fenêtre, s’incline pour ramasser le sac à main posé entre ses pieds, une longue mèche blonde virgule son visage, elle se redresse et la repousse en souriant très délicatement, très 19ème dans son chemisier blanc à froufrous, le type en face la cinquantaine usée, convaincu qu’il a définitivement raté la sienne accroche un nouvel hameçon d’histoire impossible à la jeune fille fragile en froufrous 19ème (c’est dans son magasin d’idées faciles toutes prêtes, rayon romantisme mièvre et suranné, répertoire encore une dernière chance), il se moque de son usuel travers, se lève, oublie, chantonne c’est la c’est la c’est la vie, j’y pense et puis j’oublie, se demande d’où ça sort, le TGV de la bordure du quai entre, gare !

codicille : l’arrivée tardive, ultra tardive ! — dans l’atelier c’est peut-être ce qui déclenche en partie le « motif » de la gare avec ce que le lieu convoque de scènes mélangées — (externes mêlées d’internes), le déplacement qui s’en nourrit et se produit d’être inscrit dans un lieu tellement chargé de départs, d’attentes, de retrouvailles en perpétuelles recompositions et effacement. Écrivant cela me revient cette par ailleurs cette « légende » familiale » d’une rencontre ratée (entre mes parents) qui peut-être se glissera ultérieurement dans une réponse à une proposition… Les rendez-vous ratés et les aléas du désir en somme…


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1ère mise en ligne 20 juillet 2020 et dernière modification le 20 septembre 2020.
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