« prendre » #5 | mâcher du rouge, les textes

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 le sommaire complet du cycle ;

 la proposition #5 mâcher du rouge, avec Henri Chopin ;

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 les contributions sont insérées par ordre chronologique de réception, on peut aussi commencer par les plus récentes.

1 | Rouge Ron


Rouge Ron, bras rouge, rouge tattoo, rouge vif piqué dans la peau, Peaux-rouges massacrés pour leur peau pour leur terre, massacrés d’avoir été dits Peaux-Rouges, tu le sais ça, Ron, quand tu danses, nu, tête ceinte d’une coiffe de plumes, rouge Ron, ton sang, le sang de tous, rouge, la terre rougie du sang des Peaux-Rouges Ron, rougi le fer sur la peau de l’esclave qui rugit, rouge ce fer porté dans la chair, Ron, rouge la larme qui coule du sang versé, rouge ton sang Ron, tête ceinte d’aiguilles, couronne d’épines, terre Sainte, rouge, le sang qui coule sur le visage, à chaque aiguille retirée de la peau, le sang que le souffle projette sur la plaque de verre devant toi, rouge le sang contaminé, ton sang Ron, rouge sous chaque peau rouge, noire, rose, rose tattoo, cancer, scarification, scars, rouge la peau zébrée Ron, rouge Ronnie Lee, scars, rouge le buste, rouges les bras zébrés par la lame, rouge, le sang qui coule de l’incise, ton sang Ron, ton sang de toi jeune, qui coule encore dans tes veines vie, vih, héroïne, rouge Ron, rouge, biopsie, rouge, chair, rouge Ron, flèches, San Sebastian, bras levés, suspendu, percé, bras rouge tatoué, flèches plantées, coeur tatoué, Sacré coeur, rouge, Ron, ton coeur battant rouge, ton sang pulsé, rouge, le tambour, boum boum-boum, boum boum-boum, rouge le son du sang, Ron, rouge la voix, rouge Ron le sang sous la perruque blonde, rouge, le sang qui ruisselle, perruque arrachée, crâne nu, corps nu, peau tatouée, tatouages, peau tatouée, rouge, rouge, sang dégoulinant, ruisselant, joues menton, cou, torse, ventre sexe, jambes, pieds, langue passée sur les lèvres rouges Ron, rouges, langue rouge, lèvres rouges, sang rouge, goût rouge du sang léché, du sang séché, noir-rouge Ron, épongé par Jon John Ron, vos sangs mêlés, sang mêlé, métis, sang pur, contaminé, à la vie à la mort, rouge du ventre déchiré, Ron, rouge ton sang, rouge Ron, noir l’anus, noire la nuit rouge Ron, rouge ton rire Ron, hahaha, rouge Ron

Philippe Liotard
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2


Le père en retraite disait j’ouvre grand la bouche face au soleil et je lui dis, soleil nettoie tout ce qu’il y a à nettoyer, jaune infiniment, jaune la tombe bientôt de mon père, et la lumière close des fleurs à part le bouton d’or qui, brandi sous le menton, confiait qu’on aimait le beurre, et alors quoi d’autre pourrait trahir de nous les fleurs ?, jaune tout ce qui germe, et certaines maladies, jaunisse des naissances, et le jaune dans le blanc des yeux des pauvres, comme aussi au milieu des œufs, jaunes mes anciens doigts fumeurs, et le matin lent des provinces et des postes, jaune juridique ou le sauvage des joncs, quelques Jonathans d’école et jaune le frère passé sous l’huile pour enlever, après l’appel catastrophé aux urgences, le pot de peinture blanche renversé quand je ne connaissais de gomme que celle, intransigeante, du Whitespirit, mais si efficace qu’elle risquait aussi d’effacer tout mon frère, et jaunes plus tard les néons, dans mes lumières de studette, qui jamais ne faisaient lumière maison, même à le plus délicatement possible abattre le jour, et ponctuer l’espace de lampes de chevet chaudes, jaune angoisse, et jaune ma vie d’adulte, jaune le triste jalon de mes dents mais blanc le sourire de ma mère, clair et franc, comme la casbah d’Alger.

Milène Tournier
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3 | Bleu Babe


Bleu Bébé, bleu layette, pastel, presque blanc, bleu des matins et des promesses, bleu des communions, des destins et des festons, bleu satin, Babe, tu es fleur bleu, Babe, tatouée au bille bleu, mon prénom sur le dos de ta main, Babe, bleu noble des sang-bleu, aristocratie des cordon-bleu, Babe, tu te brûles à ce bleu, bleu argent des paillettes et des perruques, bleu reflets des miroirs et des caniveaux, bleu gris des ciels et des pluies, Babe, brave blues des bords de berges, bleu terne des cernes sous mes yeux, bleu des coups reçus et encaissés, bleus bariolés de jaune, bleus violacés, violents, bleus des ongles écrasés, bleus cocards et cocardes, bleu blanc rouge, bleu à l’âme, Babe, tu trempes dans mes bleus ta bouche de sirène, sèche mes larmes bleues, Babe, mes larmes bues, méthylène, saphir, turquoise, électrique, bleu palpitant des veines gonflées d’orgueil, bleu pétrole, pétroleuse, boudeuse, Babe, aigue-marine d’outre-mer, bleu horizon sans nuages, bleu rêve sans obstacle, sans crainte, bleu roi, rassurant, lavande, Babe, bleue, Babe, bientôt tu es bleue, mais bleuie, glacée, froide, lèvres gercées, yeux céruléens, bleue, Babe, tu es le bleu, Tiffany minérale, Babe, fleur séchée, bleuet fané, Babe, chant de désespoir, bleu des couacs et des canards, bleu blafard, azur, ardoise, glacée, tu es le feu bleu, la flamme bleue, la femme en bleu, farfadet follet, tu voles aux cieux, sarcelle aux tempes bleues, argentées, Babe, le bleu cyan, le bleu fuyant, le bleu-vert ou l’indigo, des mouches bleues, Babe, des mouches, bleu des escarres, bleu mort et noir des décompositions.

Sébastien Bailly
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4


Rouge, même si Rouletabille en jaune, roule ta bosse en rouge ! Rouge, rouages rouillés, corps abimé. Rouge, tu fuis en rouge, robe déchirée, tout arrosée, bien barbouillée. Rouge, chant des rouge- gorges, roulis rural, repos perdu. Rouge, un verre comme ça, à la gamine, mieux que le sirop, un verre de rouge, un verre de trop. Rouge, ça roucoule plus, ça roule de biais, tout en roue libre. Rouge, ta chambre repeinte, tes murs criards, repaire du râle. Rouge, colère en plaques, sur le décor, décor du corps, qui dort encore, qui dort toujours ,qui suinte en rouge. Rouge, bouge, gouge, dégage ! Rouge, le fard qu’on pique, le fard qu’on poudre, le fard qu’on porte. Rouge, des rouges à lèvres, des rouges à bouches, des rouges à doigts, tout bien cassés, bien abimés, bien écornés, rouges sans éclat. Rouge, des rêves rares, plaisir à vif, n’en rougis pas ! Rouge, des fleurs en kit, des fleurs en toc, des fleurs fanées, remballe tout ça ! Rouge, remets ta cape, berce le chaperon, allume les braises. Rouge, tête d’ allumette, de Zébulon, et du poisson. Rouge, la petite boite, des dents perdues, des cailloux moches, des broches à soi. Rouge, ma colère monochrome et mes genoux mercurochromes.

Marie-Caroline Gallot
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5 | Ode au mal-aimé


Jaune, jaune, jaune, jaune, jaune le mal nommé, jaune l’innommable, le détestable, le jaune, l’hypocrite, l’esclave affranchi, le parvenu, l’efféminé, le traître, le déchet, le service public, le sans grade, le menteur, le cocu, l’exclu, le malade, le péril, l’infâme, jaune le mal aimé et pourtant… il suffit que je dise « tournesols » ou que tu dises « yellow » pour que tout s’ensoleille. Amarillo, ma couleur préférée, celle de la lumière, des fruits murs, des fleurs jaunes, du cœur des œufs, mon jaune éclatant adoré, mon safran, mon ocre, mon or, mon trésor, mon jaune clarté, mon jaune fête, mon étoile qui transforme la banalité, ma joie, mon anti-grisaille, mon anti-conformisme, mon jaune serein, mon jaune poussin, mon jaune ginko, mon jaune biloba, mon jaune des blés murs, mon jaune de l’été, mon jaune, ma joie, mon jaune que l’on voit, mon jaune coquin, mon jaune lutin, mon joker jaune, mon jaune sous-marin, mon maillot jaune, mon gilet jaune, mon pissenlit, mon beurre douceur, mon jaune gentiane, mon jaune chandeleur, mon or jaune, cherche la page, chante le loriot, brille la jonquille, jute l’abricot, transforme-toi en carrosse la citrouille, mais ne t’éteins pas mon fragile, ne passes pas mon bonheur.

Danièle Godard-Livet
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6 | BROUTER DU VERT


VERT / VERS OÙ / OUVERT / VERROU / FERMÉ / VERROU / OUVERT / VOYOU / VERRE / OPAQUE / VERRINE / HIVER / ÉPINARDS / VERT-FER / PINARD VERT / PINAILLE VERTE / VEINE VERTE / VERVEINE / HAINE VERTE / CHÊNE VERT / THÉ VERT / VERTU / VERTUEUX / VER TUEUR / VERT DE RAGE / VERT DE GRIS / VERSATILE / VERSA-T-IL / VERRE À VIN / VERT D’EAU / VERRA-T-IL / VERRAT / TRUIE / VERS À SOIE / TOIT VERT / VERMOULU / TÉNÉBRIONS / VERS MOULUS / VERTS INTÈGRES / LUMIÈRES / VERS LES VOIES / COMPLÉMENTAIRES / L’EGUOR / L’ENVERS / L’ANGUILLE AU VERT / LANGUIE AUX VERS / LA TRÈVE / L’OMBRE ROUGE / LE COL VERT / L’AN VERT / LE RÊVE / LA MAIN VERTE / L’AMER VIN / LA MERVEILLE / LA VERMEILLE / LA VERMINE / LE VERMONT / LE COUVERT / L’ À COUVERT / LA COUVERTURE / L’OUVERTURE / VOIR VERT / VU / POUVOIR VERT / PU / LE VERT PUS / LA CROIX VERTE / LE PIVERT / LE VERCORS / LA CORVETTE / LE CORSAIRE VERT/ LE CORSET VERT / LE CORPS SÉVÈRE / LA CHLOROPHYLLE / LA CHICLETTE / LA MENTHE VERTE / LE FIL VERT / L’AVERS / L’AVERSE / LA RÉSERVE / L’OBVERS / LE NOUVEL OBVERS / LE LOB VERS / LE TAPIS VERT / LA MISE AU VERT / LE PASSAGE AU VERT / LES PETITS POIS / VERTS FINS / L’UNIVERS / INFINI / LE TROUVÈRE / LE VERDI / LES FAITS DIVERS / LES CHOUX GRAS / CHOU VERT / VERT CHOU / SOUPE VERTE / BROUTER / RUMINER / GREEN / GROEN / GRÜN / GRASS / GRAAS

Jean-Marie Graas
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Electrique, éclectique dingo de l’Inde Indicum fleurs bleues hein dis ? Indigo septième couleur du spectre solaire hein dis ? Indigo dégoté aux bords de l’arc en ciel hein dis ? Indigoteur tu prépares l’indigo dans une indigoterie hein dis ? Turban indigo de plus de dix mètres sur la tête d’un Touareg ça n’existe pas… ça n’existe pas … hein dis ? Dis-moi oui Andy ! Indigo c’est violet c’est bleu c’est beau hein Diego ? C’est ton indic fleur-bleue c’est ton égo hein dis ? Indigo poudre tinctoriale au fond de tes yeux bleus profonds creusés violets foncés défoncés violés hein dis ? Go ! Go ! bleu à gogo indigo hein dis ? Indigo teinture ancestrale indigo teinture du mythique jean éclectique électrique hein dis ? Indigo indiscrète indication d’unification des apparences hein dis ? Tango du bleu et du violet, go ! go ! Gringo ! Rêves bleu indigo hein dis ? Chakra du troisième œil, celui de la connaissance et de sagesse intérieure hein dis ? Bingo ! Indigo ne monte pas sur tes ergots voilà le vertigo qui te prend à vouloir dominer la toile des peintres hein dis ? Une chanson indigo sous la voute étoilée d’un soir d’été hein dis ? Dis-moi oui.

Claudine Dozoul
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8 | Rose tes fesses


Rose tes fesses baby, rose est rose ou bonbon. Marie Rose a des poux mais elle s’en fout car rose tes fesses baby. Rose est la rose ou cochon un petit coup dans les buissons pour pas qu’il s’ankylose rose tes fesses baby ,tous ces mots roses et mots pas assez roses c’est le bouquet, rosa rosam tes fesses baby ça sent le bonbon, té !

Instant blanc,
Alba alba alba blanc tout sur le blanc c’est aujourd’hui dimanche alors abats le blanc, la Blanche-Neige ça lui colle le blues et idées noires de repasser les chemises blanches, elle se décape au blanc de blanc, alba alba alba avance lui donc un banc elle veut se marier blanc mais avec lequel de ces sept « hommes de petite taille ? ça laisse un blanc, en attendant les anges passent. Tu es vierge ? Non. Alba alba alba pourquoi le marbre blanc a t’il supplanté les polychromes, Alba ? Encore un coup du white spirit, tends-moi ta coupe d’albâtre Alba, je vais vomir dedans. Alba alba alba regarde un peu mes doigts french manucure, je suis pas du genre mâle blanc. Dans ma prochaine vie, mon sucre, je sera black and white, on the rock et sous le masque. Blanc de blanc de blanc de blanc entre rouge et bleu tu me saoules à blanc, de mon temps les docteurs étaient les hommes en blues blanc et même si ça n’a rien à voir Alba, je me méfie un brin de coton de tous ces cols blancs. Dites, vous désirez encore un peu de Chantilly avec vos yeux montés en neige ?

Bleu c’est pas ciel c’est pas mer c’est pas tes yeux c’est pas porcelaine. Bleu c’est pas vert c’est pas blanc c’est pas drôle. Bleue la robe de la vierge et bleu dans le fromage bleu, bleu du coup reçu, bleus c’est mes idées, bleu c’est du bon tabac, bleu au fond de la piscine, bleu le paradis, bleu mes aiguilles, bleu. Bleu ça boude et ça bleut. Bleu c’est pas une fleur, c’est pas un quart d’heure, c’est pas tout à l’heure, bleue. Bleu c’est des fois royal c’est des fois cobalt c’est des fois pastel ou indigo, bleu ça éloigne un peu, bleu c’est des hommes de sable, bleu, le drapeau qui claque, bleue la maman qui craque, bleue ta colère éclate.

Catherine Plée
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9 | Méditation rouge


Recroquevillée sourde. Rouge en dessous dessus, dans un bac d’eau rouge tu ondules rouge, flottaison lourde et grappue. Les mains saisissent l’éclatant jus de pourpre. Donné à la bouche, pleines paumes. Frottées pour en tirer le dernier grain. Recroquevillé dans l’abri, tu serais prune de terre rouge. Les muscles tendus d’un grain, rouge de la peau, de biais se fondre dans le rouge qui amplifie battements de cœur. Gonflent les battements, gonfle le corps de glaise, monte des pieds, agite tous les doigts comme un petit ver, le rouge gratte les genoux, gonfle les cuisses, fil rouge remonte le torse. Gonflement du son rouge qui va jusqu’à la tête. Tu ressens la racine des cheveux qui palpitent, roulent sur le front, ta main les agrippe rouge, s’en prend au front. Gonfle un tempo qui rugit dans la joue. Croque vrillée, puis déploiement dans un rouge dense inassouvi, c’est la Mer, elle enfle et se déploie, le corps monte rouge, s’ancre à la terre mais remonte et se tend, fil rouge de tout le corps qui perçoit les veines et le travail rouge qui se déploie là-dedans. Abri rouge, fenêtre ouverte en dedans, balai rouge qui propulse à l’avenant, déblaie rouge, ta furie se bossue de tous côtés, se perd en petits grains que tu frottes des mains, rouge amplifié se perd tout petit dans le tempo qui dure rouge par-dessus tête, et danse la glaise dans la bouche affiliée au ventre. Recroquevillée sourde, n’entends plus que les veines qui descendent rubato douces et soudain, pleine grâce du rouge.

Françoise Breton
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Bleu, bleu, bleu, bleu matin, bleu Klein, bleu des peintres, des contes et des légendes, bleu des ciels clairs, bleu des ombres, des ombres et des douleurs, bleu des plongées au plus profond, bleu profond, bleu lumière des abysses, bleu sombre des enfers, ne te retourne pas, bleu de l’amour perdu, bleu de l’amour voulu vaille que vaille, des coups au cœur au corps à l’âme, bleu dont on ne se remet pas, bleu broyé de noir, bleu de pierre, bleu d’acier, d’acier trempé, bleu du regard, regard dur que l’enfant fuira, n’aimera pas la femme au regard bleu, bleu qui perd sa matière, regard qui ne contient pas, ne regarde pas, regard qui se vide, bleus des yeux clos, des cernes, bleu clos des yeux perdus, bleu perdu, à trop chercher le regard on se cogne, se cogne à son vide, à son vide bleu, bleu le vide, bleu avide. Bleu inspire, bleu respire, bleu, bleu, bleu, bleu des matins baie des anges, des archanges, du manteau de Marie, bleu des ciels, des orages, des oranges du poète, il faut bien renverser les images, colorer à l’envers, la vie à l’envers, une maille avant une maille arrière, faut renverser le banal, rameuter la folie, le grain qui déraille, la petite folie douce, la folie bleue qui ne fait pas mal, pas la rouge avec les veines et le sang, la bleue douce pour longtemps, bleu du sommeil, de l’oubli, du sourire, pas le jaune du rire, juste le sourire, le clair du bleu, la nimbe, le jour, la lumière étincelle belle, bleue, belle, blueberry, mon cherry, mon chéri, bleu layette, bleu air pur, bleu air, bleu plein air, bleu azur, nuage sage in the air, air air air, air s’y dissoudre, s’y noyer, diluer, bleu matière sans matière, légère, bleu léger, bleu des rêves, rêve de vie, de vivance, bleu aspire, bleu élève, bleu haut, haut, haut la pensée claire, limpide, bleu pensée, pensée à toi, à vous, aux autres, à l’univers, l’univers bleu puissant. Le bleu des foules, le bleu des houles, des colères du père, des colères noires, des peurs bleues, des glaces de l’Arctique, du tout qui se confond dans tout, l’eau le ciel plus de repères, il faut partir, changer le voyage, partir vers d’autres cieux, bleus, bleu outremer de l’horizon qui danse, on le sait tard que l’horizon danse, on a appris qu’il était plat, juste une ligne bleue pour la différence après la terre, ou la mer bleue, bleu immensité, bleu profond où les navires dansent, bleu obscur où les navires coulent, les navires sombrent dans les guerres, guerres froides, guerres bleues, rouge le sang des ventres ouverts, des charniers, des adieux impossibles, et le bleu du drapeau, bleu de France, des paroles de vent, des mensonges d’état, des médailles dérisoires recommencées.

Mireille Piris
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Une tache rouge. Les parlants l’appelleront Chaperon. Une tache rouge, un instant saisie. Soudain tout contre le nez. Le monde est rouge. Sitôt après, perdue de vue. Saisie à nouveau, une autre fois, un autre jour, cinq minutes plus tard. Un vague cercle rouge au centre du monde. Lâché, perdu… Rouge de papier, de calendrier, jamais abimé par les mains minuscules et maladroites : rouge intouchable et gare à toi ! Sans qu’on le dise, le rouge parle de lui-même, pour lui-même et qu’est-ce qu’il raconte ? Mystère et donc grand désir de s’en saisir comme du feu, comme du courant interdit des prises électriques où il faudra bien désobéir et fourrer les doigts pour sentir passer sa brûlure glaciale et malgré tout on donnera deux petits sabots rouges qui marchent tout seuls, et plus tard bien plus tard découvrir que les robes rouges aussi se portent toutes seules, se portent comme un charme, comme un paravent chinois dont l’histoire demeure sans chute après sa longue narration intrigante pour intriguer, le rougeoiement des yeux du diable des contes dans l’obscurité de tout ce qui est encore inconnu, effrayant, tentation chauffée au fer. De là on savait sans s’en souvenir que les tout petits enfants ne voient que les couleurs vives et tant mieux pour mieux pour eux de rencontrer intensément la vie sans demi-teintes, sans ces petites morts qui nous usent de leur morsures dérisoires, ressassantes, tant mieux pour eux de se la prendre en pleine figure cette tartine de confiture de la taille de la bouille qui leur refait la fraise en groseille : on les retrouve pantelants, essoufflés, tout en bave et en morve dans ces peintures de guerre du goûter où leurs dents rares et laiteuses comme les perles ne peuvent pas l’emporter à l’arrache sur le gros pain qu’on leur a donné à ronger. Une tache rouge, voilà ce que je voulais être pour toi, ce que je savais de plus ancien et dans l’armoire rouge, plus que du rouge à me mettre tous les jours de ta vie de petit et après le pli est pris, la bouche aussi, rouge, toujours, et c’est ainsi que tu déclare que tu ne m’oublieras pas, que tu me reconnaîtras toujours par mon rouge qui t’impressionne si fort que tu t’exclames OH TU AS MIS TON JAUNE un matin de fête où mon sourire est immense puisque c’est toi sous le sapin. Le rouge est si rouge qu’on ne peut embrasser personne sans que ça se sache, sans que ça coule que ça vampirise tous les baisers, alors peu à peu, plus. Il traîne sur les tasses, les serviettes en papier sa marque de dame, il protège de la sécheresse, il protège de l’amour qui se tient à distance, qui n’a plus de lèvres, plus de langue, plus que des mains et un sexe ou un autre. Il masque, rien qu’une pointe de rouge habille, rien qu’un point de rouge, clown et je suis introuvable désormais, petite à nouveau, à l’abri toute pâle derrière ce rond écarlate, un drapeau japonais, une ombrelle qui court sur la neige, c’est la coccinelle sur le nez qu’on fixe, pas moi, pas moi. Tout à coup — que s’est-il passé ? Le temps a passé — ROUGE se retourne en JOUR et je prends le grand air et me défroque, sors des rideaux épaissis du sang des rats, des cochenilles en poudre et de la honte en rasades qu’on mélange pour obtenir ce compromis cramoisi des théâtres à l’italienne, qu’on lève bravachement pour un public qui ne s’ôte jamais vraiment le bordel de la tête. Il aurait mieux valu rougir une fois franchement d’être traitée de pute vers la fin des années quatre-vingt parce qu’on jouait sur le théâtre, que cette sidération qui vous raye d’un trait auquel on ne veut pas croire et qui va tirer sa ligne et filer sa métaphore faisant couver un feu de bûcher qui ne se déclare jamais, mais dont la fumée finit par prendre à la gorge mieux qu’un mâtin à grosses dents sur la jugulaire. Il faut le temps pour ne plus donner dans ce panneau rouge qui dit interdit, non, ne pas, n’y pense même pas, même pas en rêve. Dans la grosse maison calme, passé mon rouge à la machine, fais bouillir, pour voir les couleurs d’origine revenir au galop courir sur les tapis du conte et éclater leurs grenades dans la cour minuscule et reverdie par la parade neuve de cet étendage de fortune.

Emmanuelle Cordoliani
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Rouge petit trou Rouge petit trou dans la tête Rouge trou rond dans la tête Rouge petit trou dans la tête Rouge Rouge à tourner dans la tête Rouge à couler petit trou dans la tête Rouge tour rond dans la tête liquide Rouge d’avant ciel noir dans la tête à tourner Rouge aquarium Rouge d’aile nageoire Rouge poisson à tourner dans la tête Rouge poison dans la tête à tourner Rouge nageoire flamboyante caresse rouge dans la tête Rouge yeux mouillés corps rouge à errer aquarium Rouge poisson et combattant Rouge à vaincre les transparences petit trou dans le corps Rouge léger Rouge naufrage d’avant ciel blanc dans la tête à brûler Rouge feu dans la tête à tourner Rouge brûlant dans la tête Rouge tourbe à brûler dans la tête Rouge feu d’hiver creusé dans un trou dans la terre Rouge velours des tourbes des terres rouges Rouge combustion dans le trou de la terre petit trou rond dans la tête enflammée Rouge brûle et consume la terre dans le trou de la tête Rouge de tourbe feu d’hiver loin les chambres et loin les buches Rouge enfer dans un trou de la terre petit trou dans la tête Rouge coule en hiver dans la nuit et flamboie Rouge avale la terre la nuit et flamboie Rouge avance la nuit et avale la pierre cuit la terre et rougeoie Rouge éclate la nuit se déverse s’étire et réchauffe la terre Rouge embrasse la terre la nuit Rouge roule au rivage et embrase la nuit Rouge se déverse et meurt dans l’eau noire jets bouillants nuit noire de la nuit Rouge hiver dans la tête brûle trou dans la terre Rouge terre mêlée d’eau mise à cuire dans la terre Rouge d’incandescences des terres mises à cuire dans le rouge Rouge brasier d’inflorescences Rouge flammes coulant léchant le cœur inflammable Rouge cuisson de la terre Rouge du feu mis à cuire Rouge terre offerte à la pâture des flammes Rouge rougeoiements Rouge matière Rouge lumière Rouge chaleur Rouge joues Rouges yeux Rouges mains penchés dans la fournaise Rouge incantation des transmutations Rouge tourné modelé formé durci à la cuisson Rouge dans les mains à réchauffer les paumes Rouge dans les mains en rivière Rouge brulant versé brulant Rouge versé brulant vivant Rouge avide Rouge en coulée œuvre brûlante Rouge mortel en déferlante Rouge liquide dans la tête Rouge trou toujours vide à remplir Rouge assoiffé de liquide en fusion Rouge acide point brulant dans la tête Rouge noyant le regard Rouge roi incarnat Rouge viande Rouge sang intérieur de nos viandes Rouge sang intérieurs de nos liquides Rouge sang intérieur de nos peaux Rouge de nos chairs exposées Rouge de nos reins Rouge de nos foies Rouge de nos rates Rouge de nos moelles rouges du dedans des os Rouge des transmissions Rouge des émissions Rouge ardence Rouge feu en tête Rouge coulant rouge du trou dans la tête Rouge sur les doigts Rouge langue mordue en plein centre du rouge

écouter version sonore du texte
Catherine Serre
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13 | Black is beautiful


Mélancolie.
Litanies des noirs je dirai vos couleurs. Noir d’encre ancré dans un crâne au profond de la nuit intérieure. Sortir des ténèbres par le noir. Toutes les couleurs en leur absence. Noir pali en brou de noix étalé. Matière noire absorbant la lumière. Goudron gluant pas encore refroidi. Charbon brillant d’éclats qu’on ne soupçonnait guère. Lignite du deuil où reflète le bleu. Couleurs refroidies prêtes à bondir hors de l’abîme. Égouts des révoltes parcourus de lueurs. Part maudite. Barathre des enfers où jeter les désirs les plus sombres. Fulguration des yeux noirs portant tous les éclairs. Berceau des révélations. Eaux profondes des créatures luisantes. Clairs obscurs déchirés de lumière. Bois d’ébène au fond des cales. Voyages au bout des nuits. Plaines enneigées rehaussées de corbeaux. Âtres refroidies bistrées en mémoire d’incandescences. Poussières de suie. Pain noir qu’on remâche en silence, colère noire, noirceur des âmes rongées d’inquiétude, bloc d’abîme soudain béant au détour de la page, calligraphie souple qui veut saisir l’instant, macchiato du petit matin, noir intense pour l’amertume, mouche pour relever la pâleur du teint, pour la couleur Renoir père, pour la nuance Renoir fils, nègres bariolés, maîtres fous, négritude, noyés, « nageurs morts vers d’autres nébuleuses », silence vibratile de l’outrenoir, mystère de la matière ramassée sur elle-même, hypnotique, noir, black, schwarz, 검정 (geomjeong) nero, negro, noir, μαύρο (mavro), שחור (chakhor) 黒 (kuro ).

Christian Chastan
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Le gris est un cri qui s’effiloche entre les toits de tôle et les fumées qui s’élèvent pour rejoindre un ciel de nuages sales, le gris est un cri qui se faufile sous la peau où il creuse ses sillons d’ombre, le gris se bricole dans les creux, il s’extrait des grumeaux de granite aux grains d’ombre, il s’accroche aux ongles sur les lichens d’argent où se scrute un carcan d’être en devenir, il s’égare dans l’entre mou des grisailles d’un tableau, le gris se lave à l’encre de Chine, se rafraichit d’une coulée d’ardoise, se flanellise, gagne des galons de tristesse dans des chaos de pierres, il se fume, frelate la misère, le gris se désature, se sacraliserait presque lorsqu’il se perle, s’anoblit dans le pinceau de Rouault sur son Miserere, le gris s’étoffe de brume , se dépose et se perd en gouttelettes de brouillard, se charge ou se décharge d’encre noire, le gris se brise et rit, se chine, se trie d’entre les cendres, il devient charbonneux, soufreteux et malsain, sinistrement pâle il s’épanche et se vide, le gris se vrille dans les lambeaux de soi, le gris se relie au lin, s’alourdit de pierre ou de plomb, se pommèle, le gris est pour toujours la teinte de la Lozère et de ses toits en lauze, du Causse aux tons exténués d’un caban de berger , le gris en quête d’ombre se mélancolise, s’enivre de nuances, s’anthracite de souvenirs pesants, se lance au large des phrases, teinte obstinément le ciel d’étain d’où des oiseaux surgissent, le gris réserve un accueil froid, il se glisse dans des courants d’air, il est oiseau de mauvais temps et de mauvaise augure, le gris est rumination et macération, le gris est un guetteur de givre, le gris pris comme un être inassouvi, endolori aussi, il suinte et suppure, le gris se retrouve dans les rêves arborant ses tentures lourdes, parfois on lui octroie un pas de côté, il se bleuifie, puis il se recrache à petits coups de blues par les yeux et par les lèvres, il engrise nos âmes dans ses enclaves d’ombre, il se décompose, se pressent couleur de pas grand chose, et sans savoir pourquoi on a la singulière impression qu’il est la couleur du silence, le gris se poétiserait alors jusqu’à la corde et loin de renoncer à son cri, de douceur et de tendresse, on lui rendrait son éminence.

Solange Vissac
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Il n’y a pas de couleur, il n’y a que des lumières – celles des habits, celle de la peau, celle des yeux, le tissu les vêtements le twin-set (tous les ans, chez Harrods, deux ou trois jours durant les soldes – puis plus tard l’aller-retour dans la journée « c’est formidable ! » disait ma mère – cette manière de (se) dire « on va renouveler la garde-robe » comme si on en avait une… - ça c’était plus Baloo le fils de Y. avec ses cachemires pastels chemises roses mocassins à glands) (ton sur ton) ou la veste, cintrée ou à martingale comme dans le temps, Clark Gable ou ce genre de type, cette posture, il y avait au coin Saint-Dominique, un angle aigu du boulevard, la vitrine faisait une espèce de demi-cercle, une officine intitulée « vêtements pour pays chauds » (ou comptoir qui se dit emporio en italien) on y voyait parfois un casque coloniale dans les blancs cassés, une veste très pochue qu’on appelait saharienne – c’est fini, perdu, c’est fini, de nos jours, perdu c’est fini – c’est devenu une enseigne pour vêtements d’enfants, les temps changent – un autre magasin s’intitule « Comptoir du désert » c’est le même esprit, sable mais légèrement plus foncé, pas celui, noir, des abords des volcans, non, Tenerife ou Santorin, non, le lin, et sans doute aussi la soie, le tissu pâle laissant le vent ourdir mais le soleil moins, cette façon de porter des habits un peu froissés, la jolie couleur du lin dans les champs fleuris si peu de temps ce printemps qu’on n’en prît pas de photo – mais il ne s’agit pas non plus de ce bleu, il ne s’agit pas d’une couleur particulière mais d’une teinte, d’un ton, d’une nuance dans l’appréciation du sable – celui dont on fait des verres et des vitres, on voit on estime, est-ce que ça va au teint, assortir à la couleur des yeux (« tu ne me trompes pas, vas, avec ton cinéma ») est-ce que ça se porte avec des tongs (il y avait dans le quartier ce groupe de jeunes gens qui avait pris pour nom « Ta mère en tongs » tu te rappelles ? Théâtre spectacle vivant comme ils disent comme si les autres étaient morts...) c’est un peu désassorti il se peut que ça jure des sandales en cuir peut-être quelque chose de souple et d’ample vient avec, une taille au dessus peut-être, ça appelle quelque chose comme le luxe, les Bermudes Antilles (Hawaï non), les îles sous le vent – ça n’a rien de criard ou d’éhonté, de volubile, de choquant, ça disparaît un peu dans le nombre, dans le foule des avenues qui bordent les plages, longomare promenade ça transporte (ou charrie peut-être plus) une image de bien-être (ça sue : justement non, pas d’humeur, et si quelque chose vient, ce sera une fragrance) un atout un charme – probablement aussi quelque chose qui connote la différence d’avec le noir (celui de la peau des esclaves, des diminués, des dominés – probablement aussi quelque chose de l’ordre du masculin ou des personnes âgées et sages, sagement comme le pays qui se tient dans cette position, là aujourd’hui, avec ses couvre-feux, ses maxs, ses gels, ses incarcérations obligatoires, la première, la seconde, combien encore en subir, combien encore obéir ? Le président de la République d’alors cet oncle de fantasme – c’était un homme malade dès le début de son premier mandat, mais qu’est-ce que ça peut faire ? – portait cette couleur dans ses costumes, il me semble me souvenir que du haut de sa terrasse de l’hôtel où il a appris, le brave homme, qu’il était élu, magistrature suprême tu parles, il en portait un de ce ton : il me semble que ça jurait...), sûrement aussi quelque chose de l’ordre des choses sans innocence, sans violence, un ton calme, serein peut-être en tout cas assis, sûr, aisé, sans défauts mais dont les qualités se cachent, se taisent, ça n’a rien de véhément ou de revendicatif, c’est juste là au soleil sûrement d’abord, chercher ce sable et l’irruption de Curd Jürgens (le vieux beau de Vadim – quelque chose de Michel Strogoff – il portait aussi des vêtements de ce calibre) dans cet autre film (marquant, de la jeunesse, la télévision dans le salon, mais la chaleur les dunes le soleil, et le sable) « œil pour œil » et vient alors assez immédiatement plus loin plus tard quelque chose qui se souvient aussi du consensus, du conforme et du normal, d’une certaine mode, d’un certain type de contexte, les vacances sans qu’il y ait jamais de travail, qu’il n’en soit jamais question, quelque chose du superflu et de l’inutile, luxe pompe faste éclat – ça va avec tout – en tout cas ça a l’air d’aller avec l’apparat, le costume, le déguisement et l’illusion, l’homme est là, debout devant ce petit banc bleu, sur le quai de la gare, chapeau et lunettes de soleil, son sac est posé là, il attend, on le reconnaît bien sur l’image, il porte son costume un peu froissé, une chemise dans les blancs cassés, il ne semble pas spécialement nerveux ou inquiet, il attend simplement, sans trop bouger et il se peut que d’au loin lui parviennent amoindris par la touffeur de l’air et cette chaleur insupportable de poussière, les cris et les hurlements des roues sur les rails

(il fallait ne pas citer la couleur, dès le départ on ne parle que de la lumière, il aurait fallu aussi peut-être développer sur Rommel (« le renard du désert » peut-être mais défait – et en repasser par la case Bir Hakeim El Alamein et autres « Week end à Zuydcoote » ou « Taxi pour Tobrouk », Dunquerque Tamanrasset l’Atlantique l’Oural, tout ça) parce que c’est une suite de stéréotypes qui s’attachent à cette teinte, couleur lumière sentiment – classique et de bon ton – le ton c’est ça – le bon ton et le bien-être – j’ai cherché un moment des synonymes de « promenade » comme le lieu où, passegiatta c’est ça, le mail aussi bien, les jardins, mais même le blanc ne convient pas (la couleur ou le ton du veston du professeur qui joue aux cartes avec Raimu) on l’a cassé quelques fois et c’est la couleur du casque coloniale – deux adjectifs qui s’entendent de la même manière – il y a là sans doute aussi la connotation de tintin quelque part, en gros et en fait l’enfance mêlée à cette conviction qu’on peut s’en servir pour écrire une histoire qui s’en souvienne un peu, de cette enfance – mais je n’ai toujours pas trouvé ni la gare ni la ville de l’action – quelque chose aussi du vêtement plutôt que d’autres choses, le choix de cette lumière peut-être, plutôt du soleil, plutôt l’été (c’est un effet de l’aujourd’hui) (sûrement) mais surtout sortir du froid, du vent et de la glace) (en tout cas j’ai la conscience que les deux sont vêtus de la même manière, c’est déjà quelque chose -– c’est pour ça aussi Rommel)
Piero Cohen-Hadria
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16 | féminités du brun


brun brun ocre brun rouge brun jaune brun fade brun usé variations brunes brune incertitude brunes sensations odeur brune du café brune idée de chaleur brune brune cassure du chocolat brune onctuosité qui fond brune liqueur dans le sang brune brunes lèvres de l’enfant rieur brune la menotte qui se tend brune brune brune odeur acre d’oignons brûlés brunes et dorées les gouttes de caramel brune saveur du pain d’épice brunes brunes harmonies de l’automne brunes et pâles les feuilles racornies brunes feuilles tombées brune la feuille qui fut en or brune rumeur des feuilles foulées brune et acre l’odeur pourrissante brunes suppliques des branches nues brune brune terre d’après la pluie brune opulence de la terre brunes les mottes brune la vie retournée de la terre brune douleur des reins redressés brunes les mains pressant les reins brune brune poussière aride dans le vent brune écorce d’un chêne brune et lisse la peau du micocoulier brune lumière d’un bois ciré brune la fragrance du camphre brune brune brune couleur des peaux de l’été brune vague cheveux secoués brune et rose tendresse d’une nuque brune brune reliure brune vieillesse du papier ocré brune odeur de sagesse brune chanson du violoncelle sa voix profonde et brune brune lueur de son bois brune caresse musicale brune brune la pipe brune la barbe brune la veste brune morsure de joie brune brune la douceur de l’ours en peluche sa brune amitié chaude brune brune lumière dans la forêt brune terreur d’un ours dans la nuit brune froideur du crépuscule brunes senteurs du jour qui se meurt brune brune brune blessure brune douleur du sang qui sèche brune percée du bronze brunes histoires d’antan brune ombre d’une épaule sur un livre.

Brigitte Célérier
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17 | Variations spectrales.


UNTITLED#1 (Rothko intitré 1969)
Bleu sombre horizontal tremblé Bleu sombre ligne tremblée trait Bleu sombre horizontal tremblé trait bout à bout trait horizontal sombre Bleu sombre Bleu ombre densité horizontale densités variables Bleu main trempée souffle retenu Bleu sombre Bleu bout pinceau sobre ombres Bleu ombres soude tremblée horizontale jointe Bleu continuité verticale gauche continuité verticale droite Bleu sombre Ouest Bleu sombre Est Bleu sombre / Nord / Sud / Zénith / Nadir — TREMBLEZ TOUS tremblés — iota sombres Bleu sombrée prière nonajourée Bleu sombre dans apnée masse Bleu cœur battu titube Bleu héro Bleu héro sombre horizontal assemblée Bleu sombre Sol os instable masse dense bas Bleu os sombre dos tremblé trait plein Ciel instable masse fine haute — inversion — Bleu sobre orbes cadre vue plein ciel Bleu sombre ombre tremblée soutien plaques points descriptif DEUX ICI Bleu dispositif DIT Bleu sombre DIT Bleu masses deux Bleu sombre bord du Noir du précipice du Noir Cadre de rectangle plein Vue Vaine Bleu anoble Bleu sombre horizontal tremblé coulée Gauche adroit Droite adroit partout conquise zone Bleu (S)ombre(S) Noire(s) soutenue(s) Chapelle universelle Bleue interGrise interJaune ozone inter Orange II (break) II Organe Bleu orage masse taille Masse Bleu Sombre taille Masse taille précipice Noir Bleu Noir blessé Noir assumé Bleu sombre axes tremblés Abysse (de) Masse (d’)Abysse déTaille Abysse Bleu sombre Bleu DIEU Sombre DIEU Sombre dualité reflets âmes méditées mâchées Finalité sombre Bleu Noire Abysse Bleu Corps canevas perdu dans l’espace mental infini de la chapelle. Déplier Prier Bleu Chapelle canevas. Bleu finalité, mouvement, décliné, sombre (…)

UNTITLED#2 (Guernica)
#403937 ! Cri bâtard orange organe rouge ego. #403937 ! Digne de son ignominie, digne de la haine, impur, impur, impur, indigne dit-on, orage désastre(s). #403937, dans le rang ou à l’abattoir ! #403937 ! Bâtard ! Malaise mal-être répudié par l’agent blanc A.K.A. #FFFFFF, l’agent suprême, l’agent du TOUT : #FFFFFF. #FFFFFF vint pour vaincre, et gagna, vainc et gagne, domine, efface les hérésiarques, brûle, hurle, brûle, hulule œuvre au #FFFFFF. Brûle les scories : les #403937 !, et ses collabos, ses variantes non alignées, ses constantes révolutionnaires ! Honte ! Mais veille — vil – l’opposant #000000, l’agent noir guète, tapi en lui-même, le sans ombre. Ce puissant abysse de silence guttural à la glotte percée. Les # HEX variables s’enfuient paniqués au gré de l’échiquier, des mosaïques, paniqués, bannis de l’existence par la tyrannie binaire. #HEX les variables exécutées, entôlées, phagocytées ensystèmées, elles crèvent tristes ou s’alignent sur les collabos... Voilà une nuit de noire perspective, trafiquée, vers l’atteinte du pic ultime de la guerre Suprématiste — en cours — entre nuit et jour, depuis des jours et des nuit, et pour encore des millénaires de nuits et de jours. Nuances du #FFFFFF au #000000, alliés secrets du pouvoir : il n’y a de différence que dans l’œil, mais encore faut-il le savoir car les Artistes le taisent aux Souffleurs, ils transmettent le mot Noir A.K.A. #000000 au mot Blanc A.K.A. #FFFFFF et puis, au mot Rouge A.K.A #FF0000. Bougre, bouge, rouge, rage, ravage, écris, enfin… ! Pour économiser, pour décomposer le spectre, Bach, Chopin, Mozart et Malevitch. Décomposer la consigne pour briser la lumière, en libérer les couleurs et ses genres. Hurler : déconcentrationnaire maintenant CREVE ! Nul barbelé en #HEX, nulles limites en #HEX, juste des sortilèges, de la magie blanche I vie I de la magie noire I vide I afin de réunir les codes génomes I vie I croisés : les codes Rouges.

Gauthier Keyaerts
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18 | Gris


Gris Gris Gris Gris Gris Gris Gris GRIS GRRRRRRR RIS GRIIIIIS Gris Souris je souris souris Gris Gris Grincement de Gris Grande froideur du Gris Grouillement Gris GRIS Souris

Succomber au Gris devenir Gris être Gris Gris Gris Gri-Gri Succomber au Gris Gris Gris Aigri

Gris fumée Gris tarmac gris anthracite Gris clair Gris acier Gris perle Gris argent l’argent Gris Sale Sale Gris Griffonner Griffer Gris Grisâtre Gris métal s’emballe acier trempé de Gris ville enfumée pétrifiée Gris torture gris déprime Gris imprime Gris usine Gris rue Gris Gris Grivoise humeur sale poussière de Gris Gris qui scintille dans la nuit Gris aux heures de pause Gris par les temps qui courent Gris partout Gris tout petit Gris cheveux Gris vieux vieillesse Gris de mélancolie être collé de Gris Être vieux de Gris aigris de Gris poussiéreux couvert d’une couche de Gris enduit pétrifié Gris GRRRRR GRRRRR GRRRR GRIS RIS RIRE je ris de tout ce qui que je vois ici :Le gris est un champ chromatique défini par la faiblesse ou l’absence de l’impression de couleur, dont l’intensité lumineuse est moindre que celle du blanc et supérieure à celle du noir. Alors je dis oui au Gris oui Gris joli Gris qui rit Gris d’autrui Gris Grippe Grippe GRIS PE GRIS PEU GRIS PEUT GRIS PEUT ETRE GRIS PEUT ETRE JOLI oui Gris joli Gris comme une cuillère d’argent Gris de la nuit où les chats sont Gris Gris tous les chats sont Gris la nuit je ris en Gris sous le parapluie de ma nuit Grise Grise Grise Grise Grise par l’absence de chaleur que cette Grise grippe pèse sur mon cœur.

Gwénnaëlle La Rosa
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19 | déclinaison


BLEU, brille, bulle, bidon – ROUGE, râle, rote, ressasse – BLANC, battue, rebattue, boûûûhhh – JAUNE, jonquille, peccadille, myrtille – VERT, vertical, vertige, vertitude – ORANGE, rangez-vous, en rangs, travaux- VIOLET, vie, volée, lai – NOIROUTRENOIRPOEMES BLEUS, « l’œil bleu ciel, bleu d’acier/ Bleu fou lumineux » , bleus de l’âme- bleu des lames, blessure, trace – VERT, pommes vertes, de peur, jamais ne mûriront – PANTONE 19-4052 Classic Blue, Couleur 2020PANTONE 17-5104 Ultimate Gray + PANTONE 13-0647 Illuminating, Couleur 2021, marketing, mercantile – JAUNEVERT, politique, anomique – ROUGE, action VERT, passez – ORANGE, freinez – BLEU MAUVE, douceur – JAUNE ORANGE, le ton monte – VERT de GRIS, mauvais augure – ROUGE de honte – BLANC de fatigue – ROSE d’émotion – NOIR de colère – 882 pastels , marchand de couleurs – Johannes ITTEN, l’Art de la couleur – réalité, harmonie, subjectif, contrastes, clair – obscur, chaud-froid, complémentaires, simultanés, qualité, quantité, mélange, sphère, accords, variations, composition…

Annick Nay
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20 | bleu glace


Bleu bleu clarté bleue bleu bleu l’alcool curaçao — bleue l’île d’orange douce bleue trouble bleutée – bleu rêve bleu Madame yeux bleus fraîche rivière d’azur –- Madame matin bleu maison bleue volets bleus poteries bleues bleu Majorelle sous les palmiers, paupières papillons bleus balbutient égaient bleu dessus les allées de plantes grasses ombreuses bleues, Madame bleue – ma toute infinie. Madame soir bleu posé sur les parenthèses bleu-colline couchées loin devant la porte bleue Aujourd’hui tristesse bue bleue blue vos bras brindilles bleu-ecchymoses bleu-viande bleu-peau. Le cercle bleu des doigts sur le bras terminée la belle bleue fini label bleu revenu le blues d’enfance bleu poussière refleuris les ongles bleus les taches bleues veines bleues ça pète bleu l’enveloppe les cernes bleus la cervelle raz-de-marée, ça dégoule bleu ça suinte bleu bleu bleu bleu bon sang de bleu, loin la fillette. Madame Marie soyeuse bénie bleue ciel aboli des yeux bleus on vous a Madame bleu bleu bleu endossé votre manteau bleu mis votre écharpe laine bleue peint de silence votre petite voix bleue vos lèvres closes bleues bleu. Vous en êtes allée Madame laissant toujours votre colère bleue votre peur bleue votre oubli bleu de blé planète bleue, votre nuit gyrophare bleu des hommes bleus bleus venus vous buter vous bluter vous bleuter vous disiez ; ils vous ont embarquée bleue de nuit au bout de la rue, coulée dans la terre, engloutie bleu de mère bleue noyée d’eau de mère vous coulez Madame dans les grands fonds du tombleu de froide bleue, vous couliez Madame dressée comme un bateau l’étrave en dernier pointée vers le ciel resté dessus, bleu bleu bleu glace grand frisson mon bleu.

Jacques de Turenne
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21 | Comme le ciel ils disent


À Ada Mondès

bleu bleu bleu tu dis bleu peut-être que toi tu dis azul comme les océans du monde déjà trois fois traversés bleu comme ton vendée globe perpétuel bleu comme les verres d’eau ne pouvant souffrir d’aucune goutte gaspillée bleu bleu bleu tu dis bleu peut-être que toi tu dis azul comme ce que se fait le cœur cahotant dans sa valise ferroviaire bleu des blue jeans sablés au détriment de la santé bleu comme la fin des poèmes sans âge que la flamme de la gazinière raconte bleu bleu bleu tu dis bleu peut-être que toi tu dis azul comme les corps soumis aux rigueurs de l’hiver bleu comme les carrosseries métalliques projetées à grande vitesse bleu comme l’antigel attendant le bouillonnement dans son bidon de plastique bleu bleu bleu tu dis bleu peut-être que toi tu dis azul comme le va-et-vient des vagues au loin quand on aperçoit la terre derrière la couche de brume bleu comme le reflet dans les plumes des mouettes rieuses qui suivent les chalutiers à bout de souffle voguant encore à l’énergie fossile bleu comme les faïences portugaises qui refusent le vieillissement programmé bleu bleu bleu tu dis bleu peut-être que toi tu dis azul comme le ciel bleu comme le ciel bleu ils disent comme le ciel bleu ils disent bleue bleue bleue l’eau est bleue comme le ciel ils disent les enfants ça t’énerve toi tu dis bleu bleu bleu tu dis bleu sans doute tu dis azul bleu bleu bleu bleu bleu bleu como una ardilla en la nieve comme un écureuil dans la neige là-bas au loin dans les rêves ahí afuera en sueños

Jérémie Tholomé
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Gris Gris Gris est le doux d’une pierrette au fond des poches grigri est une ruine d’enfance timide Gris chuchote des secrets sous les nuages froissés Gris couche les ombres frileuses Gris est le ferment des corps cachés dessous les pierres — on ne devrait mourir qu’en hiver sous le soyeux gris du ciel — Gris mord la poussière Gris est une poignée de terre sourde entre les doigts Gris dépayse autour grisaille l’air de cendres Gris partage le silence des morts Gris déterre mes fantômes drapés de brume Gris révèle leur peau d’argile dans le grain argentique Gris est une nuit irrésolue Gris folâtre dans le profond des rêves Gris réveille le souvenir de ta voix Gris coule comme une ivresse

Caroline Diaz
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23 | Un bleu qui tire au rouge du coup


Bien sûr, bleu banal, bleu peinard de bon père de famille, bleu fidèle, aussi, bleu des pulls marins, bleu des chambres bleus de grand’mères du temps d’avant, fleur bleue tendance bécassine, sans oublier le célébrissime timbre noir sur fond bleu de Prusse, type Sage de 1880, gloire de la collection de timbres de mon père, le bleu contre les blancs, combat sans fin en pays chouan, ce froid, cette couleur bleue qui vous envahit quand la vie s’en va, mourir à vau-l’eau, accompagné du bleu zéphyr qui ondoie, ultime renoncement, renoncement jouxtant l’infini, là-bas, tout près des étoiles, loin des amours pépères mâtinés de Vierge Marie et pourtant si proches, bleu qui s’exagère en totale banalité, bleu des sorties de lycée, choisir la couleur de son costard à condition que ce soit bleu, comme les tractions du temps du père Citroën, oui, c’est bien beau tout ça mais il y a une qui exagère, et côté bleu, c’est pas de la bluette, elle crèche du côté lapis lazuli, mon ange bleu, sorte de sang bleu inné, tendance génération spontanée, et c’est un foutu blues de bleu sans queue ni tête qu’elle me file la Babette blues de partout….Beauté sans apprêts     brute de décoffrage elle est      blue jeans déchirés…. cette beauté bleue balbutiante et m’en bouche un coin avec sa belleté en blue jeans ou salopette bleue oui elle me bluffa bougrement en borsalino bleu bizarre bigre de Bon dieu de sang bleu branle-bas pour la bataille à bâbord avec cette belle et bien branlée bonté bleue bonnarde bellissime et bien faite barrée beatnik bleu jeans ou baba bleu guimauve mais pas bégueule ni bobo bravo et banco banane bleue be-bop avec bob bleu et béatitude bonhomme en bémol pour cette bonne brave et bien balancée bougresse bleue bigrement brillante balbutiante et bredouillante à ne pas bazarder puis branlette bleu pour branleur biddenfor bobards baratin bleu et baragouinage c’est pour bibi en bleu de chauffe baba je la bus au bar du lotus bleu beaucoup biberonner boissons breuvages bières brandevins et bibines bizarres et je brigue au barman bis bouteilles de byrrh bleu avec badoit et babibel bio au bacon bleu plus un baba bonifié avec bezef brandy bleu baragouinai-je en de brouillants borborygmes bleus et bouillants bredouillements non moins bleus c’est pas la Baltique bleue à boire quel bonheur se barrer en bidouillant la braguette pour bagatelle bienvenue bisser bisous baisers bleus avec un béat béant baignant et bavant bijou de berlingot bleu bienveillant avec biroute bienheureuse de bonobo bleu bandée bandaison bise bite et baise bordel ça bout en bleu bandonéon barnum bombardements de la belligérante brouille bleue bienheureux baptême en bénéfice beaucoup de bons offices avec bras bien sûr bienveillant bienséant et bénévole et bedaine bleue en bandoulière badaboum elle a balancé son bibi bleu la bath belliqueuse quelle Bérézina big blue bazar bougre de blasphème et barbouillées comme des bulles de bédés nous bégayons dans le bleu brouillard beaucoup de bruits bafouillés et bringuebalements barges et bizarres ça balbutie quel bleu bastringue bip bleu et bing à bas les bouffons borderline bargeots bleus bordel de berdre ou boxon de bouse bleue la bouse benoite bénédiction bonhomme bibliophage bye-bye et bonsoir bises bleues et sanglantes de ma beauté qu’aurait méritée d’être berbère, nom d’un bleu.

Frédéric Retailleau
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En hommage à la petite furtive Tishka du livre « les furtifs » d’Alain Damasio

ROUGE, dis-le rouge, dis-le re re re rouge / ouge di ouge / non dis-le rouge re re re rouge dis-le/ non non non moi di ouge ouge non non / non dis-le rouge re re re rouge dis-le / non non non pa ouge pas ouge moi veu ouge bobo têt bong bong ouge moi veu ouge / dis-le rouge re re re rouge dis-le / non non non mam ouge ouge mam oui mam ouge pa bo toi ouge non non non /dis-le rouge re re re rouge / moi pleué moi pleué ouge moi veu bouh ouh ouh ouge ouge ouge non non /dis-le rouge re re re rouge / nooon moi tapé bouh pleué enco enco pleué ouge enco ouge veu pa mam ouge veu mam di mam di enco ouge moi ouge pas / dis-le re re re rouge / non non non nooon pa bo mam tapé toi mam mon pié boum pié boum toi mam veu ouge moi moi pas/ dis-le re re re rouge rouge / ouge moi va dan foé é di ouge ouge é com mam moi di re re re re moi di rouge mam rouge rouge moi di rouge mam rouge rouge ROUGE

Julotte Roche
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Rouge va rouge. Rouge de rouge. Rouge ôte rouge. Rouge chance rouge. Rouge monde rouge. Rouge boit rouge. Rouge ou rouge. Rouge hait rouge. Rouge sur rouge, rien ne bouge, vert sur vert, tout est clair. Rouge chaque rouge. Rouge brûle. Rouge est rouge. Rouge serviette rouge. Rouge sauvage rouge. Rouge dit rouge. Rouge mais rouge. Rouge oh ! Rouge. Rouge ciel rouge. Rouge tue rouge. Rouge lueur rouge. Rouge dit rouge. Il faut du rouge. Est rouge la liberté. Est rouge la bouche. Est rouge la vague. Rouge grenadine rouge. Gre-na-di-ne. Rouge allée rouge. Rouge chante rouge. Chante orange. Rouge tient rouge. Rouge roule rouge. Rouge meurt rouge. Rouge peau rouge. Rouge fuit rouge. Colorie. Rouge boit rouge. Rouge prend rouge. Rouge clown. Rouge dance. Rouge manque rouge. Rouge bannit rouge. R coasse r, R mime r, R mache r, R tient r, R simule r. Rouge vole rouge. Rouge ce rouge. Rouge faux rouge. Rouge clame rouge. Rouge dingue. Rouge jamais rouge. Rouge surgit rouge. Rouge délivre. Rouge fatigue rouge. Rouge colère rouge. Rouge effraie rouge. Rouge aime rouge. Rouge cerise. Ananas. Rouge joue rouge. Rouge gros rouge. Rouge tape rouge. Rouge faxe rouge. Rouge douceur rouge. Rouge appétit. Rouge interdit rouge. Rouge cherche rouge. Rouge choisit rouge. Rouge désire rouge. Rouge propose. Rouge sel rouge. Rouge four rouge. Rouge montagne rouge. Rouge camion rouge. Ail rouge. Rouge fête rouge. Rouge chatoie rouge. Rouge. Rooge. Rooog. Roooo. O. O. Rouge démarre rouge. Rouge aurait pu résister à rouge. Rouge sale rouge. Rouge n’est pas rouge. Rouge dort. Rouge ondule rouge. Que dites-vous ? Rouge emporte rouge. Rouge salade rouge. Rouge débouche rouge. Rouge porte rouge. Rouge terre rouge. Rouge lance rouge. Rouge opère rouge. Rouge ose rouge. Rouge colle rouge. Rouge broute rouge. Rouge fleurit rouge. Rouge ne comprend pas rouge. Rouge goûte rouge. Rouge digère rouge. Rouge flirte rouge. Rouge paranormal. Rouge dégueule rouge. Rouge mime rouge. Rouge choque rouge. Rouge sue rouge. Rouge emballe rouge. Rouge gomme rouge. Rouge veut rouge. Rouge explique rouge. Rouge minus rouge. Et si l’on parlait du blanc ? Rouge répond ça n’est pas une couleur. Rouge exagère. Rouge hypocrite rouge. Rouge haut rouge. Rouge blanc rouge. Rouge plaine rouge. Rouge riziculture rouge. Rouge embrun rouge. Rouge chardon rouge. Rouge pluie rouge. Rouge barrière rouge. Rouge fusée rouge. Rouge vraiment rouge. Rouge estimation rouge. Rouge amuse rouge. Rouge coupe rouge. Rouge banlieue rouge. Rouge satiné rouge. Rouge ovale rouge. Rouge aristocrate. Rouge marche rouge. Rouge caillou. Rouge heure rouge. Rouge théorie rouge. Rouge épuise rouge. Rouge facile rouge. Rouge glisse rouge. Rouge bas rouge. Rouge dessine rouge. Rouge métallique rouge. Vitesse rouge. Rouge craie rouge. Rouge arrestation rouge. Mousse rouge. Rouge radis rouge. Rouge octet rouge. Rouge lamentable rouge. Rouge force rouge. Rouge terriblement rouge. Rouge évite rouge. Rouge renonce. Rouge a gagné au loto. Feu rouge. Rouge brille rouge. Rouge express. Rouge accélère rouge. Rouge éternel. Rouge mange rouge. Rouge parfait rouge. De rouge à rose. Rouge courageux rouge. Rouge rétroviseur rouge. Rouge commente rouge. Rouge célébrera rouge. Rouge tapis rouge. Rouge femme rouge. Vent rouge. Rouge branche rouge. Rouge alors rouge. Rouge clou rouge. Rouge mot rouge. Rouge cloche rouge. Confiture rouge. Rouge tout rouge. Rouge crème rouge. Rouge aussitôt rouge. Rouge marteau rouge. Rouge typique. Rouge pitié rouge. Rouge singe rouge. Rouge taxe rouge. Rouge plus rouge. Rouge làlà. Rouge chêne rouge. Rouge trinque rouge. Rouge cul rouge. Rouge mélangeait rouge. Rouge sortait rouge. Rouge fumait rouge. Rouge souriait rouge. Rouge sourit rouge. Rouge radiateur. Rouge robe rouge. Rouge pensée rouge. Rouge obligatoire. Rouge incompréhensible rouge. Rouge demain rouge. Rouge rein rouge. Rouge éclat rouge. Rouge rond rouge. Rouge coquet rouge. Rouge massacré rouge. Rouge sept-cent-soixante-dix-sept rouge. Rouge cabriole rouge. Rouge prisonnier rouge. Velours rouge velours. Et alors rouge et alors. Rouge viande rouge. Rouge poteau rouge. Rouge pétard rouge. Rouge flûte rouge. Rouge inimaginable. Rouge cinglé. Rouge identité rouge. Rouge troupeau rouge. Rouge méga rouge. Rouge abruti rouge. Rouge cave rouge. Rouge sucre rouge. Rouge magnifique rouge. Rouge final.

écouter la version sonore du texte
Ista Pouss
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Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers versus Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers Elle Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers toi Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers vous Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Verveine Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vertige Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers Elle Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers toi, Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers vous Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers envers Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers Verbe Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers chair Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Verdelet Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Verdeur Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers Elle Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers toi Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers vous Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Verger Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Verseau Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers le bleu Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers le jaune Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers Elle Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers toi Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers vous Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vermille le sanglier Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vermille dans la forêt Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers chemin Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers Elle, ELLE, AILES Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers toi, Toi, TOI Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vert, vert, vert Vers vous, Vous, VOUS.

Ugo Pandolfi
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Blanc poudreux sur le ballast. Blanc du ventre creux des péniches remontant la Seine. Blanc des mouettes butant contre le ciel blanc. Blanc des allées de l’île de la Jatte. Blanc de l’écorce des bouleaux, blanc au pied des peupliers. Blanc des 4L rue Collange. Blanc du mur du cimetière. Blanc sur le granit, blanc sur les croix. Blanc sur Maurice Ravel, blanc sur Louise Michel. Blanc givré de la terre gelée. Blanc sur le dos des chats errants. Blanc sur les plumes des merles. Blanc sur le vert des poireaux, blanc sur le noir du charbon. Blanc sous les paniers de basket. Blanc dans la cour de l’école. Blanc des draps froissés. Blanc de la cuvette des WC, de la chasse d’eau, du chauffe-eau. Blanc de l’évier dans la cuisine glacée. Blanc du lait dans la chicorée. Blanc du visage épuisé. Blanc des rêves oubliés. Blanc de l’Ultra-Brite, blanc du savon, blanc de la vapeur brûlante. Blanc du slip et de la chemise. Blanc de la cigarette sans filtre. Blanc aveuglant aux premiers pas dehors. Blanc des mains qui rajustent l’écharpe. Blanc du jour qui commence. Blanc à remplir, à situer, à tracer, blanc à combler.

Xavier Georgin
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Rouge orange jaune vert bleu violet grenat. Rouge cerise, rouge incarnat, orange, jaune, vert clair, vert herbe, bleu canard, bleu outre-mer, bleu roi, violet clair, violet foncé, grenat. Les 12 arceaux du jouet de bois. Jaune au centre. Jaune le soleil. Jaune les champs de blé des livres d’enfants. Jaune les cheveux du Petit Prince. Petit Jaune et Petit Bleu. Jaune ce qui brille ce qui luit ce qui le monde ce qui le forme ce qui l’énorme ce qui l’étale sur la surface du ciel ce qui l’été chaud très chaud très très chaud ce qui limite ce qui brûle ce qui apaise ce qui monte ce qui descend ce qui ignore ce qui sieste ce qui se cache ce qui découvre l’ignoré ce qui découverte ce qui monde encore il y a toujours d’autres mondes inconnus ce qui transporte ce qui va vite ce qui course ce qui vitesse ce qui vole ce qui survole ce qui embrasse ce qui étreint ce qui entraine ce qui danse ce qui tango serré très serré ce qui tourne ce qui chemine ce qui voit loin ce qui sommeille parfois ce qui bondit ce qui joue ce qui fou rire ce qui larmes ce qui… n’a pas de fin.

Magali Escatafal
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29 | Bleu


Bleu bleu bleu vois le trou de bleu bleu bleu sur un pas de deux bleu bleu bleu le flou de mer du ciel du ciel de mer tout bleu-bleu elle et lui elle et eux lui et nous sur le bleu-bleu-bleu prends le dans le pot de miel ce bleu plein de bulles sous la plume pour dire la fugue du mot bleu sur la rive de ta voix où l’on sent la faille sous les sons qui tonnent et il l’a crue bleue lui a fait la cour en bleu et il reste un mot flou en bas de page un mot ridé un mot vieux pour dire l’aube de son cœur bleu bleu bleu pâle pôle de ses yeux de sa main de sa peau qui sert de housse à son corps le jour la nuit c’est tout doux bleu bleu bleu c’est froid et chaud fixe le bleu quand il joue du bleu quand il en pleut en fine pluie sur son cou dans ses bras sur ses joues dans ses yeux en pleurs pour du bleu bleu bleu la note sous ses doigts fous pas à pas en pas de deux lui et elle hors champ tissent des sons qui font peur par leurs fines traces tissent des mots rudes aux crocs de glace bleue bleue bleue un jour ça fond le bleu et reste le son b le gueux du mot et elle le cache dans les plis de son drap et prie pour qu’il fonde

Françoise Sullivan
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30 | Mauve


1er juillet / J’ai 8 ans / Et ce matin-là ma mère est morte / On me l’a annoncé comme ça / Je n’ai pas su quoi répondre / Mon regard s’est perdu dans le vide / Je suis sortie / Le jardin n’était plus aussi beau / Les roses étaient tristes / Et le rhododendron m’a semblé plus petit / Les oiseaux ne chantaient pas ce matin-là / À moins que je ne les aie pas entendus / Je ne me souviens plus très bien / Je me rappelle le ciel / MAUVE / Mauve, mauve, mauve encore / Du mauve, du mauve, du mauve partout en mon dedans / Dans chaque interstice de mon corps / Le mauve s’est insinué / Je ne l’ai pas dit à mon père / Il n’a jamais rien compris aux couleurs / Maman, elle, pouvait citer huit mauves différents / 1er juillet / Ma mère est morte / Le ciel est mauve / Mauve / Comme les traces de morsure laissées par la perte / Mauve / Comme la solitude

7 mars / J’ai 37 ans / Des odeurs fortes / Chambre à l’eau forte / Humidité / Les couleurs claquent / Dans ma tête / Ricochent sur les murs / Clac Clac Clac / Des torrents de peinture / Couleur / Peau / La tienne / Ta peau / Rouge / Après l’effort / La mienne / Ma peau / Mauve / Après tes coups de dents dans mon cou / Nuit fauve / Nuit mauve / Le ciel devient mauve / Un clair-obscur teinté de mauve / Mauve, mauve, mauve encore / Dans chaque interstice / Du mauve partout / Du mauve toujours / Je ne te l’ai pas dit / Tu étais déjà parti / Mauve / Comme les traces de morsure dans mon cou / Mauve / Comme les traces de morsure laissées par la perte / Mauve comme la solitude

22 décembre / Je rêve creux / Je vois des anges violets / Des fleurs de coton couleur lilas / Ta couverture lie de vin / Sans nous dessus / Le tube de rouge à lèvres violine de maman / Vide / Un mur nu / Une toile indigo pendue à un clou / Mon reflet dans le miroir / Pourpre / Mes veines en transparence / Violacées / La terre sous mes pieds / Magenta / Le ciel / MAUVE / Ce mauve encore / Ce mauve toujours / Mauve / Je te hais / Mauve / Je t’aime

Éléonore Dock
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31 | CDe COULEURS à Rose


V1

Blanc noir couleur. Blanc noir coule l’heure… et nos amours ? Sous le pont coule une eau verte. Lait noir de l’aube. Dans la cave le charbon pépite. Cailloux d’or noir. Noir lumière. Noir trou. Des rouges papillonnent sur la terre reverdie. Une robe couleur de temps demande la fille au père qui tuera l’âne ? Chaque matin Bonnard notait la couleur du temps. Bleu d’hiver, ciel de mai. Un champ de Colza par la vitre du train. Le rose apâli des mains qui repassent. Un enfant court après sa balle : deux trous rouges au côté droit. « L’hiver nous irons dans un petit wagon rose ». Une effusion de taffetas bleu : ce bleu Corot il irait comme un gant à Emma Bovary. Oh ! bleu … A noir, E blanc, I rouge, U vert. Taper SUIE en blanc sur noir ou VERT à l’encre rouge. Pour une viande très rouge demandez bleu. Le rouge d’entre deux jaunes n’est pas le rouge d’entre deux verts. Un bleu quelque peu jaune n’est pas un vert. Un jaune plus ou moins jaune est encore jaune. Un jaune refroidi ne meurt pas, son or passe. Le gold fisch est un poisson rouge et le poisson s’en fiche. Un monochrome blanc passe pour silence. Un carré blanc sur blanc fait parler. Un rouge crie. Un vert sourd. Diriez vous que le violoncelle sonne jaune ? Une contrebasse jaune sur fond rouge, ce tableau rouge est un concert, il chante sans musique. Une grande desserte rouge aux arabesques noires. De la porte fenêtre de Collioure, vert, bleu, gris, noir au « Rot » de Rothko : temps suspendu. Un bleu spongieux pigmentaire en Klein à saturation. La chaise bleue de la chambre jaune, auriez-vous dit, par erreur. L’œil bleu de l’oreille coupée. Le brun noir des souliers. La joue purpurine. La blouse robe bleue de la mère de Paul — portrait oblique main roides — est une montagne, une sainte, la science d’un regard qui endure le temps. Ce petit pan de mur jaune a– t-il vraiment existé ? Couleur d’orange n’est pas ciel d’orage. Un bleu paon fait la roue. Rouge et jaune sont noirs dans le noir. De quelle couleur est la cendre ?

V2

Blanc Noir couleur Blanc Noir coule l’heure… et nos amours ? Sous le pont coule une eau verte. Dans la cave le charbon pépite Lait noir de l’aube Cailloux d’or noir Noir lumière Noir trou. Des rouges papillonnent sur la terre reverdie. Une robe couleur de temps demande la fille au père qui tua l’âne. Chaque matin Bonnard notait la couleur du temps. Bleu hiver. Ciel de mai. Un champ de Colza par la vitre du train l’odeur de sa couleur. Le rose apâli des mains qui repassent. Un enfant court après sa balle : un trou rouge au côté droit. Une effusion de taffetas bleu : ce bleu Corot irait comme un gant à Emma Bovary. Oh ! bleu ; A noir, E blanc, I rouge, U vert.. Taper SUIE en blanc sur noir ou VERT à l’encre rouge. Pour une viande très rouge demandez bleu. Le rouge d’entre deux verts n’est pas le rouge d’entre deux bleus. Un bleu quelque peu jaune n’est pas vert. Un jaune plus ou moins jaune est encore jaune. Un jaune refroidi ne meurt pas, son or passe. Le gold-fisch est un poisson rouge et le poisson s’en fiche. Un monochrome blanc passe pour silence quand le carré blanc sur blanc fait parler. Ce rouge crie. Ce vert sourd. Diriez vous que le violoncelle sonne jaune ? Une contrebasse jaune : ce tableau rouge est un concert, il chante sans musique. Une grande desserte rouge aux arabesques noires. De la porte fenêtre de Collioure, vert, bleu, gris, noir au « Rot » de Rothko : temps suspendu. Un bleu spongieux pigmentaire en Klein à saturation. La chaise bleue de la chambre jaune, auriez-vous dit, quand la chaise est paille et le mur bleu. L’œil de l’oreille coupée est bleu. Le brun noir des souliers. La joue purpurine. Le jaune mystique des champs. La blouse bleue de la mère de Paul - portrait oblique aux mains roides - est une montagne, une sainte, la science d’un regard qui endure le temps. Ce petit pan de mur jaune a-t-il existé ? Couleur d’orange n’est pas ciel d’orage. Un bleu fait la roue. Rouge et jaune seront noirs dans le noir. De quelle couleur est la cendre ?
Rose Rose d’éclosion des roses Rose de Rose dans sa robe purpurine que vit Vincent au jardin déchiré de ronces Rose de ses bras roses Roses de ses bas coulés dans la rosée Rose mouillé de sa rose Rose poudré de sa peau Rose madrigal Rose ta joue Rose ta gorge égratignée dans le petit wagon rose où court une folle araignée Rose du voile déchiré de Rose que vit Vincent au jardin éclatant de roses Rose d’un portrait de Renoir Rose sa bouche rose son nez sous la voilette noire Rose Cobra Rose exalté par le noir Rose tenant tête au bleu du ciel Rose étincelant sur l’eau verte où meurt Ophélie Rose Nymphéa caché dans les bleus parmes et les violets lavés Rose de vermine Rose de prose et de porosité Rose Ronsard Rose de putréfaction Rose nimbé de violet et de jaune Rose d’ecchymose Rose qui fut rouge Rose de sang lavé Rose brun Rose du triangle des suppliciés Rose de scarification Rose du mamelon de Rose que vit Vincent dans le jardin déchiré de ronces Rose bouton de rose Roses de foire à guimauves Rose de barbe à papa Rose ripoliné du manège de la foire à bestiaux Rose porcin des chairs pendues Rose exposé dans l’arène Rose Bacon Rose chiffon Rose fushia ou corail Rose lilas Rose saumon remontant la rivière Rose anglais so British dans un jardin d’Hockney Rose thé d’après midi Rose passé des mains de la repasseuse de Pierre Reverdy Rose tyrien de ton écharpe quand tu ne dis rien Rose de ta robe rouge sous le soleil de midi Rose de ta robe blanche à l’aube Rose de cette aube aux doigts roses Rose des roses du chemin des chaumes de la barre où vit Rose Victorien Rose de a rose rose is a rose is a rose is rose is a rose is a Rose

Nathalie Holt
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32 | Rouge avec chaise


version sonore uniquement
Catherine Barsics
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33 | Bleuème


Bleu, c’est ta langue qui tremble , bleu bleu bleu bl..... tu voudrais t’exprimer raconter parlotter bredouiller bafouiller même ; mais le euh... hésitant te blesse, bleu la faiblesse tu t’affaisses... bleu de bleu de nom de bleu ! de l’oubli des mots tu sombres dans l’omble des mots l’ombre qui tremble, onde sombre, faire surface , embourbé, omble chevalier désarçonné abandonné même de ton fidèle destrier, dans le bleu du grand bain, bleu à l’âme le chagrin ; blotti bleu loti mieux ? Les maisons de pêcheurs , pointe du bleu dans le blanc à la chaux ou Tanger azuré, casa azul... azur insurrection sauve qui bleu le rouge est mis... bleu lavandière laver le cambouis des travailleurs ; camaïeu camarades aux adieux... lave et délavé bleu jean élimé ou bleu de méthylène : paradoxale nuance de cyan probable désintoxiquant du cyanure lui-même. Bleu cobalt autre bleu douloureux toxicité et dureté... Bleus à guetter sur la peau des enfants au sourire malheureux... bleu air respire ; bleu ciel bleu ire : la colère bleue / bleu le ciel immense s’éclaire , bleu fuir et se réfugier entre ciel et mer Éblouir plein les yeux / bleu Klein, clin d’œil , yeux bleus les plus bleus d’amoureux... C’est pas une bluette, un bleuet, myosotis, ton côté fleur bleue petite fleur n’aies pas peur. Parbleu, bleu, blue, blown... souffle bleu, dans l’océan l’apnée, Bleu c’est ta bulle, souffle court, bulle bleue qui tremble, inhaler ton air détendu remonter à la surface pas plus vite que les bulles d’azote dans tes veines...bleu bl bl blup, blup, blup, blow up... bleu possible, bleu flexible...froid de bleu à nouveau bleu de la peau, le drapeau , bleu blanc, bleu le blanc le rouge encore aussi t’ont volé jusqu’aux globules, ton bleu roi , le sang bleu n’est plus qu’en schéma l’appauvri en oxygène, le chargé en CO2 cible si bleue si peu accessible, bleu bien blême, ton problème cet emblème... en bleu, en bleu, en bleu... marche à l’amble, d’emblée, plan bleu, bleu horizon, le bleu devenu bleuet bleuit de peur de froid et d’effroi, bleu nuit, nuit si bleue, blue moon, blue mood, nuit si bleue, nuisible en nuit bleue... bleu libellule bleue libellule bleue, psalmodie, balbutie en bleu ... « coupa bleu, bl... effaça bleu, bl... non traça bleu sur le sable, aima bleu... » bleu bleu bleu bleu bleu bleu #bleubleubleubleubleubleu bleu bleu bleu, flow flots bleus, les ruisseaux les rivières, les torrents, la vague qui vient frôler le bleu de l’iceberg qui brille et scintille dans le blanc, ça ravive et ravine envol et plongeon bleu plongeur, frôler la narcose, l’ivresse des profondeurs, osciller d’outremer à bleu des cieux vers les abysses seule couleur qui persiste...

Sophie Grail
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34 | Secret Love


Blanc le piano, aussi blanc que le sien est noir blanc le marbre de la cheminée blanche la musique quand elle commence puis les deux petites filles en robe blanche sautillent allègres courent légères elles ont l’âme blanche de très loin elles sont venues elles approchent et ramassent des cailloux blancs pour installer un kern vous voyez ce blanc ça a l’air bien sûr comme le blanc qui s’appelle pur comme le blanc du même blanc qu’elle a entendu quand elle lui a doucement touché l’épaule dans le dos une entente sans dire un mot parce qu’il a quelque chose en suspens dans sa démarche dans ses silences le blanc arrive trop souvent irruption qui dure évitant la parole vous le connaissez ce blanc tout à coup dans une conversation elle sait qu’il le sent sa figure son cou ses mains deviennent blanches ça lui court dans le sang la musique devient assourdie lente elle parle de cette plage blanche entre eux comme la page blanche de l’écrivain la page blanche de la copie elle ne s’écrit pas ne s’écrira jamais restera aussi blanche que le blanc du seringa le blanc du lilas le silence est d’un blanc laiteux pourtant leur complicité est certaine elle connaît de lui le plus enfantin le plus maladroit sa blessure à lui vient d’un blanc né à la frontière de son origine dans la musique le son comme le ressac se fait moins fort les petites filles en blanc reviennent elles tendent les mains et attrapent des choses pour les réinventer elle le sent mais ne peut y accéder le blanc celui qu’elle veut et désire depuis toujours est celui de l’unité de l’équilibre de la sérénité de la lumière regardez ce blanc installé ce n’est pas un blanc pur c’est un blanc cassé pas accordé la musique n’est plus sautillante mais saccadée le blanc pur n’est qu’un rêve de rêve fermez les yeux laissez votre cerveau aller là où il est plus blanc que la neige et vous verrez vous saurez le blanc le plus blanc que le blanc peut être blanc comme elle l’a imaginé le plus pur du blanc pur pur est juste un peu éteint juste un peu blanc cassé blanc cassé blanc cassé quelque chose inexplicable en lui la musique devient questionnante reste en suspend comme la chouette blanche la chouette effraie blanc argenté venue se poser sur la fenêtre cette nuit signe de clairvoyance de lumière au-delà de la nuit elle entend les dernières mesures de « Secret love » calmes et posées blanche sera la nuit blancs sont ses cheveux.

Simone Wambeke
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GRIS GRISGRIS GRIS grisâtre grisaille monotone GRIS ennui absence transparence faiblesse GRIS éteint neutre épais compact impénétrable GRIS brouillard GRIS muraille GRIS poussière GRIS cendre grise mine rime déprime GRIS manque GRIS chagrin GRIS fondu temps gris qui s’étire se triture trouble tâtonne dans le paysage gris ardoise mouillée de pluie monotone mélancolie grisette grisons grisons-nous pour le fun pour la légèreté d’un GRIS lumineux GRIS joyeux qui se marie avec la neige flocons blancs traînées roses tendres rubans de rose poudré fleurs de fuchsias violet puissant flammes rouges feu de coucher soleil bleu glacier pour le matin et le jour n’est plus monotone couleur multiple GRIS rose GRIS perle GRIS nacré GRIS argent GRIS améthyste GRIS bijoux métal acier étain GRIS décor précieux brillant GRIS tendance couleur pigeon souris ou taupe GRIS flanelle des tailleurs féminins d’antan élégance uniforme ennuyeuse mais mode GRIS intense lumineux se mêlant au ciel ensoleillé ballots éclatant de blanc lumière mangeant le noir profond GRIS intense lumineux immense ciel transfiguration rayonnement éblouissement sérénité

Monika Espinasse
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36 | Gâcher du noir


En une égression sonore :

Inspire & pousse l’air dans tes poumons vers le chenal vocatoire, fais vibrer au passage tes cordes vocales, caresse le milieu de ta langue, l’air s’échappe par le nez |n|      Arrondis tes lèvres en une légère constriction pour laisser ce filet d’air naviguer, comme le n, par le milieu de la langue      |w|Ta bouche bée pour le      |a|      précédant la dernière égression pulmonaire qui harpe tes cordes vocales      |R|      Et répète |nwaR|      Regardes-en la trace

En une digression lexicale :

De mâcher à gâcher : je ne mâche pas mes mots (au-delà de la simple fonction organique de digestion, la spontanéité d’un parler vrai), je gâche une couleur – ou plutôt, le mot qui la désigne (car le concept de chien ne mord pas, ah le cratylisme). Mais enfin, quelque part entre la doxa linguistique et le glissement consonantique de m à g, se joue quelque chose. Gâcher du noir, donc. Comme on dit « broyer », mais « gâcher » est une préparation moins violente, requérant moins d’énergie (« gâcher du plâtre », c’est le délayer avec de l’eau, en vue d’une opération de maçonnage, de hourdage ), mais aussi une opération qui n’a pas abouti : un échec (qui peut demander de l’énergie, aussi bien).

En un glanage :

Le noir évoque le passé minier de mon enfance (Valenciennes, Anzin, Raismes, La Bleuse-Borne, Beuvrages, Bruay-sur-Escaut), les bassins houillers, les gueules noires, qui portent sur leur visage leur condition de mineur, d’inhaleur de charbon voué à la silicose, de Germinal (quand Zola se rendait dans les mines anzinoises pour documenter son futur roman), la devise de la ville d’Anzin (« urit et alit » : le charbon « brûle et nourrit »). Enfant, j’en ai découvert le blason, créé paraît-il en 1874 : « D’or à la bande fascée vivrée d’argent et de sable de huit pièces, chaque fasce de sable chargée de quatre filets vivrés aussi d’argent, au chef soudé du même chargé de trois brasiers de gueules ». Le noir est ici « sable », les « brasiers » sont feux de charbons ardents. Le noir, ce sont les veines de végétaux décomposés qui courent dans la terre. Les charbonniers passaient très tôt, vers six heures le matin, en criant « Chaaaarbon », attendant de voir apparaître aux portes les visages bouffis de sommeil d’un client : alors ils déversaient une quantité impressionnante de gros boulets noirs par le soupirail, ce brasier froid à ras du soubassement de façade (les soupiraux voilés de toiles d’araignée, soufflant l’été leur haleine glacée, m’ont longtemps effrayé). Dans un poussier noir, dans un grondement à réveiller la rue, le charbon emplissait la cave d’un petit terril (que je prononce terri, à la wallonne). Noir pulvérulent, charbonneux, fusain des matins froids, que l’on allait chercher armé d’un seau à l’ouverture évasée pour alimenter le poêle. La petite montagne noire au fond de la cave rappelait les chevalets d’extraction et leurs immenses terrils de déblais, rejetés à la surface d’un paysage de dunes noires, toujours en mouvement. J’aimais ces petites montagnes difficiles à gravir, au sol labile. Il aura fallu attendre la fermeture des mines et la conservation des terrils pour qu’un jour je puisse gravir, dans la forêt domaniale de Raismes, l’un des terrils les plus hauts. Le noir y cède au vert de la végétation qui a peu à peu envahi ces mamelons schisteux. Les trognons de fruits jetés par un mineur dans un wagonnet de charbon ont donné naissance à des arbres fruitiers ; l’oseille y pousse, ensemencée par les graines présentes dans les étais des tunnels. Par association d’idée, je pense au mâchefer, résidu de charbon dans les fours industriels. Je crois bien que j’ai retrouvé ce mot dans un roman de Manchette (est-ce Fatale ou Le petit bleu de la côte ouest ? ) La mastication du charbon, sous forme de poudre ou de résidus, évoque sa dangerosité (les poussières de silice dans les poumons font mourir jeunes les mineurs qui mâchaient le noir, à en crever) mais aussi son recyclage en remblai. Dans ce dernier cas, le charbon a perdu sa couleur noire, ce beau noir intense et brillant propre à la houille, au profit, si l’on peut dire, d’un résidu gris terne de couleur anthracite, un gâchefer. L’étymologie francique de « gâcher » est « waskan », « délaver, tremper ». La houille trempée se gâte à force d’être mastiquée, comme un morceau de viande rouge indéfiniment mâché prend une couleur grisâtre. Inventons aussi mâche-houille & mâche-charbon.

Bruno Lecat
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Mauve, « o » sombre fermé, sonorité assourdie comme fauve, rôde entre rose et cyan, frôle lilas, violet, lavande -les volets parme des maisons de Belle-Isle, vient de l’indo-perse salvo-moldave malvea mais aurait pu naître mauvien, mauvrier -d’ailleurs mauvité existe, très peu usité pourtant utile pour désigner une beautivé calme et grave, et à l’égal de malvéite, j’aime mauvéine, qui sonnent sourds en bouche, sachant qu’il pourrait être un précipité rouge bleu, sang deuil, mais se présente plutôt comme rose mâtiné de bleu, tendance prusse, attention qui n’est pas amarante, se situe simplement quelque part entre le magenta et l‘alézarine, il est entre entre, et plus ou moins : rompu-saturé, lavé de blanc, teinté d’azur, comme dans la symbolique il est signe de sérénité, et de tristesse, Mmauve Sélavie en sait quelque chose.

Sylvie Serpette
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38 | Bleu Nuit, l’En nuit irise l’envie


Bleu Nuit qui happe comme un gouffre, attrape un pied, attire dans sa bouche. Bleu Nuit, lumières vibratiles, lumières volubiles, comme mille fées piaulantes qui frétillent et grouillent au cœur de la nuit. Bleu Nuit fige, m’hypnotise, Bleu Nuit captive je suis captive de ses grands yeux Bleu Nuit, bleue nuit où je me perds, dans ses larmes épaisses, ses larmes qui me bercent, ses larves qui me dévorent, dans le ventre d’un vortex. Festin d’une bleue nuit, mangée par la nuit, ensorcelée, mordue, mordue à la cheville, agrippée par une main. Piège qui se referme, fers que je traîne quand j’erre dans la nuit. Etouffée dans les velours indémêlables d’une mer pétrole, mon œil s’accroche à ses reflets indéchiffrables, je nage, nage, nage et m’épuise à regagner la rive incertaine. S’éloigne le rivage à mesure que j’approche, lointain mirage qui soudain se décroche, avant d’être à nouveau Saisie par la nuit, tirée dans ses soubassements. Bleu Nuit, au-dessous de mon corps flottent des abysses insondables, noirceurs éclairées de lumières surnaturelles, éclats de Paradis infecté d’enfer. Ses créatures impossibles, mi-monstres mi-sirènes, ces spectres irréels glissent sans bruit. Visions fantomatiques qui se matérialisent Une seconde, se concrétisent Une seconde, avant de subitement fondre, me laissant seule dans la nuit, avec la rémanence d’un regard impénétrable, d’une échine bleu électrique, d’antennes aux globes oculaires irisés, frôlements poisseux et glacés contre mes cuisses à la chair dressée. Myriades au fond des eaux, myriades le long de la voûte céleste, nageons dans le cosmos, enveloppés d’éternité. Bleue nuit, En Nuit, l’ennui d’une nuit qui n’en finit pas, l’ennui de balloter au gré des envies d’un Bleu Roi. En Nuit, somnoler se lover s’amenuiser, se déployer ondoyer, l’en nuit me va, elle ne nuit pas à l’envie, elle irise, électrise, claque la bise, ouvre les possibles. Elle chatoie, croît, de sa gueule béante comme une grotte sans voix elle appelle le hurlement du loup, qui s’y engouffre, la déchire d’un cri de ralliement. La meute aux abois, bientôt se revoit, retrouvailles festives, échanges de serments.

Séverine Correyeur
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39 | Page blanche


Blanc, blanc, blanc, nu, rien, blanc. Ce n’est rien, souvenir absent, du blanc, du blanc seulement. Blanc, mur. Se heurter, se cogner, page blanche, blanche blanche, page nue. Gomme, gomme blanche, blanche, blanche, effacer, s’effacer, ne rien garder. Ne pas regarder. Blanc, blanc, des blancs dans le texte, violents, remuants, muets, des blancs, muets, meurtris, meurtriers. Blanc, blanc, blanc, nu, rien, blanc, rien ne revient, oubli, amnésie, effacement. Blanc. Blanc sale. Blanc non innocent. Coupez ! Rien, nu, un mur, un rempart, un trou noir. Blanc, blanc, blanc, une coupure dans le texte, violente, remuante, meurtrie, meurtrière. Mémoire neigeuse, taiseuse, mémoire laiteuse, mémoire rageuse, entravée, bâillonnée. Chiffon blanc, blanc, souvenir troué, années blanches, rien, se heurter se cogner blanc, blanc, indistinct, indicible, muet. Blanc, indécent, blanc, blanc, blanc impudique blanc, impudent, blanc, obscène. Blanc, une tache dans le texte, violente, remuante, meurtrie. Brûlante.

écoute sonore du texte
Elisabeth Saint-Michel
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40 | « L’attitude du bleu »


« La couleur avant d’être vue s’annonce par l’expérience d’une certaine attitude du corps qui ne convient qu’à elle et la détermine avec précision. Ainsi avant d’être un spectacle objectif la qualité se laisse reconnaître par un type de comportement qui la vise dans son essence et c’est pourquoi dès que mon corps adopte l’attitude du bleu, j’obtiens une quasi-présence du bleu. » Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception.

Oui cela vous déplait peut-être que je mâche et remâche du bleu bleu — bleu —bl-eu —b-leu— b------leu il faudra vous y faire sacrebleu j’observe de nombreuses couleurs qui ne me transforment pas mais quand j’inspire du bleu j’expire du bleu le bleu prononcé vers le haut lèvres qui s’entrouvrent et se relèvent comme un éclair une illumination le bleu comme coup de fusil lèvres serrées et qui s’ouvrent brusquement en onomatopée le bleu du soupir de l’extase amoureuse le bleu des lèvres tendres qui s’appuient l’une contre l’autre avec lenteur glissent puis délivrent le son un bleu d’amour le bleu est là dès la première heure arrivée sur la planète bleue vue de l’espace diffusion du rayonnement solaire par les molécules d’oxygène justement à l’heure bleue celle qui dure peu l’heure prisée des photographe le ciel s’emplit d’un bleu-ardoise qui peu à peu s’assombrit ouverture à franchir avant la nuit pas d’autre choix possible ensuite parcours à définir et à subir suivant l’heure monter descendre aller revenir dessus dessous chercher du bleu partout dans toutes ses nuances l’anneau de Möbius est bleu aussi course dans la rue pentue qui mène juste à l’entrée de la maison chute récurrente bleu au genou à contempler au stade bleu privilégié les autres couleurs plus tardives sont secondaires tu verras toujours le bleu de son œil et le rechercheras dans les bleus que tu rencontreras ni obsession ni fétichisme que du plaisir renouvelé un aveu couleur bleue je savais que je t’aimais mais pas au point révélé par le travail d’écriture tu es survenue si souvent comme malgré moi bleus qui jalonnent le parcours de vie et qui s’inscrivent dans des circuits sans fin au sein de ma sphère bleue originelle l’étang le vélo la robe à petits carreaux tout est en bleu les oiseaux jardiniers amoureux du bleu me fascinent les différents bleus les bleus de mon âme l’infini la nuit tombante, la plongée dans la spirale, l’aspiration je perds pied le bleu hypnotique bain de bleus dissolution plus de moi plus d’ego expansion spirituelle une grande porte bleue s’ouvre un train bleu surgit la mygale ornementale saphire indienne installée dans le compartiment depuis plusieurs mois tire tire son fil bleu tente de m’entourer lentement de ce fil infini me laisserais-je faire c’est possible parmi les couleurs que je regarde que j’aime une seule et ses différentes nuances produit ces effets surprenants le bleu le bleu m’attire m’hypnotise m’enchante me transporte dans des infinis le Cavalier bleu est venu ce matin et a déployé un voile de spiritualité sur la ville masquée, déprimée, moribonde me figer dans les monochromes d’Yves Klein puis en un retour en arrière rejoindre les grands ciels bleus de Patinir bleus qui ne ressemblent ni à celui de l’ardoise ni au bleu outremer bleu unique intense surréel tous ses ciels enchantent reflètent les méandres de notre tête puis devenir une figure flottante dans la pénombre des eaux bleues et étranges de Bill Viola alors le bleu de la naissance de la mort le bleu de la noyade le bleu de la renaissance tissent leurs liens perception d’une beauté indicible hypnotique bain de ciels de bleus azur, céleste cérulé horizon infini retrouvons-nous ouvre tes grands yeux bleus d’amour sous le firmament bleu par une nuit éclairée par la lune et les étoiles bain de fleurs bleues bleuets nigelle plumbago myosotis pervenche iris jacinthe lavande centaurée bourrache chardon bleu lupin bain de sentiments bleus douceur de vivre, tendresse, amour fidèle sérénité espoir en son habit d’Arlequin aux couleurs de toutes les nuances de bleus vivre au pays bleu l’essentiel de sa vie bain de rêves prendre le train bleu rencontrer son araignée bleue et écouter la musique bleue le blues la musique des démons bleus des idées noires, de la mélancolie.

Huguette Albernhe
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41 | Le champ des possibles


Au réveil la surprise fut époustouflante à l’image de toute chose nouvelle pour un enfant. Dans le rectangle de la fenêtre, un blanc poudreux comme la brume a ravi le paysage.

Et nous, les mouflets, on a enfilé nos anoraks par dessus nos pyjamas et on a crié qu’on sortait mais on était déjà dehors par la neige éblouis.
Alors la mère nous entraîne aux marges de la ville, dans le chemin fruitier méconnaissable ainsi ablanchi, les mûres se sont volatilisées de la pagaille de ronces, désormais perlée de givre, qui soudain s’écarte

pour dévoiler

un vaste étendue glacée d’un blanc immaculé,

Incandescente sous le ciel chenu de l’hiver, et vierge de tout pas, de toute souillure d’enfant, une étendue de possibles dont on ne prend pas toute la mesure, seulement se repaître de son immensité, l’embrasser toute entière. Car nous les mouflets on s’élance engoncés dans nos pas s’enfonçant, emplis d’un allant ralenti par la substance à la fois croûteuse et poudreuse, qui craquette, et crisse, et couine sous les semelles des bottes, et on se roule dans cette poudre glaciale et crayeuse, on se vautre comme des petits marcassins sauvages, complètement givrés, ivres de froid et de blanc, brillant dans le blanc glacé des yeux de maman, regarde maman a rallumé ses yeux, enfin une lueur dans l’amer bleu du regard, ce voile entre nous qui à la fois nous sépare et nous enveloppe, pour tout compte fait devenir plus tard le notre, oui enfin elle rit et ses joues comme les nôtres ont pris le rouge feu des pommes d’api, et les rafales de chagrin semblent avoir été gommées pour toujours dans cet instant éphémère, car tout a enfin été recouvert comme un gâteau de ce glaçage sur lequel nous pouvons patiner, nous qui sommes les enfants sauvages aux plumages colorés, qui tournons autour de son feu follet en faisant youyou, sous le grand ciel maintenant dégagé, tiré à quatre épingles, que nous fixons d’un air flou alors que notre halètement s’apaise, étendus enchâssés dans nos cotonneux cocons, et petit à petit nous reprenons la conscience de nous. Le pantalon s’est un peu retroussé, il baille sur les mollets charnus, rougis comme giflés par le froid brûlant, et les chaussettes sont entortillées au fond des bottes. On retire à l’aide des dents le bout mouillé des moufles pour souffler notre haleine chaude sur nos doigts gourds. Au loin, au travers des herses de haies griffues, on distingue la ville bleutée, pelotonnée au creux du bois comme un oeuf de merle, d’où nous parvient une légère odeur de fumet. Les oiseaux se sont éteints dans l’entrechoc de nos rires, les fenêtres s’allument progressivement, c’est l’heure où les chiens aboient.

Et quand je fixe ma page muette et livide, avec ma furieuse envie d’écrire au bout des doigts,

Je ne peux m’empêcher d’y chercher vos empreintes ainsi serties dans ma mémoire, car je ne pourrai jamais écrire moment plus pur, douleur plus douce à faire ressurgir, je ne pourrai connaître plus intense communion. Et comment remplir à nouveau ce champ des possibles que nous avions calligraphié de nos signes de joie, comment souiller cet éclat qui me reste du nous d’avant, quand nous étions un tout, immuablement, avant que votre tendresse ne se fasse plus que tiède, et quand a t-elle commencé à fondre, à se transformer en statue de glace rance dont on efface les traces à lampées de serpillère ?

Cette page blanche à la gomme, je m’en empare, je la froisse en une boule compacte que je vous jette à la figure.

Anne-Sophie Dumeige
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Face au jury du CAPES d’arts plastiques, je choisis par ce matin clair de février le feutre marron. Sa couleur me rappelait, nostalgique, les bouses fameuses de Vieille Mamie, soleils de mon enfance. Le samedi, jour officiel de vente des pruneaux au marché du village, l’Ancêtre assurait une production d’étrons particulièrement volumineuse. Brillants facilitateurs gastriques, les petits fruits fripés n’avaient pas leur pareil pour alimenter chez la vieille des déjections qu’on qualifierait en termes contemporains de premium. Elle faisait sécher les plus belles et nous régalait avec, enfants de peu. Ah les restes de cette digne matière organique qu’elle tartinait gaillardement sur les murs de notre demeure familiale, au nom de nos parents, disparus si vite, si tôt ! Petits-enfants de Berthe-aux-Grosses-Bouses, notre vaillante masure des bords de l’Erdre fascinait les villageois. La lumière y filtrait à peine de par les carreaux sales, absorbée par la matière fécale, noircissant éclairage qui venait à bout des autres couleurs. Ainsi Marthe, fière de ses onze ans, voyait avec bonheur ses mèches blondes tirer vers le châtain tant les selles molles infusaient dans le logement et buvaient les vagues éclis jaunâtres du dehors. Cindy, elle, se passionnait pour la beauté prosaïque des produits de la vioque, et ne manquait jamais de se maquiller avec une préparation de son cru, savant mélange de caca et de pommade talquée, qui brunissait élégamment son teint de pêche, si ce n’est pas là dire un gros mot tant le rouge orange de ce fruit n’était pas de mise chez nous les Bloudeau. Et puis il y avait cette furieuse de Wilhelmina, notre aînée, qui travaillait au feu la merde, jusqu’à l’émietter sur les braises, qui fonçaient. Bien sûr, nous n’en faisions jamais des aussi belles que Mémé, même en nous gavant de laxatifs. Nous avions toujours ce jet, que les villageois auraient qualifié de « pollockien » si le brave Jackson avait eu la bonne idée de faire sa résidence d’artiste dans le 44, ce jet donc, immature, trop liquide, pas assez châtaigne, trop noisette, toujours s’égarant, jamais satisfaisant, et probablement insatisfait lui-même, car oui, c’était là toute la force quasi-christique de la vieille : par la force d’amour, celui qu’elle portait incidemment pour ses bactéries, j’ose le dire avec le recul, Berthe la mangeait sa merde, et tout ce galimatias marron devait grave bicher à l’intérieur : avoir à nouveau l’honneur de la bouche de l’ancêtre, de son estomac, de son intestin, de son anus, oui les pruneaux, bien les pruneaux ! « Au pouvoir les pruneaux ! » criais-je ce matin-là au jury, qui ne vit dans ce cri que bravade politique là où la geste chromatique voulait dire le Beau.

Guillaume Vasseur
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Blanc blanc blanc Blanc Blanc blanc bl bl bl bl bl bulle bulle bulle bulle mousse mousse mousse goutte goutte goutte goutte blanche blanche blanche écume écume écume blanche blanche blanche cible cible visible cible Pan Pan blanc blanc blanc blanc blanc blanc lentement blanc lent lent blanc blanc couvre efface couvre efface les plis blancs épiant les plis blancs les plis blancs les plis blancs pliant priant pliant ployant déployant le linge blanc brillant Blanc Blanc Semaine du Blanc beaux draps blancs Beaux Draps drapeau blanc claque au vent drap lent drap blanc drapeau blanc

Blanc trousseau immaculé amidonné blanc robe blanche la robe blanche offerte l’élue blanche blanche Blanchette Blanchette blanche brillant blanc priant dans les plis des draps blancs Murmure les pans blancs les bancs sur les pans blancs Pan Pan Pan Pan des cannes blanches blanches blanches Mur Mur chaud blanchis de chaud blanche blanche brûlante chaud blanche dans ciel bleu chaud blanche dans ciel bleu nuage blanc dans le ciel bleu nuage blanc ciel bleu sépare les blancs des jaunes nuages blancs ciel blanc ciel blanc monte en neige ciel blanc ciel nuageux ciel neigeux neige neige Blanche Neige neige blanche couvre recouvre tout la neige blanche blanche poudre blanche Blanche disparition oubli oubli oublier blanc glacé silence blanc silence blanc silence blanc espace blanc blanc blanc blanc blanc un blanc un blanc blanc blanche blanche noire blanche noire noire croche double croche blanche blanche noire noire noire blanche blanche croche noire noire noire

Hélène Boivin
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Ce ciel est d’un bleu que l’on qualifierait de ciel, bien que le ciel ne soit que très rarement de cette couleur précise. Ici, ce serait plutôt d’un ciel d’Annonciation qu’il s’agirait : l’une de celles qu’un peintre italien éxécuta dans les années 1430 et ce, bien que dans la peinture en question on le voie si peu, relégué en haut et à gauche de la composition, réduit à un modeste triangle traversé de part en part par le rayon doré de la divinité qui s’exprime depuis les cieux, justement, mais celui plutôt de l’architecture — oui, un ciel d’architecture — le modeste « plafond » peint en bleu de la loggia abritant le personnage féminin central, lui-même revétu d’un manteau bleu, d’un ton plus intense mais rehaussé du même or que celui des étoiles, s’accordant toujours avec ce ton de bleu rappelant la nuit, une nuit claire pétillante de clarté, une nuit pure, une lumière issue d’on ne sait quelle source touchant le manteau et le frangeant d’or, de même intensité que celui du ciel étoilé sous lequel le personnage est assis, et qui reçoit la visite de Gabriel — au passage et comme sans le vouloir, puisque c’est le geste d’avancer sa jambe gauche pour saluer la femme devant qui il se présente, qui ouvre le manteau de l’archange, manteau fendu sur le côté et laissant entrevoir le pan d’une robe au bleu vraiment ciel celui-là, d’une coloration presque trop claire, pas assez affirmée comme si la couleur demeurait dans le cercle de l’intime : un vêtement de nuit que Gabriel, dans sa hâte à obéir et transmettre le message divin, aurait omis de retirer ?… — Ce même bleu est repris derrière lui afin de matérialiser son ombre sur le sol. Ça n’est pas à travers ce bleu-là que le peintre signe la gravité de la situation, ni le rang des personnages à qui le tableau rend hommage. Mais plutôt le bleu du plafond et celui du manteau de la Vierge, puisque c’est d’elle qu’il s’agit. Bleu rehaussant encore la fausse profondeur de la pièce ouverte dans laquelle ils se tiennent face à face. Un bleu de Lapis Lazuli, d’indigo peut-être et que l’on ne retrouverait dans la nature qu’à la floraison de certaines fleurs de montagne ou bien encore sur les scènes des opéras où pour les scènes de nuit, une toile de fond est peinte en bleu, toile percée de trous éclairés par des luminaires figurant les étoiles, dont la clarté rendrait, par contraste, l’obscurité de la nuit. Le bleu serait alors une teinte contenant suffisamment de vert pour rester bleu, et non noir ou gris, à la lumière. Une fois ce bleu nommé, il resterait encore les bleus à qualifier de paon, cobalt, cigüe, belladone, ciel indien, gabier, mésange, pilote… et encore à désigner celui si particulier, semblant opaque, aveugle, des yeux des petits d’animaux, couleur de messe de minuit mais pas encore, entre les cils les yeux à demi fermés on distinguerait les cieux telle une eau limpide, d’un ton qui les toucherait assez peu, les revêtrait d’une toile de jean plutôt délavé, teinte délayée ou usée, couleur répondant, se répandant, dans la profondeur des pas, de nos empreintes creusées bleues dans la chair des soirs de neige et de froid rejoignant le ton des rivières, des fleuves se jetant dans les mers et les océans des cartes de géographie, ces voies dont on remontait les cours d’un doigt appliqué à suivre le bord des côtes. Le bleu différent de l’azur, bruyant et tourmenté, creusé par l’hélice et vers lequel on embarquait puis, une fois parvenus à l’altitude, avec la porte s’élargissant à mes pieds, engouffrant un paquet de ciel embrassé par les paras déjà accroupis et se laissant l’un après l’autre absorber, diluer dans la couleur avec une sorte de sifflement d’étoffe soyeuse quand, d’un coup, poussant sur le manche et l’avion mis en piqué, l’ouverture béante sur le souffle, la tête à l’envers chavirée, on s’en allait rejoindre la terre, perdus dans les bleus à l’âme de la mélancolie ou la tristesse masquée sous les larmes, le blues des retours ou des départs, sortes d’ecchymoses de nos pensées, plutôt noires, alors qu’on dit j’ai un bleu, lorsqu’on s’est cogné.

Françoise Durif
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45 | Poudre aux yeux


Eau fer atmosphère orange rabattu tu es la couleur qui craquelle aux rebords tranchants des tôles sous les peintures les carrosseries à l’intérieur des tubes tu perces les parois oxydes ou hydroxydes de fer argile rouge calamine teintes de vitraux poteries céramiques ocre hématite des peintures pariétales tu t’accordes partout où l’on passe boue et pierres au bord des chemins les épaves de véhicules aux murs des granges des ateliers le clou les outils délaissés les socs de charrue entreposés sur les cuisinières tu colores la fonte avec la même magie que le henné la peau en paillettes tu piques les portes des villes désaffectées tu auréoles les usines les entrepôts les ponts les armatures métalliques les avions abattus les armes tombées des mains des anciennes batailles se corrodent sous ton joug comme sous les océans les coques des navires alors que ton pigment contente les yeux lorsque tu pimentes et relève la bouillabaisse couleur rouille rouille rouille tu ferrailles vaille que vaille pour te faire ta place sous les ors du progrès tu le tétanises on t’attaque on ne veut plus te voir une couche d’huile sur les lames tu reviens comme l’automne on te passe au vinaigre à l’acide on te ponce à la laine d’acier alors tu t’envoles en poussière avec le même éclat que les chevelures auburn.

Laurent Hollow
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46 | Le blanc du commencement


Au commencement est le blanc. Blanc du lait de nos mères. Blanc des cheveux de nos grand-mères. Blanc-seing pour la vie qu’on attaque de but en blanc, entre la lessive qui lave plus blanc, le pain qu’on ne mange pas toujours blanc et le petit verre de blanc. Blanc de la chemise du marié, blanc de la robe de la mariée. Et quoi dessous tout ce blanc ? Quoi dessus tout ce blanc ? Blanc comme couleur de rien, comme le zéro qui compte le vide. Blanc écran, blanc accueillant : tous sur le blanc ! taches, images, témoignages, gribouillages, visage, virage, rivage, orage, Ô désespoir ! Blanc en mélange de toutes les couleurs ou blanc vide qui rejette toutes les lumières. Blanc, pur ennui, sans tâche, sans trace, sans histoires. Blanc de la neige qui enveloppe. Blanc du brouillard qui enveloppe. Blanc du pansement qui enveloppe. Blanc de l’infirmière qui panse. Blanc du linceul qui enveloppe. Blanc du nuage qui s’envole. Blanc de la mer qui écume et enrage. Blanc des phalanges quand les poings sont serrés. Blanc des ours en survie dans le paradis blanc. Blanc des baleines de nos lectures, qui flottent entre deux pages. Blanc des fantômes de nos lectures qui hantent longtemps les marges. Au commencement, le livre est papier blanc. Sur la page blanche, on y met ce qu’on veut, ce qu’on peut, ce qui émeut. Page blanche, tu n’es rien sans le noir qui te fais dire, le noir qui nous fait lire. Le trou noir qui nous fait écrire.

Juliette Derimay
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Noir noir noir espoir. Noir noir noir te revoir. Noir soleil noir. Pas adieu mais au revoir. Noir absolu de ne plus voir ton image dans le miroir. Noir noir noir du deuil du chagrin de la fin. Noir dépotoir des larmes, peine noire, misère noire. Diamant mort scintillant dans la nuit noire. Noir le fol espoir, noire chimère envolée. Noirs tes cheveux, noirs tes yeux charbon. Noires mes idées noyant les eaux d’encre de la nuit. Désespoir des nuits blanches amoncelées. Chat noir chat blanc porte malheur. Outre-noir, outre-tombe d’une nuit sans étoiles et sans rêves. Noir mensonge, noir coupure, fuite, suicide. Noir écran quand le film est fini. Noire la colère, noire la fumée derrière laquelle tu t‘es évaporé. Noir le trou, descendu seul, tout seul, dans le trou noir, sans moi. Noir le vide sombre de l’âme désolée, noires les retrouvailles impossibles. Puits sans fond des enfers. Noir l’infini. Noir Orphée, j’irai te chercher sans me retourner.

Catherine Marchi
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Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise BLEU Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise VERT Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise BLEU Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise VERT Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise BLEU Turquoise BLEU Turquoise VERT Turquoise BLEU Turquoise VERT BLEU VERT BLEU VERT BLEU VERT BLEU VERT BLEU VERT BLEU
VERT QUOI ? Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise BLEU Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise VERT Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise BLEU Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise VERT Turquoise Turquoise BLEU Turquoise VERT Turquoise BLEU VERT BLEU VERT BLEU VERT BLEU VERT BLEU VERT QUOI ? Turquoise Turquoise Turquoise BLEU Turquoise Turquoise Turquoise VERT BLEU VERT BLEU VERT BLEU pâle VERT pâle VERT pâle BLEU

Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise BLEU Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise VERT Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise BLEU Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise VERT Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise BLEU Turquoise BLEU Turquoise VERT Turquoise BLEU Turquoise VERT BLEU VERT BLEU BLEU VERT BLEU VERT BLEU VERT BLEU VERT WHAT ? QUOI ? WHAT BLEU ? WHAT BLEU ? WHAT Turquoise BLEU Turquoise VERT WHAT ? Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise WHAT ? Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise WHAT Turquoise WHAT Turquoise Oise Turquoise Oise Turquoise WAS BLEU WAS VERT Turquoise WAS Turquoise WAS Turquoise WAS Turquoise Oise Oise Oise Oise Turquoise WAS Turquoise WHAT Turquoise THAT

Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise BLEU Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise VERT Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise BLEU Turquoise Turquoise Turquoise Turquoise VERT Turquoise Turquoise Turquoise BLEU Turquoise BLEU Turquoise VERT Turquoise BLEU Turquoise VERT BLEU VERT BLEU VERT BLEU VERT BLEU VERT BLEU VERT BLEU VERT BLEU OISE BLEU WHAT Turquoise BLEU Turquoise Oise Turquoise was TURQUOISE WHAT ? WHAT OISE WAS ? WHAT WAS THAT ? WHAT WAS THAT TURQUOISE ?

Codicille : Crépy en Valois, Compiègne qui pourra.
Antoine Hégaire
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Le vert, le vers, le vers, le vert,

Envahit tout l’espace,
le bruit du vent fait tressaillir ses feuilles,
couleurs, dans tout l’espace,
Tous les possibles, Tous les ,
Devants !!

frou frou frou frou,frou , bruisse le vent,
et ces feuilles frémissent, vent d’hivers,
d’été comme de printemps,

le vert, le vers , feu vert,
tout ira bien !

toutes les routes s’ouvrent,
sans aucun interdit, libres, penser
aucun rouge ! oser, aller !
loin !
sans peur, sans rien !
oser, juste vers l’inconnu, devant !

le vert, le vers le vers,
réjouit tout le cerveau,
du verbe, rêveur, presque sans mots.

Espoir et cœur printemps qui devient,
déjà, s’envole la feuille, arrive son bourgeon vert !
en vers, en vert,
au vent léger !

Anna Plissonneau
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50 | Choses qui


Grisaille de nuages
Grivelure de marche
lente
à la bordure du
grignotis sable
et eau

grise grise grise

Griffes aiguës
l’hiver grisonnant
griffonne gribouille

grise

Jacques de Turenne (2)
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51 | orange roux


C’est orange, non, c’est roux, c’est évidemment orange, je dis que c’est roux, mais c’est orange, roux, ORANGE, roux, je vous dis que c’est indéniablement orange, roux, prouvez que c’est roux, prouvez que c’est orange, pas besoin de prouver puisque c’est orange, c’est roux, orange, orange, orange, roux, orange comme les oranges, c’est roux, mais c’est pareil aux oranges, roux, tout le monde dit que c’est orange, qui dit que c’est orange puisque c’est roux, c’est ooooorange, voyez là, orange vif, c’est roux, ça ne devient pas roux juste parce que vous dites que c’est roux, ah non ? eh bien, c’est roux, vous dites roux pour rien, je dis roux simplement, c’est orange, roux, O-R-A-N-G-E, c’est pas en épelant que ça devient orange quand c’est roux, vous niez une évidence, c’est orange, un point c’est tout, je ne nie rien, j’affirme que c’est roux, mais c’est faux, vous avez dit roux, non, je dis que c’est faux quand vous affirmez c’est roux, on ne peut pas changer le roux pour qu’il devienne orange, pas besoin, c’est orange, c’est on ne peut plus roux, vous avez une lubie pour le roux, non pas de lubie, c’est roux, mais si une chose est verte vous pouvez pas dire qu’elle est rose, j’ai jamais dit cela, mais c’est un exemple, mais quel exemple, je ne vois que du roux, c’est bien là le problème, vous voyez roux alors que c’est orange, orange, vous avez un problème avec l’orange, aucun problème, mais je ne peux pas admettre que c’est orange quand c’est roux, c’est votre imagination qui vous joue des tours, non, c’est la vôtre qui vous confond, on ne peut quand même pas se tromper à ce point, orange c’est quand même bien différent de roux, mais si vous rencontrez un roux vraiment roux, vous l’appellerez comment, eh bien, je l’appellerais roux, comme maintenant, cependant vous savez qu’il y a une différence entre l’orange et le roux, bien sûr qu’il y a une différence, mais que ceci est roux est un fait, comment un fait, un fait orange, bien sûr, non, un fait roux, c’est tout simple, et si on disait que c’est orange roux, c’est encore plus impossible que de dire orange, alors ne disons rien, mais si nous ne disons rien, cela ne sera ni orange ni roux cela ne sera rien du tout, alors que c’est bien roux, non, c’est orange, roux, orange, roux, et si on abandonnait cette discussion ridicule, l’orange serait orange et le roux resterait roux, mais c’est roux, c’est orange, non, c’est bien roux, je viens de vérifier, vérifiez tout ce que voudrez, cela restera orange, imbécile roux, imbécile orange.

Helena Barroso
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52 | Impact (propos sur la qualité vibratoire des choses, dit-il)


[...] = comme s’il n’était = pour l’instant dit-il = pour sa part = sensible qu’à quelques figures (cf note 1) = toujours les mêmes dit-il = celle d’hommes assis par exemple = tous pareils = ou quasi = à des tables = toutes pareilles = ou quasi = portant tous = sans exception = ces mêmes costumes sombres = disons noirs dit-il = de bonnes : coupe & facture = comme si même ici = dans le cube noir = dans cet espace où = tout au long de la journée = tout au long de la nuit = des êtres & des choses surviennent dit-il = les : coupes & factures = comme c’est curieux = importaient = comme si = quelque part = même ici insiste-t-il = on jugeait quelqu’un = la qualité de quelqu’un = à la qualité de sa coupe dit-il = un vêtement = même ici dit-il encore = de bonne coupe mais de mauvaise facture pouvant = pan = ruiner quelqu’un = le discréditer = un vêtement = même ici dit-il encore = de bonne facture mais de très mauvaise coupe pouvant = pan = discréditer quelqu’un ou lui nuire = prenant soin = dès lors = quant à lui (cf note 2) = à ce que chacun = chaque homme = porte ici = des vêtements adéquats = adaptés au mieux = au cordeau = à sa morphologie = les hommes convoqués jusqu’ici = prenant place ici de part & d’autre des tables = immanquablement carrées = immanquablement vintage = immanquablement en bois = portant tous = sans exception = ces mêmes costumes sombres = disons noirs dit-il = de bonnes : coupe & facture = ces mêmes cravates noires = très classe = très étroites = ces mêmes chemises blanches = de qualité = parfaitement repassées = s’adonnant au même geste à l’envi = répétant = des fois dix mille fois dit-il = le même geste = chacun le même = ou des fois répétant dix mille fois le même geste = chacun le sien = ça n’a pas d’importance = on ne tranchera pas = mais le répétant = encore & encore = jusqu’à ce que : quelque chose arrive dit-il = un cataclysme = une horreur ou un drame = ou bien trois fois rien = bien souvent trois fois rien = un coup de vent par exemple = simple coup de vent = totalement surprenant = imprévisible dit-il = ouvrant en grand une fenêtre & s’engouffrant = pan = dans la pièce = mettant à mal bien des choses dit-il = les casseroles en métal suspendues au plafond avec soin à de petits crochets = métalliques & noirs = les assiettes claires séchant goutte à goutte & posées à plat = ou quasi à plat = l’une sur l’autre en une : rosace parfaite dit-il sur l’évier (cf note 3) = etc. dit-il = toutes ces choses sur le fil = en équilibre précaire dit-il = au bord du gouffre ou : à deux doigts de = pan = plonger dans le noir = basculer dans le vide = posées là = sur l’évier = sur la table ou sur le frigo frigidaire = des piles épaisses de : papiers divers = publicités & factures = pas encore réglées = ou déjà réglées = peu importe = pan = valdinguant soudainement par terre = des piles éparses de : tasses mauvaises = usagées = & de gobelets mauvais = usagés = valdinguant = pan = soudainement = du dessus du frigo frigidaire & vintage de bonne taille pas plus haut qu’un petit homme & tout en rondeur brillant de mille feux dit-il dès qu’un rayon de soleil = pan = le frapperait de plein fouet sa couleur blanche ou rouge = blanche ou rouge ? = blanche ou rouge ? = je ne sais pas dit-il j’hésite = prenant soudain vie = allez hop = tranchons = va pour rouge dit-il = c’est vendu pesé = emballé pesé = on ne sait ni comment ni pourquoi = les êtres & les choses prenant soudain vie = allez = pan = devant nous = sans qu’on sache ni comment ni pourquoi = un frigo frigidaire & rouge totalement insipide = ou insignifiant = ne payant pas de mine comme on dit = prenant soudainement = pan = toute la place en raison de : on ne sait pas quoi = un coup de vent ou un coup de soleil dit-il = un rayon le frappant = par hasard dit-il levant la main comme si ce qu’il dirait ce qui lui viendrait à l’instant à l’esprit avait quelque importance = de plein fouet dit-il = le : transfigurant à jamais dit-il = ou momentanément = lui faisant prendre = momentanément = toute la place = comme si son rouge = sa couverture dit-il = jusqu’ici : terne & quelconque dit-il = légèrement orangé & son : argenterie dit-il = sa poignée immense & sa : marque de fabrique incrustée dans sa porte = se détachant = soudainement = exaltante = ou éblouissante = du : rouge parfait dit-il = si brillant = ou éblouissant = de la porte = se seraient = pan = soudainement = on ne sait ni comment ni pourquoi = mis à : vivre ou vibrer dit-il = c’est dingue ça = ou quelque chose dans ce goût-là = distrayant = en quelque sorte = c’est pan = c’est de façon inattendue = les deux hommes = cette fois-ci ils sont deux = ils pourraient être trois = rarement quatre = ils pourraient être seuls mais c’est deux = maintenant deux = assis jusqu’ici à une table = une = distraits (cf note 4) soudainement de leurs tâches dit-il encore = comme si = soudainement = en raison d’un : coup de vent ou d’un : coup de soleil dit-il = ils avaient eu mieux à faire dit-il = ils avaient eu à : se lever de table = laissant = pan = de côté = c’est si brusque & soudain = tout ce qu’ils étaient en train de faire = cette fois-ci : trancher des tomates trop mûres = disons : cette fois-ci : trancher des tomates trop mûres = veiller à ce que : aucune goutte = aucune éclaboussure n’atteigne = par inadvertance = ou par accident = quelque chose d’extrêmement salissant = un vêtement par exemple = une chemise blanche par exemple = ou quelque chose dans ce goût-là = comme s’il leur importait que tout reste propre = comme s’il leur importait de : veiller dit-il à ce que : tout demeure à sa place dit-il = se levant alors = pan = brusquement = c’est soudainement = de table (cf note 5) dès que quelque chose = coup de vent ou coup de soleil = allez = pan = disons coup de vent = décrocherait = dans une brusque rafale = les casseroles = étincelantes = suspendues dans les airs ou renverserait la table & tout ce qu’il y aurait sur la table = les couteaux de cuisine ultra fins & les tomates = très mûres = très rouges = tranchées déjà avec soin = ou dans l’attente de l’être (cf note 6) = si tant est qu’elles attendent = aucune chose au monde : à ma connaissance dit-il n’attendant du monde quoi que ce soit = aucun être au monde : à ma connaissance dit-il n’attendant du monde quoi que ce soit = comme si chacun chacune vivait dans : un monde parallèle dit-il = comme si nous vivions = chacun chacune = dans : des mondes parallèles dit-il = sans nous soucier vraiment de ce qui aurait lieu = arriverait quelque part = touchant l’autre = chose ou être = de plein fouet = comme c’est bizarre = comme c’est absurde dit-il = comme si nous ne nous souciions que : de nous-mêmes & encore dit-il = absurde absurde dit-il encore =

note 1 = comme s’il s’agissait = d’abord & avant tout dit-il une fois = une autre fois = de : se limiter sciemment à quelques figures = pourquoi celles-là & pas d’autres ? = je ne sais pas je ne sais pas dit-il = comme si l’on percevait dans les choses = ou leur : assignait = des : qualités vibratoires & rien d’autre dit-il = des figures comme une table = simple table en bois brut & carrée = décapée avec soin & deux ou trois silhouettes des fois très précises des imprécises = suffisant = quant à lui = largement = à : susciter en lui des : qualités vibratoires dit-il = comme si ces : qualités vibratoires dit-il émanaient tout autant de lui-même que des choses dit-il encore = tout le travail = toute la vie = se bornant alors à la : tâche dit-il de : faire avec dit-il = comme si nous étions nés pour ça = rendre compte = dire qu’aussi = nous aussi = on aura été = tenté d’être = shazam & zou dit-il = au mieux = je répète : au mieux = de : l’espèce humaine dit-il = partant ensuite dans : des considérations d’ordre moral ou politique je ne sais pas = je ne sais pas ce qu’il dit ensuite = trop tôt pour le dire =

note 2 = comme si nous jouions ici un rôle = comme si nous étions ici aux manettes = n’étions pas nous autres : à la merci des choses dit-il = aime-t-il à dire = aimait-il à dire = comme si nous : ne dépendions pas = entièrement = des choses = des êtres & des choses = absurde absurde = les impacts = ou qualités vibratoires = naissant en nous ne pouvant naître en nous qu’en raison de : nos frictions avec les choses = ou quelque chose du genre dit-il = soudainement évasif = ne creusant pas l’affaire = comme si cela n’avait pas d’importance = bon sang =

note 3 = comme s’il importait de faire beau = d’abstraire les choses & les êtres du monde afin de faire beau = comme si tout ceci = toute cette affaire de figures & de cube noir = était = d’abord & avant tout = une question de beauté = ou comme si la beauté était = au-delà ou en-deça des : goûts & couleurs dit-il = d’abord & avant tout = une affaire de : qualité vibratoire = les êtres & les choses se mettant alors = soudainement = c’est inattendu = ça n’a lieu que dans l’inattendu = qu’à l’instant où : l’attention = ou le corps = se relâche = la fatigue nous gagne ou quelque chose dans ce goût-là = les êtres & les choses se mettant alors comme à : vibrer en nous = non que : les êtres & les choses vibrent réellement en nous mais tout se passant comme si = soudainement & pourquoi = quelque chose des choses = quelque chose des êtres = des petits peuples dit-il qui nous entourent = ou nous viennent à l’esprit = pan = nous : impacte dit-il = provoquant en nous quelque chose de l’ordre d’une : qualité vibratoire exceptionnelle dit-il = qualité vibratoire de : toute beauté dit-il (cf note 7) =

note 4 = mais comment ? = l’un des deux hommes tournant = visiblement = le dos à : l’affaire dit-il = en l’occurrence ici : un frigo frigidaire de bonne taille se mettant = soudainement = à vibrer : dit-il = comme s’il prenait = pan = soudainement ici = vie = émettait quelque chose : des ondes ou plutôt en nous suscitait = en moi = des ondes déferlant en moi en vagues gigantesques ou minuscules = peu importe = peu importe = bon dieu dit-il = ne pouvant dès lors = quant à lui = remarquer l’affaire = ne pouvant dès lors = quant à lui = recevoir l’impact = aucun ou aucune d’entre nous n’ayant d’yeux dans le dos = aucun ou aucune d’entre nous ne pouvant remarquer ce qui se : tramerait = aurait lieu = dans le dos = si ? dit-il = si ? = si ? =

note 5 = trop vite dit-il = beaucoup trop vite = comme si la question était tranchée = comme si l’on avait tout dit = comme s’il n’y aurait pas à dire la distance = le fait que : les deux hommes = tout entiers à leur tâche = tenaient à distance leurs tomates = tendant les bras & tranchant une à une les tomates trop mûres à distance = comme s’ils prenaient soin de trancher = lentement = avec soin = chaque tomate = se méfiant des : giclures & éclaboussures dit-il susceptibles de : rougir = c’est niquer à vie dit-il = des : chemises en lin ou en coton d’inde dit-il =

note 6 = comme si les choses & les êtres du monde étaient en attente d’être dit-il un jour une fois = absurde dit-il = comme si les choses & les êtres du monde avaient besoin de nous pour vivre pleinement leur vie de : petits peuples dit-il encore = énigmatiquement = sans creuser l’affaire = sautant = comme à son habitude = d’une : théorie à l’autre = laissant nous autres = ses auditeurs = ses auditrices = des fois perplexes = des fois : pissant de rire lui dis-je = ah bon ? a-t-il dit & : oui j’ai dit =

note 7 = revenant alors = quant à lui = sans qu’on s’y attende = à cette affaire d’hommes se levant brusquement de table en raison d’un : coup de vent violent faisant valdinguer dans les airs = d’abord dans les airs = la : panoplie des choses dit-il en : équilibre précaire = comme s’il leur importait = pan = d’un coup = alors qu’ils étaient tout entiers à leur tâche = alors qu’ils : débitaient avec soin = tranchaient ? en faisaient des cubes ou parfaits ou dit-il à la : va comme je te pousse = je ne sais pas = je ne sais pas = des tomates rouges = trop mûres = susceptibles de nuire = de niquer à vie = des : êtres ou des : choses délicates = pan = prenant en : pleine poire dit-il = des : giclures ou éclaboussures impactant = des fois c’est à vie = des êtres & des choses dit-il = comme si = au-delà de leur geste = leur action précise = il leur importait = plus que tout au monde = de : garder le monde propre sur soi dit-il = disant que = selon lui = il importerait = à son sens = à ces hommes = plus que tout au monde = de : garder le monde propre = se levant = dès lors = brusquement = de table dès que le vent = pan = aurait ouvert la fenêtre en grand = l’un d’entre eux = toujours le même = se précipitant sur l’espagnolette = tâchant de refermer dix mille fois la fenêtre à l’ancienne = s’ouvrant dix mille fois au moindre coup de vent un peu fort renversant dix mille fois la table & les chaises & tout ce qui serait ici en : équilibre précaire dit-il = l’autre = toujours le même = remettant en place sa : mèche rebelle lui tombant = pan = dix mille fois sur le front = ou devant les yeux = je ne sais pas = c’est trop tôt pour le dire = relevant = ou tâchant de le faire = dans le même temps = la table = les chaises & la table = ou tâchant d’éponger les dégâts = comme s’ils s’adonnaient tous les deux à : une tâche impossible ou absurde = répétant l’un & l’autre dix mille fois les mêmes gestes = comme : s’il était idiot de : tâcher de sauver le monde = comme si : la question était ailleurs dit-il = être au monde était ailleurs = dit-il = comme si : la résistance = ou la révolte = était ailleurs = mais où ? dit-il encore = énigmatiquement = refusant d’en dire plus = n’étant pas du tout sûr de ce qu’il dit = n’étant pas du tout sûr de ce que je dis dit-il =

Vincent Tholomé
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Vert d’hiver vert printemps vert mes yeux verts reflet d’hiver vert mes yeux d’hiver vert mes yeux de printemps vert l’herbe et la feuille vert la mer verte la mer verte la vie verte la vie verdure vert dur dur vert duvet d’hiver hiver sans vert vert sang verser le sang vert viens vert reviens vert reviens vers nous vert d’hiver hiver vous n’êtes qu’un vilain hiver hiver vous n’êtes qu’un vilain vert hiver vert hiver vert hiver vert printemps attends printemps attends vert printemps vert l’herbe la feuille le trèfle verte l’aiguille de l’if verte l’aiguille du pin du sapin de l’épicéa vert l’hiver vert l’hiver conifère vert feuillus printemps vert la mer verte la mer vert attendre le vert attendre le vert printemps la vie la belle verte la belle ouverte la belle ses yeux sans vert mes yeux vert mes yeux verts reflets la belle verte d’hiver belle de printemps belle de jour belle de nuit verte la belle verte la belle ouverte la belle mes yeux ses yeux verts de mer Vermeer vert Vermeer rideau vert la belle à la fenêtre à la fenêtre d’hiver derrière le rideau le rideau vert à la fenêtre d’hiver le rideau de printemps ouvert à l’hiver hiver vous n’êtes qu’un vilain hiver hiver vous n’êtes qu’un vilain vilain vert Villars-Vert vilain Villars-Vert vert de ville ville verte ville ouverte ville d’hiver ville fermée ville sans vert envers de ville vert de la forêt verte la forêt forêt noire et vert la forêt verte la forêt d’hiver la forêt de printemps la forêt du vert la forêt du temps vert verdir le temps Verdi le vert Albert le vert la vie en vert – en vers en verre en ver envers – la vie en vert vie de forêt vie de mer vie de mes yeux vides verts de tes yeux pas verts pleins tes yeux pas vert mais mes yeux verts reflets d’hiver reflets de printemps la grand-mère a repeint le banc en vert la grand-mère d’hiver la grand-mère a repeint le banc en vert pour le printemps le banc vert devant la maison les volets verts le banc les volets la peinture la grand-mère le banc le vert le blanc le verre le banc la bière le banc le père les yeux verts le père les yeux verts du père les yeux verts du fils les yeux verts pas la mère les yeux bleus la mère le vert de la mer mer de vert mer d’hiver vert l’hiver vert le printemps les arbres les feuillus les conifères verte la terre les herbes les mousses les lichens verte la forêt verte la rivière verts les tracteurs Deutz verts les tracteurs Hürlimann verts les tracteurs Fendt verts les tracteurs John Deere vert le banc vert le bois vert le cheval de bois vert le cheval de bois dans la cave vert le cheval de bois dans la cave de devant devant le vert derrière le vert vert de tous les côté verdir la vie voir la vie en vert voir la vie verdie Verdi l’air du vert l’air du vert d’hiver hiver vous n’êtes qu’un vilain un air de Debussy un air vert de Debussy des tracteurs verts à Bussy des tracteurs verts à Cousset des tracteurs vers à Montagny vois-tu le vert d’hiver à Montagny vois-tu des voitures vertes pas de voitures vertes que des tracteurs verts Deutz Hürlimann Fendt John Deere tracteurs verts pelleteuses remorques chars militaires verts vert-de-gris vermine militaire vermifuge vert militaire vert pervers vert militaire vert de guerre vert de griserie militaire vert-de-gris gris-vert vert de guerre vert d’hiver vert de guerre d’hiver campagne militaire verte campagne Frauenfeld champ des femmes vertes champ des femmes vertes les femmes vertes les filles à militaires vertes les fées vertes tordre leur cheveux verts et longs jusqu’à leurs pieds vert les pieds des militaires vert l’absinthe vert l’ivresse verte vert les filles d’ivresse verte vert l’hiver sans ivresse vert le printemps des filles vertes vert le printemps d’absinthe verte l’absente aux yeux qui ne sont pas verts vert ce sont mes yeux à moi les yeux du père les yeux du frère vert ce sont mes yeux à moi tes yeux ne sont pas verts mes yeux le sont ils sont verts mes yeux vert d’hiver vert de mer vert de forêt vert de printemps vert de tracteurs vert de banc que la grand-mère a repeint en vert pour le printemps vert la potion verte pour les maux de ventre vert le ventre à l’envers vert l’en-dedans du ventre vert petits pois haricots choux vert pois mange-tout épinards choucroute verte la choucroute dans la cave avec le cheval vert verte ma plaine ma plaine verte du vert à l’envers c’est encore du vert du vert sur toute la terre du vert du vert du vert du vert du vert sur toute la terre du vert.

Vincent Francey
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54 | Tempête bleu


Céruléenne, trop littéraire, vineuse alors, c’est encore bleu ça ? pourpre dit le dictionnaire, agitée donc, mais c’est pas une couleur, ça fout la trouille quand même, mais bleue la trouille, pas la mer, la peau blême, c’est plutôt ça la trouille bleue, et l’estomac retourné, à vomir quoi, ça sort verdâtre, couleur de bile, ça sort comme ça peut, ou ça ne sort pas, ça reste sur l’estomac justement, le bleu tout autour qui devient presque noir, un bleu à psalmodier le désespoir, un bleu de blues, un blues de nostalgie, ça chante dans les oreilles, ça attire même vers le gouffre, gouffre en haut, en bas, on n’y voit que du bleu, pas le bleu mièvre des naïfs, non plutôt le bleu de l’âme à la dérive, de quelle couleur alors ce bleu-là ? un bleu profond comme l’azur, mais ce serait plutôt l’espoir, alors que là vraiment, non, on se voit déjà flottant cyanosé entre deux eaux, couleur de noyé, exhalant tout l’air de son corps en petites bulles d’un bleu pâle qui contraste avec le bleu-cobalt de la mer, devenue soudain mine d’argent soumise à l’alchimie des esprits trompeurs, le sang glacé, le sang bleu pour ainsi dire, mais pas de quoi être fier, bleu pétrole, bleu pétoche, mer indigo, si profonde qu’on tremble et se trouble, tout semble menaçant, le froissement froid des vagues, la ligne inatteignable de l’horizon, l’heure bleue accompagnant la nuit, la houle infatigable, le plancher dérobé soudain sous le pied, les monstres qu’on devine attendant leur pitance, on tente une prière, on balbutie un peu, on invoque le dieu d’outremort pour finir, celui du fond des abîmes, au regard d’ivoire, implacable, qui brille dans la nuit mauve, on s’accroche comme on peut au chiendent de l’existence, on voudrait être fleur bleue pour finir, on dégueule une dernière fois croit-on, balloté encore et encore au cœur du déluge qui n’en finit plus.

Christian Chastan (2)
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1
Tout était gris, mais il ne voyait que le vert du bandeau qui enserrait ses cheveux blonds, la couleur de leur engagement de sauvageons lorsqu’ils étaient adolescents... La silhouette d’Elise dansait au milieu de l’image floue, éclairée par le soleil de sa chevelure... les gouttes de pluie en réfractaient la lumière à travers le pare-brise, rêve ou réalité, il ne savait plus...

2
Blanc-bleu bleu-blanc, blanc presque bleu bleu presque blanc, bleu comme la mer et la marine à voiles, voilure blanche des ailes de colombes dans le ciel bleu où naviguent des nuages blancs... bleu blanc rouge les couleurs du drapeau... blanc comme les draps, blanc comme un linceul, blanc comme la neige qui efface toutes les noirceurs, nuit noire, nuit d’encre, écriture noire sur le blanc de la page inaugurale à l’aube de la vie avant le bandeau noir posé sur le front des morts... frondaison des mots, fronde des phrases, ronde des couleurs autour de la nuit pour faire danser la vie, jaune et verte comme le soleil et les arbres, ivresse du blanc, griserie de l’azur, mélancolie des couleurs qui se fondent dans le noir...

3
Vert vert vert vert vert tendre vers vers vers vers tendre vers l’idéal du vert tendre d’une canopée d’arbres de vie serrés tendrement les uns contre les autres dans l’oasis d’une planète verte, vertige d’une vision édénique d’ondulations vertes soulevées par le souffle tiède de la Vie sur un océan vert, vert, vert, vert, vertige des vigies grimpées sur la canopée pour observer au loin d’où vient le vent qui apporte la pluie, voir, à travers la frondaison verte, les fruits briller comme des pierres précieuses, vert, vert, vert, vert, vert... vers un vert Univers où se déploie la Vie à l’abri de feuillages verts qui repoussent les couleurs offensives, filtrent la lumière et ne laissent passer que le bleu du ciel et les nuages blancs, tandis que l’eau des rivières s’écoule en murmurant entre les rives vertes... écouter leur babil, se liquéfier, ne laisser de soi que les gouttes d’une vie...

Françoise Gérard
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La couleur des humeurs, à moins qu’il n’y ait reflux, est telle que celle qui se manifeste au dehors. La couleur naît dans les voies internes, dans les méandres des humeurs, dans sa manière d’être lorsqu’elle est captive, lorsqu’elle est délivrée. Sémiotique qui ne se révèle que lorsqu’elle se révèle – actualité brûlante de l’actualité, tout dans la couleur étant là maintenant. La couleur n’existe pas à l’état latent, mais pas au sens où elle ne serait là que pour les yeux qui la voit – ces yeux qui autorisent les choses à se manifester –, mais plus profondément parce qu’elle guette sa sortie dans les tuyaux où elle stagne un temps. Là déjà elle est manifeste, dans les tuyaux jaloux, même si elle ne se manifeste qu’au dehors. Autre phénoménologie. La couleur n’existe pas du tout à la manière d’un drapeau. La couleur d’un drapeau, ce n’est que dans un temps très ultérieur qu’elle sort pour ça : le rouge, le bleu, le vert, par exemple, alors que la couleur a traversé tant de corps, tant de corps qui font corps. Pour revenir après tant de chemins dans des corps accusés. Mais l’élément de la couleur, c’est l’humeur : ce qu’il y a dans un corps pour lui donner plus que la vie : son sens et son errance, tout ce qui fait que ce n’est pas ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça/ça ça : ça : ça : ça : ça : ça le sens – on a besoin de se le répéter, que ce n’est pas ce n’est pas ce n’est pas ce n’est pas ce n’est pas ce n’est pas ce n’est pas ce n’est pas que ce n’est pas ÇA. C’est une affirmation selon l’humeur instable, dit-on hâtivement, alors qu’il faut continuer à savoir que l’humeur est une affaire de couleur qui se manifeste, je colore selon ce que je sens dans mes veines et mes tuyaux, ça brûle lorsque l’humeur trouve sa couleur, ça brûle au sens où ça se rapproche jusqu’à être trouvé. On cherche la couleur, en répétant ce qui sort la couleur de son corps, selon son humeur : « Sors= sors=sors. Sors ! Sors ! » Voyons qui en sait plus long, ses tuyaux qui s’étendent et s’ouvrent c’est la vérité des humeurs, vérité qui creusent les tuyaux d’où elle sort colorée. Ça pourrait durer encore longtemps dans la descente, cette fin de l’ébriété de l’humeur, qui sort sous forme de couleur. Impression de nécessité – sous la forme d’un flux coloré, qui se ravive à mesure qu’il sort -– alors qu’on est fait de tuyaux qui se raccordent sans raison, selon l’humeur.

La couleur des humeurs, c’est en somme la couleur qui trouve sa couleur quand elle sort si elle sort si elle sort quand elle sort ; sauf si elle reflue, selon qu’elle reflue long large étroit court, mais alors on la redirige pour qu’elle sorte, pour qu’elle sorte, pour qu’elle sorte, qu’elle sorte qu’elle sorte qu’elle sorte-sorte-sorte-sorte, sorte de couleur, pas juste vert pas juste jaune pas juste noir pas juste rouge pas juste blanc, juste une sorte de couleur, selon que ça sort ou pas – la couleur dépend de là où ça sort et si ça sort. Ton humeur en dépend de la sorte de couleur qui sort, les couleurs ne sont pas les mêmes dans les différentes saisons, non plus que dans les vents selon qu’ils sont du Nord ou du Midi. Saisons, Nord ou Midi, c’est l’espace magnétique de ton corps, c’est ton corps en tant qu’il est attiré par telle ou telle portion de ce qui colore le monde : ton corps est où il sort, et où ce qui sort entre en lui, sous forme d’humeur qui se transpose en couleur. Rien ne ressemble à rien, puisque tout dépend de ce que ça sort, et sort selon l’accouchement, sort selon l’éjaculation, sort selon l’explosion, sort selon le bavardage, je pourrais encore continuer longtemps comme ça. Les couleurs primaires sortent d’humeurs élémentaires, selon des canaux réservés = c’est faux. Il n’y a pas d’humeur élémentaire, pas de couleur primaire. La couleur est passage vers le dehors – pas de vision ou de vibration. La couleur des humeurs, à moins qu’il n’y ait reflux, est telle que celle qui se manifeste au dehors. La couleur : physiologique sans cartographie. C’est la couleur qui fraye les voies de son dehors en dessinant ainsi les cours des humeurs. Hippocrate est le contraire de la cartographie sûre de la médecine chinoise, cartographie de canaux, tandis que le corps-couleur d’Hippocrate est traversé par des humeurs dont les voies se frayent par moyens siccatifs. Corps humide à sécher pour qu’il fasse couleur, que l’humeur se répande sur la peau. Les humeurs en sortant colorent, c’est une topographie de la couleur – le là de ce jaune ou de ce noir, de ce rouge ou de ce blanc-transparent. Peau-écran où les humeurs-couleurs coulent ; les vents du Nord, du Sud emportent les couleurs, le temps et les temps changent les couleurs, ce qui fait qu’un être vivant n’est jamais reconnaissable ; un être vivant c’est un corps-couleur d’un mouvement-humeur.

Sandrine Ranesta
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Il faut, il faut vite, il faut voir, il faut varier, varier les couleurs, les couleurs qui n’existent que dans ta rétine, alizarine, zinzolin, indigo, vermillon, Veronese ; dans ton œil derrière l’iris noisette et ses reflets mordorés, ton œil de tigre aux éclats fauves. Fauve, c’est ça, il faut faire venir le fauve, le fauve des terres brûlées, le fauve lové au fond de tes prunelles noisette. Fauve. Fauve, l’éclat de tes pupilles derrière tes faux cils, mêlées d’ambre et d’or quand ton œil furibond tente de me foudroyer sous le feu de tes colères intempestives. Ce fauve va de son pas de félin, forgé par la fièvre féroce de la faim en quête d’une proie facile ; fièvre vaine parfois qui laisse un goût fade, quand il tourne dans sa cage, faussement docile sous la menace du fouet au centre des gradins. Fauve aussi sa proie qui frôle de son pas de chamois l’orée des grands sapins, fauve aussi le daim dans le sous-bois et sa touffe immaculée qui nargue les chiens, quand la mort rôde dans les nuits fauves. Et je baigne dans ton sillage, ton parfum de cuir du Bosphore. Est-ce une couleur, est-ce un fumet, est-ce un pigment, un feu secret, une braise dans le bistre, un blond vénitien brûlé, le reste fossile d’un volcan ? Ou bien la plume éteinte de la fauvette qui flotte doucement sur le champ de blé bientôt fauché ?

Liliane Laurent
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58 | Youpi !


Mâcher du rouge ! Youpi !!

« -les enfants, les enfants ! calmez vous !!, dit le maître, à l’entrée de la salle.

Puis, poursuit :« Bonjour ! Bonjour ! Bonjour !

Non, non ! Johan ! descends !! c’est pas possible de partager le masque d’Aglaé, et en étant assis sur ses genoux !! Reviens à ta place !

Paul !! descends du lustre !! rassures-toi !! y’a pas de monstre ni de covitruc dans la classe ici ! N’ai pas peur ! Tout va bien !

Marinette !! Enlève ton bonnet et ta couverture aussi ! ton petit masque suffit sur ton visage !

François ! sorts de dessous de ta table ! N’ai pas peur de te montrer ! tu n’es pas contagieux !!

S’il vous plait les enfants !! calmez- vous, et tout va bien !!

Calme, calme ! car aujourd’hui, c’est extraordinaire !!

Nous allons pouvoir, baisser nos masques !!

et, chacune, chacun ,faire des bulles avec sa bouche ,des tas de bulles ! avec un bonbon innovant ! plein de couleurs !! »

Un silence, soudain total, dans la petite salle : les yeux écarquillés, tels sidérés, les enfants présents se figent, s’assoient, se taisent :

Le maître, stupéfait de cette soudaine accalmie, lui-même, reste bouche bée (sous marque).

Paisiblement, tel un magicien déambulant en apesanteur, il passe dans les rangs, sort de son grand sachet et pose sur chaque table, remet à chacun la précieuse papillote, enrobant le mystérieux trésor.

« voici, pour chacun de vous, je donne ce bonbon ».dit le maître,

qui poursuit :

« baissez votre masque !!aujourd’hui , y a pas de punition !!ouvrez le bonbon, mettez - le dans la bouche !! »

Aucun ne bouge :

« Regardez les enfants, je vous montre » dit le maître, se voulant rassurant…

Délicatement, il baisse son masque, il met le bonbon dans sa bouche, puis mastique, mâche, mâche, mâche, mâche.

Puis, soudainement, une bulle rouge, sort de ses lèvres, puis grossit, grossit, grossit, grossit.

Les petits yeux silencieux, grands ouverts, tous assis, contemplent.

« ch’est blizzard.. le maître aujourd’hui », chuchote Juliette à son voisin Valentin

 « t’inquiète pas JuJu. » répond Julien, qui poursuit : « c’est comme le masque, c’est juste des histoires des grands. Si tu veux, mercredi, au jardin, des bulles on en fera, c’est des couleurs arc-en-ciel, toutes légères et qui volent dans l’air ! à chaque fois, tu fais un vœux ! même sans tes dents, tu pourras en faire !

 « ch’est chouette » Sourit Juliette, sous son masque, aux yeux enjoués.

La bulle rouge longuement mâchée, puis sortie grossissante de la bouche du maître, grossit, grossit encore. Soudain, suffoquant presque, il souffle brusquement, se libérant de l’immense ballon émanant de ses lèvres : la bulle rouge gigantesque s’élève mollement, finit par s’éclater, en dantesque tache sphérique, sur le plafond albâtre de la salle de classe, sidérée.

Anna Plissonneau (2)
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Le gris doux d’une pierrette glissée au fond des poches le gris tiède et lisse sa rondeur contre ma paume le gris est une ruine d’enfance timide rejetée à la mer le gris est un renoncement un morceau de ciel abandonné sur la route une inquiétude le gris chuchote des secrets sous les nuages froissés me caresse les joues en bruine fine le gris est une chanson triste un battement lent une rumeur une image dérobée le gris couche nos ombres frileuses dans le sable remue la neige s’appesantit sur la ville le gris rôde souffle rampe le gris du pont de la rue de l’Aqueduc le gris du Paris Melun son odeur fade de fer humide le gris des volutes dans les voitures fumeurs et la chaleur du chauffage qui alourdit nos jambes sous le vinyle fauve des banquettes le gris de mes lèvres dans la lumière orange des tunnels autoroutiers le gris infini le gris de l’inconnu d’une langue étrangère le gris des jours indolores de nos étreintes paresseuses du ruissellement sur l’émail le gris est le ferment des corps cachés dessous les pierres — on ne devrait mourir qu’en hiver sous le gris soyeux du ciel — le gris d’une poignée de terre sourde entre mes doigts serrés le gris aveugle absorbe oublie le gris est un sommeil léger une mémoire fanée un doute un temps trouble le gris est une maison perdue une chambre noire une fenêtre le gris des rideaux pendus derrière la vitre fêlée des murs nus l’abrupt le gris mord la poussière le gris est un espace immobile un rien ton absence le gris efface tendrement les morts le gris est une mise en garde au-dessus de la mer le gris dépayse tout autour rétrécit l’île à l’horizon le gris a le goût d’une vague amère le gris éparpille ses cendres efface l’écorce des arbres le gris partage le silence des âmes enfouies le gris déterre mes fantômes drapés de brume révèle leur peau d’argile dans le grain argentique d’une photographie le gris fatigue comme vivre le gris est une nuit blanche irrésolue un écho mat une heure qui n’existe pas le gris folâtre dans le profond des rêves chiffonnés le gris vacille hésite incrédule le gris réveille le souvenir de ta voix bruisse dans l’obscurité le gris est une attente le gris coule comme une ivresse le gris me renverse comme une incertitude

 

écouter la version sonore

Caroline Diaz
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60 | Bac blanc


Blanc. La page blanche. Le blanc, sujet du bac blanc. Blanc couleur de tous les possibles, mesure de l’infini. Faire corps dans le silence du blanc. Le raconter. Blanc, le paysage flou couleur de craie peu à peu se recouvre de nuit. Les visages sont maquillés de fine poudre blanche comme anémiés, blafards. Carré blanc : on les a tués à l’arme blanche. Scène de crime. Ils ont tous les cheveux blancs, blancs chauds, blancs lunaires, blancs cassés. Le blanc spirituel, les cierges blancs, le blanc de l’absence, le marbre blanc veiné de tous les chagrins, le blanc des miroirs sans reflets de leurs ombres. Blanc-Bec interroge le blanc de tous les possibles. Pourquoi ces taches sur le blanc de la nappe brodée, pourquoi des bas blancs sur le dossier de la chaise, pourquoi la bouteille de vin blanc à demi entamée. Blanc-Bec, rassemble le charme discret des blancs, évoque le blanc des draps pour mieux se reposer, le blanc de la robe de mariée, le blanc de la dentelle des fées, et puis oiseau de mauvais augure, le blanc des plumes de pie trop près des plumes noires, le blanc gris, le blanc envers de la vie, le blanc du livre non écrit, le blanc de la transparence qui laisse passer les couleurs de l’arc en ciel, jalousie du blanc. Blanc-Bec est blanc comme un linge, le blanc de ses yeux se perd sur le mur de chaux blanche, erre sur le blanc de la porte fermée, le blanc des départs, le blanc de l’écume de la mer, le blanc sujet du bac blanc -– Se méfier du blanc des alinéas, celui des sauts de paragraphes, de la ponctuation, des espaces blanches – C’est ce qu’il a dit le prof -– un seul paragraphe, un monobloc pas de blanc, méfiez-vous du blanc ! -– Vous avez dit bizarre ?

Marie Moscardini
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61 | En vert et contre tout


Vert vert tendre verdure Verdurin vernir verdir dire vert et le redire vert vert vert je rêve de vert rêve vert verset vert de jalousie vert bourgeon vert feuilles d’herbe vert de rage vert printemps vert renaissance vert Irlande vert d’eau vert bouteille vert profond vert écolo vert résistance vert prairie vert Normandie vert forêt vert fond vert vertu vers toi vert tendresse vert oublié vert sacrifié vert abandonné vert disparu vert écocide vert maladresse vert savoureux vert chlorophylle vert oxygène vert apaisant vert souriant vert absent vert nécessaire vert plantes vertes vert cimetières vert décoratif vert absinthe vert anis vert inventaire vert réverbère vert colonne vertébrale vert luxuriant vert envahissant vert dollars vert tapis vert vert moisissure vert Auvergne vert poésie vert surgissant vert régénérant vert je cours sur l’herbe vert roule dans la mousse vert rocher glissant vert assourdissant vert sève vert atmosphère vert climat vert disparition vert souterrain vers de terre vert aérien vert apesanteur vert joie vert résurrection vert enthousiasme vert absolu vert désiré vert indispensable vert poumons verts vert respiration vert canopée vert bénéfique vert adoré vert vénéré vert vitalité vert arc-en-ciel.

Laurence Baudot
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rouge oh rouge orge oh rage or je rougis à l’origine orage barge barque baraque s’apprête à embarquer dans la barque un baraqué roquet roque et roule déboule le rouge-gorge craille criaille et crie — aïe — aigu d’un rouge qui éclate écarte deux ailes courtes écarte-toi de là tu roules tu te grouilles et rouge la voiture roule rouille rubis écarlate ou cramoisi comme les forêts en Sibérie qui crament moisies les pieds dans la flotte rouge de la couleur du sang de l’oie qui goutte dans la neige rouge aussi le fond de la culotte et la douleur qui te scie le bas du ventre pendant trois heures rouge l’envers de tes paupières quand tu les tournes vers la lumière rouge la couleur de la maison rouge au creux de la vallée blanche sous le ciel blanc et son tapis blanc posé délicatement sur les tuiles du toit rouge ma robe de folie et les lèvres rouges je suis une autre et j’aime ça rouge ton nez sur ta face blafarde et les joues creuses et fines comme pétales de coquelicot qui se déchirent sous la caresse rouge de la couleur du feu qui dévore de l’intérieur de ton corps de celle qui éclate sur les murs des baraques sous le feu des kalash rouge la seule couleur qu’on porte en soi celle qu’arborent les petites filles en robe et capuche couleur des fruits mûrs et de la mer des miracles rouge la couleur des fers brûlants et de l’armée russe dans les romans et toi tu vois rouge tu pimentes tes plats tu t’attendris devant la coccinelle immobile sur le mur en hiver

Claire Lemoult
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Bleu topaze pont vers le Z.. topa-ze bleu-lazuli ; l’azur, le Z est le ciment entre la matière et le ciel..Zzzzzzzzzzzzz lit bleu, bleu profond des mers du Sud , le bleu fait comme une bulle dans la bouche et explose intérieur des lèvres et en surface : bleu.et songe au bleu des univers bleu profond de l’Atlantique marié au bleu uni-vers le bleu, Bleu des cercles et des spirales, volutes de bleu de la gitane, bleu titane, bleu gaz chaud et froid bleu bleu bleu des glaciers de l’Alaska et des Pôles, des arc de cercles, courbure de la terre, rotation du tout dans ce bleu : des comètes, des fusées spatiales, des avions dans le bleu de l’Occident des sables bleus des Hommes du Sahara ; bleu enfin comme une détente dans le bleu, le bleu sonne dans le gris ou blanc pour faire un ciel d’orage Bleu Blue azzuro « Endlich ist alles fertig für“ Blue. Blue away – « Lady sings the blues » bleu du coup, bleu de la découverte bleu- Christophe Colomb sur longue caravelle, bleu des songes, sonorité du bleu - alliage du bleu et du métal, alchimie du bleu, Bleu cardinal, Bleu musique, Bleu symphonique Bleu sonate.

Isabelle de Montfort
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Jaune dans mes yeux car au début j’avais étaler du blanc et parce que j’ai ajouté cette objet jaune sur la table tout est devenu incroyablement jaune seulement l’instant d’après un évènement encore plus curieux est survenu le blanc qui était jaune il y’a encore quelques secondes est devenu un blanc triste presque du bleu sans être vraiment bleu et le jaune jaune c’est renforcé je ne pouvais plus quitter des yeux ce jaune à moins qu’il me chauffe tant la rétine que je ne pouvais qu’avoir une envie irrépressible de me rafraîchir dans le bleu qui devenait de plus en plus bleu, en même temps ce jaune intense me disait que je n’avais peut-être pas fait le bon choix de comparer ces deux variations d’images identiques, j’aurais pu me contenter de ne garder que la première mais l’une à côté de l’autre maintenant me faisait rejeter la deuxième parce que l’une était froide tandis que l’autre était chaude et il ne s’agit pas là d’une question de température de couleur mais simplement un sentiment de sourire dans le jaune et de m’éteindre émotionnellement dans le bleu, la faute au jaune et son spectre chromatique puissant qui s’emparait de mes sens jusque sur le fil même de mon intuition que me révélait jusqu’à présent cette image ou la faute au bleu qui n’avait su se jaunir assez pour séduire mes neurones qui de toute manière ne peuvent être bleus, c’est de jaune dont je suis constitué jusqu’au noyaux de chacune de mes cellules comme la terre tourne autour du soleil dans le plus profond de la nuit quand le bleu n’existe plus à six mille huit cent degrés Kelvins état de pulvérisation mental dans le cosmos irradiant.

Romain Bert Varlez
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Terre binaire terre binaire terre binaire terre binaire terre binaire terre binaire terre binaire terre MACHINE terre MACHINE terre—MACHINE binaire MACHINE binaire MACHINE binaire MACHINE terre terre terre terre FLUx terre FLUx terre FLUx binaire binaire binaire binaire terre binée terre binée terre minée terre minée terre minée terre zéro terre zéro zéro terre zéro un terre zéro un zéro un terre terre terre terre terre ÔDE terre ÔDE terre ÔDE terre code terre code binaire code binaire code binaire code terre code terre code binaire zéro binaire zéro binaire zéro AIRE zéro AIRE zéro AIRE binaire binaire terre un terre un terre zéro terre terre terre un terre un terre zéro terre zéro —T— zéro un zéro un zéro un zéro zéro —e— zéro un un zéro zéro un zéro un —r— zéro un un un zéro zéro un zéro —r— zéro un un un zéro zéro un zéro —e— zéro un un zéro zéro un zéro un CODE code CODE code T—R code T—ER code terre code terre code binaire code TERRE

Michaël Saludo
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66 | Mélancolie du pourpre


Pourpre pourpre mâcher du pourpre les pieds embourbés dans le pourpre de la glaise la solitude du pourpre il se ressasse dans sa tanière le pourpre tourne sur place ses tentacules qui dépassent au dessous de son corps de fantôme la houle les bruits les cris assourdis il les sasse et ressasse il s’habille devant la glace de ses doux souvenirs il se vêt de ces odeurs en tête le tissu lourd retapissé de velours l’odeur du pouvoir passé le manteau de sang coagulé pourpre la révolte qui sourdre les pas de bottes qui s’alourdissent qui s’enlisent et qui laissent des marques dans l’escalier des pas qui fuient autant d’actes de déni pourpre hérétique pourpre boule solitaire toujours tu te languis maintenant que tu rêves à ton passé.

Gabriel Kastenbaum
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Couleur bleue, partout, du ciel du nord, bleu marocain de Chefchaouen ou de la Villa Majorelle, bleu guyanais du papillon morpho, si beau et si fragile, bleu tibétain des drapeaux de prière bouddhistes, bleu mortel des gitanes de mon père, bleu de son âme nue, bleu du Nu de Matisse, bleu tendre de Chagall, bleu lumineux de la piscine en Dordogne, dans laquelle rit ma fille, bleu de Neil Young et son Blue Eden, bleu du bébé de Dylan là où tout se finit, douceurs du bleu au-delà de toute mesure, douze mesures sœurs du blues, de la soul, bleue la peur, on est bleue-bite de l’épouvante n’est-ce pas Céline, ne soyez pas trop fleur bleue, pas trop peur bleue, sinon votre soul aura des bleus, et vous jouerez les blue notes sur votre guitare, sœurs tendres, coincé entre l’espoir et le désespoir, entre la quinte et une tierce elle-même incertaine, majeure ou mineure, courage ou découragement, enchantement ou désenchantement, on n’en sait rien, sympathie ou apathie, cœur ou rancœur, « le mot confiance semble un barbarisme » dit un personnage de walking dead, mais la blue note marche, sœur tendre, jusqu’à ce que la corde casse, morte alors on la remplace, on accorde, et on retrouve la note tendre, belle et fragile, Eden où tout finit, la note qui permet à Clapton de survivre alors que son fils de quatre ans est tombé du 53e étage, penser à racheter des cordes pour ne pas devenir un zombie…

Franck Dumoulin
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68 | Porte-couleurs


La structure où je travaille porte ses couleurs. Trois. C’est les portes sur l’extérieur qui les représentent. Trois portes. Porte verte, Centre Ressources. Porte bleue, salle info. Porte violette, salle du fond. Et si y avait que les portes ! c’est toute la structure des fenêtres aussi, toute la structure des baies et des impostes aussi. Dans chaque lieu, chaque salle. Vert, violet, bleu. Mais attention ! c’est pas n’importe quel vert, violet, bleu. C’est des couleurs de label. Qualité oblige. Label bleu, label, violet, label vert. Label tricolore. Ici on fait dans l’emblème, on prend la cocarde. On est… structuré. Vert, violet, bleu. Même les trois petites étagères sont assorties aux grandes portes. Tu sais, dans le coin café, thé, infusion ? l’étagère verte, en haut, violette, au milieu, bleue, en bas ? l’étagère verte, la grande boîte Lipton Yellow Label ? l’étagère violette, paquets, touillettes, sachets, sucrettes ? l’étagère bleue café Grand-mère, L’Or ou Carte Noire ? Structure oblige. Ici, on porte haut les couleurs du label. A,P,P. Vert, violet, bleu. D’autant qu’elles n’ont pas de sens ces couleurs. C’est pas comme les drapeaux tricolores, non ! rien avoir avec le bleu blanc rouge des enfants patriotes ou le vert jaune rouge des enfants rastaquouères. Non, on monte pas au plafond avec. Ici, avec, on ouvre la porte. Et aussi on la ferme. En vert, violet, bleu. Les cons. Un jour, mes collègues m’ont fait une blague avec. C’est la rentrée, je reviens des vacances avec des souvenirs tout bronzés, je retrouve la structure avec ses nouvelles couleurs, vert, violet, bleu, je me demande ce qui se passe. Et les collègues, arrivés depuis une semaine, m’annoncent que la directrice veut qu’on porte des tenues aux couleurs de la structure. Qu’il faut qu’on donne notre taille, qu’on choisisse notre couleur préférée. Vert, violet ou bleu ? Merde, je les ai crus. Le con ! Quand j’ai compris, j’étais vert, violet, bleu ! La directrice, quand elle a appris en réunion d’équipe, elle a ri jaune. Elle savait pas. Elle savait pas que c’était sur son dos, la blague, qu’elle la portait malgré elle. Elle savait pas qu’elle était passée pour moitié folle. Elle savait pas que j’en avais rajouté une couche, en rétorquant pourquoi pas des slips brodés A, P, P ! (avec un sale accent anglais). Et moi, je savais pas que Momo allait raconter ça aussi, devant toute l’équipe. Le con ! Elle a rien dit la directrice. Elle riait même, comme tout le monde. Elle riait jaune. Je devais être tout rouge. Dehors il faisait nuit. La structure, c’est vert, violet, bleu. C’est officiel. Label oblige. Mais pour moi, elle est rouge. Un beau rouge sombre. Un beau rouge sang, mal oxygéné. Quelque chose de pourpre. Tout dépend de la lumière dehors. Et des coups de pinceau sur les montants des portes et des fenêtres. Et des fissures de la peinture avec la pluie, le soleil, de l’écaillement. Des nuances, là où la couleur est restée, là où elle passe. De la structure du temps. Mais pour moi c’est rouge, c’est pourpre. Comme quand je suis arrivé. C’est parfois presque violet. Là où ça a sauté, ça peut être rosé. Ça peut être à vif, ce rouge. Rien de changé, au fond. Sauf dedans. Sauf les portes. En vert, violet, bleu. Mais attention ! c’est pas n’importe quelles couleurs. Pas n’importe quel vert. C’est un vert qu’on obtient, si on pratique l’aquarelle, par mélange de jaune cadmium clair S 529 et d’indigo S 308, ou de bleu de Prusse S 326. Le bleu, c’est justement un bleu de Prusse, mais S 318, un peu dilué. Et le violet du cobalt foncé, ou un violet qu’on obtient par mélange de rouge VG 366 rose, pigments de quinacridone, et de bleu VG 535 céruléen (avec plus de rouge), ou alors du rose permanent avec, soit de l’ultramarine, soit du violet dioxazine. Ça dépend des écoles. Si on préfère l’informatique, ce sera en code hexadécimal : #66CC00, #990066, #006699 ; et en code RVB : 102,204,0 ; 153,0,102 ; 0,102,153. Bref, c’est de la couleur travaillée, très structurée. Comme de l’herbe fraîche, une prune bien mûre (quetsche) et le ciel quand vient la nuit, un peu voilée peut-être (ciel acier). Vert, violet, bleu. Si on préfère les portes, c’est pas tout à fait les mêmes vert, violet, bleu que le logo qu’on voit sur le site de la structure. C’est toujours plus mat sur une porte, toujours trop brillant sur l’écran. Et puis il est étrange le logo. Un rond, et trois formes semblables au-dessous : une petite, une moyenne, une grande. La même forme, de plus en plus grande, qui pourrait faire penser, dans un style épuré, abstrait, à quelque chose de plat et creux qui se balance d’un côté, de l’autre, et se rapproche. Un flocon d’on ne sait quoi ? une feuille morte ? une plume oubliée ? une virgule ou un accent tombé d’une phrase ? un sourire sans visage ? En tout cas, le rond est vert, le premier sourire est vert, le second violet, et le grand, bleu. Au fond, il y a du paysage dans l’ensemble. On pourrait se trouver au cœur d’une vallée, on perçoit les flancs des collines avec, sur l’horizon, le soleil couchant ou levant. Ou alors on est perdu au milieu des vagues de Kanagawa et le soleil donne si fort qu’on veut se noyer dans ses dunes de sable qui n’en finissent pas et qu’on hallucine en vert, violet, bleu. Et quand les portes claquent, est-ce que la fréquence verte, violette, bleue, ça change quelque chose au claquement ? Est-ce qu’il devient plus lourd dans la salle du fond, plus acide dans le Centre Ressources ? Plus clair dans la salle info ? Est-ce que, comme dans un hôpital ou une structure dans ce genre, il n’y aurait pas du code couleur physiologique qui permet de savoir qu’on est bien là où on veut être, ou pas ? et y a un label qualité pour ça ? Est-ce que dans un asile on a ce genre de code, ce genre de porte-couleurs ? est-ce que les portes de ses chiottes pourraient être en vert, violet, bleu ? Et dans ma structure, est-ce que ça joue sur les stagiaires les couleurs ? est-ce que ça change l’ambiance de travail le fait d’être en Centre Ressources ? dans salle du fond ? dans la salle info ? Et le travail, quelle couleur ça a ? ça change de couleur ? ou ça change les couleurs ? ça change la vie ? en vert, violet ou bleu ? Le travail du peintre sur les portes, ça lui a changé la vie ? il l’a colorée en même temps que les portes ? ou il la supporte, sa vie, quand il peint ? il la voit en gris, peut-être, il la broie en noir quand il peint en vert, en violet, en bleu ? Et de quelle couleur il est, le travail pour la jeune Mélandra ? de quelle couleur, sa vie, quand elle dit qu’elle a pas de projet de travail ? quand elle dit qu’elle veut même pas travailler ? quand, le monde du travail, ça me fait peur ? C’est quoi la peur du travail, c’est de quelle couleur ? comment ça se décode en informatique ? comment on la crée en aquarelle ? il faut avoir peur de l’informatique, de l’aquarelle ? Et le peintre, il avait peur des portes ? Oui, il en avait peur, parce que c’est pas les couleurs du logo. Je suis même pas sûr qu’il soit allé peindre dans la salle du fond tant ça vire au rouge. Les portes, elles sont pas vraiment aux couleurs du label. C’est pas vraiment le même vert, pas le même violet, pas le même bleu. Et combien j’en ai vu passer dans la structure, des comme ça depuis dix ans ? combien ont ouvert la porte et c’était une façon de s’enfermer, pour se protéger du travail ? sans voir que c’était impossible et que c’était une façon de s’enferrer dans ce monde-là ? Parce que des structures comme la mienne, dites de formation, c’est du travail avant le travail. Du travail pour un travail. Du travail à travailler. Un monde où les codes couleurs sont monotones. Au mieux en nuance de gris, au pire #000000 et #FFFFFF. Et elle y est dans ce monde qui lui fait peur, Mélandra. Aux prises avec lui elle y est déjà prise. Et même refermée sur elle-même, croyant s’en dégager, même au plus profond de son nom elle en voit toute la couleur, toutes les nuances de melas, melanos ? Et combien comme ça ? juste elle, une personne, comme une anomalie ? ou toutes, d’une façon ou d’une autre ? tous ceux qui ont un jour passé la porte, sans voir que c’était par la fenêtre ? et moi le premier, dit formateur ? quand je suis entré dans la structure, la porte était rouge sang, mais la porte-fenêtre mélanémique ? Et combien, comme ça, portent les couleurs de l’idée que « dans l’horizon du devenir, Florian ne voit aucun avenir possible pour sa génération — c’est-à-dire aussi bien pour l’espèce humaine » ? ni vert, ni violet, ni bleu ? Et le logo de la structure, alors, ce paysage abstrait, stylisé à mort avec son soleil vert et ce sourire qui blêmit et tombe dans l’acier du ciel, c’est cet horizon-là qu’il représente ? un devenir sans avenir ? C’est le monde de Soleil vert (salement traduit en français) ? c’est Soylent green ? surpeuplé et pollué ? monde où le soleil transparaît dans un ciel voilé ? Et alors c’est ça que ça représente, ces traits sous le soleil vert, la densité de l’air ? sa dureté, comme on parle de celle de l’eau, temporaire, permanente ou totale ? ou alors de celle de l’oreille, de la vieille feuille, quand elle fait défaut, qu’elle ne perçoit plus rien ? plus une longueur d’onde, pas la moindre fréquence ? en prise sur aucune ligne mélodique ? C’est donc ça le logo ? c’est le label du monde à venir ? la qualité de son blêmissement, de son pâlissement ? sa lividité ? du vert au violet, au bleu ? l’acier ? En tout cas, dans la structure où je travaille, les portes des chiottes sont en blanc. Blanc cassé.

1. La structure porte les couleurs… Quelque chose comme ça pour commencer.

2. Nous sommes maintenant arrivés en terrain inconnu. Nous avançons pas à pas, à petits coups de machette-paragraphes. Le chemin est sûrement long. Ce qu’on dégagera, on en fera un grand tas. Ça va flamber ! — En vert, violet, bleu.

3. Je dis nous, je dis on. J’ai dû prendre trop au sérieux Antoine Compagnon qui disait que la littérature n’est pas seule. Et si la littérature ne l’est pas, alors la simple écriture (si elle l’est) non plus. Mais est-ce que c’est bien Compagnon qui l’a dit ? Et puis on le sait depuis longtemps, en fait, non ?

4. Vert, violet, bleu, comme une ritournelle à la fin de chaque petit paragraphe. Allez, disons une dizaine. Même si ça ne va pas si loin qu’on croit. Alors disons le double. Mais il faut un joli petit tas de paragraphes. Un beau tas en désordre. L’ordre viendra des échos, des échos internes, dans ce qu’on rabâche, ressasse, des échos en ce que ça fera aussi penser à, à quelque chose de réel ou d’imaginaire, qu’on a vu, entendu, fait ou rêvé, qu’on projette.

5. Le petit extrait de l’horizon du devenir sans avenir possible provient du livre de Bernard Stiegler, Dans la disruption. Comment ne pas devenir fou ?

6. Et voilà : sous ses airs légers au départ, le texte, de paragraphe en paragraphe découpé, de morceau en morceau toujours un peu plus épais, ça creuse ; on se fait d’abord les dents, on trouve son rythme et un certain ton, on avance la fleur au fusil en chantant à tue-tête un air guilleret à chaque coupe ; en sachant que la fleur va au mieux faner en chemin, au pire être dézinguée au détour d’un sentier invisible ; et alors voilà : on y est.

7. Les trois portes, je les ai photographiées en fin de journée après le travail. La nuit tombait plus que l’image ne le laisse croire, j’ai dû allumer. Les couleurs sont donc celles de la lumière artificielle, propre à chaque salle. Quelles seraient celles du matin, de midi, de la pluie et du beau temps ? Et l’été ?

8. Le texte s’est déployé d’un trait. J’en suis presque satisfait. Mais le doute finit toujours par intervenir. On a beau avoir fait quelques progrès (reste à savoir en quoi), gagné peut-être en rapidité et en assurance (pour combien de temps), ça revient toujours. Ce qui me gêne, maintenant, c’est la couleur du travail avec une stagiaire. Il me semble qu’il faudrait d’autres exemples. Mais j’ai le sentiment que ce sera pire si j’en ajoute une dizaine ou une vingtaine. Il me semble qu’il faudrait parler d’un seul exemple ou alors de mille et un comme dans La Misère du monde de Bourdieu et compagnie. En somme, c’est tout ou trois fois rien. Pourquoi cette radicalité ?

9. En fait, tant que le doute ne s’est pas installé (si minime soit-il), ou du moins tant qu’on n’a pas rencontré de résistance : on n’y est pas vraiment. C’est seulement après avoir fait avec, sans espoir de l’avoir anéanti (au contraire, au minimum on l’aura entretenu en sentant l’écriture nous échapper ici et là ; en l’occurrence, les paragraphes autour de la jeune Mélandra), qu’on peut dire : j’y suis peut-être. — Et on peut en rester là ?

10. Elles sont bizarres, les portes. La première penche un peu, la seconde un peu moins, la troisième, non. C’est comme si un certain équilibre se rétablissait. Tant pis pour l’incohérence de l’arrière-plan. On saura bien le reconstituer.

Will
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Gris, gris, silence. Lenteur du gris. Gris crécerelles, gris comme du temps gris béton souple une seule fois puis pétrifié. Visages lointains du gris. Populations gelées, houles houles arrêtées. Béton lissé sans souffle, flaques sans respirer. Gris au peuple des murs, gris embrassé de brume, gris soleils pilés ,gris sommeil des pierres ,gris de mes rêves, gris d’effroi. Gris vesse-de-loup foulées gris des tourterelles à l’aube. Gris sans hommes gris sans portes ni fenêtres et gris comme du temps froissé au fond des poches . Gris jusqu’au cristal gris jusqu’au fossile glacial gris fissuré d’absence.
Jour après jour métal hurlant de froid, l’empreinte du chat sur l’ouvrage, gris fantômes dans la bétonnière et toujours ces traces ce ciment au visage de l’artisan.

Théo Maurin
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Bleu. Bleu ciel. Bleu mer. La vie en bleu. Bleu de Prusse. Bleu azur. Le ciel est bleu. La mer est bleue. Jamais. Jamais. Bleu VERT oui. Bleu turquoise. Bleu de travail. Bleu de chauffe. Bleu qui chauffe. La vie bleue. Bleu qui brûle. Le Bleu est une couleur froide. Faux. Bleue la peau. Hématome bleu tourne VIOLET puis JAUNE. Cicatrice bleue. Trace bleue. Coup bleu. Marqué bleu. Bleue la mère. Bleu à l’âme. Bleu de lame bleue. Tranche dans le vif. ROUGE. Peau bleuie. Ça cingle bleu. Ça marque bleu. Bleu dans le miroir. Pas sortir comme ça avec ces bleus. Lunettes teintées bleues. Voir le monde en bleu. Le bleu mène au noir. Ténèbres bleues. S’échapper. S’enfuir. Ailleurs le ciel est plus bleu. La mer froide et bleue. Bleu le blues. La mère avec sa blouse bleue. Loin la mère avec sa blouse bleue tout près de la mer bleue. En vrai tout est faux. En vrai tout est faux. Rien n’est vrai. Le bleu n’est pas si bleu. Le bleu est tout sauf bleu. Ne jamais se fier à la mer. La mer n’est pas bleue. La mer est NOIRE.

Christophe Ly
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Bleu bleu bleu trem-ble bleu bleu bleu trem-ble com-me feuille trem-ble la chair trem-ble la main tremble dedans dehors jusque dans sa langue les mains longues les doigts longs seules les attaches saillent les os les tendons à fleurs de peau parchemin si fin qu’on voit le bleu dessous le bleu des veines les bleus des micro coups qu’elle se donne partout sans y penser chair débile bleue de maladresses hématomes sur la peau parchemin vélin de la vie dessous ça coule encore lentement se raréfie bleues les mains de froid les matins de givre les lèvres aussi tirent sur un bleu violacé tirer sur ça tombe l’amour comme les palombes dans le viseur l’hiver plus très loin bleu dur du ciel le feu manque la flamme flanchent les jambes sous le poids plume la mémoire et les lèvres bleuies de n’être plus embrassées s’amenuisent se font traits la chair se retire d’elles comme du corps assèchement global les traces bleues sous la peau font constellations on se perd à regarder ces étoiles échouées sur la peau de nos vieux fêlures cette peau si friable si fine si pellicule photosensible toute la vie passée juste dessous elle dit se souvenir l’empreinte de sa main bleue de lui bleue de la première fois bleue d’amour encore autour des yeux plissés pluie.

Eva Carpentey
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1ère mise en ligne et dernière modification le 8 janvier 2021.
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