espace

Quant à l’espace du livre, ou plus modestement, l’espace du texte, il faudra bien en dessiner la géographie, il faudra bien lui attribuer des lieux réels ou recomposés, en explorer les limites, et en choisir l’échelle. Offrirez-vous aux personnages un voyage autour du monde en quatre-vingts jours ou fera-t-il le tour de votre appartement le nez sur les plinthes ? Ces extrêmes sont faciles à décider, elle relève du projet lui-même et ne vous feront pas faux bond, mais dès lors que l’héroïne arpente les rues d’une ville ira-t-elle — jusqu’aux faubourgs ? Prendra-t-elle un bus, un tram ou aura-t-elle sa voiture ? Si le héros vit dans le monde la nuit, prendra -t-il de temps en temps un déjeuner en terrasse, au soleil ? Et si les personnages vous sont proches, si les lieux sont ceux qui vous hantent ou plutôt que vous hantez encore, le jardin aura-t-il cette forme connue où prospèrent les fraisiers ou bien vous offrirez-vous un cerisier, celui que jamais le grand-père ne voulut planter malgré vos suppliques. « On ira en chercher à Rivière. »

La référence fréquente à l’espace dans les invitations à écrire des ateliers du Tiers-livre, le renvoi à d’autres références associées comme celles de Perec ou de Michaux (tiens, plus tout à fait sûr au moment de l’écrire…) m’a permis de bien garder en tête la différence entre espace et décor. Jusque là, je crois que me venait surtout l’idée de planter le décor. Je trouve intéressante aujourd’hui, cette idée d’offrir l’espace, comme l’écrit Catherine Serre. À des personnages mais peut-être aussi aux personnes qui vont lire et parfois choisir de devenir des personnages. A partir de là, devient prépondérante l’exploration de l’espace. Bien sûr, parfois la façon dont on dit qu’on écrit c’est surtout la façon dont on aimerait écrire… Donc écrire en invitant à des explorations d’espaces au sein d’un grand espace. Et parfois, des personnages plantent un décor et c’est bien de faire cette différence. Le décor n’est pas pour moi à proscrire. Il vient au moment où des personnages viennent faire un livre dans le livre, comme dans certaines pièces de théâtre des personnages viennent faire du théâtre (au moins dans Hamlet…). En somme, l’espace permettrait la mise en abîme du décor, tel celui qu’on se crée un peu tous les jours...