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Il y a dans Sens unique ce passage extraordinaire où Walter Benjamin dès 1927 aborde l’écriture par son rapport au corps et à l’inclinaison du support : oblique dans le geste du copiste venu collecter un texte dans un lointain monastère (et déjà la coexistence de la page lue avec la page écrite, leur rejointement dans une même temporalité), la mise à plat dans la presse à imprimer, la vérification de la composition et de l’épreuve, puis le redressement à la verticale dans la presse. Est-ce que c’est un point de départ pour aborder la question si sensible et évolutive de l’écran ? Mon premier écran avec traitement de texte c’était la calculatrice Hewlett Packard, encore non tolérée aux examens, sur l’affichage de laquelle, en la tenant à l’envers, on pouvait composer pour son voisin le mot DEBILE (371830) ou autre prouesse, qui prouvait au moins que le contexte définissait autant la lecture que la forme des signes eux-mêmes. Plus tard, mais des années plus tard (1985, à la villa Médicis, sur ma machine à écrire Adler un petit insert à cristaux liquides affichait les quinze derniers signes du texte et permettait leur correction éventuelle avant impression de la ligne. À réception en 1988 de mon Atari 1040, le carton le plus lourd c’était ce moniteur à tube cathodique, entre téléviseur monochrome primaire et écran de surveillance, tandis que le carton le plus magique c’était le clavier avec lecteur de disquette intégré (pas de disque dur, ça viendrait deux ans plus tard). Je crois que le « terminal » subjectif c’était alors l’imprimante à aiguille, et l’écran une sorte de processus transitoire dans une machine à écrire perfectionnée, idem pour les copains (Daeninckx, Novarina) qui travaillaient avec le petit Mac Classic, ce cube de légende. L’apparition de l’écran, dans son interférence avec le lire/écrire, est donc plutôt venue pour moi avec le premier Mac Powerbook portable, février 1993, quel enchantement, et qui se dépliait comme un livre tenu à la perpendiculaire. On lisait quoi ? On lisait ce qu’on écrivait. Apparition des CD-Rom, puis des premières connexions Internet : ça change peu pour l’écriture, mais l’écran devient le mode d’accès à des contenus textuels qui n’ont d’existence (ou de matérialisation, disposition des fluorescences dans le balayage ligne à ligne) que par lui. On serait donc moins dans une problématique de l’écran que du lire/écrire sur écran. Quelle longueur de ligne, quelles marges, quelles polices d’affichage, quels sauts de page pour l’écran quand on y écrit (repenser à cette brève époque où Mac proposait des écrans verticaux — on en trouve encore dans les labos de maths — pour la composition des pages). Comment rendre autonome ou distanciée par rapport à soi-même la lecture de ce qu’on vient d’écrire pour que corriger, finaliser, publier soit possible sans la médiation de plus en plus bancale d’un tirage imprimante ? Avec l’arrivée de l’iPad en avril 2010, puis les progrès époustouflants des smartphones, l’écran cesse d’être le mur, ou le panneau publicitaire, pour devenir prolongement postural du corps autant que le calepin ou le livre, nouvelle étape. Les liseuses, à partir de 2007, induisent un autre concept : elles ne sont évidemment rien qu’un écran avec stockage de caractères html, mais écran statique, jeu de micro-billes noires ou blanches dans la presque non-épaisseur d’un film plastique souple, ne consommant de l’électricité qu’au rafraîchissement de page. Les possibilités de ce qu’on a nommé papier numérique sont infinies, mais n’ont jamais depuis lors accompli vraiment leur promesse — un autre des mystères du web. Est-ce que l’évolution actuelle des cartes graphiques, des millions de LED composant nos écrans de plus en plus neutres ou confortables, nous débarrasse de ce genre d’interrogation ? Aucun ni aucune d’entre nous pour en rester indemne. Là j’écris via le processeur de mon ordinateur portable refermé, mais relié à un écran externe 4K de 24 pouces et je regrette qu’il n’en fasse pas 27. J’ai appris à ménager mon repos oculaire, je porte des lunettes anti-reflet, et quand je m’écarte du bureau pour lire j’emporte de préférence ma liseuse (un Kindle de quelques années) avec en plus le livre papier en cours et l’iPad mini pour surveiller messages ou mails (mais pas le soir, le soir je coupe). L’écriture-écran est-elle une contrainte ou une résignation ? Non, mais je l’interroge constamment (par exemple, sur mon logiciel de notes et brouillons Ulysses, j’écris blanc sur fond noir, sur Word j’écris sur une page à fond blanc, mais l’ensemble des menus et styles est sur fond noir). Est-ce que je travaille mieux les contenus de lecture sur écran que sur papier ? Oui, certainement, puisque je dispose de la recherche par occurrences, de la possibilité de copier, reformater, retraiter, analyser. Est-ce que la lecture type livre souffre du transfert : oui, partiellement, par exemple les livres induisant méditation ou pensée appliquée (sciences humaines) je les préfère sur papier, tandis que la fulguration poétique ou la narration je les préfère en numérique. L’écran reste-t-il une utopie ? Oui, puisqu’on a pu tenter les écrans à chiffonner dans la poche, les écrans invisiblement insérés dans les verres de lunettes ou les pare-brises de voiture, ou la ville elle-même, ses vitrines et reflets. Est-ce que la peau elle-même, la paume ou le bras, ou le dos du voisin, pourrait nous devenir support du lire-écrire ? On en trouverait des exemples. A-t-on envie qu’un seul écran devienne tableau mural (pour la composition de livres, j’aime travailler en quatre fois plus grand que le livre) ou au contraire s’embarque dans la poche ou tienne sur la tablette du train ? On en rêve aussi parfois. L’écran est-il notre malédiction, à être né trop tôt ou trop tard en période de transition majeure et irréversible ? C’est lui qui m’a appris à revenir à la tablette d’argile, au codex et à Aldo Manuccio, c’est lui qui m’a bousculé dans mes rapports à l’oralité et à la mémoire. Est-ce que l’écran peut-être considéré comme terminus pour le texte ? Il ne l’a jamais été.

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1ère mise en ligne et dernière modification le 21 mai 2021.
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