fragile

Lisais hier soir, tout à la fin des cinq portraits d’écrivains (dont Rousseau et Walser) qu’assemble WG Sebald dans Séjours à la campagne, l’hommage que lui rend un proche ami peintre, puisque le livre paraît juste après l’accident de voiture qui coûte la vie à Sebald. Il oppose les peintres qui, en pleine lumière, imposent à leur discipline ses sauts et ruptures esthétiques, travaillent le brillant, le contraste, et au contraire les peintres qui oeuvrent comme dans le plus terne, le mêlé, la brume mais en tirent ces juxtapositions ou diffractions beaucoup plus fines et multiples. Je ne m’applique pas à moi-même ces distinctions que je trouve bien légitimes pour Sebald, mais je les comprends. C’est ce que j’associe au mot fragile, et que j’aime à trouver aussi dans la voix. Voix chantée, ou l’impalpable voix narrative. Trouver en soi-même cette nuance qu’on porte en avant, et qui n’est pas d’affirmation. Se sait vulnérable. Que l’art de porter en avant la phrase ne soit pas vaincre ni même seulement surmonter ce fragile (et c’est pareil dans la lecture à voix haute) mais laisser au contraire cette instance-là passer devant, quitte à minorer le reste, y compris sa satisfaction personnelle possible à un texte qui se crie fort, ou étarque lui-même des syntaxes comme inaltérables : et j’ai goût de cela aussi. Exemple pour cela : Saint-John Perse, en chaque verset du premier au dernier. Exemple pour le contraire : ce léger bruit rauque dans la gorge que Kafka attribue à Joséphine, la cantatrice des souris.