indépendance

Valeur première et exigence. Me garder de me servir des mots pour servir quelqu’un·e qui, d’une façon ou d’une autre, a du pouvoir sur moi. Ne pas écrire sous la dictée, même de celleux que je respecte ou que j’aime. Rester seule maîtresse de mes textes. Ne pas me laisser imposer ni sujets ni angles, pas le style non plus. Indépendance ne signifie pas se fermer aux remarques, aux commentaires. Les écouter et faire ce que je veux après. Ce n’est pas refuser toute proposition. C’est choisir, librement. Je n’écris rien de bon si je sens un regard par-dessus mon épaule, une attente précise me paralyse. J’ai répondu à des commandes mais de manière suffisamment souple pour ne pas mettre à mal mon attachement à l’indépendance. J’ai signé de nombreux textes engagés mais pas militants. J’aime que mes livres soient publiés par des éditeurs indépendants, je n’ai pas le goût des grosses machines éditoriales pour qui l’autrice est un investissement minime qui doit rapporter gros sinon on jette. J’ai été tentée par l’auto-édition sans oser encore me lancer. Le blog, le site personnel sont des lieux de publication qui conviennent à qui veut s’affranchir de tout rédac chef ou autre prescripteur-censeur. Mais ils ne doivent pas devenir en eux-mêmes prescripteurs en imposant la production régulière de contenus pour entretenir la curiosité des visiteurs et visiteuses du site. Être sa propre patronne en refusant l’auto-exploitation. Écrire ce que je veux, quand j’en ressens la nécessité. L’indépendance à un coût, celui de la discrétion relative dans une société régie par le vedettariat, le succès médiatique et commercial. Échapper à tous les diktats, un combat de chaque jour mené aussi contre soi-même.

Trop indépendant ou juste indépendant. Des fois on le dit en anglais pour faire plus revendication : indie. On le décline : libraire indépendant, éditeur indépendant. On ne parle pas de lecteur indépendant, pourtant c’est bien ce qu’on est, dans la décision ou pas de s’embarquer non pas dans la lecture, mais dans une lecture déterminée : je vais lire ce livre. Puis il y a eu les artistes indépendants : photographe sans galerie, mais il vend aux magazines, propose ses images et ses tirages. On a eu le salon des indépendants mais ça ne s’appliquait toujours pas aux auteurs. Musicien indépendant a suivi : une fois, Bob Dylan a enregistré seul (son frère au son ?) un disque entier dans son « garage », mais entre sa grange-studio du Minnesota, ses ateliers de peintre clandestins à New York, ses mobil-home dans les recoins de sa propriété de Malibu (avec la première voiture de ses seize ans suspendue à la coupole au-dessus du salon), le garage du Zim ne doit pas ressembler au mien. N’empêche qu’il agit en « indépendant » et en désigne la spécificité : on écarte l’instance collective, et on s’approprie toute la chaîne des outils. Auteur indépendant, j’apprends (sans savoir préalable, longuement et progressivement) la mise en page, j’apprends (sans savoir préalable, longuement et progressivement) la gestion de mes stocks, des envois et facturations — ce n’est pas grand-chose, au regard d’écrire —, j’apprends (sans savoir préalable, longuement et progressivement) cette situation où plus d’écho de journaux ou radio ni de relais dans le monde professionnel (cinq ans que j’édite mes livres, jamais vu un seul achat de bibliothèque). J’ai des traductions, et même un ou deux ensembles personnels qui rentrent dans l’appellation livre, et qui pourraient m’insérer de nouveau dans ce gros engrenage de la publication commerciale : c’est tout récent de m’être aperçu de la lourdeur qui me prenait alors. De l’envie de garder ça pour moi, roi de la chaîne : je suis devenu auteur indépendant.