La première fois : je suis arrivé inquiet, autour de la table, il y avait sept femmes et un homme, l’homme c’était moi, mais je n’étais pas le seul homme, il y avait aussi Sebastien G., l’animateur, lui, il était d’une autre espèce, il savait. Nous nous sommes présentés chacun à notre tour, ces dames avaient toutes de grands diplômes, quand est arrivé mon tour, j’ai un peu hésité, je redevenais l’élève du fond de la classe. L’atelier d’écriture a commencé, nous avons fait de petits exercices, pour chauffer la machine. Je me suis rendu compte que chacun de nous face à la feuille blanche devait faire avec ce qu’il était, ce qu’il savait, ses mots, sa langue. Personne n’était ni privilégié ni handicapé, nous partions tous à égalité. Nous avons rédigé des textes plus longs, on a esquissé des intrigues et l’animateur devant nous a exercé sa magie, il a déplacé une péripétie, réparé un anachronisme, approfondi un personnage. Il nous l’a montré. Nous avons compris qu’une histoire bancale, nous pouvions la remettre d’aplomb, avec quelques légères modifications, elle s’animait, l’histoire prenait vie. Nous avons tous eu envie de jouer avec lui. Cet atelier reste un très bon souvenir.
J’ai suivi d’autres ateliers, et il m’est arrivé d’être frustré, et puis j’ai compris l’importance des mots.
La personne qui anime un atelier est un « animateur », celui qui va choisir l’exercice, donner les consignes, orienter les écrivains, veiller à ce que tout cela se passe dans la joie et le respect.
Quelquefois la personne qui pilote l’atelier est un « formateur », il choisit les exercices, et il va à travers un parcours, transmettre un savoir. Un savoir qui ne concerne qu’une partie de l’art d’écrire.
J’ai mis du temps à comprendre que ma frustration venait du fait que j’espérais rencontrer un « professeur », quelqu’un qui m’enseignerait son art. Ce n’est pas l’objectif d’un atelier, le temps imparti ne permettrait pas cet enseignement.
L’atelier d’écriture a deux grands mérites : le premier, croiser d’autres écrivains, lire comment en respectant la même consigne que vous, ils vont aller sur d’autres voies, utiliser d’autres couleurs, d’autres instruments, réaliser un autre tableau, une autre musique.
Le second mérite le plus important de l’atelier, c’est l’écriture, mais écrire, en sachant qu’on sera lu par des inconnus. C’est, je crois, l’essence même de l’acte d’écrire, être lu par des lecteurs. Écrire pour soi ou écrire pour être lu, cela n’a rien de comparable. Écrire pour un lecteur, c’est faire un saut dans le vide, prendre un risque, et sans ce risque, l’écriture n’a pas de sens, car c’est le regard du lecteur qui donne vie au texte.
entrée proposée par Laurent Stratos
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C’était en 1983, à Bezons, avec Gérard Noiret, dans l’ère mitterandienne le début de ce qu’ils avaient appelé les stages PAQUE pour garder lien avec les jeunes déscolarisés, sans emploi, de cette banlieue ouest écrasée de pauvreté et d’urbanisme à la ramasse (j’avais intitulé, un peu plus tard, ma première série radio aux Nuits Magnétiques « De l’autre côté de la Défense »). On était censé reprendre avec cette quinzaine de jeunes des rudiments de langue, et on s’est dit : — mais si on partait de leurs textes à eux, si on leur demandait d’écrire. Écrire quoi, je ne sais plus. Mais on l’a fait, et c’est seulement cinq ou six ans plus tard (alors que les premiers textes au Journal Officiel reconnaissant cette pratique dans l’éducation datent de 1973) que j’ai appris qu’on n’avait rien inventé, et que ça s’appelait atelier d’écriture. Depuis plus de trente ans maintenant, je n’ai jamais fait un atelier d’écriture sans me souvenir qu’on s’y lançait sans qu’il y ait nom à ce qu’on lance.
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1ère mise en ligne et dernière modification le 17 juin 2021.
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atelier d’écriture
La première fois : je suis arrivé inquiet, autour de la table, il y avait sept femmes et un homme, l’homme c’était moi, mais je n’étais pas le seul homme, il y avait aussi Sebastien G., l’animateur, lui, il était d’une autre espèce, il savait. Nous nous sommes présentés chacun à notre tour, ces dames avaient toutes de grands diplômes, quand est arrivé mon tour, j’ai un peu hésité, je redevenais l’élève du fond de la classe. L’atelier d’écriture a commencé, nous avons fait de petits exercices, pour chauffer la machine. Je me suis rendu compte que chacun de nous face à la feuille blanche devait faire avec ce qu’il était, ce qu’il savait, ses mots, sa langue. Personne n’était ni privilégié ni handicapé, nous partions tous à égalité. Nous avons rédigé des textes plus longs, on a esquissé des intrigues et l’animateur devant nous a exercé sa magie, il a déplacé une péripétie, réparé un anachronisme, approfondi un personnage. Il nous l’a montré. Nous avons compris qu’une histoire bancale, nous pouvions la remettre d’aplomb, avec quelques légères modifications, elle s’animait, l’histoire prenait vie. Nous avons tous eu envie de jouer avec lui. Cet atelier reste un très bon souvenir.
J’ai suivi d’autres ateliers, et il m’est arrivé d’être frustré, et puis j’ai compris l’importance des mots.
La personne qui anime un atelier est un « animateur », celui qui va choisir l’exercice, donner les consignes, orienter les écrivains, veiller à ce que tout cela se passe dans la joie et le respect.
Quelquefois la personne qui pilote l’atelier est un « formateur », il choisit les exercices, et il va à travers un parcours, transmettre un savoir. Un savoir qui ne concerne qu’une partie de l’art d’écrire.
J’ai mis du temps à comprendre que ma frustration venait du fait que j’espérais rencontrer un « professeur », quelqu’un qui m’enseignerait son art. Ce n’est pas l’objectif d’un atelier, le temps imparti ne permettrait pas cet enseignement.
L’atelier d’écriture a deux grands mérites : le premier, croiser d’autres écrivains, lire comment en respectant la même consigne que vous, ils vont aller sur d’autres voies, utiliser d’autres couleurs, d’autres instruments, réaliser un autre tableau, une autre musique.
Le second mérite le plus important de l’atelier, c’est l’écriture, mais écrire, en sachant qu’on sera lu par des inconnus. C’est, je crois, l’essence même de l’acte d’écrire, être lu par des lecteurs. Écrire pour soi ou écrire pour être lu, cela n’a rien de comparable. Écrire pour un lecteur, c’est faire un saut dans le vide, prendre un risque, et sans ce risque, l’écriture n’a pas de sens, car c’est le regard du lecteur qui donne vie au texte.
C’était en 1983, à Bezons, avec Gérard Noiret, dans l’ère mitterandienne le début de ce qu’ils avaient appelé les stages PAQUE pour garder lien avec les jeunes déscolarisés, sans emploi, de cette banlieue ouest écrasée de pauvreté et d’urbanisme à la ramasse (j’avais intitulé, un peu plus tard, ma première série radio aux Nuits Magnétiques « De l’autre côté de la Défense »). On était censé reprendre avec cette quinzaine de jeunes des rudiments de langue, et on s’est dit : — mais si on partait de leurs textes à eux, si on leur demandait d’écrire. Écrire quoi, je ne sais plus. Mais on l’a fait, et c’est seulement cinq ou six ans plus tard (alors que les premiers textes au Journal Officiel reconnaissant cette pratique dans l’éducation datent de 1973) que j’ai appris qu’on n’avait rien inventé, et que ça s’appelait atelier d’écriture. Depuis plus de trente ans maintenant, je n’ai jamais fait un atelier d’écriture sans me souvenir qu’on s’y lançait sans qu’il y ait nom à ce qu’on lance.
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1ère mise en ligne et dernière modification le 17 juin 2021.
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