à quoi ça sert un sous-préfet ?

la notion de "pays" comme inconscient littéraire ?


Branle-bas de combat dans la presse régionale : on nous vole nos sous-préfets !

Et qu’on me permette ce billet, ce matin j’ai déposé mon dossier complet pour stage de récupération de points au permis de conduire [1], c’est pas vraiment de gaieté de coeur qu’on vient déposer à la maison de la république le vieux papier rose datant de 1972, comme Vercingétorix devant César...

Pourtant, même si on sait que ça existe, on ne les voit pas pour autant... (attention, je n’y mets pas d’intention méchante : à la villa Médicis, le secrétaire général avait grade de sous-préfet on s’entendait très bien, et s’il y avait une hostilité de la profession sous-préfet à la catégorie blogs littérature, on le saurait par voie directe...)

Juste pour citer La Nouvelle République de ce matin, moins pour le sous-préfet, que pour la façon de monsieur le Sénateur [2] d’utiliser le bon Dieu – ce qui permet de comprendre ce qui se passe quand ces gens-là accueillent le pape :

La radio nationale lâche que 115 sous-préfets sur les 245 de France seraient remplacés par des conseillers d’administration en lieu et place des sous-préfets, et s’appuie sur un arrêté paru le 25 juin 2008 au journal officiel. Cela concernerait Vierzon, Saint-Amand, Cosne-sur-Loire, Château-Chinon, Issoudun, Romorantin, Le Blanc ou la Châtre.

Coup de fil aux sous-préfectures intéressées dans le Cher : « Ouh la, la, c’est sorti ? Je note votre numéro de téléphone, et je demande à Monsieur le Sous-Préfet de vous rappeler. » Rien.

Contacté, Rémy Pointereau, sénateur UMP, et président de l’Association des maires du Cher, s’insurge au bout du fil : « Ce qu’a annoncé Europe 1 est complètement faux. J’ai immédiatement appelé Michèle Alliot-Marie après avoir écouté votre message. Dans ces moments-là, il vaut mieux appeler le bon Dieu, et elle m’a rassuré, en me disant : “ Il n’y a pas le début de commencement d’une annonce de suppression des postes de sous-préfet. ” En fait, ce qui se passe, c’est que nous manquons de fonctionnaires du grade de sous-préfet. L’idée est que ceux qui ont un grade moins élevé puissent accéder à un poste de sous-préfet dans les arrondissements de deuxième catégorie. Il n’y a pas de suppression de sous-préfectures. »

Une vision confirmée par un membre du corps de l’État, qui explique que « le nouveau dispositif ouvre de nouvelles possibilités de recrutement à des gens qui ne pouvaient prétendre à un poste de sous-préfet. Par exemple, dans le Cher, nous avons un ancien magistrat sous-préfet ». Ces nouveaux sous-préfets garderaient les avantages du poste : logement, chauffeur, etc.

Bon, donc les logements continueront d’être occupés à titre gracieux par le représentant de l’état, et peut-être, en ces temps de disette culturelle, je pourrais candidater au poste de chauffeur du sous-préfet de Saint-Amand Montrond, moi qui désormais prends souvent la route de Noirlac ?

Mais il y avait l’autre version, à France Info : ce qui ne sera pas reconduit, c’est l’uniforme. On nous l’expliquait en long et en large : les anciens combattants n’auront plus affaire, dans les cérémonies, à un représentant de l’état en uniforme. Ils le portaient quand, sinon, l’uniforme, les sous-préfets : premières pierres, accueil du ministre en voyage ? Ce qui pourrait s’arranger comme dans ce que Louis Marin nous expliquait du Portrait du Roi, les mannequins d’osier avec attributs, qu’on enterrait officiellement avec oraison longtemps après s’être débarrassé du corps organique.

La même référence à cet ordre symbolique, que soudain on dérange, alors que sa présence régulatrice est forcément discrète (on imagine les dossiers en transit, les zones commerciales, les licenciements, les habitats sociaux, les urgences et combien d’amis on a vu résoudre tel cas de sans-papier via coup de fil du soir à ceux que leur position de grand commis laisse dans l’ombre), dans cet article du Monde « entre commissaire de police et animateur rural » la semaine dernière, recroisant curieusement l’ordre littéraire en posant le préfet – entre DRIRE, DRE, DREAL – comme fiction, mais fiction utile [3] : la même chose donc qu’un livre en vitrine dans la rue commerciale de la sous-préfecture, même quand il y a longtemps que la petite librairie d’autrefois a fermé, remplacée par une maison de la presse ?

A part ça, j’ai cherché : les députés ont leurs blogs, tout le monde a un blog. Aucun blog de sous-préfet, ou alors c’est sous pseudonyme : c’est la preuve. Une profession sans blogs est une profession en danger.

Et, ce qui déclenche passage blog, c’est le mot conseiller aussi : on n’a pas trop habitude qu’un représentant de l’État se limite au conseil, les conseils on les trouve soi-même. Mais pour moi ça ouvre tout d’un coup les petites villes telles qu’elles sont, avec le brouillard et le labyrinthe des petites rues, dans les contes de Saint-Sérapion et autres contes nocturnes du cher Hoffmann : ils en sont remplis, de conseillers (auliques ? – jamais su ce que voulait dire aulique). Ou ces personnages toujours un peu larvaires qu’on voit circuler dans les nouvelles de Tchekhov ou les romans de Dostoïevski : non, nous ne sommes pas prêts pour un âge de conseillers. D’ailleurs, l’État est d’accord : en 2 ans de Sarkosie, plus une seule Drac où il reste les 2 traditionnels conseillers pour le livre, un suffit, on recase, on recase...

Mais les noms évoqués dans la Nouvelle République, ceux où va fermer le volet de sous-préfectures dont on ne savait même pas qu’elles y étaient, je les connais : Chinon c’est Rabelais, Cosne-sur-Loire j’y ai lu, et un étrange parking camions dans la nuit, Château-Chinon j’y ai lu aussi et les organisateurs voulaient que Christian Paul, le député, soit en fauteuil Louis quatorzien au milieu des gens assis par terre, ça l’a bien fait rigoler (tiens, il blogue, d’ailleurs, le copain Christian). Issoudun c’est la Rabouilleuse (relisez la...), La Châtre c’est une belle page de Pierre Michon et Saint-Amand Montrond le (Grand Meaulnes...

Alors finalement, mine de rien, est-ce qu’on n’arriverait pas à quelque chose de sérieux, la notion toute simple de pays, et ce qui fonde le nôtre ? Et tout d’un coup, appréhender d’où on en est, de la fragilité...

[1Je viens même de recevoir téléphoniquement la convocation : lundi 21 et mardi 22 octobre à Dreux, à l’autre bout de la Région Centre, mais bon, pour 248 euros, le droit à 2 jours sous les immeubles de Dreux qui votait Le Pen, ça se rentabilisera côté blog, on fera le compte rendu en détail son image, série Connaître la France... drôle de machin l’administration quand même.

[2Peut-être, dans le cadre d’une RGPP agrandie, pour raisons d’économie, d’efficacité, ainsi que de démocratie et d’ouverture culturelle, pourrait-on supprimer ensemble le Sénat et l’académie française avant les sous-préfets ? – je vote pour...

[3Voici in extenso, s’ils n’y voient pas dommage, l’article du Monde, qui ne se limite pas aux sous-préfectures mais à l’instance même des préfets de département. La phrase sur la fiction utile est la fin de l’article :

Malaise dans la préfectorale

Il y avait eu la décentralisation, il y a maintenant la montée en puissance de la région et le désengagement de l’Etat. Les préfets de département s’inquiètent pour leur avenir...

Toutes les préfectures se ressemblent. Un hôtel particulier en pierre de taille, du carrelage en damier noir et blanc, des portes-fenêtres à espagnolette, des tableaux noircis par le temps, une voiture avec chauffeur stationnée devant le perron... Tous ces détails qui signifient la République en ses murs. Le pouvoir est affaire de symboles. Paul Delouvrier, haut fonctionnaire, avait coutume de dire qu’une préfecture, c’est « un drapeau et une cuisinière ». Aujourd’hui, le drapeau tangue et la cuisinière est au chômage. « Je sens monter chez les préfets une inquiétude sourde », constate Jean-Pierre Duport, ancien préfet d’Ile-de-France.

La principale cause de ce malaise vient de la mise en oeuvre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). Celle-ci renforce l’autorité des préfets de région, qui sont aussi préfets du département dans lequel se situe le chef-lieu de la région. Le mouvement avait été amorcé en 2004, sous le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, dans la droite ligne de l’acte II de la décentralisation. Il s’accélère cette année dans une perspective différente. Il ne s’agit plus de tirer les conséquences de la décentralisation et de la montée en puissance de l’échelon régional. Il faut désormais accompagner la mue de l’Etat. Ce qui veut dire, en clair, son amaigrissement.

Les services de l’Etat en région vont passer de trente-cinq à huit grandes directions. Par exemple, les Drire (industrie et recherche), Diren (environnement) et DRE (équipement) fusionneront dans une direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal). Dans les départements, l’administration ne comptera plus que six directions : les territoires, la protection des populations, la cohésion sociale, l’éducation, les finances publiques et un pôle sécurité.

L’inquiétude des préfets de département s’est accentuée avec la publication d’une circulaire de François Fillon, datée du 7 juillet et consacrée à l’organisation de l’administration départementale de l’Etat. Elle affirme que « pour le pilotage des politiques publiques, le préfet de région a autorité sur les préfets de département et dispose d’un pouvoir d’évocation ». Autrement dit, le représentant de l’Etat en région aura son mot à dire sur les affaires qui, en principe, sont du ressort de ses collèges des autres départements. Une vraie révolution. « Jusqu’à présent, le préfet de département était maître chez lui, se souvient Eric Delzant, ancien préfet de l’Ariège. Au prix parfois d’une certaine incohérence. Je me souviens d’arrêtés préfectoraux concernant la gestion de l’eau différents d’un département à l’autre dans la même région et incompatibles entre eux... La réforme en cours constitue une vraie remise en cause du métier traditionnel de préfet. »

Daniel Canepa, préfet du Nord et de la région Nord-Pas-de-Calais, est le président de l’Association du corps préfectoral. Elu par les préfets, les sous-préfets et les administrateurs civils, il est un peu le porte-voix de la profession. Lors d’une réunion de préfets à Lyon, en juillet, il a dû subir la bronca de ses collègues. « Les préfets de département ont peur d’être court-circuités, reconnaît-il. Par les élus qui pourraient s’adresser directement au préfet de région. Et aussi par les responsables départementaux des futures directions régionales, qui seront placés sous la double autorité du préfet de département et de leur directeur régional. » Pour M. Canepa, « le succès de la réforme dépendra de la manière dont le préfet de région va exercer ses nouvelles responsabilités. Avec une pratique caporaliste dans le pire des cas, selon une vision managériale dans le meilleur. »

Déjà, l’autorité de préfet de région s’exerce à travers les comités de l’administration régionale (CAR). Ces réunions, qui se tiennent tous les mois en présence des préfets des autres départements et des directeurs de service, ressemblent un peu à un conseil des ministres. Avec, dans le rôle de Bercy, le trésorier-payeur général. La rencontre est assez consensuelle. Les dossiers les plus sensibles ont été déminés en amont lors d’un « pré-CAR » réunissant les secrétaires généraux des préfectures. « Le renforcement de l’échelon régional est inéluctable, estime Dominique Bur, préfet de Haute-Garonne et de Midi-Pyrénées. En même temps, le sujet est sensible car on touche à l’origine même des préfets, qui ont été créés sur une base départementale. »

Les préfets de département conserveront pour principales attributions le maintien de l’ordre public et la gestion des crises. Mais, là aussi, la réforme soulève des interrogations. La création des futures agences régionales de santé (ARS) ne va-t-elle pas priver les représentants de l’Etat dans les départements de leurs moyens d’action en cas de crise sanitaire ? Une autre inquiétude porte sur le projet Chorus, qui vise à concentrer les budgets au niveau des préfectures de région. « La réforme en cours est un défi stimulant, insiste Jean-Jacques Brot, préfet d’Eure-et-Loir. Mais j’espère qu’elle va permettre de maintenir une capacité de dépense à l’échelon départemental. » En résumé, les préfets de département craignent d’être rabaissés au rang de sous-préfets. Une situation d’autant plus mal vécue que le vieillissement du corps préfectoral provoque un certain embouteillage dans les carrières. On devient préfet de plus en plus tard. L’âge moyen est de 56 ans et demi. Pour les sous-préfets, il est de 48 ans et demi. « Une moyenne un peu élevée », admet Bernadette Malgorn, secrétaire générale du ministère de l’intérieur.

Il y a bien des accélérateurs de carrière : un passage à Mayotte, Wallis-et-Futuna, Saint-Pierre-et-Miquelon. On y entre sous-préfet, on est assuré d’en sortir préfet. Ou une expérience dans un cabinet ministériel : elle colle une étiquette politique mais contribue souvent à l’avancement.

Malgré les annonces de Nicolas Sarkozy sur la nomination d’un « préfet musulman », le corps préfectoral reste assez peu représentatif de la France plurielle. On n’y recense que douze femmes sur cent vingt-cinq. On compte sur les doigts d’une main les représentants de la diversité : les Antillais Alain Zabulon et Marcelle Pierrot, Pierre Ngahane, originaire du Cameroun, préfet délégué à l’égalité des chances en région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Bernard Boucault, le directeur de l’ENA, affirme que la carrière n’a rien perdu de son attrait. « Il y a toujours autant d’élèves, dans le premier et le deuxième tiers d’une promotion, qui choisissent le corps préfectoral. Ce sont des vocations, des étudiants motivés, souvent des provinciaux. » Mais Yves Colmou, responsable du secteur collectivités locales du cabinet de recrutement Progress, perçoit une certaine désaffection pour le métier, au profit de la fonction publique territoriale. Il raconte qu’en 2007, pour la première fois, un élève admis dans deux écoles, l’ENA et l’Institut national des études territoriales (INET), qui est un peu l’ENA des collectivités locales, a choisi la deuxième. « Aujourd’hui, c’est dans les collectivités que se trouvent les budgets et la capacité de mener à bien de grands projets », argumente-t-il. Eric Delzant a franchi le pas en devenant directeur général des services du conseil général du Pas-de-Calais. « J’ai dans mon administration 6 500 agents et 1,5 milliard d’euros de budget. Jamais je n’ai eu autant de responsabilités comme préfet, remarque-t-il. Il est vrai je n’ai plus la charge de l’ordre public. »

Cette dernière fonction, régalienne, tient encore pour beaucoup dans le prestige du préfet. « Il détient le monopole de la force publique, rappelle Bernard Boucault. C’est de là qu’il tire sa légitimité. » Premier personnage du département dans l’ordre protocolaire, il est censé représenter tout le gouvernement. Pourtant, sur la plupart des dossiers, il doit composer avec les élus des collectivités locales. La décentralisation a transformé la fonction en profondeur. « Le préfet moderne doit faire dans le contractuel, plus tellement dans le régalien, explique Yves Colmou. Il doit être un accordeur de consensus. C’est un subtil mélange entre commissaire de police et animateur rural... »

Eric Delzant se souvient avoir choqué les notables dans la ville où il était sous-préfet, dans les années 1980, en faisant du jogging en short et en baskets. Aujourd’hui, l’évolution des modes de vie a contribué à banaliser la figure du représentant de l’Etat. Beaucoup sont des « célibataires géographiques » dont les conjoints travaillent et sont restés à Paris ou ailleurs. Les dîners de notables sont en voie de disparition au profit des déjeuners de travail. « C’est beaucoup plus productif et cela évite le problème des conjoints », note un préfet. Certains tenants de la vieille école, comme l’ancien préfet d’Ile-de-France Jean-Pierre Duport, tiennent à cette fonction de représentation. « Lorsque vous êtes préfet, vous êtes la République, insiste-t-il. Cela fait partie de vos fonctions de recevoir les élus, les responsables associatifs, les chefs d’entreprise, dans cette maison commune qu’est la préfecture. »

Jean-Pierre Hughes, ancien préfet du Gard devenu directeur de la Ligue de football professionnel, estime que la fonction a encore de beaux jours devant elle. « Dans notre culture française, les gens pensent que l’Etat peut tout, explique-t-il. C’est pourquoi ils sont attachés au préfet. Les élus, les agriculteurs, les chefs d’entreprise le sollicitent, même si souvent il ne peut rien pour eux, à part jouer un rôle de médiateur. Nous vivons sur l’illusion d’un Etat fort, dont le préfet est le symbole. C’est une fiction, mais une fiction utile. »

© Le Monde - Xavier Ternisien - 04/09/2008


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1ère mise en ligne et dernière modification le 15 septembre 2008
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