des livres s’écrivent, se publient, mais ne se voient pas

dans la série des jeux tiers livre (rien à gagner)


Soient les trois extraits de texte suivants. La démarche consisterait à trouver le point commun qui les rassemble, avant de regarder la solution en bas de page.

 

texte 1 | des livres s’écrivent, se publient, mais ne se voient pas

La littérature ne peut plus être aujourd’hui envisagée du seul point de vue de sa production, sinon au risque de la cantonner à un ersatz de loisir. Les conditions de sa production, de sa diffusion et de sa circulation pèsent de plus en plus sur son existence même. Des livres s’écrivent, se publient, mais ne se voient pas, ne se feuillettent pas, ne se lisent pas. Pourtant, des forces associatives, politiques, privées ou institutionnelles oeuvrent un peu partout pour maintenir une offre variée et qualitative de ce qui s’écrit aujourd’hui. Travail de fourmis bien souvent désespérant quand on voit les moyens dont d’autres bénéficient, quand on voit surtout les moyens refusés à la littérature. Un exemple : du journal de 20 heures de France 2 le 22 septembre, on a compté par moins de huit interviews d’économistes. C’est-à-dire plus en vingt minutes qu’on aura pu voir ou entendre de poètes, en, disons, dix ans.

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texte 2 | l’espoir de mettre rapidement un pied dans le travail éditorial

Né à Strasbourg, il passe une licence de libraire à Mulhouse et intègre, jeune, la librairie strasbourgeoise Kleber. Trop jeune. Le fonctionnement de la librairie et les responsabilités qu’on lui donne auront raison de son abnégation. Il quitte la librairie pour prendre un poste de représentant auprès des éditions Flammarion, pour lesquelles il couvre l’Est et le Nord du pays. On ne le retrouve un peu plus tard prof de français dans le sud de la France mais « l’édition me manquait ». Il rempile donc comme représentant pour Casterman, puis en 1992 pour Actes Sud, où il s’occupe de la diffusion des collections de littérature. Il s’installe à Marseille, devient attaché de presse des éditions Actes Sud, avec l’espoir de mettre rapidement un pied dans le travail éditorial. Le passage aux 35 heures provoque un conflit social au sein du groupe où il est représentant du personnel : « je m’en suis pris plein la gueule ». Il se retrouve au chômage, fait des piges pour L’Humanité et Le Magazine littéraire.

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texte 3 | qui est aussi résistance de la poésie

Musil a raison de noter, par l’exemple d’une prairie, tout bêtement verte, à se rouler dedans que Walser arrive à dire autant la verdeur acide de sa présence que ce qui l’empêche de la rejoindre, l’écriture étant, à la fin, seule à la lui rendre intacte, et comme hors du temps. L’auteur biennois parlera, lui d’une consumation à devoir passer du dehors au dedans et inversement, à en presque éclater. Saisissant.
A cause de ses absences ou de ses excentricités, Walser fut interné en 1933 à l’hôpital psychiatrique d’Herisau. Il avait alors 55 ans. Il y cessera définitivement d’écrire. Après un séjour de vingt-deux ans d’une existence de patient modèle, on le retrouvera mort dans la neige le jour de Noël 1956. Mais il nous avait déjà avertis, et sans ironie contre lui-même, que le convalescent est sans tracas, puisque je puis sans me briser en tant que monde, sillonner le monde. C’est ce qui nous reste de lui, cette expérience infracassée, qui est aussi résistance de la poésie.

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Et maintenant d’où ça vient :

texte 1  : Thierry Guichard, édito au Matricule des Anges, octobre 2008. Avec une pagination augmentée, et nouvelle maquette depuis le mois dernier, le Matricule tente de s’appliquer à lui-même le commentaire de TG : « La littérature ne peut plus être aujourd’hui envisagée du seul point de vue de sa production, sinon au risque de la cantonner à un ersatz de loisir. » Ce qui signifie concrètement, dans le mensuel, un autre équilibre entre les compte rendus de lecture, et la partie intervention ou création du journal, le double dossier un éditeur / un auteur qui est sa marque (ce mois-ci, découverte de comment travaille Mathieu Riboulet), et les chroniques, François Salvaing (après Emaz et Prigent) sur la télévision, les ballades parisiennes de Dominique Fabre (le premier tramway de la petite ceinture nord-est, magnifique) et Eric Holder. Surtout, l’amorce d’un dossier où il s’agit de voir ça concrètement : la littérature, dans une ville, c’est quoi ? Rencontres, librairies, acteurs et auteurs du livre élargi, et que ce n’est pas qu’à Paris... retour texte 1

 

texte 2 : encore Thierry Guichard, mais le premier de ces dossiers ville qu’inaugure le Matricule, avec Marseille. Et que c’est fait de notations très concrètes (que la librairie L’Odeur du Temps ait placé en vitrine La Vitesse des choses de Rodrigo Fresàn, qui m’a été mis dans les mains par mon propre libraire, Le Livre à Tours, et que je termine au bout de 3 semaines, assez stupéfié, cela ne m’est pas indifférent). Revues, lieux, lectures, auteurs : on les aime ou pas, qu’importe, dans ma ville je ne fréquente finalement qu’un seul lieu lecture, et mes affinités littéraires ne sont pas géolocalisées. Quant à ce texte, c’est la mini biographie dressée par TG pour Pascal Jourdana. Pascal est un ami, me suis habitué à le voir pour des débats, Manosque, Bron, Saint-Malo, on parle toujours de plein de choses et des amis communs, mais je ne lui avais jamais demandé son CV : et si ça comptait, ça aussi, ces parcours, quand ils interrogent l’écriture mais chaque fois depuis ces frontières sur lesquelles on est chacun de nous, entre transmission, enseignement, édition, nomadisme, et bien sûr les heures de travail solo ? retour texte 2

 

texte 3 : je ne sais pas combien de numéros il va falloir à Thierry Guichard pour passer de Marseille à Nîmes, dans ses dossiers – pourtant, un numéro sur Nîmes, entre Carré d’Art et librairies, lieux de wifi (je peux t’en suggérer, TG) ou auteurs qui y vivent (Emmanuel Laugier, Jean-Paul Michallet), ce serait encore la preuve de cette résistance. C’est Emmanuel Laugier qui parle, justement, toujours même numéro d’octobre du Matricule, à propos de la traduction des Poèmes de Robert Walser, par Marion Graf, chez Zoé, l’excellent site tiers livre en avait parlé aussi. retour texte 3

Voilà. Façon, chacun à sa place, Laugier, Jourdana, Guichard, de faire son boulot. Je me mets dans la liste. Et voir site Matricule.

Et post-scriptum quand même, Thierry, mais on en a parlé pas plus tard que la semaine dernière : comment peux-tu faire l’impasse de la présence web, ne serait-ce que des sites comme CipM ou montevideo.com – même si tu mentionnes, et heureusement, les Cahiers de Benjy ? Contourner le Net et ses acteurs ici et ici, c’est liquider en partie le meilleur même de ce qu’un tel dossier peut prouver.

responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 8 octobre 2008
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