2008 | l’atelier d’écriture forme-t-il des écrivains ?

un dossier sur les ateliers d’écriture publié par le Monde


Cet entretien fait partie des 32 textes sur l’enseignement et l’atelier d’écriture rassemblés dans Apprendre l’invention, publie.net & publie.papier, 2012.

note initiale (décembre 2008)
J’étais très heureux de recevoir une suite de questions extrêmement pertinentes d’Alain Beuve-Méry, et, de Kiel où j’étais en stage, voici les réponses que je lui avais transmises. Elles concernaient notamment les différences d’approche entre le creative writing à l’américaine (voir Feux de Raymond Carver) et notre propre approche.

Mais pourquoi se braquer toujours éternellement, dans les 3 articles d’accompagnement, sur cette sempiternelle fausse question de l’atelier destiné à former des écrivains ? Jamais vu un participant aux ateliers pour qui ce soit ça la question. Mais, si on définit comme ça l’approche, c’est le mot écrivain qu’on laisse inchangé et on rate tout.

Alors un article sur nos timides expériences, et 3 articles pour dire que c’est toujours tellement mieux ailleurs que chez nous ? Qu’il n’existe pas de Jacques Séréna, de Michael Glück, de Leslie Kaplan, de Véronique Pittolo ou de Gwenaëlle Stubbe, de Cathie Barreau, de Philippe Berthault, que n’écrivent pas Hubert Haddad, Alain Bellet, Jean-Paul Michallet, Albane Gellé, Bruno Allain, Tanguy Viel et tant d’autres, les mêmes scies habituelles : clichés de l’écrivain en herbe, le saint agenouillement devant les pratiques américaines, la haute condescendance de qui sait ce que c’est que la littérature vraie (il est vrai de plus en plus rare, puisque le Monde des Livres a réduit son format de moitié) devant nous autres, un peu partout, qui cherchons à nous mettre à l’écoute de ce que le langage peut avoir à s’agrandir, au contact du monde (sans majuscules).

Et comment parler d’atelier d’écriture en restant aussi à distance de 2 questions essentielles : la possibilité de transmettre et d’enseigner la littérature en restant hors de tout concept de pratique (a-t-on jamais enseigné la philosophie sans philosopher ?), pour la première, des enjeux spécifique de la création littéraire, les formes, son renouvellement quand immergée dans d’autres schémas de réalité et de représentation, temps, sujet, ville, identité ? Il n’y a pas d’entité atelier d’écriture en dehors de sa relation à une conception précise de la littérature – à l’inverse, c’est ici que nous, qui animons ces ateliers, trouvons les court-circuits par lesquels la mise en travail du langage est à nouveau perçue comme nécessaire.

Et qu’un des vecteurs de la complexité, alors, et notre chance, c’est la thésaurisation des pratiques. En France, c’est dans les années 70, avec Anne Roche et Nicole Voltz à Aix-en-Provence, Claudette Oriol-Boyer à Grenoble, Elisabeth Bing (excellent travail de cette structure, même longtemps après le départ de la fondatrice), puis plus tard Aleph et ses antennes en région, la Boutique d’écriture de Montpellier puis celle du « grand » Toulouse, l’élan, l’ouverture et la générosité de l’Oulipo, le GFEN... Nous avons la chance d’un paysage ouvert, aux approches multiples. Avec de constantes porosités (voir la maison Gueffier à la Roche/Yon) entre écrivains intervenants et animateurs, déplacements des pratiques par l’accueil d’auteurs, promotion de la lecture à haute voix, actions en réseau : il me semble qu’il n’aurait pas été si difficile de se documenter. Seulement voilà, ça aurait obligé à bousculer l’idée préconçue de l’écrivain d’un côté et le reste du monde de l’autre, alors que c’est précisément cela que l’atelier bouscule.

Et aujourd’hui, un des faits marquants, c’est bien comment des praticiens de l’atelier d’écriture en sont venus comme naturellement à la publication, tandis que grand nombre de jeunes ou nouveaux auteurs pratiquent tout aussi naturellement ateliers et stages sans beaucoup se préoccuper de cette micro-histoire (Michel Tournier en Une du Figaro, en 1993 : Prétendent-ils que tout le monde peut devenir écrivain ?, ça se voit qu’il avait lu le La Poésie est faite par tous et non par un de Lautréamont, mais paix à son âme).

Je repense à mes phrases fétiches, Comment vivre sans inconnu devant soi (René Char), Nous n’aurions plus rien d’humain si le langage en nous était en entier servile (Georges Bataille), Écoute le monde entier appelé à l’intérieur de nous (Valère Novarina) : à lire le Monde, et quand bien même ils aient la gentillesse de me traiter de précurseur, ce qui est complètement faux, puisque j’ai commencé seulement en 1993, on pourrait se dire que vraiment on a raté notre coup.

De mon côté, l’ensemble de mes interventions sur les ateliers d’écriture rassemblés sur publie.net : Apprendre l’invention. Photos : stage d’écriture à l’université de Kiel, 14/16 novembre 2008, 4 photographies d’Andreas Take (merci !).

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Le Monde des Livres, dossier ateliers d’écriture

 

l’écrivain sur un piédestal, échange avec Alain Beuve-Méry (Le Monde)


En France, les ateliers d’écriture ont souvent une vocation sociale (ils sont souvent pratiqués dans des banlieues, dans des cités, dans des prisons, etc.) ; dans les pays anglo-saxons, ils servent plus à former de futurs écrivains, comment expliquer vous cette différence d’approche ?
Pour moi, je ne peux pas séparer les deux plans d’intervention : quand on intervient dans un dispositif social, c’est une sorte de pacte, la place restaurée du langage peut compter énormément dans le parcours des participants, mais à l’inverse nous est révélée une part invisible du monde. Cette mise en représentation de la ville, de la communauté, j’en ai besoin là où j’écris, le défi esthétique de récits dans le présent, mais aussi parce que ça déplace notre transmission de la littérature, ce qu’on expérimente lors de stages d’enseignants, ou dans une école de Beaux-Arts etc.

 

Sur le fond, peut-on opposer deux conceptions distinctes sur la place de la littérature et sur le statut de l’écrivain ? Pour caricaturer, j’ai l’impression qu’en France domine toujours l’idée qu’on naît écrivain plus qu’on ne le devient (l’écrivain placé sur un piédestal), alors que les anglo-saxons privilégieraient une approche plus pragmatique et plus utilitariste (écrivain, un métier comme un autre) ?
Former un écrivain, personne n’y est jamais arrivé, et personne n’y prétend. Dans le domaine anglo-saxon, la différence c’est que les auteurs, d’Edgar Poe à Carver en passant par Hemingway ou Faulkner, ou James, vivent de la publication de leurs short stories dans la presse. Donc un format repéré, identifiable. Le creative writing dans les facs américaines c’est l’apprentissage de cette forme, avant d’être l’apprentissage d’un rôle ou d’un statut d’écrivain. Une permanence chez nous, de Rimbaud à Michaux, via Proust, ou Koltès, ou Perec, c’est qu’il n’y a jamais eu d’invention littéraire sans déplacement même du genre. Alors pour moi un seul principe, les parcourir, d’Artaud à Ponge, quel que soit le public, pour que chacun puisse disposer de l’arborescence, comme un violoniste travaillera séparément main gauche, main droite, partition, archet etc, et oubliera tout au moment de jouer sur scène. En ce moment, c’est plutôt le creative writing qui se rapproche de nos formes, que le contraire.

En mars, vous aviez animé un débat sur remue.net sur les ateliers d’écriture avec comme angle : quelles limites, quel élan ? Si vous synthétisez votre expérience, quels sont les points que vous souhaiteriez mettre en avant ?
Ce qui est bizarre, c’est qu’on ne croise jamais de participants pour lesquels la question soit « devenir un écrivain ». On n’a jamais tenté de dissuader un musicien de remiser sa guitare ou son violoncelle sous prétexte qu’il ne joue pas à l’Intercontemporain : mais c’est fini, pour les écrivains, le statut fétiche dans la société. À l’inverse, personne n’est indemne du langage. On interroge la relation du langage au monde, on fait en sorte que les pratiques personnelles d’écriture soient reliées aux grandes expériences esthétiques,aux défis actuels de l’écriture. La bibliothèque qu’on utilise en atelier ne coïncide pas avec nos bibliothèques de lecteurs. D’où des questions précises à l’Éducation nationale, et un grand manque à gagner : les livres qui servent à écrire, ou cheminer dans l’écriture, pourraient être d’immense profit dans l’enseignement. Espèces d’espaces de Perec, plutôt que La Disparition. Ou Vous qui habitez le temps de Valère Novarina au lieu de Bel Ami. Ce qui est frappant, en 10 ans, c’est combien de jeunes écrivains on a vu transiter dans nos stages, et, à l’inverse, combien de jeunes écrivains pratiquent, là où ils sont, les ateliers, sans se poser de question. Et cette respiration-là est irréversible.

 

Croyez vous possible (cela pose la question de financement) et utile (c’est plus la question de la finalité de ces cours) d’introduire des ateliers d’écriture dans les facultés en France ?
J’ai cessé d’en rêver. En quatre ans, on a assisté à la volatilisation de l’essentiel de ces processus timidement mis en place dans les rectorats. Au plus haut de l’étiage, il y a 5 ou 6 ans, cela représentait environ 250 000 euros au niveau national, soit le prix d’un rond-point dans une ville de province. C’était trop. On ne nous a jamais pris au sérieux pour l’intervention dans les IUFM, alors que ces techniques de terrain sont vitales pour les jeunes enseignants. J’ai la chance cette année d’intervenir à la fac de Lettres de Poitiers, c’est tellement formidable pour nous, pour réfléchir à l’ensemble de la littérature, et ce que dérange de notre idée de la langue les textes qu’on reçoit en retour...

 

Est-ce que cela peut dynamiser (sauver) les études littéraires en France ?
C’est dans les facs de sciences, dans les écoles de commerce, dans les IUT, qu’il faut introduire la littérature quand même, et c’est ceux-là qui peuvent déplacer aussi le champ littéraire, en se saisissant des auteurs. Je ne suis pas compétent pour expliquer la désaffection des études littéraires, alors que prolifèrent des formations « arts du spectacle » ou « métiers du livre » qui font l’économie de la littérature et n’aboutissent qu’au chômage. Les facs de lettres sont prisonnières de la semestrialisation, des emplois du temps TGV, autant que de ce système divisé en siècles, contrairement à partout ailleurs dans le monde – mais ce n’est pas de ma faute. Il y a des exceptions, heureusement…


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne 22 novembre 2008 et dernière modification le 1er avril 2013
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