rendez-vous sous opaque

pièces spécialement prévues pour l’échange et l’orientation


On avait disposé ces parois opaques reconnaissables.

On entrait, on signalait sa présence. Dans les lieux de grand passage, on vous demandait préalablement de choisir telle ou telle des portes selon votre lieu de résidence, ou de secteur d’affectation de travail dans la ville. Votre appel était pris en compte. C’était là, l’immense révolution, la novation formidable de ce système : quelqu’un, ou vous-même si vous n’étiez pas derrière la cloison opaque, receviez selon votre proximité et votre disponibilité un signal, et c’était à vous d’entrer, de vous asseoir derrière la table, de prendre la chaise vide, d’entamer le dialogue.

Comment penser que vous puissiez rencontrer, dans l’immensité et le brassage de la ville, quelqu’un avec qui vous auriez pu préalablement avoir affaire ?

On avait bien dû, cependant, le prévoir : chacun traîne avec soi des noms qu’on n’aime pas, des crasses qu’on vous a faites et qui perdurent, ou ne serait-ce que leur mesquinerie – on n’en a jamais tant que ça, mais quand même. Ou bien gens qui auraient interféré avec votre vie privée : dans ce cas, on se saluait, mais vous, qui aviez été convoqué, repartiez aussitôt, le signal était renouvelé pour quelqu’un d’autre.

On n’était pas contraint à venir régulièrement. Globalement, disait-on, le système s’équilibrait : quelques-uns en profitaient trop souvent, d’autres rechignaient.

Mais c’était si simple : on s’asseyait, on signalait sa présence, on attendait l’interlocuteur, et alors tout était permis pour faire le point, décrypter, analyser. On était protégé : c’était de toute façon dans un lieu public, et de toute façon derrière la cloison opaque.

Le système était au point, les lieux assez nombreux, sous les bureaux, dans les gares, dans les galeries commerçantes. Vous-même, lorsque c’était à vous de rencontrer l’interlocuteur anonyme et prendre à charge ce qu’il vous livrait, c’était un exercice où il vous fallait être à l’écoute, et responsable.

C’était surprenant, parfois, de trouver encore des personnes qui avaient effectivement remarqué, n’importe où sur leur chemin, les cloisons opaques si reconnaissables, et en ignoraient la fonction.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 novembre 2008
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