une solution pour le livre

Espaces visibles et clos pour susciter de nouveau le désir du livre comme objet interdit.


C’est la solution qu’on avait retenue dans cette ville. Partout où passaient les gens, partout où ils venaient pour les affaires, pour l’enseignement, partout où ils venaient pour le loisir, ou la santé, près des garages, des entrepôts, face à l’hôpital ou dans les lieux de croisements souterrains des transports, on avait évacué ou réquisitionné ces grandes pièces éclairées qui autrefois étaient celles réservées au commerce.

On y avait mis les livres, ce qui restait des livres. Parfois, on ouvrait aux visiteurs. Il y avait des dates fixes, selon les lieux, selon les thèmes. Alors on venait, on étudiait, on recopiait comme aux premiers temps.

Surtout, c’était évident, le livre était redevenu désir. On apercevait les zones éclairées, en transit d’une gare à l’autre, en déambulant dans la nuit de la ville, en procédant à ses achats.

On avait même ménagé suffisamment d’espace pour l’impression qu’il y avait encore à ajouter des écritures, des poèmes, des récits, des mémoires ou imprécations, des livres de savoir, cartes, relations de voyage, études sur la faune ou l’archéologie, et ainsi de suite. Ceci était le lieu de la permanence, de la stabilité, du non-effacement.

Simplement, voilà : il avait fallu accepter collectivement d’en payer le prix. On avait négligé la survie de tout cela, quand les portes des librairies étaient ouvertes, quand les bibliothèques accumulaient les ouvrages à consulter, on avait préféré nos écrans tactiles, notre art de la communication immédiate, eh bien, maintenant, qu’on attende.

La peinture n’avait-elle pas pris de longtemps le même chemin ? Quels coffres, de quelles grandes entreprises, fondations ou particuliers fortunés, recelaient les toiles de Hopper, Magritte ou tant d’autres, à commencer par Van Gogh ?

La musique, n’avait-elle pas pris le même chemin ? Qui possédait les Stradivarius, les Garnerius, les grands Bösenderfer millésimés ? Qui possédait le pouvoir de rassembler un quatuor pour l’interprétation de Scelsi ou Bartok ?

Et ne vivaient-ils pas mieux, ceux qui avaient à charge désormais d’écrire pour les sites où, dans la ville, on conservait les livres, plutôt que cette prolifération confuse où le langage, se mêlant aux images, se superposant infiniment à lui-même, n’était probablement plus, à distance, que le bruit résiduelle d’une humanité assouvie ?

D’autres villes rejoignaient les premières : on disait que l’important c’était cette façon de rendre visible le lieu et les rayons où restaient les livres : que la ville soit transparente et illuminée comme ces écrans qui les fascinaient tant.

On disait cependant, pour quelques-unes des premières villes à avoir tenté l’expérience, qu’elle avait tourné court. On avait collé des affiches sur les vitres, les lumières qui s’éteignaient à l’intérieur n’étaient pas remplacées. Et, les jours où on proposait l’ouverture, ils n’étaient que quelques-uns à solliciter d’y venir.

Qui donc un jour aurait une solution viable, quand certains pourtant disaient encore le plaisir qu’ils avaient eu au livre, et ce qu’ils y avaient trouvé.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 novembre 2008
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