fictions | cimetière des hommes assis

de ces lieux dans la ville où attendre semblait d’une telle indifférence


« Cimetière des hommes assis », c’est l’expression qui t’était venue dès que tu descendais l’escalier et t’étais retrouvé marchant dans la rue, ce sentiment alors de tout à distance, les gens, l’air même, et le bruit, ou ce que tu avais à faire.

« Cimetière des hommes assis » et ce n’était pourtant pas un rêve : tu en avais réellement traversé l’endroit, cette salle en longueur, à l’éclairage fixe, et ces silhouettes immobiles, passives. Voilà, un temps comme distendu, les gestes lents, ou agrandis : et indifférents à qui passait, ne t’ayant pas plus regardé qu’ils ne regardaient quiconque. On était traversé de leur regard, on ne lui faisait pas obstacle.

« Cimetière des hommes assis », et ce n’était pas raisonnable : cimetière c’est pour les morts, le statut de ceux-ci tu n’aurais su le définir – il y avait des tas de lieux dans la ville dont la fonction précise, gare, salles de transit, salles d’attente des administrations, couloirs des hôpitaux ou des agences, était qu’on y attende, qu’on y attende parfois sans limite précise, sans non plus se faire remarquer, et puis il y avait à durer, l’immobilité, l’indifférence étaient cette première condition. Entre eux, qui aurait su s’il ne s’agissait pas de concurrence, même féroce, et que la dissimulation de tout signe n’était pas une condition décisive ?

« Cimetière des hommes assis », tu pensais clairement la phrase, identifiait clairement le lieu, cette lumière fixe qui tombait de lumières invariables, et les silhouettes là posées, immobiles.

On en avait parlé, dans la presse, mais discrètement : on ne pouvait plus fournir, avec la misère, le désarroi de ces emplois sacrifiés, l’anonymat dans les villes et le système de soin saturé. On avait créé ces galeries, de préférence dans les lieux commerciaux abandonnés (il y en avait tant, désormais), et là vous aviez latitude de ne plus bouger, pas repartir, juste attendre. Ne pas quitter sa place, et on vous laissait en paix.

« Cimetière des hommes assis », finalement, si l’image de la galerie traversée, quand tu t’étais enfin aperçu de tout cela, devenait si obsessive, n’est-ce pas simplement parce que pour toi-même il était temps ?


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 28 octobre 2008
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