cette rue

quiconque au bout de la rue donnant sur la mer pouvait venir y habiter


On disait que dans cette rue (on m’avait montré la rue) était cet appartement où tacitement on pouvait s’installer, et rester. Juste, si quelqu’un vous avait donné le tuyau. Mon interlocuteur y avait passé quatre mois, presque tout un hiver. Puis, tacitement aussi, on s’en allait. Si on avait procédé à des améliorations, remplacé un ustensile de cuisine, repeint ou réparé un coin des vieux murs, on laissait en place : façon de remercier. C’était évidemment très sommairement meublé, éclairé via une déviation sur le palier, et mal chauffé. Mais enfin, on survivait. « Une grande solitude », me disait mon interlocuteur, mais est-ce que chacun, dans telle phase de remise en question, ne la recherche pas ? On pouvait vous donner le tuyau de très loin : s’arrêter à la gare, descendre cette rue droite qui allait à la mer. Lorsque vous avez pris vos repères, remonter vers la vieille ville, au long des voies, un peu en amont de la gare, et chercher la rue. « Le premier soir est bien étrange », disait mon interlocuteur. Personne ne peut vous savoir ici, personne qui puisse venir sonner. La maison est inhabitée, sauf cet appartement sans clé, mais auquel on n’accéderait pas sans qu’on vous explique : et encore, la première fois, dans cette combine de porte quasi invisible, d’escalier grimpant dans l’ombre, enfin débouchant dans cette pièce où parfois personne avant vous n’est entré de plusieurs semaines, cette pièce en longueur, avec son simple lit, son lavabo, plaque chauffante pour la cuisine, et les bruits alentours, les voisins, la rue, cette table à toile cirée où vous vous asseyez comme tant d’autres ont pu le faire avant vous, c’est bien troublant. C’était l’expression de mon interlocuteur : « Bien troublant. » Je sais où c’est, désormais, je me le suis mis en mémoire. Qui sait si je n’en aurai pas moi-même besoin, un jour, proche ou lointain ? Même la mer, au bout de la longue rue droite, semble vous dire la même chose : que personne ici jamais ne viendrait vous chercher.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 janvier 2009
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