morts longés depuis le train

52 | je l’avais réellement photographié et j’en étais resté plus que troublé


En quel étrange pays nous sommes ? On avait longé des eaux grises, immobiles, un pont, et puis ces bois qui semblaient avalés lentement par l’inondation régnante.

Les rares maisons étaient mortes, sans éclairage, et l’aube : blafarde. Et pourtant combien je n’aime pas faire coller à un mot l’adjectif qui lui va d’office.

Puis nous longions la ville des morts. Elle s’étalait, avec des couleurs jaunes de la pierre mêlée à ces végétaux qui n’auraient pas su, ici, pousser comme ailleurs, et l’habituel désordre à ces endroits où chacun veut se singulariser comme si c’était possible : tout tenait au brouillard, en fait, rien qu’à ce brouillard et à l’inondation. Eux-mêmes probablement à la détrempe, les morts.

Le train passait immuablement sur ces mêmes rails. C’est la ville qui avait entreposé là ses morts, qui s’était éloignée, avait disparu peut-être : à peine si on avait distingué, plus tôt, quelques agrégats d’entrepôts vides.

On avait quitté la grande ville, avec la gare sous verrière, quelques dizaines de minutes plus tôt, il était tôt, j’avais dû me rendormir. Maintenant les morts se dessinaient sur ma vitre et y défilaient lentement.

Au bord d’une fosse ouverte, une silhouette pâle et immobile attendait, les pieds dans la tombe, et qui semblait vaguement nous considérer, ceux du train. Machinalement j’ai déclenché l’appareil photo.

Plus tard, nous arrivions à Poitiers, il faisait jour, tout était comme d’ordinaire.


responsable publication François Bon, carnets perso © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 mars 2009
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