américanité

premières séances d’écriture au Québec


C’est une question qui m’a été posée, avant-hier : - Et avec vos activités, vous avez le temps d’écrire ? – question amicale, et bienveillante. Mais clairement, dans ma tête, non : à peine ici depuis 5 semaines, je n’en suis pas au point où la pulsion d’écrire puisse passer avant l’ouverture, et tout ce que je ne comprends pas, ce que j’ai à recevoir. Et, précisément, c’est là où la notion d’expérience prime : ce à quoi je dois m’ouvrir, je ne peux le requérir que par le partage. Que ça revienne ensuite traverser l’écriture, bien sûr. Mais il y a trop, ici, d’étranger qui me concerne, au plus profond, pour que je puisse contourner – ça demande du temps, et ça demande des voix.

S’il y a vertige chaque fois neuf à tenter une expérience d’écriture, ça paraît évident mais ça ne l’est pas tant que ça, c’est le plaisir à découvrir des textes étymologiquement in-ouïs, l’entrée par la puissance de l’écriture, ce qu’elle convoque, ce qu’elle représente, dans la réalité que vous pouvez partager, mais qui vous reste inaccessible.

C’est une sorte de relais intérieur : évidemment, je découvre le Québec pour moi. Les paysages, les villes. La puissance du fleuve, l’échelle de l’espace, des combinaisons de durées historiques tellement différentes des nôtres, et percutant allègrement le présent. Quand j’écris sur la mort de Louis Hémon, ou sur cette notion même d’espace, j’écris pour moi.

Mais rien de commun entre traverser dimanche, en voiture, les villes de Black Lake et Thetford Mines, l’architecture de ces usines brutalement désaffectées quand l’amiante, qu’on exploite ici à ciel ouvert dans ces entonnoirs gris gigantesques, a eu mauvaise presse, et le texte de ce matin (rien d’autobiographique, mais un point de départ formel pris à Charles Juliet), d’une étudiante dont la famille y a ses racines.

Les questions alors se multiplient :
 ce qui s’écrit ici chamboule la langue française, mais la langue française a toujours été la somme de ces chamboulements extérieurs ;
 les usages oraux québécois s’importent dans les textes, mais l’identité québécoise d’un texte ne se cantonne pas, ni n’appelle, ce registre oral – ce qui tient au québécois traverse d’abord la langue dans un autre rapport de la syntaxe à ce qu’elle convoque, d’espace et de temps : ça marche comment ?
 nous traînons un lourd passif, colonial évidemment, mais aussi d’une écriture à centre de gravité social – le théâtre de cour, et le roman comme expression d’une société stable, son centre à Paris VIème : lorsqu’il s’agit d’ouvrir la langue à nos propres hyper-villes, les modèles disponibles naissent des hyper-villes étrangères (voir Régine Robin) – ici, ce qui s’écrit depuis l’espace américain ouvre d’autres modèles de récit à la langue : alors il ne s’agit plus d’identité québécoise, mais d’une affinité particulière avec un mode contemporain d’énonciation urbaine ;
 enfin, quelles conséquences pour ce que je trouve si décisif au Québec, par rapport au mépris où on est soumis en France, l’enseignement de la création littéraire, avec à Québec des étudiants dont l’orientation peut être l’enseignement, ou à Montréal formation commune avec le dpt cinéma – quelles formes d’écriture proposer, comment accompagner ce lieu sismique où ils trouvent leur propre nécessité d’écriture pour leur faire rejoindre la littérature québécoise et son jeune héritage, et accompagner des formes naissantes qui ne peuvent coïncider avec le jeu établi des genres (ce matin, on parlait de comment Flaubert ou Stendhal sous-titraient moeurs leurs Madame Bovary ou Le Rouge et le Noir). Quel autre chemin que d’explorer les rouages précis de la fiction, dans son rapport au réel, à l’écriture dans son autonomie, à l’idée de la construction dans son rapport à la production et la circulation des textes ?

Le dialogue entamé ici avec René Audet et Alain Beaulieu, à Québec/Laval, avec Benoît Mélançon et son équipe à Montréal, bien l’intention de le prolonger. Il ne s’agit pas de scruter les textes des étudiants, mais bien de les honorer : ils dérangent quoi ? Et, dans ce surgissement, en quoi il ne s’agit pas de quelque chose de neuf (ou simplement générationnel) dans l’espace québécois, mais bien de la langue, sans autre détermination, et surtout pas ce francophone si commode pour dire qu’il y a l’espace noble et les autres (pas les Suisses romands ni les camarades de Martinique qui me démentiront).

C’est aussi là que commence pour moi le défi propre, non pas importer mes outils habituels, mais examiner ce que cela change à mon approche. Le statut des auteurs surgis de l’extérieur de l’espace territorial de la langue, Beckett ou Sarraute, forcément autre. Que Koltès écrive depuis ses dérives, ses voyages, et ici il sera bien plus sismique. L’appui sur la littérature des États (même si c’est à moi de leur parler de Dos Passos ou de Howl, ou qu’on explore Faulkner ou Carver), autre. Et pour ceux qui sont des fondamentaux, même si c’est Baudelaire ou Rimbaud, ou Proust, les réinterroger autrement. Plus, bien sûr, l’appui sur ces voix québécoises qui sont de sacrés cailloux dans la langue, Gaston Miron, ou Hervé Bouchard que je découvre.

Ainsi, dans cette séance à partir de Saint-John Perse, l’interrogation sur l’enracinement créole d’Alexis Léger, et – pour Exil qui nous sert d’appui, le fait qu’il soit écrit en 1943 depuis l’Amérique, à quelques encâblures de Boston, donc à quelques heures de voiture d’ici.

Mais, ouvrant pour la première fois cet espace de langue (le rugissant de la langue, qu’elle s’écrive par blocs, pour l’instant sans s’interroger sur la narration, la fiction – ce qu’on a ouvert ce matin, justement, à partir de ces textes Saint-John Perse, et en y incisant la greffe Charles Juliet, ce sera en ligne la semaine prochaine), voir débouler toutes ces problématiques ensemble. Les 400 ans d’histoire du Québec présentes à vif pour chacun, alors que certainement en France elles auraient été diluées à deux générations près. La ville et la pratique de la ville à vif aussi, et ce n’est plus une question de mots ou d’oralité, mais bien des signes, de la dimension, de l’organisation de la ville.

Ce matin l’exploration a continué. Dans le texte de Naomi, ci-dessous, comme dans l’amplification qu’elle en a fait ce matin, l’identité innuu n’est pas formulée. Mais c’est bien elle qui le structure concrètement. Dans le texte écrit ce matin, revenait encore le mot réserve : comment on pourrait ne pas l’utiliser, quand jusqu’à l’âge de 7 ans on a connu les grillages autour de son territoire familial, dans un pays qui sinon ne connaît pas les clôtures ? La langue innuu n’a pas inventé de mot spécifique pour désigner l’enfermement subi. Quand la culture que représente la langue qu’on écrit vous a dépossédé même de vos noms patrimoniaux, alors que ce matin, du personnage évoqué dans le texte, il sera dit qu’elle sait tous les noms des cours d’eaux, des lieux et des plantes. Comment ce schème de domination, renversé ici (et Écrire en pays dominé, de Patrick Chamoiseau, sera forcément sur notre route aussi), n’échapperait-il pas radicalement à la spécificité innuu/Québec et un passif qui ne me regarde pas, mais qui, dans l’identité au présent, déplace en amont ces mêmes rapports de domination, et comment ils minent ou subvertissent la langue, lorsqu’il s’agit d’un poète algérien ou de la poésie Nord d’Ivar Ch’Vavar ?

L’impression que le chantier s’est ouvert. Pour accueillir ces travaux en lieu neutre, puisque ce Tiers Livre est un site personnel, voilà Ouvrez (titre de Sarraute), et qui sera un site collaboratif, étudiants et enseignants, sur ces expériences québécoises – on ouvre ouvrez bientôt, il y aura beaucoup de textes, ici juste quelques extraits. Mais hommage à ce groupe que je découvre, et pour juste faire entendre cet inconnu de la langue, par quoi ils me répondent (je leur en ai déjà parlé, du Comment vivre sans inconnu devant soi ? de René Char.

FB

(images : Québec vu de son fleuve)


Ceux que nous sommes devenus

Celui qui était beau ; celle qui prie pour mieux qu’on se sente ; celui qui fabriquait des tambours en peaux de caribous, de ses mains vieillies par le sapinage et les chemins à bâtir ; celle qui nous nourrissait de pain frais sur lequel le beurre fondait et de macaronis longs aux tomates et au bacon ; celui qui a migré vers la nouvelle réserve lorsque d’autres refusaient ; celui qui fumait ; celle qui était là à mon gala, à ma graduation, aux premiers jours de mon enfant ; celle qui a vécu le vingtième siècle sans jamais parler un seul mot français, mais qui dans notre langue avait toujours trouvé le mot juste pour nommer telle modernité ou telle menace à sa liberté ; celui qui a vu naître tous ses enfants sous les tentes ; celui qui n’a jamais vendu sa terre ; ceux qui autrefois ont arpenté le pays, d’un océan à l’autre pour ne jamais rester au même endroit et ceux que nous sommes devenus.

Naomi F.

 

Celui qui a oublié son nom

Celle qui n’aurait jamais dû être là, qui est apparue au mauvais moment comme si le hasard l’avait voulue là juste pour que je n’y sois pas. Celui qui s’est pendu à dix ans et qui m’a laissée toute seule dans ce monde où je n’y ai jamais rien compris. Celle qui a toujours été, mais qui pourtant n’a jamais fait acte de présence. Ceux qui m’ont tuée, qui ont coupé mes mouvements, qui m’ont tailladé les tendons. Celui qui m’a enveloppée, qui a su me calmer. Celles qui me donnent le goût de vomir toute ma honte d’être humaine. Ceux qui sont fâchés de mon insensibilité, qui m’en veulent plus que tout croyant que ma réaction est absente d’émotions. Celui qui a voulu m’aider et qui du coup s’est blessé. Celui qui me juge, quelles que soient mes actions ou décisions. Celle qui est morte égorgée par son bâton de ski. Celui qui jouait de la flûte juste pour moi. Celui qui m’a donné ma raison de vivre et qui du coup m’a condamnée à vivre. Celle qui m’a dirigée sur une piste erronée malgré ma perdition. Celui qu’ils ont pendu pour être certains qu’un punk de moins les ferait chier. Celui qui a avalé mon souffle sur le quai d’en face sans jamais être repassé. Celui que j’ai tué en voulant le réanimer, qui vend son cul au prix coûtant entre deux « puffs » de crack et deux trains passants. OH ! Dépôt des trains rempli de cette absence de vie. Celui qui a oublié son nom, ses rêves, ses aspirations entre quatre murs et trop de médocs, enfermé dans sa tête, ils ne le laisseront jamais sortir.

Cloé R-V.

 

J’en suis la somme

Celui qui prit premier l’océan, relia les côtes. Celui même qui posa pied, botte et semelle, fit sienne cette boue qu’il nomma terre. Celle qui tenant sa robe à mi-mollets offrit son être au nom de l’autre. Celui qui la fit femme et mit son titre en deux lettres au bout du nom que je porte. Celui de Bretagne et ce normand qui s’emparant de montagnaises créèrent une race qui leur survit. Ceux et celles qui nous dirent adieu d’une autre voix en 1755. Celui que mon aïeule appelait grand-père qui défricha un lot de terre près de la majesté d’un lac, y apposa un clocher et le nomma Péribonka. Celle à l’air austère qui en noir et blanc, chignon serré, jette droit son regard sur notre salon depuis que je me souviens. Celui que je n’ai jamais vu debout à cause d’une jambe qu’il avait en moins. Celle qui prenait appui sur l’épaule d’un mari assis, lui rappelant sa force malgré le handicap. Celui qui tomba, de ses billots flottants, amoureux d’une enseignante du rang 5. Celle qui adoucissait les cales des mains d’un draveur avec sa peau de talc, celle qui eut de lui huit enfants. Celui mort naissant que personne n’a nommé. Celui second qui put s’appeler Martial pour quelques mois. Celle-là plus âgée qui quitta le village pour la « grand-ville » et mourut par bienséance à dix-neuf ans. Celle de qui je tiens mon nom. Celle qui m’apprit à mettre un arbre en terre. Celle qu’un amour perdu quelque part en Égypte a mariée à Dieu. Celle dont il ne faut pas parler. Celle de qui je brisai les eaux. Celle dernière qui garde sa jeunesse. Celles-là toutes aux pieds bleus d’avoir grandi dans les champs. Celui qui fugua pour épouser ma mère malgré la sienne. Celui fils courbé qui forge. Celui autre veston cravate qui paterne un chien. Celui dont il ne faut pas parler. Celle qui n’a que des frères. Celui dernier qui a appris l’anglais. Celle accueillie qui est ma sœur d’autres parents. Celui qui appelle Maman ma mère et ne connaît pas la sienne. Celles qui firent avec moi le rythme triplé des confins de ma mère, celles avec qui je séparais le gâteau, celles qui battent les heures, les minutes comme moi. Regardez ceux, regardez celles, regardez-moi : j’en suis la somme.

Jeanie B.

 

A travers nous

Celui qui a élevé ma mère. Ça ne semble peut-être pas loin pour vous, mais pour moi oui. Celui qui est décédé, il y a trente ans. Celui dont on connaît quelques qualités, sans pouvoir les confirmer. Celui qui, aux dires de ma mère chérie, était un fanatique de lutte. Il adorait tant ce sport qu’il en brisait pratiquement sa chaise berçante. Il était bricoleur aussi. Mais qu’était-il d’autre ? J’en sais rien. C’était Félix Bernier. Le mari de Mathilde Blanchet. Le père de ma mère et de mes oncles et tantes. Mes cousins, ma cousine et moi aurions aimé le connaître. En savoir plus sur cet être qui a tant compté pour les gens qu’on aime. Celui qui, sans le savoir, nous a apporté une partie de notre éducation par l’entremise de nos parents. Celui qui malgré tout, est dans nos coeurs. Celui qu’on essaie de découvrir à travers les souvenirs, les anecdotes et à travers nous.

Julie R.

 

Rien vu ni entendu

Celle qui a cherché à rendre sa vie plus belle en souffrant pendant des heures ; celui qui a participé à cette souffrance ; celle qui attendait à la maison pour voir le petit sourire qui apparaissait ; celui qui a nourri sa famille en travaillant la terre jour et nuit ; celle qui semble-t-il a des origines autochtones ; celui qui a brassé l’amiante dans la terre des Appalaches ; ceux qui ont pleuré sur la tombe de celle qui leur avait apporté tant de joie ; celui qui rêvait de quitter la campagne et de s’établir en ville ; celui qui a construit sa maison de ses mains ; ceux qui jouaient, riaient et se faisaient chicaner pour leur joie de vivre ; celui qui n’a pas appris à lire, mais qui, d’après les autres, parlait trop ; celle qui savait lire, mais qui n’avait pas le droit de s’exprimer ; ceux qui ont été chassés de leur terre et qui se sont retrouvés au fond du bateau ; ceux qui ont maintenant leur photo et leur nom sur les murs du musée ; celles qui cousaient, cousaient et cousaient jour et nuit pour vêtir ceux qui travaillaient sans cesse ; ceux et celles dont je n’ai rien vu, ni entendu et ceux et celles dont j’entendrai parler et dont je verrai un jour…

Sandrine P.

 

Pour me tricoter comme une contrepointe

Celle qui m’a toujours précédée pour tout, mais qui en a toujours profité pour m’ouvrir tous les chemins. Celle qui m’a toujours donné de bons conseils.

Celle qui nous a mises au monde, elle et moi, et à qui on ressemble tant. Celle qui m’a donné ses cheveux minces.

Celui qui n’avait d’yeux que pour celle-là et qui partage maintenant son amour entre toutes les trois. Celui qui m’a donné son sens de l’humour.

Celle qui aimait tant enseigner et qui m’a transmis sa passion. Celle qui, sautant une génération, m’a donné le bleu de ses yeux.

Celui qui me préparait des sundaes et qui me faisait faire des dictées. Celui qui m’a donné son amour du français.

Celle qui cousait comme une fée et qui m’a légué une parcelle de son talent. Celle qui m’a donné son infinie patience.

Celui qui, rêveur, construisait des cerfs-volants et dont j’ai hérité d’un peu de créativité. Celui qui m’a donné sa dent sucrée.

Ceux qui m’ont donné une partie d’eux-mêmes, qui les ont rassemblées et mises bout à bout pour me tricoter comme une courtepointe.

...

 

Noms bizarres

Celui qui écrit. Celle qui voulait écrire elle a eu des enfants. Celui qui mangeait des miettes sous la table jusqu’à ce qu’on l’envoie en ville étudier la science des miettes. Celle qui voulait voir les morts, la sœur de celle qui avait peur de tout. Ceux qui sont morts avant l’âge. Celles qui n’ont pas voulu se séparer, qui s’appellent tous les jours, qui regardent par la fenêtre, qui veulent toujours être ailleurs. Ceux dont je ne connais même pas les noms bizarres. Celui qui a traversé la mer.
Celui qui écrit. Celui qui voudrait être un arbre. Celle qui a été choisir pour l’ignorance. Celles qui vivent vieilles. Celle qui a vu un siècle et en est revenue. Celui qui raconte pour ceux qui n’existent pas encore. Ceux qui ne sourient jamais sur les photos ; ça ne faisait pas. Celui qui marchait sur une seule jambe. Celle qui s’arrachait les dents. Celle qui s’appelait Poulet. Celui qui a sa croix de chemin. Celles qui achèvent.

Michel F

 

La drôle d’idée de s’appeler Tapp

Celle qui apprend à faire aller ses jambes sans bouger les pieds. Celle qui cherche l’amour même sous les tapis. Celle qui lit Pullman et dédaigne tous les Balzac. Celle qui hume avec bonheur les matins d’automne dans les sentiers. Celle qui se barbouille la langue de chocolat à en pleurer du sucre. Celle qui écoute La valse d’Amélie à s’en écorcher les tympans. Celle qui traite son adorable Golden Retriever de tous les noms avant de la serrer dans ses bras. Celle qui parle elfique. Celle qui voudrait une console de jeux vidéo, comme tout le monde, et un autre Ken que celui de sa mère, si vieux qu’il n’a de cheveux qu’une couche de peinture. Celle qui s’improvise chorégraphe sur des chansons de Claire Pelletier, alors que d’autres imitent les Spice Girls. Celle qui miaule devant les chats. Celle qui se fait des capes, des robes et des châteaux avec ses doudous. Celle qui jacasse sans arrêt en courant vers la tour du Mont Saint-Alban. Celle qui est née à Gaspé, après tout.
Celui qui vient de naître. Celle dont il faut épeler le nom, la petite blonde, celle qui dit « Pappa » avec ses yeux bleus. Celle qui se fait pousser par son frère. « Tu sais-tu qu’est-ce que j’ai vu ? » Celui qui nous tirait par la main pour qu’on joue encore avec lui. Celle à qui je n’ai jamais parlé, encore. Celle dont le nom ressemble à celui d’un fruit. Celle qui joue au hockey avec des allures de princesse. Celle qui paillette sur la glace. Celle qui retient les répliques de films, celle qui a grandit si vite, celle que j’ai tenue dans mes bras. Celui qui ne sait pas, celui qu’on ne connaît pas. Celle que j’ai perdu de vue. Celle qui se pend avec l’amour. Changer de corde. Jamais la bonne. Celle-ci. Celle-là née cinq mois plus tard, celle qui pailletait sur la glace, celle qui patine à Ottawa. Celle qu’on appelle « soeur ». C’est quoi, ça, une soeur ? Celle qui cherche la vie à travers les grandes causes, celle qui fuit toujours plus loin. Celle dont le chum a seize ans. Celle qui faisait faire l’avion. Celui qui ressemble à son oncle. Celui qui a « une plume, une guitare, une âme, et pis beaucoup de courage ». Celle qui se marie. Celle qui fume encore du pot, celle qui a réussi sans diplôme. Celle qui boit de l’eau, celle qui tremble, celle qui a besoin d’un chien. Celui qui pétrit ses idées et oublie son café dans le micro-ondes. (Celle qui est une Montréalaise de naissance, mais une Gaspésienne de coeur. Celle qui aime les belles choses terre-à-terre. Celle qui fait tout. Celle qui a perdu son frère et n’a jamais connu l’autre. Celui qui déraille par le corps et l’autre par la tête. Celle qui gonfle, qui gonfle...) Celle qui a fait une rechute, celle qui a les cheveux courts. Celui qui regarde les nuages avec une scie à chaîne. Celle qui ne fume pas sans sa Bud. Autant arrêter les deux. Celle qui aime ses enfants et les laisse pleurer. Celui qui mange sa soupe. Celui que je connais par ses balbutiements. Ceux que j’ai vus en noir et blanc. Ceux que je n’ai pas vus. Celui qui arriva. Ceux qui vivaient encore en Angleterre. Ceux qui eurent la drôle d’idée de s’appeler Tapp.

Ariane T.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 1er octobre 2009
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