brouillard matin soir

images de ce 8 novembre 2005


A Jean-Michel Maulpoix, pour penser à autre chose cinq minutes.

Il faut dire que la journée commence en examinant comment, dans le Haut Conseil à l’Éducation Artistique concocté par Education nationale et Culture, toute référence à la littérature a disparu : la littérature rayée des listes. Déjà que les budgets avaient partout craqué de moitié. La nomination de Mme Christine Juppé, auteur d’un rapport il y a deux ans justifiant cette éviction, au nom de la « maîtrise de la langue » à ce « Haut Comité » prouve que le ministère de la Culture, qui aurait dû être notre garant, s’est fait manœuvrer par le noyau dur et rétrograde de l’Educ Nat : à six heures du matin, reprise maussade de contact. Mais comment ne pas faire le lien avec le compte des violences de banlieue ? La Charte des auteurs jeunesse se mobilise, on va reparler de tout ça. Mais quelle fatigue, à toujours devoir se battre contre les mauvais coups, l’effondrement délibéré de ce qui nous est plus cher...

Matin brouillard. Fatigue en ce moment, fatigue au-dedans, je mets la voiture au parking payant et dois la grimper au 6ème niveau plein ciel. Brouillard impressionnant sur Saint-Pierre des Corps. Au moment de faire la photo, une voiture vient se garer et me prive de mon cadrage. Et puis le néon rouge de l’hôtel s’éteint, c’est fini.

Dans le train, mon tumulte du jour. Le monsieur à côté de moi est un inquiet, il cherche la conversation, me demande comment je fais pour connecter mon ordinateur dans le train, je lui dis que je n’en suis pas encore là. On est encore à huit minutes de Montparnasse, et je connais les minutes rien qu’à ce qui défile au ralenti sur la vitre, qu’il me dit que je devrais ranger mes affaires, qu’on est bientôt arrivé. C’est bon, je mémorise mes dernières phrases, il m’explique qu’il fait tous les jours le triangle Poitiers le Mans par Paris, c’est son angoisse qui perce.

Paris, Miromesnil. Changement de décor. Avec mes chaussures achetées à Pantin. Ici les voitures ne brûlent pas. Chez le marchand de vins fins, l’arrivée des cartons de Noël : la catastrophe a ses territoires. Quand je sors mon appareil-photo, le patron sort, le camionneur s’arrête aussi, bon, je remballe : deuxième photo loupée.

L’entrée dans une caverne à miracles. Studio insonorisé, écrans vidéos, des Mac partout, et pour moi un Neumann 47 Vintage, sur préampli Millenia STT et de là directement dans ProTools : jamais je n’avais entendu ma voix comme ça, même lorsqu’on avait passé la journée à France Culture à essayer des micros avec Jean-François Néollier et Claude Guerre. Enregistrement de la voix off pour le film de Jérôme Schlomoff, New York Zero Zero, avec cette Chanson pour Jerzy. Moment rare, vraiment. Merci aussi Bruno et Philippe Lambert.

Métro direct pour Malakoff. A 14h, l’arrivée des 20 enseignants de toute l’académie de Versailles, depuis Sarcelles et Mantes-la-Jolie jusqu’à Trappes, pour 10 mardis après-midi jusqu’à fin janvier. Pour commencer, non pas Perec, mais le Journal de Kafka. Accueillis par Pierre Ascaride, directeur du Théâtre 71, puis Hélène Lajournade pour le rectorat, et les deux inspectrices IA/IPR, Françoise Savine et Marie-Louise Issaurat, en littérature Claude Ber : là, on n’est plus côté Haut Machin de Truc A Faire Avaler les Budgets Rognés. Il y a des enseignantes de SEGPA, de collège, de lycée professionnel, mais aussi une prof de maths, une prof de philo à l’IUFM Saint-Germain, plusieurs jeunes enseignantes avec 4 ans de métier... Et dire que c’est ça qu’ils détruisent, insidieusement, consciencieusement : moitié des budgets disparus en quatre ans, mais bon, ne parlons pas rétribution : les îlots du sens deviennent tellement rares...

En fin de séance, appel d’une journaliste très gentille d’une grande radio nationale. Il s’agirait de venir parler des banlieues qui brûlent. L’Afrique explose, on s’intéresse aux explorateurs revenus d’Afrique : mais justement, j’y suis, de l’autre côté du périphérique. Et ces 20 enseignants pour qui c’est le combat de tous les jours, est-ce que jamais on est allé les voir, comment ça se passait, et comment ils se débrouillent quand tout périclite, qu’on leur supprime les emplois jeunes, que la couleur de la peau interdira toujours l’accès au travail, que là où vit il n’y a plus un sous pour la propreté. Je dis que non, on n’est pas des explorateurs revenus d’Afrique pour avoir travaillé à Clichy-sous-Bois, Villepinte ou Pantin. Braouezec, le maire de Saint-Denis, parle d’un syndrome d’auto-mutilation : nous tous on y est, dans la partie mutilée, et ce n’est pas facile à vivre : je n’irai pas parler à la radio.

Train. A Montparnasse, pour une urgence familiale liée à un deuil, je dois acheter un billet : guichets inaccessibles, 35 minutes de queue. Deux machines automatiques qui coincent au moment du paiement. J’attendrai le retour à Saint-Pierre des Corps. Là, trois employés derrière leurs guichets, un qui mange un sandwich en nous regardant derrière sa pancarte « guichet fermé », un autre qui bosse comme il peut, et le troisième qui se lèvera pour aller faire un tour, reviendra six minutes trente plus tard sans qu’on sache ce qui l’appelait à côté. On est 8 à attendre, puis quand vient mon tour, 20 bonnes minutes, encore 8 personnes derrière moi. Là encore, situation tellement tendue, excédée, provocatrice aussi de la part des employés, que je n’ose pas sortir mon appareil-photo, troisième photo loupée, mais j’aurais bien aimé rendre l’ambiance. Lundi 21, ils font grève reconductible, moi je serai à Belfort, je devrai revenir le lendemain pour le stage enseignants, tout ça on va peut-être devoir l’annuler et tant pis aussi pour la fin de mois, mais c’est tous les ans à même époque, rituellement : peut-être qu’ils font grève pour protester encore plus contre nous les usagers, sait-on ?

54 mails dans la boîte au retour. J’ai passé 8 mois sans être spammé, un quidam a dû mettre sans que je m’en aperçoive mon adresse sur une page accessible aux robots, dommage : on s’y habitue, au non-spam. J’ai envoyé un mail pour décliner un engagement pris, mais où je devais être dans une rencontre avec Weyergans : pas envie de côtoyer ce genre de commerce autour de la littérature momifiée. Et un autre mail où Jean-Michel Maulpoix me signifie qu’il est d’accord pour laisser sa photo en flou, sur le profil toujours régénérant de Bernard Noël, me demandant si c’est moi qui les fais, les images, alors je lui réponds que je lui envoie celles du jour : c’est fait.

Ah, j’oubliais : plus de voitures en haut du parking, à Saint-Pierre des Corps, je peux faire la photo cadrée comme j’aurais voulu, ce matin dans le brouillard.

Pas de forum sur cette page, tant pis pour vous, mais j’ai pas trop le moral à tout ça.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 8 novembre 2005
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