les renoncements de la SGDL

la vieille société contrainte de courir après les auteurs BD


Ce matin un article important d’Alain Absire, président de la Société des gens de lettres, dans le Monde.

Il rappelle avec force 2 points : le refus d’éditeurs comme Gallimard d’appliquer accord minima signé entre la SGDL et le SNE, et surtout ceci :

Soyons clair : les auteurs ne réclament pas un quelconque privilège supplémentaire. Ils veulent simplement instaurer un partenariat équilibré dans la continuité de leurs relations avec leurs éditeurs traditionnels auxquels ils sont souvent très attachés, et s’assurer une rémunération décente sur l’exploitation de leurs livres dématérialisés. Face à des modes de création, de publication, de diffusion, d’usage et de lecture révolutionnaires, et sans modèle économique défini, ils ne peuvent se résoudre à figer les nouvelles pratiques éditoriales selon les seuls paramètres de l’édition papier. Pour que la chaîne de valeur du livre ne soit pas rompue, au détriment des lecteurs, par un séisme dont le monde entier mesure l’ampleur, auteurs et éditeurs sont aujourd’hui obligés d’innover.

Et cette formulation parfaitement claire aussi, témoignant du travail de fond effectué ces dernières années, et que ce billet ne veut nullement mettre en cause :

Dans l’attente d’un développement des usages de la profession, et face aux numérisations de masse actuellement à l’étude, il est ainsi vital d’admettre que, supprimant la notion même de stocks et d’édition « épuisée », les techniques d’exploitation numériques sont distinctes de l’exploitation permanente et suivie des livres imprimés.

Premier point, incroyable : la vieille société qui se met à courir derrière les auteurs BD et appelle à signer leur pétition en ligne ! (Au moment, de toute façon, 15 jours après son lancement, où tout le monde l’a déjà fait, bien au-delà du monde de la BD...)

Deuxième point, tout aussi incroyable : la SGDL reconnaît que les intérêts des éditeurs et les intérêts des auteurs sont divergents, et que sans pression des auteurs sur la forteresse corporatiste du SNE, c’est le livre tout entier qu’on enterre (dernier chiffre en date, hier dans Livres Hebdo : en 2009, recul de 18,9% du volume imprimé en France).

Troisième point, c’est là ce qui m’attriste : Alain Absire avait été le premier, en novambre 2007, déjà dans Le Monde (lire ici), à poser comme principale et urgente la limitation à 10 ans du contrat d’édition (même pas en ajoutant clause oui je ne sais quoi, mais en levant l’exception au droit commercial qui confond propriété artistique et contrat d’édition, spécificité uniquement française, ni allemande ni italienne et encore moins anglo-saxonne, un de nos principaux archaïsmes). Alain Absire s’octroie une tribune dans le Monde, tant mieux, c’est toujours le premier salon des notables (tant qu’ils n’auront pas compris que le débat d’idée c’est ici et maintenant, sur le Net) pour dire : 1, les BDistes ont raison, il faut signer leur pétition, 2 détourner l’essence de cette pétition en disant qu’il faut qu’éditeurs et auteurs se mettent à réfléchir ensemble, ben voyons.

Nous avons un ensemble de points bien précis à imposer.

Rappelons d’ailleurs que c’est du guignol : les auteurs représentés par un agent, les négos sont déjà sur ces bases d’aujourd’hui, les 10 ans, et le pourcentage d’exploitation numérique bien au-dessus du pourcentage papier. Idem, croyez-moi, si vous dites tranquillement à votre éditeur que vous ne signerez que dans ces conditions élémentaires, ils acceptent parce qu’ils savent.

En attendant, moi je reçois quasi tous les jours des e-mails d’auteurs qui reçoivent l’avenant numérique basé sur le pourcentage papier, d’ailleurs invalidé parce qu’il s’appuie sur une notion d’exemplaire – et ces braves chéris d’écrivains qui ne s’occupent ni de ce qu’on propose sur publie.net ni de lever le petit doigt pour les bagarres Internet de se lamenter que personne ne prend en charge ces questions...

Ben si, on les prend en charge : publie.net, coopérative, basée sur contrat non-exclusif, et répartissant 50% de ses recettes à ses auteurs... C’était ma réponse très claire à la pétition des BDistes : oui, les modèles existent, à nous de les imposer.

J’ai détaillé plusieurs fois mes positions :
 piraté par la BD, à propos de la pétition des BDistes
 droits numériques, un résumé
 gentil message aux éditeurs
 Internet et rémunération des auteurs

Hier dimanche, les éditeurs québécois de l’ANEL, dans un communiqué (télécharger le PDF), énonçaient bien plus pragmatiquement leur position : les éditeurs ne seront tout simplement jamais les employeurs des auteurs.

Je rappelle aussi que sauf mention spécifique, les contrats d’édition n’incluent pas les droits de publication numérique, qui appartiennent clairement aux auteurs, lire à ce sujet, ce jour, Emmanuel Pierrat, Bon à céder.

Réagissez ou pas, amis auteurs. Mais tout ça patine un peu dans la semoule. Ceux qui se feront avoir, ils l’auront quand même grandement voulu. Quant à la présence des éditeurs ou leur syndicat dans le débat public, cherchez : ils ne se sont même pas aperçus que leur monde du débat feutré était vaguement fissuré... Il est clair que la SGDL ne représente qu’elle-même, une masse d’argent et d’adhérents dont seuls éditeurs et pouvoirs publics décident de la représentativité, parce que ça les arrange – une société au fonctionnement obscur, voir les changements d’organigrammes et démissions discrètes ces 2 ans. C’est plutôt là où le bât blesse : les positions de la SGDL m’importent peu, mais les pouvoirs publics ont décidé que c’était ça la voix officielle des écrivains (de toute façon, les Centres régionaux du livre se tiennent soigneusement à l’écart, et la Maison des Écrivains a déserté depuis longtemps ce terrain, qui avait contribué à sa fondation...).

Il semble que les BDistes aient fait un joyeux pied de nez, en obligeant la vieille société corporatiste à découvrir leur existence. Prenons ça comme un joyeux courant d’air, et avançons.

On aurait cependant été plus heureux de voir Alain – dont je n’ai jamais mis en doute la rigueur et l’opiniâtreté, l’implication, seulement voilà, on ne parle plus du même endroit – ne pas en faire un exercice de rhétorique pour dissimuler des revendications précises, et clairement formulées.

A minima, position claire de la SGDL sur :
 limitation à 10 ans du contrat d’édition (déjà acté pour tous les écrivains "gros" vendeurs, rappelons que 1,6 % des titres représentent 50,4% des ventes)
 droits numériques à 20% minimum, déjà acquis chez les éditeurs US

Photo : Boston, hier soir, distributeur automatique à frites et pizza réchauffées.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 26 avril 2010
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