nos invités | revoir l’homme encerclé

La Défense, avec les élèves du lycée professionnel d’Argenteuil


J’ai rencontré Christine Eschenbrenner lors de 2 ans d’intervention dans ses classes au lycée professionnel Fernand-Léger d’Argenteuil, voir les archives ateliers d’écriture. Christine continue bien sûr, avec d’autres auteurs, avec l’enracinement de son atelier théâtre, et cette année via un partenariat avec l’opéra de Paris.

Dans ce témoignage, la tension habituelle à cette situation d’éveil et de réflexion qu’elle sait créer avec ses élèves, mais aussi cette attention à leur langage : ce que disent les élèves, je l’ai entendu – sous d’autres formes – plusieurs fois depuis lundi.

J’y vois une réflexion essentielle, merci de l’avoir mise en partage.

FB
(qui ira demain faire spécialement une photo de l’homme encerclé)

 

Christine Eschenbrenner | revoir l’homme encerclé


En levant la tête vers tout ce qui donne le vertige à la Défense , ce jour-là on l’a vu. L’homme penché au bord du monde. L’homme figé au beau milieu de la perte d’équilibre et d’une petite broussaille incongrue réponse aux tours lisses et coupantes.

Cette fois là, en une journée, avec les élèves de BEP on a tout traversé sur le dessus. Ponts, allées, passages, présentoirs en plein air, extensions.
Labyrinthe. Et tous les gens qui ont le même air pressé.

Lui : immobile, en danger.

photographie © Christine Eschenbrenner

Une adolescente d’Argenteuil a dit : ça existe depuis longtemps ici ? Nous, on ne connait que les Quatre Temps, c’est tout. Le reste, on peut se perdre.

Et une autre : c’est vrai qu’il y a des HLM ici ? Je voudrais savoir où.

Un autre : moi je peux trouver un stage dans une tour, celle d’un Ministère. Le problème, c’est l’ascenseur : il va très vite là-haut et moi je ne supporte pas.

Une autre a regardé par le hublot d’une palissade autour d’un chantier pour voir au-delà.

Une autre sur les marches de la Grande Arche a dit : c’est trop fatigant ici.

Une autre a photographié le mot "piétons" (sur fond jaune) et une autre encore le M jaune de métro.

photographie © Christine Eschenbrenner

Et puis on a encerclé l’homme perché, en levant la tête vers lui. Et s’il tombait ? Pas possible, a dit l’adolescent : c’est fait exprès. C’est pour la question. Moi j’ai pensé à la maison encerclée par la mer rongeant son frein dans la baie de Goulvenn.

Sauf que la maison depuis a disparu et que l’homme au bord du monde signe ce qu’il ne dit pas et aussi ce qu’il annonce quelque part dans l’île bétonnée qu’on voit d’ici.

De loin, elle fait de l’effet, la Défense.

A vrai dire on n’y va pas souvent.Si on y allait, ce serait pour revoir l’homme encerclé. Et encore.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 4 mai 2011
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