Jacques Bon | Juliette, 1986

pour les Vases Communicants, on s’en tient au fraternel !


L’intérêt des Vases communicants, délibérément, c’est leur caractère exogène : découvrir des nouveaux sites et blogs, approfondir notre relation à nouvelles écritures qu’on découvre. Mais pourquoi ça ne vaudrait pas aussi pour ceux qui nous sont les plus proches, affirmer ce qui nous relie ?

Avec alors autre critère : Internet est pour chacun un lieu privé. On respecte l’extériorité de sites même des plus proches. Et mon frère Jacques Bon, dans son cafcom.net, ne m’est pas forcément un inconnu, mais ce que j’y découvre de lui je ne l’aurais pas su autrement.

Donc, et parce que je suis profondément dans cette autobiographie des objets où je le croise souvent, et pas seulement par ses commentaires ou compléments, logique de l’inviter aujourd’hui.

Et chez lui, les escaliers en partage. Mise en ligne ce 5 août, date d’anniversaire de Bon Eugène, 1899-1997.

 

Jacques Bon | Juiette, 1986


« Écrire sur une photo d’archives  », me propose François. À la bourre, comme d’habitude. Juste rentré d’un beau concert de jazz, qui me donnerait plutôt envie d’écrire sur le Hammond B3, cet instrument qui me hérisse le poil et me fouaille les tripes, à chaque fois que je l’entends.

La flemme de monter à l’étage, fouiller dans les planches contact. Qu’est-ce qu’on a sur le disque dur  ? 1984, 85, une photo de moi en bidasse, sans intérêt, et la petite copine d’alors dans les prés  ; pas question de publier ces moments-là, qui resteront là, dans les classeurs, les souvenirs, un coin de disque dur. Les enfants trouveront plus tard, à moins qu’ils ne mettent direct à la benne.

1986, tiens, Juliette. Qu’est-ce qu’elle fait là, Juliette ?

Je n’ai pas connu, vraiment, Juliette. C’était la petite amie, d’un très bon copain d’armée, presque un frère, comme on s’en faisait dans ces circonstances et ces temps-là. J’ai toujours son mail professionnel, il a un site internet pour sa boutique. J’envoie un petit bonjour régulièrement, mais jamais de réponse... Aux souvenirs absents, l’Antoine B.

On avait donc passé l’année de service ensemble, au groupe géographique de l’armée de terre. Moi, j’étais géomètre et chauffeur poids-lourds. Lui, qui dans le civil était encadreur, on lui avait refilé des ciseaux pour être coiffeur du régiment. Forcément, il s’en sortait plutôt bien, même si nous à l’époque le coiffeur on y allait le moins possible. Encore qu’au GG (Groupe Géographique) on n’était pas trop regardant  : du moment que rien ne dépassait de la casquette au rassemblement, on nous laissait avoir des touffes confortables sur le dessus. Ce qui fait qu’on avait tous plus ou moins des coupes au bol assez insolites.

Pourquoi cette photo  ? Impossible de me souvenir des circonstances. 1986, l’armée c’était fini pour nous deux. On avait dû se retrouver à Paris. Il m’avait parlé de son atelier qui commençait à bien tourner, des commandes des musées, il encadrait notamment des Degas, et un monsieur timide et discret lui avait amené des dessins  : « je m’appelle Henri Cartier-Bresson ».

Puis on était allés chez lui, et on y avait retrouvé Juliette. Ils dormaient sur un matelas par terre, j’ai dû dormir sur le sol à côté. C’était juste un petit studio. À l’époque je ne me séparais quasiment jamais de mon appareil photo, un Minox 35.

Au matin Antoine préparait le thé : c’est lui qui m’a fait connaître Mariage Frères chez qui je me fournis toujours. Juliette se réveillait juste. Je ne sais pas pourquoi j’ai pris la photo. Sans doute parce qu’elle était bien jolie, Juliette, avec un grain de beauté au coin de la bouche, et de beaux cheveux.

Je ne l’ai jamais revue, ils se sont séparés peu après.

Mais j’ai toujours, quand je retombe sur cette photo, l’odeur du thé dans le petit studio, qui me revient. Une fille que j’aurais aimé aimer, peut-être, aussi.

 


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1ère mise en ligne et dernière modification le 5 août 2011
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