Malt Olbren | « J’aime cet appartement parce qu’il a deux vues...

première traduction française des Inside Houses de Malt Olbren, les "Maisons intérieures d’écriture" en feuilleton, 03


Sur Malt Olbren et les Inside Houses, voir 1er billet.

 

« J’aime cet appartement parce qu’il a deux vues », nous disait-il, on était haut (dix-septième) sans être haut (ça grimpait jusqu’au vingt-sixième) mais c’était une curiosité que cet appartement en longueur (deux studios reliés par le propriétaire en un seul long rectangle), avec aux deux extrémités une baie vitrée identique. Pour les commodités, rien d’exceptionnel : la cuisine d’un des studios conservée dans la partie centrale, et dans la partie centrale de l’autre, la salle de bain conservée. Donc le coin repas au milieu aussi, et c’est là qu’en général il recevait les copains, on buvait du café, du Coca, ou bien d’autres choses selon les heures et même jusque tard. Dans le milieu aussi, accroché au mur, son ukulélé : mais longtemps qu’il ne s’en servait plus. Au début, il avait pensé mettre devant la baie côté est son lit, et côté ouest sa table à écrire. Mais il aimait trop la vue côté est pour ne pas s’y installer pour écrire : le lever horizontal du soleil à travers la brume des immeubles est un spectacle même pour nous, qui vivons là, et – du moins c’est ainsi qu’il le disait – il aimait écrire couché. Donc un chemin de livres par terre en piles qui allait d’une baie à l’autre, et lui passant certains jours à l’est, certains jours à l’ouest, des périodes entières à l’est, des périodes entières à l’ouest. Je lui avais demandé ce qui présidait à l’empilement des livres au sol (pas d’étagères ni de meuble que deux lits, deux tables), rien, m’avait-il répondu, sinon là où j’étais quand je les ai lus. Deux lits si ce n’est pas trop ? Mais non, puisqu’il pouvait lui arriver de recevoir, même s’il ne recevait pas. Parfois on ne le voyait pas, on ne montait pas boire du café, du Coca, de la vodka. Ça se terminait en général assez vite : il lui suffisait, disait-il d’aller vivre côté est si avec la fille la vie s’était établie côté ouest, ou le contraire, elle comprenait vite. Il avait son fameux livre sur Vermeer à finir, prétendait-il (il le prétendait aussi pour nous). Il nous faisait admirer régulièrement la vue : côté ouest les marges indéfinies de la ville, mais pas les rues, pas le sol – et bien sûr au dix-septième climatisé on n’aurait pas ouvert les baies, moi je ne m’y suis jamais fait, et côté est en se mettant bien contre la vitre on apercevait la rivière et la mer. « Ce mois-ci j’ai vécu au milieu, me dit-il une fois : un entre-deux. » Récemment j’ai appris qu’il était parti, et que le propriétaire avait trouvé meilleur compte à séparer à nouveau l’appartement en deux studios. « Mes meilleurs travaux je les ai faits là-haut, me dit-il quand je l’ai revu. Pour un personnage je m’installais côté est, pour le personnage qui lui répondait je venais côté ouest. » Il est vrai qu’il a meilleure notoriété dans le petit monde du théâtre, qui l’honore mais ne le paye pas, que dans celui du livre d’art, qui paye mais n’honore pas.


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1ère mise en ligne et dernière modification le 17 décembre 2011
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