droits d’auteurs et TVA : un exemple concret d’obsolescence

les droits d’auteurs et le grand bazar de la TVA numérique : comment tous n’y perdent pas...


On sait l’histoire : dans le contexte de l’expansion de la librairie au XIXe siècle, et de revenus des auteurs de plus en plus centrés sur la popularité du théâtre, la France se dote – sous l’impulsion de Balzac et de Hugo –, d’un système très protecteur, sous l’égide d’une Société des gens de lettres.

Aujourd’hui, le maintien en l’état de ce dispositif devient une sorte de gimmick vide pour toutes les réticences à la mutation numérique, et moins il est possible de le faire évoluer, plus cette mutation irréversible prendra des figures de rupture et non de transition.

Je suis souvent intervenu sur Tiers Livre à ce propos, par exemple concernant l’exception au droit commercial pour le contrat d’édition (contrairement à tous les pays d’Europe et au continent américain, et contrairement à tous les contrats commerciaux en France sauf dans l’édition, la durée de la concession est basée sur la durée de la propriété intellectuelle, et non pas limitée à dix ans).

Aujourd’hui, je voudrais prendre l’exemple de la TVA.
Le contrat d’édition, donc entre l’auteur et l’éditeur, pour ce qui concerne une oeuvre relevant de la propriété intellectuelle, doit légalement être basé sur le prix de vente net. Le paiement à la recette est illégal.

Dans un système stable – le système de la diffusion imprimée des deux dernières décennies –, on vous accorde 11 à 14% sur ce prix net, et le livre est vendu au prix TTC, depuis la loi Lang avec TVA de 5,5%, sarkoziennement passée à 7% ce dimanche. Si le livre est vendu en Belgique ou en Suisse, on lui applique TVA locale (15% en ce cas), le livre est vendu un peu plus cher, l’auteur reçoit la même rémunération.

Le contrat numérique est lui aussi basé sur le prix net. Par exemple, pour un publie.net vendu 3,49 euros TTC, ces 2 dernières années, enlevée la TVA de 19,6% (service, et non livre), on inscrivait la somme nette de 2,92 euros sur le contrat. Fierté de notre petite boutique : si l’auteur touche 50% de cette somme, ce à quoi nous nous engageons, c’est la même somme en valeur absolue que 14% sur un livre papier de 18 euros.

Au 1er janvier 2012, le livre numérique bénéficie de la même TVA que le livre papier, soit 7%. L’eBook reste toujours proposé à 3,49 euros (on aurait plutôt tendance à monter à 3,99, parce que la fabrication epub est nettement plus complexe et j’ai désormais 2 personnes à rémunérer), mais la rémunération auteur reste contractuellement fixée sur 2,92. Là, c’est simple, le prix de vente ayant changé, je calcule la nouvelle somme nette et je rémunère sur cette nouvelle somme, ce calcul lié à changement de prix de vente est spécifié dans le contrat. Sans compter la possibilité avec le numérique de modifier le prix de vente même pour une journée (voir la belle opération Bragelonne hier), ou ceux qui lancent à prix d’appel pendant 3 semaines pour accrocher les recommandations automatiques d’Amazon et remontent le tarif après...

Alors, dans la réalité c’est quoi ?

37% de nos ventes sont réalisées par Amazon, 31% par iTunes : soit les 2/3 de nos ventes opérées depuis le Luxembourg, avec une TVA de 3%.
Pas question évidemment de vendre à des prix différents selon la TVA : imaginez que nous demandions aux e-libraires indépendants comme ePagine ou FeedBooks, ou Fnac, d’appliquer la TVA à 7% sur un même prix net, et qu’ils doivent vendre l’eBook 20 ou 30 cts plus cher qu’iTunes ou Amazon ? Evidemment non : contrairement au livre papier, on travaille à prix de vente TTC fixe.

Une TVA à 7% pour les opérateurs français, et une TVA à 3% pour les 2 géants ? C’est bien plus compliqué. Kobo vient aussi de se transférer au Luxembourg (j’imagine que FeedBooks ne tardera pas non plus). Mais la TVA dépend du lieu d’achat. Hors UE (et ça concerne largement 15 à 18% de nos ventes, notamment via amazon.com ou les 25 iTunes qui nous diffusent), il n’y a aucune TVA d’appliquée. Pour d’autres pays, le taux est à 8%, certains encore à 15, voire 19 ou 21%. En tout, sur les 10 000 ventes du 1er trimestre et donc pour le seul microscopique publie.net (passer à l’échelle Gallimard pour se rendre compte des enjeux financiers et ce qui s’en induit de sur-bénéfice pour la maison, surtout après avoir fait signer des masses d’avenants à 12 ou 15% alors que la norme désormais est à 22/28%), je relève 8 taux de TVA différents.

Je signale par ailleurs que la remise libraire (30 à 35%), est la même pour l’ensemble de nos partenaires, qu’il s’agisse des gros comme Amazon, iTunes, Fnac, ou des indés comme ePagine ou FeedBooks.

Exemple concret : 1 titre de Didier Daeninckx (Le crime de Sainte-Adresse). Relevé pour 1er trimestre 2012, 313 ventes (dont 178 Amazon, et 21 ventes directes publie.net), 12 revendeurs, prix de vente unique 2,99 euros, 6 taux de TVA :

Il n’en reste pas moins que pour les nouveaux contrats signés, je dois toujours indiquer un prix de vente net, assorti de la TVA en usage en France, soit 7%, laquelle ne concerne plus qu’un petit 1/4 des ventes. J’escroque donc moi-même mes auteurs.

L’idée de départ de publie.net, avant que je me familiarise avec tout ça, c’était une idée simple à laquelle je veux me tenir : recette téléchargement divisée par 2 entre auteur et éditeur, donc des droits à 50% – mais de la recette (y compris parce que nos ventes directes, sans commission libraire, sont loin d’être négligeables).

Pour la recette abonnements, bibliothèques notamment, où la technicité est plus importante et donc la commission de notre prestataire, l’Immatériel-fr, plus forte : redistribution aux auteurs de 30% des recettes nettes selon péréquation des pages lues. En juin nous commençons l’impression à la demande. Je dois fixer le pourcentage de rémunération auteur, ce n’est pas facile puisque nous sommes en pleine exploration, et que j’ai des frais fixes importants : sur un prix de vente de 12 à 14 euros, frais de fabrication environ 2 euros (pour un livre de 160 à 180 pages, un tout petit peu plus cher qu’en édition traditionnelle, coût qui a chuté de 40 à 60% en quelques années), remise distributeur + libraire 35% (pareil que pour l’ensemble du métier), frais expédition à 0,80 euros – mais c’est à publie.net de rémunérer la préparation InDesign, ce qu’on met en place en ce moment. De toute façon, nous proposerons une rémunération auteur qui soit une épine dans le pied de l’édition traditionnelle : pas moins de 18%.

Mais reste l’essentiel : la rémunération à la recette, pour une oeuvre relevant de la propriété intellectuelle, est illégale en France, et c’est complètement contradictoire avec la diffusion numérique. Du moins une diffusion qui ne soit pas croupion mais offensive, et serve les auteurs.

L’interprofession n’existe pas. La SGDL est dans les choux, le SNE sous l’emprise de M. Gallimard (qui le préside, tandis que son n° 2 préside la commission numérique du même syndicat) roule évidemment pour lui seul. Le ministère de la Culture, après s’être occupé 2 ans d’une « loi sur le prix unique du livre numérique » inopérante et dont personne ne parle plus, consacre ses millions au label PUR d’Hadopi, ou à une loi tout aussi inapplicable sur les oeuvres indisponibles – dont le premier caractère est d’être en opposition totale avec le principe du droit d’auteur (ce qui nous laisse tous baba) – n’a jamais pris la peine même de nous écouter ou consulter.

Si le contrat publie.net est rédigé selon le principe légal d’une rémunération en % du prix net, j’ai fait le choix de l’illégalité (je déclare les paiements comme à-valoir) en payant quand même les auteurs à la recette – parce que tel est définitivement le principe de notre coopérative.

Si un jour on m’embête là-dessus, tout est paré pour transfert de la gestion de l’ensemble des droits à edinum.fr dont le siège est à Bruxelles, publie.net continuant en tant que seul opérateur commercial. Mais j’imagine qu’il y a bien un moment où quelques auteurs réagiront, et où de toute façon le développement de la diffusion numérique – si on continue à s’accrocher à l’idée de e-libraires indés assurant une diversité dans la distribution – contraindra forcément un jour le SNE à secouer un peu sa morne tutelle et ouvrir des discussions.

Rien de plus. Mais ces éléments concernant l’actuel bazar de taxes, dans une internationalisation irréversible, il est important à tous, et surtout nous, auteurs, d’en apprendre le vocabulaire.

Et que tout ça soit mis clairement sur la place, pour chaque acteur.


responsable publication François Bon © Tiers Livre Éditeur, cf mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 4 avril 2012
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