INRIA | « bon en maths »

à Polytechnique, rencontre avec Daniel Augot


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C’est une expression passée en langage commun, trois monosyllabes : bon en maths.

En terminale, j’en ai connu deux. L’un s’appelait Besson, son père travaillait à la fac, lui il faisait dans l’originalité, marchait pieds nus et toujours exactement au milieu de la rue, entre les fils de voiture en sens contraire. L’autre s’appelait Yeterian, arménien de Saint-Maixent, interne avec nous. On le surnommait Yeti évidemment mais c’était affectueux, je revois encore ce sourire qu’il avait. À l’étude il s’ennuyait assez ferme, se désintéressait des autres matières, mais sans arrogance ni dédain. En maths la prof l’aimait bien, évidemment (une jeune prof, dont je me souviens surtout d’un sentiment d’anxiété, beaucoup plus manifeste que notre anxiété à nous), Yeti faisait les exercices main gauche dans la poche et la craie à la main droite, avait souvent une démonstration qui laissait loin derrière, en bièveté et élégance, celle de la prof. Il ne bossait d’ailleurs jamais le programme de la terminale, cependant nous venions tous à ses propres notes de cours pour compléter les nôtres, ou les comprendre. Il nous refaisait l’exercice, tout s’illuminait et devenait simple. Dans ce monde de l’immédiat après 68, où nous étions encore contraints à la blouse soit blanche (les scientifiques), soit grise (les littéraires), il en affectait une bleue. Dans son casier il avait un bouquin très épais sur le calcul des intégrales ou autre mystère et c’est lui qui dès lors nous parlait de Bourbaki. Grâce à Yeti, la terminale C de Camille-Guérin Poitiers en 1970 (j’étais bon en maths au lycée de Civray alors j’étais parti à Poitiers, où je ne l’étais plus) vous parlait de Bourbaki long comme le bras sans aucunement se mêler du bac à passer. Aucune idée de ce qu’il est devenu.

Il en reste quoi ? Sinon que les maths, pour ceux qui en parlent la langue, sont un pays qui choisit lui-même ses ressortissants. N’a rien de caricatural genre savant fou ou de grande distraction, ou sorti de notre réalité ordinaire. Une sorte de pays sous le pays, qui tiendrait plutôt à certaines qualités intérieures (Yeti excellait bien sûr aux échecs, mais participait à toutes nos activités de potaches), et n’en excluait pas les membres.

Sinon, de mathématiciens, je n’en connais qu’un : Jacques Roubaud. Homme d’infinie délicatesse, et poids lourd dans notre littérature contemporaine. Dans Mathématique : il explique comment il avait fait adolescent le choix résolu de se consacrer à la poésie, et que devenir prof de maths lui avait semblé ce qui lui laisserait la tête libre et le plus de temps possible pour cela. Et comment, après le sursis de l’armée, lui et un autre matheux avaient été directement affectés au service météo de l’armée, à leur charge d’assurer les militaires, lors de la première explosion atomique aérienne française dans le sud algérien – à laquelle il assistera de visu –, le vent emporterait les retombées vers l’Afrique noire, et non pas les laisserait remonter vers la Méditerranée et la métropole blanche coloniale. Même les mathématiques pures ne sont pas un rêve hors du monde (à preuve que Roubaud dérange encore, vous vous souvenez, cette fois où des potaches de Henri IV avaient simulé depuis les toilettes une alerte à la bombe parce qu’un texte de Roubaud était tombé au concours et que ça avait fait annuler l’épreuve ?).

Voilà pourquoi j’étais quelque peu impressionné, cette première fois où je me suis rendu à Polytechnique, d’être accueilli par un mathématicien – quelqu’un qui a fait des maths sa propre vie, Daniel Augot.

Déjà une première singularité, lorsque Florian Delcourt a pris contact avec Daniel : rien à voir dans son labo, disait-il, c’est juste un bureau avec un ordinateur. Mérite pas la visite. Sera mieux d’aller discuter ailleurs. Pauvre Florian : c’est moi qui l’oblige à répondre comme si je ne le pouvais pas moi-même, disant que d’accord pour aller discuter au soleil s’il faisait beau (il a fait beau), mais que j’aimerais bien visiter quand même.

Il faut dire que ma situation n’est pas si facile : j’ai eu le bac avec mention passable, j’ai fait ma trace de saltimbanque bien loin de ce monde-là (la seule fois où je suis entré à Polytechnique, c’était dans les vieux locaux abandonnés de la Contrescarpe, pour une séance de travail avec Edgar Morin, projet qui d’ailleurs n’avait pas abouti et je ne sais même plus l’année), et cette résidence c’est exactement pour ça, en somme – pourquoi eux, qui fabriquent le monde ou y exercent une responsabilité bien plus conséquente que nous, les faiseurs et raconteurs d’histoire, n’ont absolument aucun besoin de nous ? Qu’on saurait pourtant leur en raconter, sur Rabelais, sur la réalité chez Proust ou du temps chez Beckett et Koltès, qui probablement ne leur serait pas indifférent, mais les contraintes sociales de l’actuel cloisonnement ont réglé ça bien en amont de nous-mêmes ?

Donc, accueil dans ce curieux bâtiment étroit au bout des labos de Polytechnique, ou l’architecte avait pensé qu’en faire un simili bateau serait une idée bien originale et pertinente. On a donc les coursives, et au demi étage les balustrades, une presque cabine de pilotage en forme de machine à café. Il n’y a pas la mer (même pas de fenêtres, mais l’architecte a quand même installé la bouée de sauvetage, pas eu l’impudence de demander à Daniel en quelles circonstances de mathématicien noyé elle aurait éventuellement servi).

Comme Daniel Augot veut absolument nous prouver qu’il n’y a rien à voir, il nous montre d’abord le dock qui lui sert à raccorder l’ordi portable à trois écrans extérieurs, ça va j’ai ça chez moi. Je m’étonne quand même du troisième ? Ah non, il ne s’allume pas. Plus curieux : l’écran qui fait face à Daniel Augot est retourné en mode portrait. On avait ça dans l’édition dans les années 90, Apple en commercialisait un spécifique, avant qu’on comprenne que la compo d’un livre c’était toujours en mode double page et qu’on revienne au mode paysage. Pas la peine que je vous embête avec ça ? Justement, c’est ce genre de micro-détail qui m’intéresse. Ici, tout simplement parce que lire une page de maths, thèse ou article, ce n’est pas le même mode de lecture balayante que celle de la prose. L’arrêt se fait aux équations. Le mode vertical de l’écran permet d’être concentré sur un seul point du texte, celui que l’équation à cet endroit met en travail. Dans mon sac j’avais mon Kindle, étonné de la haute pile de thèses, mémoires et articles qui voisinait sur la table : mais aller coder une équation en epub, avec la disposition qui change en fonction de la taille, sûr que côté édition numérique on serait à la traîne.

Pour le reste, je confirme : rien à voir. Je note des détails : Daniel Augot a un fauteuil relativement neuf, un siège qui permette de tenir dix heures à l’ordi ça compte. Mais quoi faire du vieux, quand il s’agit de mobilier national ? Il reste au bout du bureau et sert aussi à recueillir les piles de papier – trait caractéristique de bien des labos où nous passons. Et j’ai toujours un regard pour ces engins à roulettes, qui portent aux accoudoirs la marque de leur dix ans d’usage (l’accoudoir gauche souffre plus vite que le droit).

Ce qu’il y aurait à voir, c’est la ferme de serveurs, mais elle est au sous-sol, avec accès réservé. Dans une des pièces au milieu de la coursive, avec aussi pas mal de mises en garde, on aperçoit le ronronnement réfrigéré des armoires. S’il n’y a rien à voir, chez les matheux, c’est que le terrain concret de l’expérience, qui se manifeste évidemment plus facilement chez les biologistes, ou même chez les astrophysiciens, c’est l’accès serveur à ces instruments de calculs. Ainsi, on apprend que sur le plateau de Saclay, pourtant traversé d’énormes lignes hautes tension, avec les réacteurs nucléaires du CEA à portée de vue, n’est pas extensible en réserve électrique. Qu’à Polytechnique on doit se battre pour les kilowatts – si une expérience de calcul des mathématiciens ou des physiciens requiert autant d’électricité qu’une ville moyenne, les mathématiciens n’ont pas toujours gain de cause les premiers.

Je regarde aussi les tableaux : ces tableaux blancs effaçables, qu’on trouve dans chaque couloir et chaque bureau sur le plateau. Et jours, quand on en regarde un de près, la personne qui vous accueille vous dit que non, il ne faut pas faire attention, c’est juste une petite démonstration sur ceci ou cela, rien de caractéristique n’est-ce pas... Daniel Augot le prend plus au sérieux : je demande si, pour penser et travailler, il y a un rapport entre la taille du tableau, à l’échelle du corps, qui serait plus favorable que la taille de l’écran d’ordi, devant lequel on peut aussi s’installer à deux, mais qui ne prend pas en compte le geste même (la poésie c’est un mouvement du coude, disait René Char). Par exemple, deux tableaux, rien moins, dans cette petite mezzanine de la machine à café – le tableau est le lieu corporel, debout, où on travaille à deux (« pour penser à deux, se montrer des bouts de trucs »). Et même, parce qu’il est question que leurs bureaux soient déménagés dans un nouveau bâtiment, l’inquiétude que le nouveau mobilier – toujours les architectes – n’ait pas prévu les fameux tableaux : « on aura des armoires sur lesquelles on pourra écrire, ce n’est pas la même chose... »

Le travail de Daniel Augot n’est pas si abstrait, du moins dans ses conséquences. Ce qu’il déplie en permanence, c’est l’histoire de l’informatique. Il a commencé, pendant son DEA, sur « des terminaux avec des caractères verts sur fond noir », avant la grande épopée des machines IBM. Son premier e-mail date de 1989 : « ça aurait été inimaginable de penser qu’aujourd’hui ça toucherait toute la population ».

Et puis il se braquera un peu, Daniel Augot, parce que mes questions sont plus celles qui émanent des souvenirs de la terminale C en 1970 – pourquoi ça n’aurait pas pu être moi, au fait, le bon en maths ? Comme si parler de soi était incongru : « je ne suis pas très typique dans cette communauté ». Ah bon, il y a des chercheurs typiques ? Je n’en ai pas encore rencontré, et c’est vrai que ça fait partie du bonheur de ces rencontres, depuis quelques semaines. C’est vrai aussi qu’on ne les sollicite pas au hasard.

Et là commence le vrai voyage. On est allé s’asseoir à une table (comme ces tables de pique-nique sur les aires d’autoroute, rien de plus) au bord du lac en forme de bicorne.

Et là commencera une autre histoire, plus profonde.

Par exemple, peut-être partir de l’histoire et du destin de Jean Dieudonné : né en 1906, le premier exode pour cet enfant de Lille c’est la traversée enfant de la 1ère guerre mondiale. Premier prix du concours général de maths à 17 ans, puis Normale Sup, et de là Princeton. Une thèse avec un titre parfaitement clair et modestie trompeuse, ironie des matheux : Recherche sur quelques problèmes relatifs aux polynômes et aux fonctions bornées. Il a 28 ans quand il participe à la fondation de Bourbaki. En 1940, l’université de Strasbourg se replie à Clermont-Ferrand. Est-ce que sinon, cette jeune lycéenne auvergnate aurait bénéficié de tels enseignants ? Elle rentre en prépa maths avec de nombreux jeunes Parisiens exilés ici pour cause de guerre : « Ma mère a vu partir plusieurs camarades ». On sait ce que signifie, à côté de Vichy, le mot partir, et la lycéenne de Clermont aura connu, par le hasard de la guerre et du lieu, l’effet de pointe du bouleversement principal des mathématiques de son époque, et en gardera la passion. Plus tard, dans l’explosion des baby-boomers, elle deviendra elle aussi prof de maths. Pourtant, les frères et soeurs de Daniel (il est le plus jeune de la fratrie de six) prendront d’autres directions : « personne ne m’a poussé aux maths ». C’est juste que l’histoire familiale a croisé l’histoire des maths et l’histoire tout court : lorsqu’il prendra ces chemins pour son propre compte, il saura d’avance les visages et les noms.

La famille est originaire de Montvicq, dans l’Allier, mais déménagera en 1958 à Auch, dans le Gers, où naît Daniel. En terminale C, c’est encore 9 heures de maths par semaine, de ces maths dites modernes, au point que redoubler aurait été rétrograder à celles de l’ancienne école. Donc on fonce. Ça se passe un jour de devoir plus difficile : « un quart d’heure avant la fin, j’ai compris ». Il entre en prépa à Louis-le-Grand en 1983 : « la prépa, c’était pour enlever ces matières qui m’étaient pénibles ». Les maths semblent alors seulement un concept de plaisir : « j’étais fasciné par le prof, je notais le cours sans regarder le tableau... » Le choix de l’algèbre se fera à Fontenay-aux-Roses, encore comme par soustraction : « ne plus faire ces affreuses équa diffs ».

L’histoire ensuite semble rectiligne : entré à l’INRIA en 1992, Daniel Augot n’a plus quitté ses écrans. Pourtant, si la discussion se prolonge, avec la lumière d’après-midi sur le petit lac, c’est pour une qualité discrète d’écart. Comme si, en maths, restait cette place pour la pensée qui doit contourner, surplomber ou ruser.

Il parle ainsi des mathématiques comme de « la discipline qui survit le mieux dans le temps ». Il reste visiblement tout pétillant à évoquer « comment des objets algébriques même très simples peuvent engendrer des enjeux colossaux dans le monde réel ».

Et fascinant pour nous, évidemment, de découvrir comment – spécificité par rapport aux autres disciplines de la recherche ? – la notion de langage est centralement présente dès que la pensée aborde un nouvel objet. Les mots tout simples que choisit la mathématique sont ceux de notre langage courant, c’est ce qu’elle met à l’intérieur qui devient un monde : ainsi, Daniel Augot nous parle de mathématiques discrètes, de logiques faibles.

Par exemple, la vraie passion de Daniel Augot, à l’évidence, c’est lorsqu’il évoque le front mouvant de ses propres domaines de recherche, depuis la fondation des sciences de l’information par Claude Shannon, un homme de la génération de Jacques Dieudonné. Voir par exemple ces lectures Shannon (pdf) sur le site de Robert J. McEliece. Il évoque l’histoire du Jet propulsion laboratory et les problèmes de reconstruction d’images depuis les données satellites, comment à partir des années 1970 on a pu reconstruire Saturne en bleu – il n’y a pas de photographie de la planète Mars, il y a seulement les algorithmes correcteurs de code qui nous permettent de les reconstituer. Voir ici pour une petite leçon maison de codage algébrique.

Comment, arrivant dans cette discipline début des années 80, Daniel Augot aurait pu choisir une autre voie que celle qu’il dit « faire des maths sur un ordinateur » ? Le calcul informatique est désormais organique à toutes les disciplines, et il importe d’en développer la théorie propre, l’explorer pour lui-même. On est dans la lutherie des maths, l’interrogation sur l’outil et comment il fonctionne, comment il agit sur ce dont il traite. École aussi de rigueur : « il y a beaucoup de fous dans les maths, avec l’informatique il faut que tout soit codé ».

Cette notion de langage qui est omniprésente, elle a aussi son équivalent graphique dans cette verticalité graphique (photo ci-dessous) qu’ils ont forgée pour eux, écriture qui remonte de bas en haut quand avance le raisonnement – court-circuit pour moi avec le calepin de l’ordinateur, où souvent les notes s’ajoutent en haut de fichier, une renverse discrète (comme le mot qu’il emploie pour les maths) mais de telle importance pour le mental comme pour le récit qui en surgit.

Lorsqu’il commence à travailler dans l’univers de la logique informatique, c’est bien la notion de langage qui devient aussi le biais principal : « vérifier par une preuve que le logiciel fait bien ce qu’il est censé faire », ça s’applique aussi à notre usage basique (je n’écris pas sur traitement de texte, j’écris directement en ligne, mais l’interprétation du code que j’envoie au serveur, pour afficher cette phrase que j’écris, indépendamment du navigateur et du support de lecture, en fait partie probablement). Mais précisément, s’il s’agit d’applications, la question du code ne peut recouvrir cet objet auquel elle s’applique. Ce que Daniel Augot exprime : « définir des logiques faibles mais plus complètes ».

Ainsi, dans les logiciels et leurs boucles, va-t-on intégrer les mécanismes qui permettront à ce logiciel de repérer lui-même ses éventuelles erreurs. Entrer dans un code, dont les réponses sont a priori parfaitement définies, une sous-couche qui soit un code correcteur d’erreur peut paraître incongru. Ce que Daniel Augot exprime : « coder le message avec de la redondance ».

Je crois que si la discussion s’est prolongée ainsi, sur la table de pique-nique près du lac en forme de bicorne, c’est parce que, malgré nos dix ans de d’écart (critère qui avait été important lors de l’échange avec Jacques-Marie Bardintzeff), Daniel Augot ne contourne pas les questions liées à la durée, au quotidien, à la nature même de la pensée du chercheur quand vient l’âge. Comme chaque fois, les voir se heurter au paradoxe qu’ils ne pourraient pas travailler, échanger, lire et communiquer sans cette présence physique au bureau qui leur est alloué, mais que la part la plus précieuse du travail, qu’on soit de l’aube ou de la nuit, c’est chez soi qu’on l’accomplit, via l’ordinateur en bandoulière qui fait la navette.

Lesquels des chercheurs rencontrés, à tel moment ou tel autre, n’évoquent pas leur curiosité, ce que nous autres saltimbanques nommerions plutôt inquiétude, mais ce n’est pas un mot de leur vocabulaire. Daniel a cette facilité (notre art de provinciaux, sa qualité de natif d’Auch dans le Gers ?) de le dire avec des mots tout aussi simples que ses équations sont compliquées : « ...mettre les trucs en correspondance, je suis assez bon pour ça... pas trop creuser le sillon à mort, ne pas se spécialiser... j’ai ce travers de m’intéresser à beaucoup de choses... » Est-ce que ce n’est pas cela, justement, qu’il faudrait réinjecter de force lorsqu’au lycée, après la classe de 2nde, on contraint au cloisonnement la classe de 1ère ? Et qu’après, en tout cas en 1ère année de fac ou de prépa, c’est déjà trop tard... Je pense à ce livre La mue, de Pierre Bergounioux, une discussion de nuit entre un gamin de maths sup et un autre de khâgne littéraire – mais personne ici ne connaît Bergou, qui habite pourtant à 500 mètres.

La façon par exemple dont Daniel Augot dit, et pourtant ça l’a occupé des nuits, des années, que « le code c’est d’une telle rigueur intellectuelle, passer une journée à débugger un programme je ne saurais plus le faire ». Mais que précisément c’est là où il trouve sa tâche d’aujourd’hui. Ils sont passionnants, les couloirs qu’on traverse avec lui, calmes bureaux minuscules et tous aussi banals les uns que les autres (à ceci près que les claviers y sont tous en QWERTY), avec des noms venus de tous les pays du monde affichés sur la porte. D’ailleurs, un moment, je suis tout surpris de comprendre ce qu’il y a sur le tableau : bien sûr, c’est là où on apprend le français langue étrangère aux jeunes chercheurs qu’on invite. « Où l’étudiant va se cogner frontalement, moi je vais tourner autour », dit Daniel. Qui n’hésite pas non plus à aller dans des classes de lycée : il arrive et se met à parler de 1 + 1 = 0 (avec même un peu de cryptographie et de stéganographie, qui est « l’art de cacher un message dans un autre message »). Quand l’heure a passé, on aura infiniment voyagé, dans le code, les satellites, la bombe atomique, le corps humain, l’histoire des maths, de l’algèbre et de Bourbaki, dans la plus brève histoire des petits appareils électroniques et des grands calculateurs et le compte sera bon.

Pas parlé de Rabelais, tiens. Rabelais qui a vécu à Fontenay-le-Comte, un peu avant que François Viète, justement, invente l’algèbre en important des lettres dans le raisonnement mathématique. Dans la fin de Pantagruel (chapitre Comment Pantagruel de sa langue couvrit toute une armée), le narrateur écrit : puis trouvay une petite bourgade à la devallée, iay oublyé son nom, où ie feis encores meilleure chere que iamais, & gaignay quelque peu d’argent pour vivre. Et sçavez vous comment ? à dormir : car l’on loue les gens à iournée pour dormir, & gaignent cinq à six solz par iour, mais ceulx qui ronflent bien fort gaignent bien sept solz & demy... Parce qu’il nous aura dit ça, Daniel Augot, parlant de ce temps spécifique à la vie de chercheur, au travail d’encadrement de nouveaux doctorants et post-docs, à l’avancée intérieure dans un domaine qu’on connaît trop finement pour qu’une idée puisse venir tout bousculer, mais où on doit peser et pousser : « Il y a des choses que je laisse dormir, dit-il... » C’est une belle fin, non, pour une rencontre qui n’en a pas ?

  màj n°1 : 12/06/18, 21h46, après relecture DA.

 


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1ère mise en ligne 16 juin 2012 et dernière modification le 28 juin 2012
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